Déni – Dénégation

Nicolas Koreicho – Mars 2017

« Dans l’analyse, il n’existe aucun « non » provenant de l’inconscient, et l’acceptation du contenu de l’inconscient de la part du moi s’exprime par une formule négative. »
Sigmund Freud

  • Le déni

    Pierre-Claude-François Delorme, Hector adressant des reproches à Pâris, 1783 – Musée de Picardie, Amiens

Le déni est un mécanisme par lequel le sujet refuse de constater, de considérer, de voir l’évidence. Ce mécanisme porte sur le réel, plus exactement sur le réel d’une perception. Il peut se résumer à ceci : le refus de la réalité d’une perception. Le déni provoque chez celui qui en est le témoin l’idée d’une injustice, rappelant le traditionnel « déni de justice », quand bien même il s’agirait plutôt d’un sentiment de tromperie dû au refus pour le sujet de considérer ce qui est de l’ordre d’une réalité observable. Le contraste ramènerait ainsi ce mécanisme du côté du psychotique.
Originellement, c’est le mécanisme psychique par lequel le tout jeune enfant se protège de la menace de castration ; il refuse alors, il désavoue, il dénie donc l’absence de pénis chez la fille, la femme, la mère et va se réfugier pendant un certain temps dans l’idée de l’existence d’un pénis maternel – le phallus existe, sous son acception symbolique – qu’il pourra sous certaines conditions remplacer plus tard par un fétiche.

Elaboration du concept de déni chez Freud
Si le terme de déni apparaît pour la première fois en tant que tel en 1925 dans Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes, il est déjà question de ce mécanisme dans d’autres écrits de 1905 et de 1908 : « L’enfant refuse l’évidence, refuse de reconnaître l’absence de pénis chez la mère. Tous les être humains sont comme lui, pourvus d’un pénis. » L’enfant pensant à ce moment que le pénis va se développer ultérieurement, tant le sens de l’organe est puissant et réprésentatif.
Plus tard, dans L’Organisation génitale infantile (1923), Freud est encore plus explicite en augurant de l’organe devenant symbole, le phallus : « Pour l’enfant, un seul organe génital, l’organe mâle, joue un rôle : c’est le primat du phallus.« 
Mais Freud affirme que le déni, normal durant la phase phallique (phase où le petit enfant, devant consolider son pouvoir d’imposition de soi, fait montre d’une ignorance, dont la réalité est déniée, par rapport à la nature des organes génitaux féminins), devient problématique à partir du moment où il se prolonge au-delà de cette phase.

Fétichisme
Il arrive que l’enfant persiste dans sa croyance en le pénis de la femme, ou, plus précisément, qu’il conserve son intuition concernant l’existence du pénis maternel mais, dans un balancement de pensée, il l’abandonne et le remplace par le phallus symbolique, ce qui pourrait s’élaborer et demeurer ainsi, dans le meilleur des cas ou, par le fétiche, lequel peut l’entraîner à développer des comportements pervers.
Le fétiche sera ainsi le témoin que la réalité constatée, l’absence de pénis, bien que déniée, n’en a pas moins joué un rôle, en tant que représentation symbolique ; le fétiche apparaîtra alors comme un substitut du phallus maternel, matérialisé.

Déni et clivage du moi
Freud inaugure dans l’article de 1927 sur Le Fétichisme la notion de « clivage du moi ». Il donne l’exemple de deux personnes dont l’analyse révèle une ignorance, plus exactement, dans notre conception du déni, un refus de la mort de leur père, et, tout comme pour le fétichiste, une méconnaissance, et finalement un déplacement, à l’instar de de ce qu’il imagine être la castration de la femme. Il y avait chez ces jeunes hommes deux courants psychiques contradictoires qui coexistaient : l’un fondé sur la réalité (la mort du père), l’autre sur le désir (envers la vie du père) ; l’un tenait compte de la mort du père, l’autre ne la reconnaissait pas.
Freud note que si dans le cas des névroses, le processus à l’oeuvre est le refoulement, dans le fétichisme et les substitutions ou déplacements de cette nature, il s’agit bien du déni, où l’on a affaire à ce paradoxe psychique qui est que certains sujets savent, ont connaissance de quelque chose et à la fois ne savent pas, ou, bien entendu, ne veulent rien en savoir.

Le pervers
Le pervers réalise la négation de la différence de l’autre, en vue de le contraindre à partager sa propre vision du sexuel ou de la relation, de manière violente, ou à tout le moins forcée, sur le fond et sur la forme, et il fait unilatéralement de l’autre un objet, au sens trivial du terme, lui déniant ainsi le statut de sujet. C’est d’ailleurs un procédé commun aux pathologies narcissiques que de faire de l’autre un « objet » matériel.

  • La dénégation

La dénégation est un mécanisme par lequel le sujet refuse d’accepter, d’admettre, de reconnaître l’évidence. Ce mécanisme porte sur des contenus intra-psychiques, tel le refus d’avouer, de reconnaître ce qui répond cependant aux caractéristiques de la réalité constatable, à savoir une certitude concrète. Il peut se résumer à ceci : le refus d’admettre une vérité, même argumentée. En cela il impliquerait plutôt à considérer l’ordre du névrotique.

Le refoulement
Ce mécanisme consiste à refuser de reconnaître comme siens une pensée, un désir ou un sentiment, sources de conflits intra-psychiques inacceptables dans l’instant de cette pensée, de ce désir, de ce sentiment. C’est l’attitude psychologique qui consiste, pour un sujet, à refuser, en la niant, telle pensée, ainsi qu’il pourrait en être avec tel lapsus, qui fonctionne ainsi comme un acte manqué, malgré qu’elle soit par lui, ou par l’intermédiaire de son comportement, formalisée.
Originellement, Freud, employant le syntagme die Verneinung, signifant d’abord la négation (1925, Imago, traduit en 1934, RFP), la négation étant liée au refoulement, lequel peut par exemple prendre la forme d’une association non chargée d’intentionnalité. Car en effet, si une personne nie une chose qui est cependant patente, dans un jugement, cela signifie que ce quelque chose, cette personne préfère le refouler, le jugement étant alors, du fait de son caractère apparemment définitif, le substitut intellectuel défensif correspondant au refoulement.

Le jugement
Freud va démontrer le rôle de la négation dans la fonction du jugement. Par la force symbolique de la négation, la pensée se libère des limitations du refoulement. Freud considère d’abord les deux décisions possiblement incluses dans la fonction de jugement :
– le jugement qui attribue ou refuse une propriété à une chose,
– le jugement qui reconnaît ou qui conteste à une représentation une existence dans la réalité.
Pour le premier, le jugement d’attribution, le plus ancien critère pour attribuer ou refuser, est le critère du bon et du mauvais. Dans cette phase, il ne s’agit pas encore de l’idée de la constitution du sujet. Ce n’est qu’à partir d’un moi indifférencié que le moi du principe de plaisir se constitue, le dedans étant lié au bon, le dehors au mauvais, instinctivement.
Pour le second, le jugement qui reconnaît ou qui conteste à une représentation une existence réelle concerne une affirmation du moi de la réalité définitif, qui se développe à partir de ce principe de plaisir. Cependant, c’est l’épreuve de la réalité qui est ici convoquée. Dans cette phase du développement, il s’agit de savoir si quelque chose de présent dans le moi comme représentation peut aussi être retrouvé dans la perception de la réalité.

Plaisir et réalité
Du point de vue du principe de plaisir, la satisfaction pourrait venir d’une hallucination de l’objet, ce qui peut se comprendre dans l’expression « hallucination de désir ». C’est pour parer à cette tendance à halluciner, c’est-à-dire consistant à ne pas vouloir admettre (ne pas vouloir désirer en quelque sorte) la réalité des faits que l’intervention évidente du principe de réalité se révèle nécessaire. Ici apparaît le critère consécutif de l’action motrice ou, plus abstraitement, de la confrontation au réel. Celles-ci mettent fin à l’ajournement de la pensée décisionnelle. Elles font place à l’action, le jugement devant être alors considéré comme une « approximation » motrice, avec faible décharge. Le moi va dès lors en quelque sorte goûter aux « excitations » extérieures pour se retirer à nouveau après chacune de ses tentatives hésitantes de s’y confronter.

L’accomplissement de la fonction de jugement n’est rendu possible que par la création du symbole de la négation. D’où son indépendance à l’égard du refoulement et du principe de plaisir. Aucun « non », dit Freud, ne provient de l’inconscient.

Nicolas Koreicho – mars 2017 – Institut Français de Psychanalyse©

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