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Honorine / Honoré : une transverbération* ?

Honoré de Balzac Honorine

Présentation Alice Tibi

Devéria, Achille (1800-1857). « …et nunc et semper… [Portrait de Balzac jeune] ». Balzac, Honoré de (1799-1850). reproduction photo-mécanique. Paris, Maison de Balzac.

Dans le petit roman balzacien intitulé Honorine, Honoré est d’emblée l’image dans le tapis. Le lecteur sait que l’auteur se met en scène dans le récit, à travers une figure en quelque sorte hermaphrodite, ou de sexe indéterminé. Cette figure est jeune : l’œuvre est dédiée à l’ami peintre Achille Devéria, auteur d’un portrait de Balzac jeune ; cet artiste a aussi une œuvre érotique à son actif.
Or, en fait d’amour, la narration présente trois héros dans leur jeunesse, se refusant à tout assouvissement de désir et en proie au spleen, de l’abattement au dégoût de la vie :  le narrateur, aujourd’hui consul en Italie, l’ancien protecteur du narrateur, Octave et Honorine elle-même. Parisiens à l’origine, ils sont les protagonistes d’une histoire rapportée des années plus tard en Italie, dans la ville de Gênes.
C’est ainsi que prend tout son prix le préambule du premier chapitre, dont on ne comprend pas d’abord la pertinence au regard de la suite. L’auteur se livre à un véritable dithyrambe sur l’âme française, qui fournit la vie de tête, l’activité d’idées, le talent de conversation […], cette soudaine entente de ce qu’on pense et de ce qu’on ne dit pas, le génie du sous-entendu, la moitié de la langue française, [et] ne se rencontre nulle part. Nous voilà en extase, devant une âme sans prix et sans égale sauf au paradis. Mais cette âme est perdue puisqu’elle manque irrémédiablement, ici, en terre étrangère. La formule consistant à décrire le Français à l’étranger comme un arbre déplanté, montre qu’une angoisse de dénaturation, voire de castration plane au-dessus du texte, une blessure d’amour en union quasi mystique avec l’éternité.
N’était-ce pas le sujet de La peau de chagrin et de nombre d’autres œuvres ? Le désir entravé, exercé à perte ou même interdit ne figure-t-il pas au centre de la Comédie humaine comme une forme obsédante ? Son contrepoint et sa rédemption se trouvent dans l’écriture essoufflée, sans trêve ni salut, vocation d’un très jeune homme visionnaire, dont pourtant La peau de chagrin avait assigné la fin.

*transverbération : union mystique avec Dieu comme après le transpercement du cœur par une flèche divine enflammée (d’amour).

Alice Tibi – Décembre 2024 – Institut Français de Psychanalyse©

EXTRAITS

Chapitre I, Comme quoi le Français est peu voyageur

« Retrouver Paris ! savez-vous ce que c’est, ô Parisiens ? C’est retrouver, non pas la cuisine du Rocher de Cancale, comme Borel la soigne pour les gourmets qui savent l’apprécier, car elle ne se fait que rue Montorgueil, mais un service qui la rappelle ! C’est retrouver les vins de France, qui sont à l’état mythologique hors de France, et rares comme la femme dont il sera question ici ! C’est retrouver, non pas la plaisanterie à la mode, car, de Paris à la frontière, elle s’évente ; mais ce milieu spirituel, compréhensif, critique, où vivent les Français, depuis le poète jusqu’à l’ouvrier, depuis la duchesse jusqu’au gamin. »

Chapitre VIII, Un vieil hôtel

« En frappant à l’immense grande porte d’un hôtel aussi grand que l’hôtel Carnavalet et sis entre cour et jardin, le coup retentit comme dans une solitude […] Les balustres des galeries supérieures étaient rongés. Par une magnifique arcade, j’aperçus une seconde cour latérale où se trouvaient les communs dont les portes pourrissaient. Un vieux cocher y nettoyait une vieille voiture.  À l’air nonchalant de ce domestique, il était facile de présumer que les somptueuses écuries où tant de chevaux hennissaient autrefois en logeaient tout au plus deux. La superbe façade de la cour me sembla morne, comme celle d’un hôtel appartenant à l’État ou à la couronne, et abandonné à quelque service public […] Une visite était si rare que le domestique achevait d’endosser sa casaque, en en ouvrant une porte vitrée en petits carreaux, de chaque côté de laquelle la fumée de deux réverbères avait dessiné des étoiles sur la muraille. Un péristyle d’une magnificence digne de Versailles laissait voir un de ces escaliers comme il ne s’en construira plus en France, et qui tiennent la place d’une maison moderne. En montant des marches en pierre, froides comme des tombes, et sur lesquelles huit personnes devaient marcher de front, nos pas retentissaient sous des voûtes sonores. On pouvait se croire dans une cathédrale. Les rampes amusaient le regard par les miracles de cette orfèvrerie de serrurier, où se déroulaient les fantaisies de quelque artiste du règne de Henri III. Saisis par un manteau de glace qui nous tomba sur les épaules, nous traversâmes des antichambres, des salons en enfilade, parquetés, sans tapis, meublés de ces vieilleries superbes qui, de là, retombent chez les marchands de curiosités […] Au premier coup d’œil, je donnai [ au comte ] cinquante-cinq ans ; mais après un examen attentif,  je reconnus une jeunesse ensevelie sous les glaces d’un profond chagrin, sous la fatigue des études obstinées, sous les teintes chaudes de quelque passion contrariée. »

Chapitre XXXVII, Le dernier soupir d’Honorine – lettre à Maurice (futur consul)

« Je suis une sainte Thérèse qui n’a pu se nourrir d’extases […] Gardez mes secrets comme la tombe me gardera. Ne me pleurez pas : il y a longtemps que je suis morte, si Saint Bernard a eu raison de dire qu’il n’y a plus de vie là où il n’y a plus d’amour. »

Honoré de Balzac, Honorine, 1843. BEQ , Éditions Garnier Frères, Paris, 1964

Texte intégral :
https://beq.ebooksgratuits.com/Balzac-xpdf/Balzac_23_Honorine.pdf

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La Généalogie de la morale – Une généalogie du Moi

Friedrich NietzscheLa Généalogie de la morale, Avant-propos

Préface Nicolas Koreicho

Georg Janny, Spielende Nymphen (Scène sous-marine de nymphes jouant), 1920

Est-ce que nous devons considérer l’absence de connaissance de soi, telle que le philosophe peut vouloir l’affirmer, comme une absence établie et définitive ? Évidemment non. Il ne peut s’agir dans cette ignorance à combler que d’accepter que cette connaissance soit à la fois un processus, certes complexe, et une intention, sans doute aliénée, et un désir, immanquablement insatisfait. Cependant, ainsi que le manifeste Antonin Artaud, il peut y avoir une motivation inconsciente délétère à se considérer comme, dans certain domaine, dissocié, en même temps qu’une distanciation vis-à-vis de notre destinée peut être salutaire :
« J’ai pour me guérir du jugement des autres toute la distance qui me sépare de moi[1] ».
Cela peut nous conduire à démontrer, en fonction de lois, de systèmes et de territoires psychiques, où bien souvent « les mots ont peur[2] », qu’il va s’agir de préciser la manière dont nous pouvons reprendre les rênes de notre propre Moi, en tant qu’il doit être fondé sur une certaine cohérence, comporter certaines valeurs, et s’appuyer sur certains principes.
Dans la 2ème topique (Ça, Moi, Surmoi), Freud distingue un principe mortifère, le principe de répétition, différant absolument de reproductibilités fécondes, particulièrement concernant le concept de sublimation, selon que le premier est fondamentalement dépendant du dysfonctionnement de la personnalité, dans la mesure où celui-ci empêche l’évolution et la connaissance de soi et du monde. Il en est ainsi des passions et de l’ignorance, lesquelles, depuis Platon jusqu’aux Lumières, hypothèquent gravement la liberté de l’homme et, donc, en premier lieu, ses possibilités d’accession à la constitution de son Moi.
La condition fondamentale pour établir cette occurrence, unique, de notre histoire et de la manière dont nous pouvons considérer, précisément analysée, la temporalité, réelle et psychique – maîtrisée, différenciée, répartie par soi –, de notre biographie, se trouve dans la coïncidence choisie entre un passé relativisé et un futur non totalement destiné.
De cette manière, nous avons une chance, unique elle aussi, d’apprivoiser en bonne intellection, si possible bien représentée, percepts, affects et concepts, nous concernant, s’agissant de notre place en ce monde.

Nicolas Koreicho – Avril 2023 – Institut Français de Psychanalyse©

Avant-propos[3]

1.

Nous ne nous connaissons pas, nous qui cherchons la connaissance ; nous nous ignorons nous-mêmes : et il y a une bonne raison pour cela. Nous ne nous sommes jamais cherchés — comment donc se pourrait-il que nous nous découvrions un jour ? On a dit justement : « Là où est votre trésor, là aussi est votre cœur » ; et notre trésor est là où bourdonnent les ruches de notre connaissance. C’est vers ces ruches que nous sommes sans cesse en chemin, en vrais insectes ailés qui butinent le miel de l’esprit, et, en somme, nous n’avons à cœur qu’une seule chose — « rapporter » quelque butin. En dehors de cela, pour ce qui concerne la vie et ce qu’on appelle ces « événements » — qui de nous sérieusement s’en préoccupe ? Qui a le temps de s’en préoccuper ? Pour de telles affaires jamais, je le crains, nous ne sommes vraiment « à notre affaire » ; nous n’y avons pas notre cœur, — ni même notre oreille ! Mais plutôt, de même qu’un homme divinement distrait, absorbé en lui-même, aux oreilles de qui l’horloge vient de sonner, avec rage, ses douze coups de midi, s’éveille en sursaut et s’écrie : « Quelle heure vient-il donc de sonner ? » de même, nous aussi, nous nous frottons parfois les oreilles après coup et nous nous demandons, tout étonnés, tout confus : « Que nous est-il donc arrivé ? » Mieux encore : « Qui donc sommes-nous en dernière analyse ? » Et nous les recomptons ensuite, les douze coups d’horloge, encore frémissants de notre passé, de notre vie, de notre être — hélas ! et nous nous trompons dans notre compte… C’est que fatalement nous nous demeurons étrangers à nous-mêmes, nous ne nous comprenons pas, il faut que nous nous confondions avec d’autres, nous sommes éternellement condamnés à subir cette loi : « Chacun est le plus étranger à soi-même », — à l’égard de nous-mêmes nous ne sommes point de ceux qui « cherchent la connaissance »…

Friedrich Nietzsche, La Généalogie de la morale, 1887.

Texte intégral, traduction par Henri Albert :
https://fr.wikisource.org/wiki/La_G%C3%A9n%C3%A9alogie_de_la_morale


[1] Antonin Artaud, L’Ombilic des Limbes, 1925. Cité dans La question des limites en psychanalyse, octobre 2021 afin d’instituer le danger qui se trouve dans le défaut de perception des limites.

[2] Paul Verlaine, Parfums, couleurs, systèmes, lois, in Sagesse, 1902.

[3] Friedrich Nietzsche, La Généalogie de la morale, Avant-propos 1 (sur 8), 1887.

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Manon Lescaut – L’innocence et la passion : une lutte sans merci

Préface Nicolas Koreicho

La rencontre de Manon Lescaut et de Des Grieux – Peinture de Evret (XIXème)

Dans le langage précis et sophistiqué de cette traditionnelle vérité discursive (lumineuse) du 18e – c’est en 1731 que l’abbé Prévost publie Manon Lescaut[1], roman de mœurs en abyme (récits enchâssés les uns dans les autres : le récit de Des Grieux est inclus dans le récit de Renoncour, qui appartient aux Mémoires et aventures d’un homme de qualité[2] – le héros, Des Grieux, raconte au narrateur, Renoncour, « l’homme de qualité », comment un jeune homme de bonne famille, dirait-on aujourd’hui, sombre dans la déchéance à cause de sa passion pour une jeune femme, elle-même prise dans la jeunesse complexe, instable et innocente des conséquences de l’expérimentation et de ses errements. À partir de ce récit-roman-mémoire, nous assistons à la retranscription, par le biais de la relation des deux amoureux, de la force du destin, en réalité force de la passion, et à la naissance de la source d’un fleuve tourmenté d’une puissance qui deviendra extraordinaire, tant les événements qui découleront de la liaison entre ces deux-là seront empreints d’une détermination tumultueuse, laquelle ne cessera point jusqu’à son terme qu’on pressent déjà implacable.
D’emblée le narrateur se présente davantage guidé par l’amour que par un quelconque libre-arbitre, ce qui illustre la dimension initialement passive de celui qui est littéralement emporté par sa passion cependant qu’il en est de même pour Manon, alors qu’elle tente de prendre le pas sur sa destinée.
Dans le roman, nous ne sommes jamais sûr de la parole des héros Des Grieux et Manon, c’est le narrateur qui choisit ce que les héros disent et font[3], et l’on va jusqu’à douter de la sincérité – ou plutôt de l’intégrité – de leur personnalité, conséquemment à l’impression, conjointe, d’un côté du développement incertain d’une certaine jeunesse, voire d’innocente immaturité se cherchant, des personnages, et de l’autre du courage du sens de la responsabilité qui leur fait prendre des décisions irréversibles.
Apparente séductibilité des sujets en même temps que duplicité – imaginée – transparaissent dans leurs pérégrinations et dans la relation de celles-ci.
En tous les cas, il demeure de l’impression laissée dans le texte par la description des sentiments des protagonistes une incomplétude souvent contradictoire des héros du roman, une fragilité qui fait qu’ils peuvent dans le même mouvement inspirer de la passion et en être subjugués et finalement emportés.
Il est vrai que la rencontre, en annonce si l’on peut dire, un siècle avant Le Rouge et le Noir, de la magie de la cristallisation stendhalienne, n’est rien moins que la perspective d’une métamorphose : la surprise de l’amour qui nous enveloppe sans que l’on y prenne garde et de la manière la plus sensuelle et investie, pour preuve les larmes et la peau et la température des corps :

« Avec la vivacité et la grâce qui lui étaient naturelles quand elle était loin des regards des hommes, Mme de Rênal sortait par la porte-fenêtre du salon qui donnait sur le jardin, quand elle aperçut près de la porte d’entrée la figure d’un jeune paysan presque encore enfant, extrêmement pâle et qui venait de pleurer. Il était en chemise bien blanche, et avait sous le bras une veste fort propre de ratine violette.
Le teint de ce petit paysan était si blanc, ses yeux si doux, que l’esprit un peu romanesque de Mme de Rênal eut d’abord l’idée que ce pouvait être une jeune fille déguisée, qui venait demander quelque grâce à M. le maire. Elle eut pitié de cette pauvre créature, arrêtée à la porte d’entrée, et qui évidemment n’osait pas lever la main jusqu’à la sonnette. Mme de Rênal s’approcha, distraite un instant de l’amer chagrin que lui donnait l’arrivée du précepteur. Julien, tourné vers la porte, ne la voyait pas s’avancer. Il tressaillit quand une voix douce lui dit tout près de son oreille :
– Que voulez-vous ici, mon enfant ?
Julien se tourna vivement, et, frappé du regard si rempli de grâce de Mme de Rênal, il oublia une partie de sa timidité. Bientôt, étonné de sa beauté, il oublia tout, même ce qu’il venait faire. Mme de Rênal avait répété sa question.
– Je viens pour être précepteur, madame, lui dit-il enfin, tout honteux de ses larmes qu’il essuyait de son mieux.
Mme de Rênal resta interdite, ils étaient fort près l’un de l’autre à se regarder. Julien n’avait jamais vu un être aussi bien vêtu et surtout une femme avec un teint si éblouissant, lui parler d’un air doux. Mme de Rênal regardait les grosses larmes qui s’étaient arrêtées sur les joues si pâles d’abord et maintenant si roses de ce jeune paysan. Bientôt elle se mit à rire, avec toute la gaieté folle d’une jeune fille, elle se moquait d’elle-même, et ne pouvait se figurer tout son bonheur. Quoi, c’était là ce précepteur qu’elle s’était figuré comme un prêtre sale et mal vêtu, qui viendrait gronder et fouetter ses enfants ! »

Stendhal, Le Rouge et le Noir, I, 6, 1830

Il faut dire que le retentissement public à travers les siècles du personnage féminin, Manon, provient probablement en grande partie du tragique de la passion. L’élan amoureux de Manon pourtant l’innocence même va passer par les limbes de la tromperie et se transformera en tragédie, dans sa représentation et dans son interprétation, comme toujours incertaine oscillation entre la pulsion de vie et la pulsion de mort, entre le Ça, le Moi et le Surmoi.

Nicolas Koreicho – Mars 2023 – Institut Français de Psychanalyse©

Extrait initial du roman :

« J’avais marqué le temps de mon départ d’Amiens. Hélas ! que ne le marquai-je un jour plus tôt ! j’aurais porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s’appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche d’Arras, et nous le suivîmes jusqu’à l’hôtellerie où ces voitures descendent. Nous n’avions pas d’autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes qui se retirèrent aussitôt ; mais il en resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule dans la cour, pendant qu’un homme d’un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur, s’empressait de faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si charmante, que moi, qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d’attention ; moi, disje, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport. J’avais le défaut d’être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais, loin d’être arrêté alors par cette faiblesse, je m’avançai vers la maîtresse de mon cœur. Quoiqu’elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui demandai ce qui l’amenait à Amiens, et si elle y avait quelques personnes de connaissance. Elle me répondit ingénument qu’elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse. L’amour me rendait déjà si éclairé depuis un moment qu’il était dans mon cœur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d’une manière qui lui fit comprendre mes sentiments ; car elle était bien plus expérimentée que moi : c’était malgré elle qu’on l’envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir, qui s’était déjà déclaré, et qui a causé dans la suite tous ses malheurs et les miens. Je combattis la cruelle intention de ses parents par toutes les raisons que mon amour naissant et mon éloquence scolastique purent me suggérer. Elle n’affecta ni rigueur ni dédain. Elle me dit, après un moment de silence, qu’elle ne prévoyait que trop qu’elle allait être malheureuse ; mais que c’était apparemment la volonté du ciel, puisqu’il ne lui laissait nul moyen de l’éviter. La douceur de ses regards, un air charmant de tristesse en prononçant ces paroles, ou plutôt l’ascendant de ma destinée, qui m’entraînait à ma perte, ne me permirent pas de balancer un moment sur ma réponse. Je l’assurai que si elle voulait faire quelque fond sur mon honneur et sur la tendresse infinie qu’elle m’inspirait déjà, j’emploierais ma vie pour la délivrer de la tyrannie de ses parents et pour la rendre heureuse. Je me suis étonné mille fois, en y réfléchissant, d’où me venait alors tant de hardiesse et de facilité à m’exprimer ; mais on ne ferait pas une divinité de l’amour, s’il n’opérait souvent des prodiges : j’ajoutai mille choses pressantes. Ma belle inconnue savait bien qu’on n’est point trompeur à mon âge : elle me confessa que, si je voyais quelque jour à la pouvoir mettre en liberté, elle croirait m’être redevable de quelque chose de plus cher que la vie. Je lui répétai que j’étais prêt à tout entreprendre ; mais, n’ayant point assez d’expérience pour imaginer tout d’un coup les moyens de la servir, je m’en tenais à cette assurance générale, qui ne pouvait être d’un grand secours ni pour elle ni pour moi. Son vieil argus étant venu nous rejoindre, mes espérances allaient échouer, si elle n’eût eu assez d’esprit pour suppléer à la stérilité du mien. Je fus surpris, à l’arrivée de son conducteur, qu’elle m’appelât son cousin, et que, sans paraître déconcertée le moins du monde, elle me dît que, puisqu’elle était assez heureuse pour me rencontrer à Amiens, elle remettait au lendemain son entrée dans le couvent, afin de se procurer le plaisir de souper avec moi. J’entrai fort bien dans le sens de cette ruse ; je lui proposai de se loger dans une hôtellerie dont le maître, qui s’était établi à Amiens après avoir été longtemps cocher de mon père, était dévoué entièrement à mes ordres. Je l’y conduisis moi-même, tandis que le vieux conducteur paraissait un peu murmurer, et que mon ami Tiberge, qui ne comprenait rien à cette scène, me suivait sans prononcer une parole. Il n’avait point entendu notre entretien. Il était demeuré à se promener dans la cour pendant que je parlais d’amour à ma belle maîtresse. Comme je redoutais sa sagesse, je me défis de lui par une commission dont je le priai de se charger. Ainsi j’eus le plaisir, en arrivant à l’auberge, d’entretenir seule la souveraine de mon cœur. Je reconnus bientôt que j’étais moins enfant que je ne le croyais. Mon cœur s’ouvrit à mille sentiments de plaisir dont je n’avais jamais eu l’idée. Une douce chaleur se répandit dans toutes mes veines. J’étais dans une espèce de transport qui m’ôta pour quelque temps la liberté de la voix, et qui ne s’exprimait que par mes yeux. »

Extrait terminal du roman :

« J’avais passé près d’un an à Paris sans m’informer des affaires de Manon. Il m’en avait d’abord coûté beaucoup pour me faire cette violence ; mais les conseils toujours présents de Tiberge et mes propres réflexions m’avaient fait obtenir la victoire. Les derniers mois s’étaient écoulés si tranquillement, que je me croyais sur le point d’oublier éternellement cette charmante et perfide créature. Le temps arriva auquel je devais soutenir un exercice public dans l’école de théologie ; je fis prier plusieurs personnes de considération de m’honorer de leur présence. Mon nom fut ainsi répandu dans tous les quartiers de Paris ; il alla jusqu’aux oreilles de mon infidèle. Elle ne le reconnut pas avec certitude sous le nom d’abbé ; mais un reste de curiosité, ou peut-être quelque repentir de m’avoir trahi (je n’ai jamais pu démêler lequel de ces deux sentiments), lui fit prendre intérêt à un nom si semblable au mien ; elle vint en Sorbonne avec quelques autres dames. Elle fut présentée à mon exercice, et sans doute qu’elle eut peu de peine à me remettre. Je n’eus pas la moindre connaissance de cette visite. On sait qu’il y a dans ces lieux des cabinets particuliers pour les dames, où elles sont cachées derrière une jalousie. Je retournai à Saint-Sulpice, couvert de gloire et chargé de compliments. Il était six heures du soir. On vint m’avertir, un moment après mon retour, qu’une dame demandait à me voir. J’allai au parloir sur-le-champ. Dieux ! quelle apparition surprenante ! j’y trouvai Manon. C’était elle, mais plus aimable et plus brillante que je ne l’avais jamais vue. Elle était dans sa dix-huitième année. Ses charmes surpassaient tout ce qu’on peut décrire : c’était un air si fin, si doux, si engageant ! l’air de l’amour même. Toute sa figure me parut un Cours de français Première Trimestre 1 – page195 enchantement. Je demeurai interdit à sa vue ; et, ne pouvant conjecturer quel était le dessein de cette visite, j’attendais, les yeux baissés et avec tremblement, qu’elle s’expliquât. Son embarras fut pendant quelque temps égal au mien ; mais, voyant que mon silence continuait, elle mit la main devant ses yeux pour cacher quelques larmes. Elle me dit d’un ton timide qu’elle confessait que son infidélité méritait ma haine ; mais que, s’il était vrai que j’eusse jamais eu quelque tendresse pour elle, il y avait aussi bien de la dureté à laisser passer deux ans sans prendre soin de m’informer de son sort, et qu’il y en avait beaucoup encore à la voir dans l’état où elle était en ma présence, sans lui dire une parole. Le désordre de mon âme en l’écoutant ne saurait être exprimé. Elle s’assit. Je demeurai debout, le corps à demi tourné, n’osant l’envisager directement. Je commençai plusieurs fois une réponse que je n’eus pas la force d’achever. Enfin je fis un effort pour m’écrier douloureusement : « Perfide Manon ! Ah ! perfide ! perfide ! » Elle me répéta, en pleurant à chaudes larmes, qu’elle ne prétendait point justifier sa perfidie. « Que prétendez-vous donc ? m’écriai-je encore. — Je prétends mourir, répondit-elle, si vous ne me rendez votre cœur, sans lequel il est impossible que je vive. — Demande donc ma vie, infidèle, repris-je en versant moi-même des pleurs que je m’efforçai en vain de retenir ; demande ma vie, qui est l’unique chose qui me reste à te sacrifier ; car mon cœur n’a jamais cessé d’être à toi. » À peine eus-je achevé ces derniers mots, qu’elle se leva avec transport pour venir m’embrasser. Elle m’accabla de mille caresses passionnées. Elle m’appela par tous les noms que l’amour invente pour exprimer ses plus vives tendresses. Je n’y répondais encore qu’avec langueur. Quel passage, en effet, de la situation tranquille où j’avais été, aux mouvements tumultueux que je sentais renaître ! J’en étais épouvanté. »

Abbé Prévost, Manon Lescaut, 1731

Texte intégral :

https://fr.wikisource.org/wiki/Manon_Lescaut


[1] Si aujourd’hui le titre du roman s’est réduit à Manon Lescaut, c’est sans doute que la signification de l’extraordinaire mystère du destin de la jeune Manon reste entier.

[2] Abbé Prévost, « Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut » in Mémoires et aventures d’un homme de qualité, T. 7, 1731

[3] Toujours cette distance avec la passion des autres, toujours incompréhensible.

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Matérialité et profondeur chez Maupassant : Pierre et Jean

Préface Nicolas Koreicho

« Ceux qui font aujourd’hui des images, sans prendre garde aux termes abstraits, ceux qui font tomber la grêle ou la pluie sur la propreté des vitres, peuvent aussi jeter des pierres à la simplicité de leurs confrères ! Elles frapperont peut-être les confrères qui ont un corps, mais n’atteindront jamais la simplicité qui n’en a pas. »
Guy de Maupassant, La Guillette, Étretat, septembre 1887

Eugène Boudin, Femme en robe bleue sous une ombrelle, vers 1865, huile sur carton, 22,1 x 31,8 cm. Le Havre, musée d’art moderne André Malraux © MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn

C’est en Normandie, dans le pays de Caux, que se déroule ce petit roman, genre sérieux pour Maupassant et pour son maître Gustave Flaubert, après Une vie (1883), Bel-ami (1885) et Mont-Oriol (1887), façon pour lui de revenir vers la région de son enfance et vers la profondeur des attendus de ses premières années grâce au récit d’une période précise de la déliaison effective – et affective – de deux frères qui découle en l’espèce de leur relation avec leur mère.
Le thème du livre, sujet ancien de l’hypotextualité mythologique littéraire, est celui de la rivalité dans la fratrie, apparue dans la Bible à travers les relations de Caïn et Abel, d’Isaac et Ismaël, de Jacob et Ésaü, de Rachel et Léa, de Joseph et ses frères, d’Abimélec et ses frères, dans la mythologie grecque selon l’affrontement des fils d’Œdipe, dans la bataille pour la domination romaine avec le combat de Romulus et Rémus, tous constituants ataviques d’un tragique incestuel dans la ligne fondatrice et formatrice de la civilisation gréco-judéo-chrétienne.
Certaines techniques narratives du récit (monologue intérieur, style indirect libre, focalisation interne, description « naturaliste » des tableaux du quotidien, réalisme impressionniste) permettent d’entrer dans le vif du sujet, de ce que veut en faire l’auteur, et de ce que ce sujet devient dans l’histoire, malgré lui révélant l’inconscient des personnages.
Il y a toujours de la biographie, peu ou prou, dans nos fictions. On peut se laisser à penser, rapidement, que ce que l’écrivain a pu ressentir, à l’écoute de Laure de Maupassant, a laissé planer quelquefois le doute sur la paternité réelle de Guy, et que la question de la nature des liens fratriciels s’est posée sans doute dans un esprit sensibilisé, à l’idée que le cadet, Hervé, atteint de démence, finira interné[1].
Alors, même si le Christ commande qu’il faut aimer Dieu et son prochain[2], ceux qui nous ont été si proches ne sont pas toujours en mesure d’aimer l’autre, et l’amour, hautement re-commandé[3], n’est pas accessible à l’obscurité[4].
En effet, la compassion – et, d’ailleurs, le pardon – suppose une sorte de hauteur, laquelle provient entre autres de la conscience que notre vie est une seule et « unique matinée de printemps » (Jankélévitch).
Cependant, les rivalités, plus ou moins dicibles, proviennent en grande partie de la composante œdipienne de la parenté, inévitable, et pas seulement de ce que Freud a désigné comme roman familial selon lequel le sujet, dans une des périodes de son développement, s’imagine être le fruit de parents d’un rang supérieur ou d’une classe élevée[5], ni de l’idée connexe, fréquente dans l’œuvre de Maupassant, de l’enfant illégitime, enfant de la faute, ni de l’argent, dont on connaît en psychanalyse la puissance symbolique, en particulier sous les auspices ambivalents de l’héritage.
Ainsi, le Sujet, en la majesté de l’inconscient propre au récit, apparaît.

Nicolas Koreicho – Novembre 2022 – Institut Français de Psychanalyse©

Pierre et Jean (Début du chapitre II)

« Dès qu’il fut dehors, Pierre se dirigea vers la rue de Paris, la principale rue du Havre, éclairée, animée, bruyante. L’air un peu frais des bords de mer lui caressait la figure, et il marchait lentement, la canne sous le bras, les mains derrière le dos.
    Il se sentait mal à l’aise, alourdi, mécontent comme lorsqu’on a reçu quelque fâcheuse nouvelle. Aucune pensée précise ne l’affligeait et il n’aurait su dire tout d’abord d’où lui venaient cette pesanteur de l’âme et cet engourdissement du corps. Il avait mal quelque part, sans savoir où. ; il portait en lui un petit point douloureux, une de ces presque insensibles meurtrissures dont on ne trouve pas la place, mais qui gênent, fatiguent, attristent, irritent, une souffrance inconnue et légère, quelque chose comme une graine de chagrin.
    Lorsqu’il arriva place du Théâtre, il se sentit attiré par les lumières du café Tortoni, et il s’en vint lentement vers la façade illuminée ; mais au moment d’entrer, il songea qu’il allait trouver là des amis, des connaissances, des gens avec qui il faudrait causer ; et une répugnance brusque l’envahit pour cette banale camaraderie des demi-tasses et des petits verres. Alors, retournant sur ses pas, il revint prendre la rue principale qui le conduisait vers le port.
    Il se demanda : « Où irais-je bien ? » cherchant un endroit qui lui plût, qui fût agréable à son état d’esprit. Il n’en trouvait pas, car il s’irritait d’être seul, et il n’aurait voulu rencontrer personne.
    En arrivant sur le grand quai, il hésita encore une fois, puis tourna vers la jetée ; il avait choisi la solitude.
Comme il frôlait un banc sur le brise-lames, il s’assit, déjà las de marcher et dégoûté de sa promenade avant même de l’avoir faite.
    Il se demanda : « Qu’ai-je donc ce soir ? » Et il se mit à chercher dans son souvenir quelle contrariété avait pu l’atteindre, comme on interroge un malade pour trouver la cause de sa fièvre.
    Il avait l’esprit excitable et réfléchi en même temps, il s’emballait, puis raisonnait, approuvait ou blâmait ses élans ; mais chez lui la nature première demeurait en dernier lieu la plus forte, et l’homme sensitif dominait toujours l’homme intelligent.
    Donc il cherchait d’où lui venait cet énervement, ce besoin de mouvement sans avoir envie de rien, ce désir de rencontrer quelqu’un pour n’être pas du même avis, et aussi ce dégoût pour les gens qu’il pourrait voir et pour les choses qu’ils pourraient lui dire.
    Et il se posa cette question : « Serait-ce l’héritage de Jean ? »
    Oui, c’était possible après tout. Quand le notaire avait annoncé cette nouvelle, il avait senti son cœur battre un peu plus fort. Certes, on n’est pas toujours maître de soi, et on subit des émotions spontanées et persistantes, contre lesquelles on lutte en vain.
    Il se mit à réfléchir profondément à ce problème physiologique de l’impression produite par un fait sur l’être instinctif et créant en lui un courant d’idées et de sensations douloureuses ou joyeuses, contraires à celles que désire, qu’appelle, que juge bonnes et saines l’être pensant, devenu supérieur à lui-même par la culture de son intelligence.
    Il cherchait à concevoir l’état d’âme du fils qui hérite d’une grosse fortune, qui va goûter, grâce à elle, beaucoup de joies désirées depuis longtemps et interdites par l’avarice d’un père, aimé pourtant et regretté.
    Il se leva et se remit à marcher vers le bout de la jetée. Il se sentait mieux, content d’avoir compris, de s’être surpris lui-même, d’avoir dévoilé l’autre qui est en nous. »

Guy de Maupassant – Pierre et Jean, 1888

Texte original, précédé d’une préface de l’auteur « Le Roman » :
https://fr.wikisource.org/wiki/Pierre_et_Jean/Texte_entier


[1] Pontalis, Jean-Bertrand, Frère du précédent, Gallimard, 2006

[2] Matthieu 22.36-40

[3] 1 Corinthiens 13.4-7

[4] « Un sot n’a pas assez d’étoffe pour être bon », François de la Rochefoucauld

[5] Cf. ici notre article Fantasmes originaires

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Bessy, la chienne et Céline. L’Humain.

Bessy, la chienne et Céline. L’Humain.
Préface Nicolas Koreicho

Bessy et Céline

Quoi de plus humain, si un sens profond pouvait être donné à cet adjectif, que l’affect qui relie ces deux-là, la bête et l’écrivain.
Une âme sauvage, pulsionnelle par métonymie de l’enargeia (qualité de l’évidence sensible chez les anciens) et débordant de vie et d’un Ça, entièrement tournée vers l’anima – une âme et un souffle – innocente de pur courage, cependant douée d’amour pour ce qu’on aurait du mal à appeler un maître, sensible et blessé, tout comme l’animal, tant le lien entre la chienne et l’écrivain participe de ce qui pourrait être souhaité d’un lien familial, peut-être filial, c’est-à-dire l’inconditionnalité.
Céline, lui, échaudé et, conjointement, échafaudé par les épreuves, par les humains, est si proche des animaux en ceci qu’il est tout sensibilité, instinct, et définitif dans ses sympathies et dans ses antipathies, dans le sens du danger et de la survie. Comme les animaux. Il témoigne d’une empathie véritable, c’est-à-dire instinctive, et assumée (« responsable ») pour les gens, vis-à-vis desquelles il peut faire montre de haine et de lâcheté, les choses et les bêtes, qui ont elles d’emblée le courage en plus. A contrario, il exècre les meutes, le collectif, à l’inverse des sujets, pensants et agissants, qu’il jauge avec discernement, si possible avec distinction y compris dans la cruauté.
On pourrait dire, si le terme n’était pas si usé, que la chienne, et l’homme, étaient des exemples de résilience. L’une de la solitude du Danemark, de la sauvagerie des contrées où il faut de la densité aux hommes pour ne pas finir sauvages, l’autre de la sauvagerie de la guerre, des hommes, des corps, des sentiments, où il faut de l’étoffe pour ne pas terminer servile et soumis.
Lui, l’écrivain, très droit, cynique au sens ancien, ne reprochait rien à celle qui venait de la souffrance, qui en était pétrie, et qui ne voyait pas dans sa douleur, infligée par les hommes, tout le mal moral qu’il pouvait y en avoir, jamais il ne lui fit de reproche, jamais il ne lui fit peur. Il était uni avec Elle jusque dans la mort, qu’il a aidé la chienne à accueillir, se sachant aimée. L’amour et la mort. Les deux pulsions intriquées jusqu’au bout et concrètement en d’aucuns.
D’ailleurs, à l’article de la mort, la chienne, à l’instar des personnes en d’autres circonstances, qui sont façonnées ou harnachées par leurs traumatismes, tourne le museau, les yeux, l’instinct, vers son pays de souffrance de tout son temps passé, comme si elle fermait les yeux une dernière fois sur ce qui avait bien pu se passer dans sa pauvre vie sauvée par l’écrivain, et qu’elle pardonnait, christique, à la ville et au monde.
Nicolas Koreicho – Juin 2022

« La tête est une espèce d’usine qui marche pas très bien comme on veut… pensez ! deux mille milliards de neurones absolument en plein mystère… vous voilà frais ! neurones livrés à eux-mêmes ! le moindre accès, votre crâne vous bat la campagne, vous rattrapez plus une idée !… vous avez honte… moi là comme je suis, sur le flanc, je voudrais vous parler encore… tableaux, blasons, coulisses, tentures !… mais je ne sais plus… je retrouve plus ! la tête me tourne… oh ! mais attendez !… je vous retrouverai !… vous et mon Château… et ma tête !… plus tard… plus tard… je me souviens d’un mot !… j’ai dit !… le sens animal ! de Bébert !… je retrouve le fil !… Bébert notre chat… ah ! m’y revoici !… que Bébert était comme chez lui dans l’immense Château du haut des tourelles aux caves… ils se rencontraient Lili lui d’un couloir l’autre… ils se parlaient pas… ils avaient l’air s’être jamais vus… chacun pour soi ! les ondes animales sont de sorte, un quart de milli à côté, vous êtes plus vous… vous existez plus… un autre monde !… le même mystère avec Bessy, ma chienne, plus tard, dans les bois au Danemark… elle foutait le camp… je l’appelais… vas-y !… elle entendait pas !… elle était en fugue… et c’est tout !… elle passait nous frôlait tout contre… dix fois !… vingt fois !… une flèche !… et à la charge autour des arbres !… si vite que vous lui voyiez plus les pattes ! bolide ! ce qu’elle pouvait de vitesse !… je pouvais l’appeler ! j’existais plus !… pourtant une chienne que j’adorais… et elle aussi… je crois qu’elle m’aimait… mais sa vie animale d’abord ! pendant deux… trois heures… je comptais plus… elle était en fugue, en furie dans le monde animal, à travers futaies, prairies, lapins, biches, canards… elle me revenait les pattes en sang, affectueuse… elle est morte ici à Meudon, Bessy, elle est enterrée là, tout contre, dans le jardin. Je vois le tertre… elle a bien souffert pour mourir… je crois, d’un cancer… elle a voulu mourir que là, dehors… je lui tenais la tête… je l’ai embrassée jusqu’au bout… c’était vraiment la bête splendide… une joie de la regarder… une joie à vibrer… comme elle était belle !… pas un défaut… pelage, carrure, aplomb… oh, rien n’approche dans les Concours !… c’est un fait, je pense toujours à elle, même là dans la fièvre… d’abord je peux me détacher de rien, ni d’un souvenir, ni d’une personne, à plus forte raison d’une chienne… je suis doué fidèle… fidèle, responsable… responsable de tout !… une vraie maladie… anti-jeanfoutre… le monde vous régale !… les animaux sont innocents, même les fugueurs comme Bessy… on les abat dans les meutes… je peux dire que je l’ai bien aimée, avec ses folles escapades, je l’aurais pas donnée pour tout l’or du monde… pas plus que Bébert, pourtant le pire hargneux greffe déchireur, un tigre !… mais bien affectueux, ses moments… et terriblement attaché ! j’ai vu à travers l’Allemagne… fidélité de fauve… À Meudon, Bessy, je le voyais, regrettait le Danemark… rien à fuguer à Meudon !… pas une biche !… peut-être un lapin ?… peut-être !… je l’ai emmenée dans le bois de Saint-Cloud… qu’elle poulope un peu… elle a reniflé… zigzagué… elle est revenue presque tout de suite… deux minutes… rien à pister dans le bois de Saint-Cloud !… elle a continué la promenade avec nous, mais toute triste… c’était la chienne très robuste !… on l’avait eue très malheureuse, là-haut… vraiment la vie très atroce… des froids -25°… et sans niche !… pas pendant des jours… des mois !… des années !… la Baltique prise… Tout d’un coup, avec nous, très bien !… on lui passait tout !… elle mangeait comme nous !… elle foutait le camp… elle revenait… jamais un reproche… pour ainsi dire dans nos assiettes elle mangeait… plus le monde nous a fait de misères plus il a fallu qu’on la gâte… elle a été !… mais elle a souffert pour mourir… je voulais pas du tout la piquer… lui faire même un petit peu de morphine… elle aurait eu peur de la seringue… je lui avais jamais fait peur… je l’ai eue, au plus mal, bien quinze jours… oh, elle se plaignait pas, mais je voyais… elle avait plus de force… elle couchait à côté de mon lit… un moment, le matin, elle a voulu aller dehors… je voulais l’allonger sur la paille… juste après l’aube… elle voulait pas comme je l’allongeais… elle a pas voulu… elle voulait être un autre endroit… du côté le plus froid de la maison et sur les cailloux… elle s’est allongée joliment… elle a commencé à râler… c’était la fin… on me l’avait dit, je le croyais pas… mais c’était vrai, elle était dans le sens du souvenir, d’où elle était venue, du Nord, du Danemark, le museau au nord, tourné nord… la chienne bien fidèle d’une façon, fidèle au bois où elle fuguait, Korsør, là-haut… fidèle aussi à la vie atroce… les bois de Meudon lui disaient rien… elle est morte sur deux… trois petits râles… oh, très discrets… sans du tout se plaindre… ainsi dire… et en position vraiment très belle, comme en plein élan, en fugue… mais sur le côté, abattue, finie… le nez vers ses forêts à fugue, là-haut d’où elle venait, où elle avait souffert… Dieu sait !… Oh, j’ai vu bien des agonies… ici… là… partout… mais de loin pas des si belles, discrètes… fidèles… ce qui nuit dans l’agonie des hommes c’est le tralala… l’homme est toujours quand même en scène… le plus simple…».

Louis-Ferdinand Céline, D’un château l’autre, Éditions Gallimard, 1957

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Libres associations réfléchies – Rêveries du promeneur

Jean-Jacques Rousseau – Extrait Les Rêveries du Promeneur solitaire

Préface Nicolas Koreicho

« Nous n’avons guère de mouvement machinal dont nous ne pussions trouver la cause dans notre cœur, si nous savions bien l’y chercher ».
Jean-Jacques Rousseau, Sixième promenade, Les Rêveries du Promeneur solitaire, 1782

Jean-Jacques Rousseau, M. Quentin de la Tour, 1764

La signification de cet énoncé se distingue dans l’idée selon laquelle ce qui se manifeste, au travers de nos différentes inclinations et actions, et qui échappe à la volonté, à la conscience, ce qui est « machinal », existe à l’état latent, et que la cause de ces divers mouvements se trouve dans les profondeurs de « notre cœur », c’est-à-dire dans notre inconscient et dans nos affects les plus marqués.
Freud ne dit rien d’autre lorsque dans ses conférences de 1909[1] il affirme que le Moi, confronté à des désirs inacceptables, les refoule dans les profondeurs de l’inconscient et que ceux-ci, ne s’en laissant pas conter si facilement, expriment de manière ersatique, à travers symptômes et pensées difficiles, les affects les plus puissants, et souvent les plus archaïques, de notre histoire personnelle.

« Si l’on parvient à ramener ce qui est refoulé au plein jour – cela suppose que des résistances considérables ont été surmontées -, alors le conflit psychique né de cette réintégration, et que le malade voulait éviter, peut trouver sous la direction du médecin, une meilleure solution que celle du refoulement. Une telle méthode parvient à faire évanouir conflits et névroses. Tantôt le malade convient qu’il a eu tort de refouler le désir pathogène et il accepte totalement ou partiellement ce désir ; tantôt le désir lui-même est dirigé vers un but plus élevé et, pour cette raison, moins sujet à critique (c’est ce que je nomme la sublimation du désir) ; tantôt on reconnaît qu’il était juste de rejeter le désir, mais on remplace le mécanisme automatique, donc insuffisant, du refoulement, par un jugement de condamnation morale rendu avec l’aide des plus hautes instances spirituelles de l’homme ; c’est en pleine lumière que l’on triomphe du désir.[2]»

C’est entre autres le discours associatif, à travers la libre association, qui permet aux barrières de la censure consciente de tomber, par le truchement du transfert et dans la confiance d’un lecteur ou d’un analyste, et qu’ainsi les énoncés inarticulés jusque-là, formes des affects refoulés ou incompris, trouvent, grâce à la précieuse énonciation analytique, la libération de leurs motions douloureuses et contraignantes sous la forme d’un discours bien entendu.

Jean-Jacques n’en fait pas moins lorsque, au cours de ses rêveries[3], il laisse les pensées s’entresuivre sans logique apparente, cependant que Rousseau s’adonne avec toute la puissance de la précision de son écriture, fondée dans une très large mesure sur la transcription minutieuse de ses émotions, sentiments et affects, à la sublimation.

Il en est ainsi du souci qu’a l’écrivain de prendre toutes les précautions pour que les actions qu’il fait soient guidées non par l’impulsion du moment mais par l’idée de sa motivation profonde.
Ainsi, sa forme bien particulière d’auto-analyse lui permit d’une part d’accepter que sa partie féminine pût se réaliser dans l’au-delà[4], et, d’autre part, que sa résignation quasi mystique fût bien différenciée d’un délire d’interprétation qu’il parvint à maîtriser, dans la dernière partie de sa vie, grâce à la réconciliation avec l’autre, invoqué dans le mouvement même de son écriture.
Nicolas Koreicho

Première promenade
« […] Ces feuilles ne seront proprement qu’un informe journal de mes rêveries. Il y sera beaucoup question de moi parce qu’un solitaire qui réfléchit s’occupe nécessairement beaucoup de luimême. Du reste toutes les idées étrangères qui me passent par la tête en me promenant y trouveront également leur place. Je dirai ce que j’ai pensé tout comme il m’est venu et avec aussi peu de liaison que les idées de la veille en ont d’ordinaire avec celles du lendemain. Mais il en résultera toujours une nouvelle connaissance de mon naturel et de mon humeur par celle des sentiments et des pensées dont mon esprit fait sa pâture journalière dans l’étrange état où je suis. Ces feuilles peuvent donc être regardées comme un appendice de mes Confessions, mais je ne leur en donne plus le titre, ne sentant plus rien à dire qui puisse le mériter. Mon cœur s’est purifié à la coupelle de l’adversité, et j’y trouve à peine en le sondant avec soin quelque reste de penchant répréhensible. Qu’aurais-je encore à confesser quand toutes les affections terrestres en sont arrachées ? Je n’ai pas plus à me louer qu’à me blâmer : je suis nul désormais parmi les hommes, et c’est tout ce que je puis être, n’ayant plus avec eux de relation réelle, de véritable société. Ne pouvant plus faire aucun bien qui ne tourne à mal, ne pouvant plus agir sans nuire à autrui ou à moi-même, m’abstenir est devenu mon unique devoir, et je le remplis autant qu’il est en moi. Mais dans ce désœuvrement du corps mon âme est encore active, elle produit encore des sentiments, des pensées, et sa vie interne et morale semble encore s’être accrue par la mort de tout intérêt terrestre et temporel. Mon corps n’est plus pour moi qu’un embarras, qu’un obstacle, et je m’en dégage d’avance autant que je puis. Une situation si singulière mérite assurément d’être examinée et décrite, et c’est à cet examen que je consacre mes derniers loisirs. Pour le faire avec succès il y faudrait procéder avec ordre et méthode : mais je suis incapable de ce travail et même il m’écarterait de mon but qui est de me rendre compte des modifications de mon âme et de leurs successions. Je ferai sur moi-même à quelque égard les opérations que font les physiciens sur l’air pour en connaître l’état journalier. J’appliquerai le baromètre à mon âme, et ces opérations bien dirigées et longtemps répétées me pourraient fournir des résultats aussi sûrs que les leurs. Mais je n’étends pas jusque-là mon entreprise. Je me contenterai de tenir le registre des opérations sans chercher à les réduire en système. Je fais la même entreprise que Montaigne, mais avec un but tout contraire au sien : car il n’écrivait ses Essais que pour les autres, et je n’écris mes rêveries que pour moi. Si dans mes plus vieux jours aux approches du départ, je reste, comme je l’espère, dans la même disposition où je suis, leur lecture me rappellera la douceur que je goûte à les écrire, et faisant renaître ainsi pour moi le temps passé, doublera pour ainsi dire mon existence. En dépit des hommes je saurai goûter encore le charme de la société et je vivrai décrépit avec moi dans un autre âge, comme je vivrais avec un moins vieux ami. […][5] »

Sixième promenade
« […] Voilà ce que je découvris en y réfléchissant, car rien de tout cela ne s’était offert jusqu’alors distinctement à ma pensée. Cette observation m’en a rappelé successivement des multitudes d’autres qui m’ont bien confirmé que les vrais et premiers motifs de la plupart de mes actions ne me sont pas aussi clairs à moi-même que je me l’étais longtemps figuré. Je sais et je sens que faire du bien est le plus vrai bonheur que le cœur humain puisse goûter ; mais il y a longtemps que ce bonheur a été mis hors de ma portée, et ce n’est pas dans un aussi misérable sort que le mien qu’on peut espérer de placer avec choix et avec fruit une seule action réellement bonne. Le plus grand soin de ceux qui règlent ma destinée ayant été que tout ne fût pour moi que fausse et trompeuse apparence, un motif de vertu n’est jamais qu’un leurre qu’on me présente pour m’attirer dans le piège où l’on veut m’enlacer. Je sais cela ; je sais que le seul bien qui soit désormais en ma puissance est de m’abstenir d’agir de peur de mal faire sans le vouloir et sans le savoir. […]
C’est alors que j’eus lieu de connaître que tous les penchants de la nature sans excepter la bienfaisance elle-même, portés ou suivis dans la société sans prudence et sans choix, changent de nature et deviennent souvent aussi nuisibles qu’ils étaient utiles dans leur première direction. Tant de cruelles expériences changèrent peu à peu mes premières dispositions, ou plutôt les renfermant enfin dans leurs véritables bornes, elles m’apprirent à suivre moins aveuglément mon penchant à bien faire, lorsqu’il ne servait qu’à favoriser la méchanceté d’autrui. Mais je n’ai point regret à ces mêmes expériences, puisqu’elles m’ont procuré par la réflexion de nouvelles lumières sur la connaissance de moi-même et sur les vrais motifs de ma conduite en mille circonstances sur lesquelles je me suis si souvent fait illusion. J’ai vu que pour bien faire avec plaisir il fallait que j’agisse librement, sans contrainte, et que pour m’ôter toute la douceur d’une bonne œuvre il suffisait qu’elle devînt un devoir pour moi. […][6]»

Jean-Jacques Rousseau, Les Rêveries du Promeneur solitaire, 1782

Texte original :
https://fr.wikisource.org/wiki/Les_R%C3%AAveries_du_promeneur_solitaire/Texte_entier

Texte intégral :
https://ebooks-bnr.com/ebooks/pdf4/rousseau_reveries_promeneur_solitaire.pdf


[1] Sigmund Freud, Cinq leçons sur la psychanalyse, 1909, Payot, 1921

[2] Ibid. Deuxième leçon

[3] Jean-Jacques Rousseau, Les Rêveries du Promeneur solitaire, 1782, Garnier-Flammarion, 1964

[4] Paul Sérieux et Joseph Capgras, Les Folies raisonnantes, Alcan, 1909

[5] Op. cit., Première promenade

[6] Ibid. Sixième promenade

L’aveu sensible : La Noyée

John William Waterhouse – Ophelia, 1894, Collection particulière

Postface Nicolas Koreicho

La Noyée

Tu t’en vas à la dérive
Sur la rivière du souvenir
Et moi, courant sur la rive,
Je te crie de revenir
Mais, lentement, tu t’éloignes
Et dans ma course éperdue,
Peu à peu, je te regagne
Un peu du terrain perdu.

De temps en temps, tu t’enfonces
Dans le liquide mouvant
Ou bien, frôlant quelques ronces,
Tu hésites et tu m’attends
En te cachant la figure
Dans ta robe retroussée,
De peur que ne te défigurent
Et la honte et les regrets.

Tu n’es plus qu’une pauvre épave,
Chienne crevée au fil de l’eau
Mais je reste ton esclave
Et plonge dans le ruisseau
Quand le souvenir s’arrête
Et l’océan de l’oubli,
Brisant nos cœurs et nos têtes,
A jamais, nous réunit.

Lucien Ginsburg alias Serge Gainsbourg

Postface

Les tergiversations brutales que provoque la séparation, forme, dans la question du narcissisme et de sa constitution pouvant représenter un abandon, sont ici exprimées selon la métaphore, mortifère et puissante, d’un processus, celui de l’acceptation d’une certaine solitude, avec comme ostinato anxieux la difficulté de tourner la page, « la rivière du souvenir » n’ayant pas d’emblée quelque chose d’inéluctable (ce n’est pas la rivière de l’oubli), mais néanmoins toujours emprunte de l’espoir farouche – « Je te crie de revenir » – du retour de l’être aimé.

S’en suivent les épisodes, anaphores sous-jacentes de la présence de l’amour perdu, des images – « ta robe retroussée » – physiques de ce qui, jadis, eut lieu entre les corps, et des images – « la honte et les regrets » – mentales de ce qui pourra déjà commencer à consoler l’amoureux délaissé en imaginant son amour ne pas le désaimer tout-à-fait.

Ce message espéré et éperdu à la fois, indissociable de ce processus de deuil, inhérent à toute séparation, passe de tergiversations brutales à des constructions vitales, secondaires, et représente bien une forme nouvelle, idéalisée, d’union, transformée par épisodes en putative et spirituelle, si ce n’est mentale, réunion d’au-delà de la mort, sublimée sous  une chanson durable à coup sûr, elle.

Nicolas Koreicho – Mars 2022 – Institut Français de Psychanalyse©

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Desbordes-Valmore – Une inquiétude

Postface Nicolas Koreicho

L’inquiétude

John William Waterhouse, Thisbe, 1909 – Collection privée

Qu’est-ce donc qui me trouble, et qu’est-ce que j’attends ?
Je suis triste à la ville, et m’ennuie au village ;
Les plaisirs de mon âge
Ne peuvent me sauver de la longueur du temps.

Autrefois l’amitié, les charmes de l’étude
Remplissaient sans effort mes paisibles loisirs.
Oh ! quel est donc l’objet de mes vagues désirs ?
Je l’ignore, et le cherche avec inquiétude.
Si pour moi le bonheur n’était pas la gaîté,
Je ne le trouve plus dans ma mélancolie ;
Mais, si je crains les pleurs autant que la folie,
Où trouver la félicité ?

Et vous qui me rendiez heureuse,
Avez-vous résolu de me fuir sans retour ?
Répondez, ma raison ; incertaine et trompeuse,
M’abandonnerez-vous au pouvoir de l’Amour ? …
Hélas ! voilà le nom que je tremblais d’entendre.
Mais l’effroi qu’il inspire est un effroi si doux !
Raison, vous n’avez plus de secret à m’apprendre,
Et ce nom, je le sens, m’en a dit plus que vous.

Marceline Desbordes-Valmore, L’inquiétude – Élégies (1830)


Postface

Qui, mieux que Marceline Desbordes-Valmore, a dépeint les affres de l’inquiétude, celles que l’on appelle aujourd’hui troubles de l’anxiété ? Ni le lieu, ni le temps ne modifient les tourments provenant du passé le plus archaïque. Dans l’inquiétude, quelque chose menace qui finit par revenir (la répétition, phénomène anaphorique des névroses) de loin. Là, les premiers vers clés « Oh ! quel est donc l’objet de mes vagues désirs ? Je l’ignore, et le cherche avec inquiétude » démontrent que le trouble l’emporte sur les plaisirs obsolètes de la nostalgie, dont la signification déterminant l’usage d’alors du terme « mélancolie » est radicalement différente – et, paradoxalement, parente – de l’acception actuelle, qui implique un trouble de l’humeur à dominante mortifère et suicidaire. Encore une preuve, s’il en fallait, que de structure en psychopathologie il n’existe pas. De la nostalgie à la mélancolie, il est bien plutôt question d’une similarité expressive (sémiotique), d’un glissement sémantique, d’un continuum d’affect. La nostalgie (dans le poème « ma mélancolie ») ne constitue plus un refuge par rapport à une problématique de séparation, et « la folie » (mélancolie d’aujourd’hui) est une menace réelle.

C’est alors qu’apparaît l’objet perdu : « Et vous qui me rendiez heureuse, Avez-vous résolu de me fuir sans retour ? ». Ici, les seconds vers clés se précipitent vers la condition sine qua non de la sauvegarde : « ma raison ». Et qu’est-ce que la raison ? C’est ceci qui permet précisément d’acquérir ce que Winnicott appelait la capacité à être seul et à quoi il s’agit d’adjoindre le « pouvoir de l’Amour », lequel, quoi qu’il en soit, ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval.

Nicolas Koreicho – Février 2022 – Institut Français de Psychanalyse©

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Montesquiou – L’éphémère et le transitoire

Postface Nicolas Koreicho

« Je suis impatient des choses vagues. C’est là une sorte de mal, une irritation particulière, qui se dirige enfin contre la vie, car la vie serait impossible sans à-peu-près. »
Paul Valéry – Regards sur le monde actuel ?

« L’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait »
Jean-Paul Sartre

Préludes

Giovanni Boldini - Portrait du Comte Robert de Montesquiou, 1897, Musée d'Orsay, Paris
Giovanni Boldini – Portrait du Comte Robert de Montesquiou, 1897, Musée d’Orsay, Paris

MAËSTRO

Je suis le souverain des choses transitoires,
Étant le courtisan du Rare et du Ténu ;
L’Infinitésimal, en mon terme, a tenu,
Et, des mutations, je dirai les histoires.

J’immobiliserai ce qui vibre un instant :
L’arc-en-ciel qui s’efface aussitôt qu’il se bande ;
Et cette poudroyante et blonde sarabande
De l’atome léger dans le rayon sautant.

Je suis le sténographe acéré des nuances ;
Je représente, au vol, la vite impression ;
Mon vers a fait son nid, ainsi qu’un alcyon
Sur les flots de la mer des douces influences.

Comme au flanc frissonnant d’un papillon piqué,
On y verra longtemps palpiter des paillettes ;
On en respirera l’arôme alambiqué
Comme un vivant bouquet de vieilles violettes.

Il conserve, surpris, ce qui n’est qu’un moment ;
Non la rose qui dure un siècle de douze heures ;
L’éphémère qui vit le temps de voir cent leurres,
Ou le rêve qui dort perpétuellement.

Mais, dans son compliqué méandre, si l’on erre,
On aura des couleurs et des parfums figés,
Des rayons assoupis, des mirages rangés,
La versatilité faite stationnaire ;

Emprisonnant le sol de mousse bossué,
Le reflet des rameaux et leurs résilles sombres ;
Car je veux que l’on dise, en parcourant ces nombres
Où s’éteint le miracle ardent de Josué,
Qu’il fait bon dans mon vers où j’arrête les ombres !

Robert de MontesquiouMaëstro in Les Chauves-souris – 1892

Œuvres : https://fr.wikisource.org/wiki/Auteur:Robert_de_Montesquiou

Postface

Quelle posture, quel rêve, quelle aubaine ! Qui n’a pas souhaité déambuler dans les chemins, de traîner dans les villes, de s’égarer dans les bois, sans autre projet que de se laisser porter, vivre, aimer…

Et pourtant, loin de cette réputation d’aujourd’hui de dandy éclairé et désinvolte, Robert de Montesquiou a tant marqué la fin du siècle que Huysmans s’en est inspiré pour son des Esseintes, Jean Lorrain pour son Monsieur de Phocas, Proust pour son Baron de Charlus.

Contrairement à ce que suggère sa réputation de superficialité, faite dit-on à l’envi de jaloux fascinés par son éthique échafaudée sur le socle d’un sens esthétique achevé et courageux autant que par son talent de critique, son écriture est d’une grande subtilité et d’une excellente facture formelle et sémantique.
Il faut rétablir son engagement d’homme d’honneur lui qui a bataillé pour faire attribuer une pension à Verlaine par exemple, pour plaider la cause d’écrivains négligés comme Marceline Desbordes-Valmore, pour inspirer la créativité de Marcel Proust qui l’appelait « Professeur de beauté » et dont la correspondance entre les deux hommes est très précise sur l’art, l’écriture, les gens, l’époque, et enfin pour se battre en duel contre Henri de Régnier qui l’avait diffamé sur sa soi-disant présence violente et égoïste lors de l’incendie du Bazar de la Charité. Il n’était pas présent dans ces lieux lors de ce tragique événement. Un ennemi pour ses contemporains, car trop parfait, sans doute, comme représentant du Moi idéal, inatteignable, et de l’Idéal du Moi, inaccessible.

Il a, semble-t-il, été, d’une certaine manière, châtié d’avoir voulu être celui qu’il disait et qu’il se faisait. Il a osé. La psychanalyse ne s’imposait pas encore sur le bien-fondé du chemin de la conjonction heureuse entre l’homme, ses paroles et ses actes, en une école de l’intégrité et de la relation.
En réalité, l’homme est ce qu’il se fait, s’il en a le courage, et est ce qu’il est, s’il en a l’exigence…

Nicolas Koreicho – Décembre 2021 – Institut Français de Psychanalyse©

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Le Diable au corps – Radiguet

Préface Nicolas Koreicho

The Kiss – 1964 – Roy Lichtenstein – Guggenheim Museum – NYC

Raymond Radiguet meurt le 12 décembre 1923 à tout juste vingt ans. Il avait sans doute l’intuition de sa fin précoce lorsqu’il écrivait dans les dernières pages du Diable au corps : « Un homme désordonné et qui va mourir et ne s’en doute pas met souvent de l’ordre autour de lui. Sa vie change. Il classe ses papiers. Il se lève tôt, il se couche de bonne heure. Il renonce à ses vices. Ainsi sa mort brutale semble-t-elle d’autant plus injuste. Il allait vivre heureux. »

Dans la préface du Bal du Comte d’Orgel, publié en 1924, Jean Cocteau évoque ainsi la mort de son jeune ami :
« Voici ses dernières paroles :
« Ecoutez, me dit-il le 9 décembre, écoutez une chose terrible. Dans trois jours je vais être fusillé par les soldats de Dieu ». Comme j’étouffais de larmes, que j’inventais des renseignements contradictoires : « Vos renseignements, continua-t-il, sont moins bons que les miens. L’ordre est donné. J’ai entendu l’ordre. »
Plus tard, il dit encore : « Il y a une couleur qui se promène et des gens cachés dans cette couleur. »
Je lui demandai s’il fallait les chasser. Il répondit : « Vous ne pouvez pas les chasser, puisque vous ne voyez pas la couleur. »
Ensuite, il sombra.
Il remuait la bouche, il nous nommait, il posait ses regards avec surprise sur sa mère, sur son père, sur ses mains. »*

Ce roman, un chef d’œuvre précisent d’aucuns, tant les beautés de toute nature se succèdent dans le texte, raconte le destin d’un tout jeune garçon pendant les années de guerre : de douze ans à seize ans, il découvre, oscillant de tragédies en « polissonneries », l’inattendue, puissante et contradictoire guerre initiatique de l’amour.
Aux limites de la paix et de la guerre, mais aussi limites d’un enfant et d’un homme, limites de l’amour et de la mort, limites de la folie et du quotidien, limites de la trahison et de la tolérance, limites de la sexualité et de l’interdit, limites de la ville et de la campagne, l’action se déroule dans les petites villes de la banlieue, paisibles en ces temps-là, et Paris.
Et, comme d’habitude chez les intellectuels intelligents, c’est-à-dire qui ont du style, c’est l’extrême qualité de l’écriture qui autorise le déploiement des pensées les plus subtiles et les plus profondes : respect de la logique de l’intrigue, de la préciosité simple des tournures, de l’impromptu ou de la fulgurance de l’idée, de la parfaite syntaxe, de la concordance des temps, de l’exactitude des termes. C’est d’ailleurs peut-être d’une parfaite écriture de cette sorte que peut advenir la franchise associative – pensons à Proust – propre à l’analysant.
La première scène, édifiante pour le roman, mêle la tragédie à la trivialité en la métaphore, outrée – atténuée par le récit d’un amour, empreint comme chacun sait d’une certaine gravité –, d’un corps féminin en proie à la déraison et à l’ostentation. C’est de cela que le narrateur devra se départir dans la lutte qu’il mène pour vivre son histoire d’amour : comment raison garder dans la passion amoureuse sans exhiber l’excès – où l’on croit jouer sa vie (et où on la risque quelquefois) – des signes de ses propres affects ? La fin du récit en propose une réponse, implacable. Car en effet, tout dans cet immense petit roman est signe de quelque chose d’autre où toujours, ainsi qu’il en est dans le symptôme, quelque chose se montre et quelque chose échappe.

Nicolas Koreicho

[…] « Il est rare qu’un cataclysme se produise sans phénomènes avant-coureurs. L’attentat autrichien, l’orage du procès Caillaux répandaient une atmosphère irrespirable, propice à l’extravagance. Aussi, mon vrai souvenir de guerre précède la guerre.

Voici comment.

Nous nous moquions, mes frères et moi, d’un de nos voisins, bonhomme grotesque, nain à barbiche blanche et à capuchon, conseiller municipal, nommé Maréchaud. Tout le monde l’appelait le père Maréchaud. Bien que porte à porte, nous nous défendions de le saluer, ce dont il enrageait si fort qu’un jour, n’y tenant plus, il nous aborda sur la route et nous dit : « Eh bien ! on ne salue pas un conseiller municipal ! » Nous nous sauvâmes. À partir de cette impertinence, les hostilités furent déclarées. Mais que pouvait contre nous un conseiller municipal ? En revenant de l’école, et en y allant, mes frères tiraient sa sonnette, avec d’autant plus d’audace que le chien, qui pouvait avoir mon âge, n’était pas à craindre.

La veille du 14 juillet 1914, en allant à la rencontre de mes frères, quelle ne fut pas ma surprise de voir un attroupement devant la grille des Maréchaud. Quelques tilleuls élagués cachaient mal leur villa au fond du jardin. Depuis deux heures de l’après-midi, leur jeune bonne étant devenue folle se réfugiait sur le toit et refusait de descendre. Déjà les Maréchaud, épouvantés par le scandale, avaient clos leurs volets, si bien que le tragique de cette folle sur un toit s’augmentait de ce que la maison parût abandonnée. Des gens criaient, s’indignaient que ses maîtres ne fissent rien pour sauver cette malheureuse. Elle titubait sur les tuiles, sans, d’ailleurs, avoir l’air d’une ivrogne. J’eusse voulu pouvoir rester là toujours, mais notre bonne envoyée par ma mère vint nous rappeler au travail. Sans cela je serais privé de fête. Je partis la mort dans l’âme, et priant Dieu que la bonne fût encore sur le toit, lorsque j’irais chercher mon père à la gare.

Elle était à son poste, mais les rares passants revenaient de Paris, se dépêchaient pour rentrer dîner, et ne pas manquer le bal. Ils ne lui accordaient qu’une minute distraite.

Du reste, jusqu’ici, pour la bonne, il ne s’agissait encore que de répétition plus ou moins publique. Elle devait débuter le soir, selon l’usage, les girandoles lumineuses lui formant une véritable rampe. Il y avait à la fois celle de l’avenue et celles du jardin, car les Maréchaud, malgré leur absence feinte, n’avaient osé se dispenser d’illuminer, comme notables. Au fantastique de cette maison du crime, sur le toit de laquelle se promenait, comme sur un pont de navire pavoisé, une femme aux cheveux flottants, contribuait beaucoup la voix de cette femme : inhumaine, gutturale, d’une douceur qui donnait la chair de poule.

Les pompiers d’une petite commune étant des « volontaires », ils s’occupent tout le jour d’autre chose que de pompes. C’est le laitier, le pâtissier, le serrurier, qui, leur travail fini, viendront éteindre l’incendie, s’il ne s’est pas éteint de lui-même. Dès la mobilisation, nos pompiers formèrent en outre une sorte de milice mystérieuse faisant des patrouilles, des manœuvres, et des rondes de nuit. Ces braves arrivèrent enfin et fendirent la foule.

Une femme s’avança. C’était l’épouse d’un conseiller municipal, adversaire de Maréchaud, et qui depuis quelques minutes, s’apitoyait bruyamment sur la folle. Elle fit des recommandations au capitaine. « Essayez de la prendre par la douceur : elle en est tellement privée, la pauvre petite, dans cette maison, où on la bat. Surtout, si c’est la crainte d’être renvoyée, de se trouver sans place, qui la fait agir, dites-lui que je la prendrai chez moi. Je lui doublerai ses gages. »

Cette charité bruyante produisit un effet médiocre sur la foule. La dame l’ennuyait. On ne pensait qu’à la capture. Les pompiers, au nombre de six, escaladèrent la grille, cernèrent la maison, grimpant de tous les côtés. Mais à peine l’un d’eux apparut-il sur le toit, que la foule, comme les enfants à Guignol, se mit à vociférer, à prévenir la victime.

— Taisez-vous donc ! criait la dame, ce qui excitait les « En voilà un ! En voilà un ! » du public. À ces cris, la folle, s’armant de tuiles, en envoya une sur le casque du pompier parvenu au faîte. Les cinq autres redescendirent aussitôt.

Tandis que les tirs, les manèges, les baraques, place de la Mairie, se lamentaient de voir si peu de clientèle, une nuit où la recette devait être fructueuse, les plus hardis voyous escaladaient les murs et se pressaient sur la pelouse pour suivre la chasse. La folle disait des choses que j’ai oubliées, avec cette profonde mélancolie résignée que donne aux voix la certitude qu’on a raison, que tout le monde se trompe. Les voyous, qui préféraient ce spectacle à la foire, voulaient cependant combiner les plaisirs. Aussi, tremblants que la folle fût prise en leur absence, couraient-ils faire vite un tour de chevaux de bois. D’autres, plus sages, installés sur les branches des tilleuls, comme pour la revue de Vincennes, se contentaient d’allumer des feux de Bengale, des pétards.

On imagine l’angoisse du couple Maréchaud chez soi, enfermé au milieu de ce bruit et de ces lueurs.

Le conseiller municipal, époux de la dame charitable, grimpé sur le petit mur de la grille, improvisait un discours sur la couardise des propriétaires. On l’applaudit.

Croyant que c’était elle qu’on applaudissait, la folle saluait, un paquet de tuiles sous chaque bras, car elle en jetait une chaque fois que miroitait un casque. De sa voix inhumaine, elle remerciait qu’on l’eût enfin comprise. Je pensai à quelque fille, capitaine corsaire, restant seule sur son bateau qui sombre.

La foule se dispersait, un peu lasse. J’avais voulu rester avec mon père, tandis que ma mère, pour assouvir ce besoin de mal de cœur qu’ont les enfants, conduisait les siens de manège en montagnes russes. Certes, j’éprouvais cet étrange besoin plus vivement que mes frères. J’aimais que mon cœur batte vite et irrégulièrement. Ce spectacle, d’une poésie profonde, me satisfaisait davantage. « Comme tu es pâle », avait dit ma mère. Je trouvai le prétexte des feux de Bengale. Ils me donnaient, dis-je, une couleur verte.

— Je crains tout de même que cela l’impressionne trop, dit-elle à mon père.

— Oh, répondit-il, personne n’est plus insensible. Il peut regarder n’importe quoi, sauf un lapin qu’on écorche.

Mon père disait cela pour que je restasse. Mais il savait que ce spectacle me bouleversait. Je sentais qu’il le bouleversait aussi. Je lui demandai de me prendre sur ses épaules pour mieux voir. En réalité, j’allais m’évanouir, mes jambes ne me portaient plus.

Maintenant on ne comptait qu’une vingtaine de personnes. Nous entendîmes les clairons. C’était la retraite aux flambeaux.

Cent torches éclairaient soudain la folle, comme, après la lumière douce des rampes, le magnésium éclate pour photographier une nouvelle étoile. Alors, agitant ses mains en signe d’adieu, et croyant à la fin du monde, ou simplement, qu’on allait la prendre, elle se jeta du toit, brisa la marquise dans sa chute, avec un fracas épouvantable, pour venir s’aplatir sur les marches de pierre. Jusqu’ici j’avais essayé de supporter tout, bien que mes oreilles tintassent et que le cœur me manquât. Mais quand j’entendis des gens crier : « Elle vit encore », je tombai, sans connaissance, des épaules de mon père.

Revenu à moi, il m’entraîna au bord de la Marne. Nous y restâmes très tard, en silence, allongés dans l’herbe.

Au retour, je crus voir derrière la grille une silhouette blanche, le fantôme de la bonne ! C’était le père Maréchaud en bonnet de coton, contemplant les dégâts, sa marquise, ses tuiles, ses pelouses, ses massifs, ses marches couvertes de sang, son prestige détruit.

Si j’insiste sur un tel épisode, c’est qu’il fait comprendre mieux que tout autre l’étrange période de la guerre, et combien, plus que le pittoresque, me frappait la poésie des choses. » […]

Raymond Radiguet, Le Diable au corps

*sur des propos tenus par Radiguet trois jours avant sa mort et rapportés par Cocteau, car ni Cocteau, ni son père, ni sa mère, ni sa fiancée n’étaient présents à 5 heures du matin, à l’hôpital, le jour de sa mort.
Aucun doute malgré tout à avoir sur la relation (mais de quelle nature ?) de Cocteau avec Radiguet. Cependant, le très précoce Raymond avait la réputation bien établie d’un jeune homme à femmes, dandy d’intelligence et de singularité.

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