Cette page déroule les 10 dernières publications de l’IFP de façon antéchronologique, les plus récentes étant situées en haut de page. Une autre taxinomie est proposée dans Publications.

Le Mécréant

Le Mécréant – Brassens

Est-il en notre temps rien de plus odieux
De plus désespérant, que de n’pas croire en Dieu ?

J’voudrais avoir la foi, la foi d’mon charbonnier
Qui est heureux comme un pape et con comme un panier

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Salvador Dali – Christ de saint Jean de la Croix (1951)

Mon voisin du dessus, un certain Blais’ Pascal
M’a gentiment donné ce conseil amical

« Mettez-vous à genoux, priez et implorez
Faites semblant de croire, et bientôt vous croirez  »

J’me mis à débiter, les rotules à terr’
Tous les Ave Maria, tous les Pater Noster

Dans les rues, les cafés, les trains, les autobus
Tous les de profundis, tous les morpionibus

Sur ces entrefait’s-là, trouvant dans les orties
Un’ soutane à ma taill’, je m’en suis travesti

Et, tonsuré de frais, ma guitare à la main
Vers la foi salvatric’ je me mis en chemin

J’tombai sur un boisseau d’punais’s de sacristie
Me prenant pour un autre, en chœur, elles m’ont dit

« Mon pèr’, chantez-nous donc quelque refrain sacré
Quelque sainte chanson dont vous avez l’secret  »

Grattant avec ferveur les cordes sous mes doigts
J’entonnai « le Gorille » avec « Putain de toi »

Criant à l’imposteur, au traître, au papelard
Ell’s veul’nt me fair’ subir le supplic’ d’Abélard

Je vais grossir les rangs des muets du sérail
Les bell’s ne viendront plus se pendre à mon poitrail

Grâce à ma voix coupée j’aurai la plac’ de choix
Au milieu des petits chanteurs à la croix d’bois

Attirée par le bruit, un’ dam’ de Charité
Leur dit : « Que faites-vous ? Malheureus’s arrêtez

Y a tant d’homm’s aujourd’hui qui ont un penchant pervers
A prendre obstinément Cupidon à l’envers

Tant d’hommes dépourvus de leurs virils appas
A ceux qu’en ont encor’ ne les enlevons pas  »

Ces arguments massue firent un’ grosse impression
On me laissa partir avec des ovations

Mais, su’l’chemin du ciel, je n’ferai plus un pas
La foi viendra d’ell’-même ou ell’ ne viendra pas

Je n’ai jamais tué, jamais violé non plus
Y a déjà quelque temps que je ne vole plus

Si l’Eternel existe, en fin de compte, il voit
Qu’je m’conduis guèr’ plus mal que si j’avais la foi

Le Mécréant – Georges Charles Brassens • Copyright © Universal Music Publishing Group

Brise marine

Brise Marine – Stéphane Mallarmé

La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres parfum5
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux

Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
O nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.

Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature !
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !

Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots…
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots !

Stéphane Mallarmé – Vers et prose – 1893

 34RL1H3         Copyright Institut Français de Psychanalyse

Vida

♪ Vida ♪ – Lluís Llach

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Tsunami (XIXème) – Hokusai

Potser em deixin les paralelo
o potser em deixeu vosaltres
o només els anys em posin
a mercè d’alguna onada,
a mercè d’alguna onada.
Mentre tot això m’arriba,
que a la força ha d’arribar-me,
potser tingui temps encara
de robar-li a la vida
i així omplir el meu bagatge.
Mentre tot això m’arriba… vida, vida !

Encara veig a vegades,
de vegades veig encara
els meus ulls d’infant que busquen,
més enllà del glaç del vidre,
un color a la tramuntana.
M’han dit les veus assenyades
que era inútil cansar-me ;
però a mi un somni mai no em cansa,
i malgrat la meva barba
sóc infant en la mirada.
A vegades veig encara… vida, vida !

Si em faig vell en les paraules,
si em faig vell en les paraules
per favor tanqueu la porta
i fugiu de l’enyorança
d’una veu que ja s’apaga.
Que a mi no m’ha de fer pena,
que a mi no em farà cap pena
i aniré de branca en branca
per sentir allò que canten
nous ocells al meu paisatge.
Que a mi no em farà cap pena… és vida, vida !

Si la mort ve a buscar-me,
si la mort ve a buscar-me
té permís per entrar a casa,
però que sàpiga des d’ara
que mai no podré estimar-la.
I si amb ella he d’anar-me’n,
i si amb ella he d’anar-me’n,
tot allò que de mi quedi,
siguin cucs o sigui cendra
o un acord del meu paisatge,
vull que cantin aquest signe… vida, vida !

Potser em deixin les paraules
o potser em deixeu vosaltres
o només els anys em posin
a mercè d’alguna onada,
a mercè d’alguna onada.
Mentre tot això m’arriba… vida, vida !
Mentre tot això m’arriba… vida, vida !
Mentre tot això m’arriba… vida, vida !

Lluís Llach


Vie

Peut-être les mots vont-ils m’abandonner,
ou peut-être est-ce vous qui m’abandonnerez
ou seulement les ans finiront par me laisser
à la merci d’une vague,
à la merci d’une vague.
En attendant que tout cela m’arrive,
car tout cela m’arrivera forcément,
peut-être ai-je encore le temps de voler un peu encore à la vie
et de remplir mon bagage
en attendant que tout cela m’arrive… vie, ô vie !

Je vois encore parfois,
parfois, je vois encore mes yeux
d’enfant qui cherchent,
au-delà de la vitre de la fenêtre
une couleur à la Tramontane.
Des voix sensées m’ont déjà dit
qu’il était inutile de me fatiguer,
mais moi, un rêve ne me fatigue jamais
et malgré ma barbe,
j’ai toujours le regard d’un enfant…
Par moment, je vois encore … vie, ô vie !

Si mes mots ont pris un coup de vieux,
si mes mots ont pris un coup de vieux,
je vous en prie, fermez la porte
et fuyez la nostalgie
d’une voix qui s’éteint.
Sachez que cela ne me fera pas de peine,
sachez que cela ne me fera pas de peine,
et j’irai de branche en branche
pour écouter ce que chantent
les nouveaux oiseaux de mon paysage.
Non, ça ne me fera pas de peine, car c’est la vie, vie !

Si la mort vient me chercher,
si la mort vient me chercher
elle peut entrer dans ma maison
mais qu’elle sache, dès maintenant,
que jamais je ne pourrai l’aimer.
Et si avec elle je dois partir,
et si avec elle je dois partir,
je veux qu’il ne reste de moi que des vers, des vers
ou de la cendre nue ou un accord de mon voyage,
je veux qu’ils chantent ce signe, vie, ô vie !

Peut-être les mots vont-ils m’abandonner,
ou peut-être est-ce vous qui m’abandonnerez
ou seulement les ans finiront par me laisser
à la merci d’une vague à la merci d’une vague…
vie, ô vie !
En attendant que tout cela m’arrive…
vie, ô vie …
En attendant que tout cela m’arrive…
vie, ô vie…
En attendant que tout cela m’arrive…
vie, ô vie…

 34RL1H3 Copyright Institut Français de Psychanalyse

Ce n’est pas drôle de mourir

Ce n’est pas drôle de mourir

Félix Valloton – Jardin à Honfleur

Ce n’est pas drôle de mourir
Et d’aimer tant de choses :
La nuit bleue et les matins roses,
Les fruits lents à mûrir.

Ni que tourne en fumée
Mainte chose jadis aimée,
Tant de sources tarir…

Ô France, et vous Île de France,
Fleurs de pourpre, fruits d’or,
L’été lorsque tout dort,
Pas légers dans le corridor.

Le Gave où l’on allait nager
Enfants sous l’arche fraîche
Et le verger rose de pêches…

Paul-Jean Toulet

 34RL1H3 Copyright Institut Français de Psychanalyse

Le Navire mystique

Le Navire mystique – Artaud

Il se sera perdu le navire archaïque
Aux mers où baigneront mes rêves éperdus ;
Et ses immenses mâts se seront confondus
Dans les brouillards d’un ciel de bible et de cantiques. Ivan Konstantinovich Aivazovsky

Un air jouera, mais non d’antique bucolique,
Mystérieusement parmi les arbres nus ;
Et le navire saint n’aura jamais vendu
La très rare denrée aux pays exotiques.

Il ne sait pas les feux des havres de la terre.
Il ne connaît que Dieu, et sans fin, solitaire
Il sépare les flots glorieux de l’infini.

Le bout de son beau pré plonge dans le mystère.
Aux pointes de ses mâts tremble toutes les nuits
L’argent mystique et pur de l’étoile polaire.

Antonin Artaud

 34RL1H3         Copyright Institut Français de Psychanalyse

Que ton âme soit blanche ou noire

Que ton âme soit blanche ou noire – Verlaine

Enlèvement d’Europe – Félix Vallotton

Que ton âme soit blanche ou noire,
Que fait ? Ta peau de jeune ivoire
Est rose et blanche et jaune un peu.
Elle sent bon, ta chair, perverse
Ou non, que fait ? puisqu’elle berce
La mienne de chair, nom de Dieu !

Elle la berce, ma chair folle,
Ta folle de chair, ma parole
La plus sacrée ! – et que donc bien !
Et la mienne, grâce à la tienne,
Quelque réserve qui la tienne,
Elle s’en donne, nom d’un chien !

Quant à nos âmes, dis, Madame,
Tu sais, mon âme et puis ton âme,
Nous en moquons-nous ? Que non pas !
Seulement nous sommes au monde.
Ici-bas, sur la terre ronde,
Et non au ciel, mais ici-bas.

Or, ici-bas, faut qu’on profite
Du plaisir qui passe si vite
Et du bonheur de se pâmer.
Aimons, ma petite méchante,
Telle l’eau va, tel l’oiseau chante,
Et tels, nous ne devons qu’aimer.

Paul Verlaine – Chansons pour elle

 34RL1H3         Copyright Institut Français de Psychanalyse

Whispering

« Whispering » – Sheri J.

« I am the dog you see on the chain, »

Whispering waters

« I am the cat you see in the drain, »

« I am the friend who has no home, »

« I am the ‘stray’ who lives all alone, »

« I am the friend ‘you’ helped today, »

« I am the ‘one’ you transported away, »

« I am the voice you hear in your head, »

« I am the caged animal who often dreads, »

« I am the opinion you are trying to change, »

« I am the anger you feel, tears & the rage, »

« I am the tears you cry when I am sick, »

« I am the hurt you feel, but cannot fix, »

« I am the voice in your head, when you can’t sleep, »

« I am the reason for the long hours you keep, »

« I am the ‘voiceless’ who desperately needs you, »

« And, If not you….then who? »

« I am whispering & you are my voice. »

Sheri J. – transport coordinator 🙂

 34RL1H3         Copyright Institut Français de Psychanalyse

Se voir le plus possible

Se voir le plus possible

Se voir le plus possible et s’aimer seulement,
Sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge,
Sans qu’un désir nous trompe, ou qu’un remords nous ronge,
Vivre à deux et donner son coeur à tout moment ;

Jean-Honoré Fragonard – Les Hasards heureux de l’escarpolette – 1768

Respecter sa pensée aussi loin qu’on y plonge
Faire de son amour un jour au lieu d’un songe,
Et dans cette clarté respirer librement
– Ainsi respirait Laure et chantait son amant.

Vous dont chaque pas touche à la grâce suprême,
C’est vous, la tête en fleurs, qu’on croirait sans souci,
C’est vous qui me disiez qu’il faut aimer ainsi.

Et c’est moi, vieil enfant du doute et du blasphème,
Qui vous écoute, et pense, et vous réponds ceci :
Oui, l’on vit autrement, mais c’est ainsi qu’on aime.

On ne badine pas avec l’amour Alfred de Musset

 34RL1H3         Copyright Institut Français de Psychanalyse©

Sur mon cou

Sur mon cou – Genet

Sans armure et sans haine, mon cou                                 ussconstellationvsinsurgente
Que ma main plus légère et grave qu’une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cœur s’émeuve,
Laisse tes dents poser leur sourire de loup.

Ô viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d’Espagne,
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,
Mène-moi loin d’ici battre notre campagne.

Le ciel peut s’éveiller, les étoiles fleurir,
Ni les fleurs soupirer, et des prés l’herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.

Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.

Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.
Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.

Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !
Traverse les couloirs, descends, marche léger,
Vole dans l’escalier plus souple qu’un berger,
Plus soutenu par l’air qu’un vol de feuilles mortes.

Ô traverse les murs ; s’il le faut marche au bord
Des toits, des océans ; couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,
Mais viens, ô ma frégate, une heure avant la mort.

Jean Genet

 34RL1H3         Copyright Institut Français de Psychanalyse

Parfums, couleurs, systèmes, lois !

Parfums, couleurs, systèmes, lois !

Parfums, couleurs, systèmes, lois !
Les mots ont peur comme des poules.       fractal-abstract-digital-art-bokeh-purple-fractal-flowers-lights-depth-of-field-1920x1080
La chair sanglote sur la croix.

Pied, c’est du rêve que tu foules,
Et partout ricane la voix,
La voix tentatrice des foules.

Cieux bruns où nagent nos desseins,
Fleurs qui n’êtes pas le calice,
Vin et ton geste qui se glisse,
Femme et l’œillade de tes seins,

Nuit câline aux frais traversins,
Qu’est-ce que c’est que ce délice,
Qu’est-ce que c’est que ce supplice,
Nous les damnés et vous les Saints ?

Paul Verlaine (1844 – 1896), Sagesse, 1902.

 34RL1H3         Copyright Institut Français de Psychanalyse