Archives de catégorie : Textes

Ce n’est pas drôle de mourir

Ce n’est pas drôle de mourir

Félix Valloton – Jardin à Honfleur

Ce n’est pas drôle de mourir
Et d’aimer tant de choses :
La nuit bleue et les matins roses,
Les fruits lents à mûrir.

Ni que tourne en fumée
Mainte chose jadis aimée,
Tant de sources tarir…

Ô France, et vous Île de France,
Fleurs de pourpre, fruits d’or,
L’été lorsque tout dort,
Pas légers dans le corridor.

Le Gave où l’on allait nager
Enfants sous l’arche fraîche
Et le verger rose de pêches…

Paul-Jean Toulet

 34RL1H3 Copyright Institut Français de Psychanalyse

Le Navire mystique

Le Navire mystique – Artaud

Il se sera perdu le navire archaïque
Aux mers où baigneront mes rêves éperdus ;
Et ses immenses mâts se seront confondus
Dans les brouillards d’un ciel de bible et de cantiques. Ivan Konstantinovich Aivazovsky

Un air jouera, mais non d’antique bucolique,
Mystérieusement parmi les arbres nus ;
Et le navire saint n’aura jamais vendu
La très rare denrée aux pays exotiques.

Il ne sait pas les feux des havres de la terre.
Il ne connaît que Dieu, et sans fin, solitaire
Il sépare les flots glorieux de l’infini.

Le bout de son beau pré plonge dans le mystère.
Aux pointes de ses mâts tremble toutes les nuits
L’argent mystique et pur de l’étoile polaire.

Antonin Artaud

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Que ton âme soit blanche ou noire

Que ton âme soit blanche ou noire – Verlaine

Enlèvement d’Europe – Félix Vallotton

Que ton âme soit blanche ou noire,
Que fait ? Ta peau de jeune ivoire
Est rose et blanche et jaune un peu.
Elle sent bon, ta chair, perverse
Ou non, que fait ? puisqu’elle berce
La mienne de chair, nom de Dieu !

Elle la berce, ma chair folle,
Ta folle de chair, ma parole
La plus sacrée ! – et que donc bien !
Et la mienne, grâce à la tienne,
Quelque réserve qui la tienne,
Elle s’en donne, nom d’un chien !

Quant à nos âmes, dis, Madame,
Tu sais, mon âme et puis ton âme,
Nous en moquons-nous ? Que non pas !
Seulement nous sommes au monde.
Ici-bas, sur la terre ronde,
Et non au ciel, mais ici-bas.

Or, ici-bas, faut qu’on profite
Du plaisir qui passe si vite
Et du bonheur de se pâmer.
Aimons, ma petite méchante,
Telle l’eau va, tel l’oiseau chante,
Et tels, nous ne devons qu’aimer.

Paul Verlaine – Chansons pour elle

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Whispering

« Whispering » – Sheri J.

« I am the dog you see on the chain, »

Whispering waters

« I am the cat you see in the drain, »

« I am the friend who has no home, »

« I am the ‘stray’ who lives all alone, »

« I am the friend ‘you’ helped today, »

« I am the ‘one’ you transported away, »

« I am the voice you hear in your head, »

« I am the caged animal who often dreads, »

« I am the opinion you are trying to change, »

« I am the anger you feel, tears & the rage, »

« I am the tears you cry when I am sick, »

« I am the hurt you feel, but cannot fix, »

« I am the voice in your head, when you can’t sleep, »

« I am the reason for the long hours you keep, »

« I am the ‘voiceless’ who desperately needs you, »

« And, If not you….then who? »

« I am whispering & you are my voice. »

Sheri J. – transport coordinator 🙂

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Se voir le plus possible

Se voir le plus possible

Se voir le plus possible et s’aimer seulement,
Sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge,
Sans qu’un désir nous trompe, ou qu’un remords nous ronge,
Vivre à deux et donner son coeur à tout moment ;

Jean-Honoré Fragonard – Les Hasards heureux de l’escarpolette – 1768

Respecter sa pensée aussi loin qu’on y plonge
Faire de son amour un jour au lieu d’un songe,
Et dans cette clarté respirer librement
– Ainsi respirait Laure et chantait son amant.

Vous dont chaque pas touche à la grâce suprême,
C’est vous, la tête en fleurs, qu’on croirait sans souci,
C’est vous qui me disiez qu’il faut aimer ainsi.

Et c’est moi, vieil enfant du doute et du blasphème,
Qui vous écoute, et pense, et vous réponds ceci :
Oui, l’on vit autrement, mais c’est ainsi qu’on aime.

On ne badine pas avec l’amour Alfred de Musset

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Sur mon cou

Sur mon cou – Genet

Sans armure et sans haine, mon cou                                 ussconstellationvsinsurgente
Que ma main plus légère et grave qu’une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cœur s’émeuve,
Laisse tes dents poser leur sourire de loup.

Ô viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d’Espagne,
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,
Mène-moi loin d’ici battre notre campagne.

Le ciel peut s’éveiller, les étoiles fleurir,
Ni les fleurs soupirer, et des prés l’herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.

Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.

Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.
Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.

Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !
Traverse les couloirs, descends, marche léger,
Vole dans l’escalier plus souple qu’un berger,
Plus soutenu par l’air qu’un vol de feuilles mortes.

Ô traverse les murs ; s’il le faut marche au bord
Des toits, des océans ; couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,
Mais viens, ô ma frégate, une heure avant la mort.

Jean Genet

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Parfums, couleurs, systèmes, lois !

Parfums, couleurs, systèmes, lois !

Parfums, couleurs, systèmes, lois !
Les mots ont peur comme des poules.       fractal-abstract-digital-art-bokeh-purple-fractal-flowers-lights-depth-of-field-1920x1080
La chair sanglote sur la croix.

Pied, c’est du rêve que tu foules,
Et partout ricane la voix,
La voix tentatrice des foules.

Cieux bruns où nagent nos desseins,
Fleurs qui n’êtes pas le calice,
Vin et ton geste qui se glisse,
Femme et l’œillade de tes seins,

Nuit câline aux frais traversins,
Qu’est-ce que c’est que ce délice,
Qu’est-ce que c’est que ce supplice,
Nous les damnés et vous les Saints ?

Paul Verlaine (1844 – 1896), Sagesse, 1902.

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Parfum exotique

Parfum exotique

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d’automne,
Je respire l’odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu’éblouissent les feux d’un soleil monotone ;

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Paul Gauguin – Mahana na atua (Le jour de Dieu) – 1894

Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l’oeil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l’air et m’enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

Charles Baudelaire

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Les Sept épées

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Theophanis le Crétois – Icône orthodoxe de Saint Mercurius de Césarée (1530)

Les sept épées – Apollinaire

La première est toute d’argent
Et son nom tremblant c’est Pâline
Sa lame un ciel d’hiver neigeant
Son destin sanglant gibeline
Vulcain mourut en la forgeant

La seconde nommée Noubosse
Est un bel arc-en-ciel joyeux
Les dieux s’en servent à leurs noces
Elle a tué trente Bé-Rieux
Et fut douée par Carabosse

La troisième bleu féminin
N’en est pas moins un chibriape
Appelé Lul de Faltenin
Et que porte sur une nappe
L’Hermès Ernest devenu nain

La quatrième Malourène
Est un fleuve vert et doré
C’est le soir quand les riveraines
Y baignent leurs corps adoré
Et des chants de rameurs s’y traînent

La cinquième Sainte-Fabeau
C’est la plus belle des quenouilles
C’est un cyprès sur un tombeau
Où les quatre vents s’agenouillent
Et chaque nuit c’est un flambeau

La sixième métal de gloire
C’est l’ami aux si douces mains
Dont chaque matin nous sépare
Adieu voilà votre chemin
Les coqs s’épuisaient en fanfares

Et la septième s’exténue
Une femme une rose morte
Merci que le dernier venu
Sur mon amour ferme la porte
Je ne vous ai jamais connue

Guillaume Apollinaire

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Le songe d’une nuit d’été – Epilogue

Le songe d’une nuit d’été – Epilogue – Shakespeare

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La querelle d’Oberon et de Titania. Etude de Joseph Noël Paton – 1849

Ombres que nous sommes, si nous avons déplu,
figurez-vous seulement (et tout sera réparé)
que vous n’avez fait qu’un somme,
pendant que ces visions vous apparaissaient.
Ce thème faible et vain, qui ne contient pas plus qu’un songe,
gentils spectateurs, ne le condamnez pas ;
nous ferons mieux, si vous pardonnez. Oui, foi d’honnête Puck,
si nous avons la chance imméritée
d’échapper aujourd’hui au sifflet du serpent,
nous ferons mieux avant longtemps,
ou tenez Puck pour un menteur.
Sur ce, bonsoir, vous tous.
Donnez-moi toutes vos mains, si nous sommes amis,
et Robin prouvera sa reconnaissance.
Sur ce, bonsoir, vous tous.
Donnez-moi toutes vos mains, si nous sommes amis,
et Robin prouvera sa reconnaissance.

William Shakespeare – Le Songe d’une nuit d’été

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