Un point de vue de la psychanalyse sur la corrida

Alexandre Santeuil – 1er décembre 2008

« La corrida, ni un art, ni une culture ; mais la torture d’une victime désignée. »
Émile Zola

« Torturer un taureau pour le plaisir, l’amusement, c’est plus que torturer un animal, c’est torturer une conscience. Tant qu’il y aura des êtres qui paieront pour voir une corrida, il y aura des guerres. »
Victor Hugo

« L’œil animal n’est pas un œil. L’œil esclave non plus n’est pas un œil, et le tyran n’aime pas le voir »
Alain

Historiquement, même si la corrida pouvait s’apparenter aux jeux du cirque de l’ancienne Rome, au moment où ces spectacles de tuerie, de combat entre hommes et animaux, sonnaient l’heure de la plongée de la civilisation romaine dans la décadence, la corrida est née dans les abattoirs (Séville – XVIe siècle).
Voici ce qu’il en est de la tradition, voilà ce qu’il en est de la culture.
C’est dans les abattoirs que les bouchers et leurs commis, avant de tuer les taureaux, s’amusaient, et amusaient leurs femmes, puis, moyennant finance, les bourgeoises et les bourgeois à les faire courir, à les piquer, à les poignarder, à les couper, à les saigner vivants, à les tailler en pièces pour distribuer queue, testicules, oreilles aux spectatrices et aux spectateurs fétichistes.
Il est plus que nécessaire de considérer la terreur infligée aux animaux qui satisfait les perversions voyeuristes, fétichistes et sadiques des spectateurs avides de sang, compte tenu de la pulsion d’emprise qui veut considérer l’autre (le faible, l’entravé, l’enfant, la femme, l’animal sans voix : la victime potentielle) comme un objet, en une conjugaison archaïque qui mêle pulsion de destruction et pulsion pornophile.
Une condition acceptable de cet abus de pouvoir aurait été que cela restât dans la fiction d’une littérature ou d’une peinture ou d’une sculpture en une espèce d' »esthétique » du mal. Pourquoi pas ?
Cependant, il est nécessaire également de prendre en compte pour l’analyse, outre la composante perverse de l’exercice, la dimension psychopathique intrinsèque au rejet d’autrui. Et c’est bien ce qui apparaît dans un tel spectacle : l’abject.
La violence tortionnaire proposée en spectacle exhibe une expression sadique brutale, masquée, ambivalente, issue de la pulsion de destruction, et, plus précisément, issue des pulsions de mort sous leur forme perverse et psychopathique.
L’Autre, l’animal, y est pris en otage sous le statut de chose, d’objet réduit à l’impuissance par des corps d’impuissants, les tortionnaires et les voyeurs.
Il est possible de parler d’une certaine complexité, car l’expression sado-tauro-machique se construit sur un anthropocentrisme borné selon lequel c’est le point de vue de l’observateur (de l’archaïque voyeur) qui est privilégié, et ce nonobstant la torture de l’animal réduit à de la chair souffrante.
Certains jadis ont pu se délecter de la contemplation du Crucifié que d’autres persécutaient.
Un cortège d’arguments prétendument artistiques, sur ce qui reste une esthétique de foire, est appelé en renfort. Mais bien évidemment ne peut être qualifié d’Art que ce qui produit une Œuvre. Or, ici, point d’œuvre. Justification complexe de la pulsion scopique sous son aspect voyeuriste, donc. Pour autant, cette esthétique foraine populacière doit-elle prendre le pas sur la douleur et la morale et piétiner la valeur compassionnelle de l’humanité ?
Masque, car l’énergie du taureau peut facilement le faire passer pour un animal agressif par nature, alors que tout est fait, dans son dressage (inculcation violente, incarcération, déportation, contention, brutalité, torture clandestine) pour réduire l’animal à une Chose répondant à l’exigence d’un commerce fondé sur l’abaissement d’une créature unique de vigoureuse beauté au rang de chair à la merci de ce que le peuple a de plus bas, d’un mammifère dont la noblesse, plus que l’homme, en impose. La force déployée par le taureau pour que cesse sa peur et sa souffrance est justifiée ab absurdo par les organisateurs dans son combat contre le torero, c’est-à-dire en inversant le véritable bourreau qu’est l’homme, alors que les coups se portent sur le taureau, ivre de terreur et mu par l’autoconservation, frappé de tous côtés par les picadors qui le détruisent nerveusement à petit feu, coup après coup.
Ambivalence, car la violence impressionnante des scènes qui se succèdent devant la foule avide relève de la double contiguïté de la douleur de la bête et de l’acharnement de l’humain placée au rang d’une énergie vitale orientée à la fois vers une « esthétique » sommaire et bouchère (l’étal, l’énergie mortifère, la gestuelle répétitive, les couleurs criardes) et, en fin de compte, vers une mort abjecte (le sang, les tripes, les excréments, les vomissures des spectateurs, l’odeur) au point de faire oublier au spectateur que la soi-disant esthétique dont il est parfois question pour justifier la tenue des toréadors, des picadors, des opérateurs, tortionnaires excusés parce qu’ils donnent à un public demandeur, les autres, ce public, excusés eux aussi par ce qu’ils ne commettent pas directement, en une ritualité qui ne devrait jamais s’appliquer au crime sur un condamné.
Enfin, la question que pose l’exhibition du spectacle mortifère n’est pas due seulement au développement répétitif d’une danse ridicule (« olé ! ») menée par une lâcheté satisfaite, s’il n’était question d’épuiser – nerveusement et physiquement – de saigner et de tuer un animal qui ne veut que faire cesser son calvaire et qui lutte pour conserver sa vie et sa raison, exhibition trop faussement valorisée par les costumes clinquants d’une mise en scène grossière, camouflage du côté obscur et honteux de la référence à la peur de la mort soulignée par la tuerie facile.
C’est aussi dans cette manifestation d’un autre âge, l’âge de cette pulsion parmi les premières, de la bête qu’on craint et que des bêtes humaines torturent et regardent pour repousser l’angoisse d’être par elle blessées, dans la nuit d’une jouissance primaire des temps des hommes d’avant l’histoire, que l’on sacrifie aux peurs les plus immédiates, peurs d’être blessé par les crises, l’inculture, la décadence, dans cette manifestation proposée en un spectacle atroce mais admis, toléré, légal.
C’est spécialement là que le bât blesse. L’exemple qui tente de faire admettre l’abjection, l’une des plus démentes qui soit : torturer l’autre pour le blesser, le forcer à lutter, contre l’assaillant et contre la folie, celle de l’animal et celle des hommes, conséquente d’une curée incompréhensible.
Il existe dans ce spectacle de torture une contradiction dans les faits. Ce qui est encore légalement accepté représente d’une part le règne du plus fort et, paradoxalement, de l’irresponsable – quel exemple dans une démocratie que ce totalitarisme toléré du spectacle de la peine de mort après torture, et pour quelle faute ? -, ainsi que le règne de ceux qui, contre l’animal seul luttant contre tous, ont la force harcelante et lâche du plus grand nombre, des chevaux, des épées, des pointes, des mauvais coups, et ne laissent aucune chance à la bête nue jetée dans l’arène.
Cependant, d’autre part, la poursuite de ce rituel qu’on caractérisera un jour comme l’un des plus ignobles derniers crimes autorisés de ce siècle, implique philosophiquement que l’absence d’empathie, l’impossibilité de se mettre à la place de l’autre souffrant, est une amoralité à l’origine des pathologies narcissiques qui ouvre la possibilité de tous les crimes.
« Tant qu’il y aura des êtres qui paieront pour voir une corrida, il y aura des guerres. »
Or, on l’a vu, la conjonction d’un autre âge de la pulsion sadique avec le légal n’est rien moins, d’une part, qu’une condition sine qua non du versant mortifère de la régression narcissique et rien moins, d’autre part, qu’un exercice agréé de la perversité et de la psychopathie, ce qui, encore une fois, ne devrait être possible que dans l’expression littéraire, sculpturale, plastique, artistique
Malheureusement le crime est montré, infligeant ainsi au spectateur convulsé, tortionnaire par procuration, la confusion grotesque du bien de la lumière et du mal de la souffrance.

Alexandre SANTEUIL – 1er décembre 2008 – Institut Français de Psychanalyse©

Sur « No Corrida » en hommage au courage de leurs combats.

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2 commentaires

  1. Corrida et Démocratie
    La limitation de l’interdiction de la corrida aux enfants, sacralise le droit des adultes, d’autant plus qu’il est inepte, car c’est tellement plus facile de sidérer par la bêtise, la violence, l’ émotion, que de faire le bien avec sagesse et humilité. Je n’approuve donc pas cette interdiction aux enfants, qui serait l’inverse d’ une demi-victoire, par une incitation à prendre les adultes pour des Dieux, et à encourager la hiérarchisation des la société par des interdits, comme au temps de la prohibition, comme au temps d’ Adam et Eve.
    Par contre, je suis pour une interdiction simple, radicale et totale de la Corrida, par abrogation de cet alinéa 7 de l’ article 521.1 du code pénal :
    – indigne d’une société civilisée, capable de faire le tri de ce qui est bon pour la société et pour les générations à venir, donc de faire le tri des bonnes et des mauvaises traditions,
    – irrespectueux de l’esprit des lois, qui doivent être adaptées au contexte et à son évolution en protégeant les faibles au sens juridique, culturel et économique, car face à la nature, les animaux nous sont bien supérieurs,
    – illégitime, car accordé dans des conditions non démocratiques, par défaut de recours déposée (ou jugés recevables) pendant une période d’affichage effectuée en catimini, comme le font les mairies pour certains permis de construire, sans tambour ni trompettes à la hauteur de l’enjeu moral. Cette info vient de la FLAC.
    – antirépublicaines, car elle ne s’applique pas uniformément à tout le territoire, mais aux villes où la tradition est continue, défendant un archaïsme dépassé.
    – dangereuse moralement, socialement, culturellement, faisant l’apologie de l’horreur, de la fourberie, couteuse, mafieuse, cf lien psy ci-dessous.

    J’ajoute que, sachant que l’élevage a plus d’impact sur l’effet de serre que le transport, notre devoir environnemental et climatique conduit à réduire de manière drastique notre alimentation carnée, jusqu’à la solenniser, cette évolution culturelle nécessitant au moins une génération Végan pour réapprendre à vivre dans le respect de la Nature.

    Christophe Thomas, qui a sauvé le taureau Fadjen de la Corrida, avait proposé que l’art des paséos puisse subsister, sans supplices, ni mises à mort. Je crois cette proposition plus atteignable, car les afficionados prétendent aimer les animaux, l’art, la beauté du geste, et être courageux, même si elle nécessite des contrôles.

    Ces pratiques relevant de la conscience individuelle et collective, je souhaite que nos députés réclament un référendum national et européen sur ce sujet.

    Les sophismes sur la Corrida :
    http://www.jbjv.com/Les-sophismes-de-la-corrida.html
    (Un sophisme est un syllogisme fallacieux)

  2. Un Elu, un homme de loi, devant être garant de la moralité, intègre, sage et digne, avec le sens de l’intérêt général, si possible antispéciste, montre tout ce qui a manqué aux élus qui ont fait passer cet alinéa et à ceux qui l’approuvent.
    Un élu devant avoir le sens visionnaire, donc éthique et environnemental, donc climatique, doit savoir depuis la COP21, que la Vie sur Terre est menacée, de manière irréversible, et qu’il est juste temps de limiter les inéluctables dégâts à venir, à condition de tout faire pour cela, et que le plus tôt est le mieux.
    Les élus qui ne défendent pas la Vie sur Terre, et celle de notre espèce, ne pouvant être dans l’ignorance des conclusions de la COP21, s’ils continuent à pousser l’ humanité dans le mur climatique, sont responsable du génocide climatique des générations futures, et de l’écocide actuel, et ceux qui y prennent plaisir sont pervers, servent les vices de Fourberie, Cupidité et d’Orgueil, décrits dans cet exposé.
    Un élu normal et digne devrait :
    Limiter toute activité émettrice de gaz à effets de serre ou la compenser carbone.
    Les transports aériens étant les moins vertueux, avec 280 kWh/t.km, ce mode de transport doit être réservé aux cas particuliers, d’extrême nécessité, et non pour les loisirs, qui représentent 50% des motifs de déplacements aérien actuels.
    L’ élevage ayant un fort impact sur l’effet de serre, dans des proportions supérieures au transport calculé avec un PRG de 25 à 100 ans, alors qu’il est de 104 à 10 ans, il sortir de l’alimentation carnée. Ce qui justifie que l’on n’aient plus de taureaux à tuer, car les rendements alimentaires surfaciques se trouvent alors libérée du rendement biologique qui est de l’ordre de 10%, ce qui libère des espaces aux forêts, source de biodiversité, ressources biosphère des générations à venir, et puits de carbone qui protègera la Vie.
    Ce ne sont pas les seuls efforts à faire, mais ceux là sont en rapport direct avec la corrida.
    Quand on a compris qu’ Aimer n’est pas prendre, prendre plaisir aux dépends des autres, d’un animal, de la faune, de l’environnement, alors l’ Amour offrande efface toutes le peines, car ce que l’on fait est toujours pour le bien des autres, et dans l’incertitude de ce qui être bien pour lui, veiller à laisser aux générations à venir un environnement au moins aussi beau que celui dont on a hérité. Prenant conscience que la planète est notre seul vaisseau dans l’ univers, il ne nous reste plus qu’à nous y aimer et à respecter la Vie.
    On est alors en route pour la Paix sur Terre.

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