Les limites du changement

Alexandre Santeuil – 4 juillet 2012

« Avant de le rencontrer, je croyais que la violence était dans les cris, les coups, la guerre et le sang. Maintenant je sais que la violence est aussi dans le silence, qu’elle est parfois invisible à l’œil nu. La violence est ce temps qui recouvre les blessures, l’enchaînement irréductible des jours, cet impossible retour en arrière. La violence est ce qui nous échappe, elle se tait, ne se montre pas, la violence est ce qui ne trouve pas d’explication, ce qui à jamais restera opaque. »
Delphine de VIGAN

 

Le changement peut se signaler par un nouvel aménagement des libertés, ce qui peut naître d’un bon sentiment, mais aussi par le recul des frontières par lesquelles ces libertés respectent celles d’autrui et garantissent les nôtres.
C’est le cas par exemple dans les limites que les civilisations érigent en matière de sexualité, d’usage de toxiques, de procréation, de respect des races animales et humaines.
On ne peut que se réjouir du sain bon sens qui prélude à l’interdit de la prostitution, qu’apprécier le progrès civilisationnel qui permettrait l’abolition de la corrida, on ne peut que s’étonner de l’idée normative du mariage homosexuel, que déplorer le projet aberrant de légalisation du cannabis.
Et, comme d’habitude, il est nécessaire de s’indigner contre la tolérance dont bénéficient les dogmes de la frustration, de la discrimination et de la violence, en échange de quels avantages.

Il suffit d’être confronté aux problèmes psychopathologiques des prostituées pour comprendre de quelles souffrances les clients se paient.
L’abjecte corrida détient jusqu’alors l’effectivité de la pulsion de mort traînée en spectacle en exhibant la banalisation de la torture, du sang et de la peur.
La relation des homosexuels confondue avec la symbolique du mariage aurait pu être acceptable, mais la réalité de l’ontologie et de l’éthologie humaine contraste avec l’inquiétant mélange pour les droits de l’enfant qui peut s’ensuivre d’un pacte social qui rendrait possible l’idée de deux hommes ou deux femmes (pas deux papas ou deux mamans : il n’y a qu’un papa et qu’une maman.) élevant un petit garçon ou un une petite fille, idée particulièrement périlleuse pour l’humain en construction.
Le praticien qui a rencontré les victimes de psychoses cannabiques sait à quel point, après l’alcoolisme et le tabagisme, l’invention du cannabisme serait criminel.
Enfin, et comme d’habitude, il est tout à fait dommageable d’accepter les mouvements sectaires et religieux qui font l’apologie du crime, de la discrimination sexuelle, de l’intolérance, avec la complicité des médias qui ne donnent pas les noms des délinquants et des criminels, qui camouflent leurs visages, qui n’indiquent pas systématiquement l’abus dont les femmes sont l’objet de la part de certains, qui montrent sans les dénoncer les images d’animaux maltraités, qui ne s’insurgent pas contre l’effroyable obscurantisme de ceux qui ne voient le salut que dans la mort et la haine de l’autre.

Tout ceci pose de nouveau la question du suicidaire entêtement mortifère pour les hommes que de vouloir sans cesse repousser les limites.
Une grande tolérance implique une grande violence. Le flou des limites dans tout ce que l’élite politique et journalistique accepte et qui pourtant nous choque, nous qui fréquentons la rue, le métro, les lieux publics, l’école, l’université (signes religieux, prostitution, drogue, maltraitance, incivilité, surpopulation), et entraîne le dévoiement de l’impunité de ceux qui agissent sous l’égide de la permissivité, mais ouvre aussi l’ère des toujours possibles extrémismes sociaux qui ne demandent qu’à devenir totalitaires.

Alexandre Santeuil – 4 juillet 2012 – Institut Français de Psychanalyse©

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