Gilets jaunes – le non-dit

Nicolas Koreicho – Décembre 2018

Une particularité de la révolte des gilets jaunes est la résistance des personnes à produire un discours organisé, laquelle résistance altère l’aspect malgré tout rationnel de ce mouvement. C’est ce qui nous fait dire que le fond de la cause de cette révolte n’est pas de l’ordre de l’articulé, mais de celui du pulsionnel, précisément de la pulsion d’autoconservation.
Ce mouvement, cette révolte, cette jacquerie si l’on veut est encore trop dépendante de ce que l’Autre, le politique, le journaliste, l’artiste, va en dire. Pourtant il y a justement du non-dit, de l’implicite, du sous-entendu dans les revendications qui s’expriment tant bien que mal. On sent une difficulté à exprimer ce qui blesse, une difficulté à nommer les choses, les failles, les manques.
De la même façon que le polythéisme ancien n’est compréhensible que lorsque l’on est prêt à mettre à distance critique autant les cultures anciennes que les cultures des religions monothéistes, la révolte des gilets jaunes ne peut trouver de débouché partageable, audible, qu’en se dégageant de la bien-pensance et du conformisme d’interprétations lourdement orientées. Elle ne remplira le rôle qui en est attendu qu’en se désolidarisant de ce que l’Autre (cf. supra) en dira.
Il faut comprendre que ce mouvement est d’abord le reflet d’une souffrance, c’est-à-dire d’un manque, comme l’on dit d’une lettre non reçue qu’elle est en souffrance.
Manque à gagner, manque de reconnaissance, deux manques qui à l’inverse profitent à ceux, intouchables selon la bien-pensance, qui sont perçus, identifiés et compris inconsciemment les uns comme des privilégiés et les autres comme des assistés, puisqu’en effet ce que ces deux groupes coûtent à la grande classe moyenne des citoyens payeurs placés entre les deux, entre les uns, dans les entreprises publiques, les parlements, les ministères, et les autres, à travers les banlieues, les écoles, les hôpitaux, est maintenu dans le non-dit, l’implicite, le sous-entendu de la part du politique, du journaliste, de l’artiste cette fois, et ce coût est, tabou et déshonorant, car issu du marché de la mondialisation.
Deux non-dits, deux implicites, deux sous-entendus se croisent.
Dans les rêves, la voiture représente le moyen par lequel nous menons notre vie, nous la prenons nous-mêmes en charge, et elle représente la liberté, l’indépendance, la force retrouvée. Or, cette fonction métaphorique, essentielle pour ceux qui n’ont guère que leurs déplacements, cet entre-deux d’une liberté temporaire, pour oublier les opérations dont ils sont les dupes, est ôtée à la société des classes moyennes dans la mesure où elles ne savent pas précisément ce que l’État fait de l’argent de leurs taxes et de leurs impôts, tout en enregistrant d’une part que les privilèges sont maintenus pour de soi-disant élites qui prospèrent et, en un même mouvement tendant vers un soulagement des consciences, d’autre part que les organisations prennent en charge des communautés adventices imposées coûteuses, parfois malhonnêtes, parfois hostiles, parfois violentes, tout en courbant l’échine sous une apparente fierté.
Le gilet jaune est celui que l’on enfile en voiture lorsque l’on est en panne, et particulièrement pour éviter le sur-accident. Il signale une vulnérabilité et il est donc le signe par excellence de l’insécurité. Si l’on considère l’insécurité face à la domination de prérogatives confortées et d’une délinquance généralisée, l’insécurité dont il est le symbole est, outre l’insécurité économique et l’insécurité culturelle, l’insécurité personnelle.

Nicolas Koreicho – Décembre 2018 – Institut Français de Psychanalyse©

34RL1H3 Copyright Institut Français de Psychanalyse

3 commentaires

  1. merci pour cet article. Nous auriez aimé connaître les rêves des allemands avant le montée du nazisme,…le point de vue du psychanalyste ne peut que se situer au niveau de l’individu et ses angoisses. L’inconscient collectif lui est moins palpable. Cette explication pêche par là même où elle se cherche une réponse. L’angoisse personnelle peut-elle guérir le collectif ou l’inverse. C’est la limite de la psychanalyse. Suite: Stratégie du chaos (double-bind: fin de moi ou fin du monde). ’est ainsi que Staline et Hitler sont montés au pouvoir. En 68, les fils de bourgeois de vouloir « tuer le père », en 2018, les gens du peuples (y compris la classe moyenne) de vouloir tuer le « pervers ». Hélas, l’histoire a souvent démontré qu’il finit par être remplacé par LA LOI au sens le plus régressif du terme : LE REDRESSEUR TOTALITAIRE : Hitler, Staline. relire l’inivers contestationnaire d’André Stéphane. Les soixante-huitards seront les fascistes de demain. Il avait tout vu,…Perso, comme Thomas Mann, je regarde tout cela de loin et m’attends au pire,…

    1. L’individu est historisé et est membre d’une communauté.
      Une communauté sortira de l’inquiétante masse si en son sein, chaque individu, peut prétendre , grâce à une psychanalyse, multireferentielle, (rassemblant différentes approches, courants), pacifier ses angoisses, au prix d’une profonde, donc non brève, introspection…Ce grandissement de l’individu influe sur la genèses d’une communauté où 1+1=3
      L’inconscient collectif, passe horizontalement, par l’événementiel (dimension systemique), mais aussi transgénérationnel, à savoir cet héritage qui peut ricocher sur plusieurs générations (génération1 directement impactée l’indicible, génération 2 l’innommable, génération 3 l’impensable: ce qui a fait trauma, dans une lignée, dans une communauté, sur un peuple,a été tu, non dit, voire falsifié, pas été élaboré , revient effracter violemment comme un boomerang notre société, notre monde contemporain…Il y a donc à se pencher politiquement parlant sur les manquements, dérapages, abus y compris à grande échelle bien sur historiques, pour comprendre , reconnaître et demander pardon…
      Le grandissement de l’individu se fait également au prix de la rencontre de ce qui se répète , dans sa vie, sur le plan transgénérationnel.
      L’individu a besoin d’un environnement, même quand il devient adulte, qui lui permette de faire son chemin personnel de croissance existentielle, de réalisation…L’injonction économique perverse de notre société , menée autoritairement par des pressions ultra libérales, attaque l’Education, la Santé, l’Information, l’Art, la Psychanalyse; elle est ennemie du temps, et nous met dans une angoisse de survie insupportable, nous mentant en nous faisant croire que tout peut se résoudre dans l’immédiateté, au service de l’Interdit de Penser: arme de combat du terrorisme de toute dictature
      Nous nous devons de défendre tout ce qui pourra nous conforter dans notre singularité, en toute sécurité, comme condition essentielle à une rencontre pacifique avec l’Autre, dans la sortie de « ou moi ou l’autre »…faire acte de résistance, voire de désobéissance , comme l’entendait Hannah Arendt
      Mais désobéir n’est pas détruire aveuglément, tout Autre; il y a beaucoup de confusion dans le langage. Il ne s’agit pas de détruire, mais de Déconstruire un monde désespérants, sans avenir, pris le mépris du Passé, pour Reconstruire …un monde meilleur, qui intègre Passé, Présent et Avenir

      Psychanalyse multireferentielle: Reichiens, Freudiens, Jungiens, Vassiens, Winicottiens, Transgénérationnels, Existentiels, Systemistes…..

  2. Les forces de civilisation sont supérieures aux forces brutes de la jungle sauvage.
    Que dire ? C’est une réalité forte. Non négociable. Un vrai socle de sécurité : on peut aller acheter son pain sans se faire détrousser et les femmes peuvent sortir les jambes nues sans se faire lapider.
    Les intellos se gargarisent de cette vérité. Les prolos, les OS (ouvriers syndicalisés !) ou autres employé(e)s ou infirmières peuvent manifester comme des gens civilisés, là où on leur dit d’aller le faire.
    L’Europe de la paix existe à l’ombre du souvenir bassiné de l’horrible seconde guerre mondiale et de la culpabilisante Shoah : la démocratie républicaine s’installe durablement comme une religion d’état en terre laïcisée.
    Tout est calme est serein. La paix sociale a son prix. Il est payé et compté en promesses souvent crues, bien ficelées et qui, parfois, sont tenues mais souvent payées en monnaie de miettes. Le gras pour les corps intermédiaires et l’état, les os à ronger pour le peuple. Ça marche comme ça.
    Parce que le peuple est peuple : il est masse. Mass Market. Des millions de pauvres travailleurs qui rapportent beaucoup. Une masse prête à tout pour se maintenir sans « tomber au chômage ». Une masse digne qui très souvent ne demande pas les aides qui pourtant leur seraient accordées : dignité et éducation séculaire obligent. Chez ces gens-là on ne mendie pas. Une masse qui très souvent culpabilise de « creuser le trou de la sécu » surtout pour les ALD, affections de longue durée, très coûteuses… Une masse laborieuse qui croit que le travail rend plus riche et plus libre…
    Ils vivent avec cette croyance parce que leurs parents leur ont répété chaque jour depuis qu’ils sont petits : « tu dois travailler pour gagner ta vie ».
    Et ce qui casse ce rêve est un mot. Une expression devenue usuelle : « les travailleurs pauvres ». Le travail devient un mensonge. Les aides cumulées accordées aux chômeurs rapportent plus que le fruit du travail au SMIC. Ou presque, à quelques euros de moins on peut rester couché sur le canapé à toucher les aides. Et pourtant le peuple des travailleurs pauvres continue de travailler parce qu’il s’accroche à sa dignité de culs terreux, de non scolarisés, de prolos alcoolos, de bidochons et il refuse les aides, il serre les poings, tremble devant sa boite aux lettres, mange des pâtes, boit et fume, s’arrange, bricole, trafique, recherche le moins cher, il mal bouffe, il achète de moins en moins cher et s’endette à vie pour une maison en tremblant à vie devant son banquier à qui il s’excuse d’exister…
    Et plus haut, tout en haut à Paris, on rit. On rit. On rit. Et on dit souvent des conneries. Les humoristes, les bobos charlies et les sociologues parlent de Français « moyen ». C’est super drôle. MDR.
    Aujourd’hui, le rire jaunit, grince et grimace.
    Ce n’est pas tant le mécontentement de la taxe essence qui fait ce mouvement – on est habitué aux râleurs en France, mais c’est ce que devient ce mécontentement chaque jour depuis CINQ semaines sans AUCUNE centralisation ni représentation identifiée. Du jamais vu. Les gros patrons des syndicats s’étranglent.
    Les dirigeants parisiens, nos maîtres, étaient habitués à faire gentiment jouer les citoyens à la manif, dans le bac à sable entre Bastille, République ou Nation avec demande officielle à la préfecture et camions poubelles qui ferment le cortège pour nettoyer la rue des cannettes de bière et des papiers gras des hot-dog merguez…
    Chez les Jaunes, personne ne demande la permission. Et il n’y a pas de chef. « On va où on veut, ok ? ». Et ils sont partout du coup.
    Comment on fait face à ça ?
    Les forces de civilisation sont au stade ultime de la discréditation par mensonges, petits et gros enfumages entre amis contre la masse des gueux. L’adrénaline qui sauve la vie des herbivores en milieu hostile prend le dessus à travers le peuple tendu pour survivre. Avec la simplicité de cœur des pauvres gens, des vraies souffrances, et des rêves réellement brisés… Rien n’arrête cela. RIEN.
    Ébullition, éruption : RIC Référendum d’Initiative Citoyenne, taxes égalitaires, (essence mais kérosène et super tankers), revenu du travail pour simplement en vivre (ils n’ont que faire des 100 balles de Macron), pas de syndicat, pas de parti politique, des retraités mieux récompensés, savoir où va l’argent de l’impôt, représentativité au parlement, délocalisation des décisions jusqu’au centre du village, exit les décideurs de Paris, exit ceux de l’Europe, relocalisation des productions… Voilà ce que j’ai entendu.
    Sans chef. Sans structure. Comment est-il possible d’avoir ces informations ?
    Manipulations occultes des journalistes, complot ?
    Pas du tout. C’est tout simplement l’intelligence transversale d’un peuple qui souffre des mêmes souffrances. Il dit clairement sa souffrance mais par morceaux éparpillés, arrachés. Et le tout devient parole. Celle du peuple de France, la majorité silencieuse, le français moyen, le gueux, le sans dent, l’illettré, le blanc.
    Le peuple aidé et assisté à coup de milliards ce n’est pas lui. Le gilet jaune c’est le peuple de France et de cœur qui travaille.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.