Limites 2. Entre transfert et morale : la question des limites

Nicolas Koreicho – Novembre 2010

Ainsi, nous passons de la question du transfert* à la question des limites. Nous pouvons parler également de la relation d’aide. L’aide présente dans le transfert négatif dont elle peut s’accompagner un aspect inégalitaire de prise de position sur l’autre qui ne convient pas en dernière analyse à une relation équilibrée. La flexibilité dans la répartition des rôles et de l’autorité est certes nécessaire, dès lors que l’on veut instaurer une valeur fondamentale, le respect, mais pas l’absence de limites, qui en particulier conduit à la faillite de l’éducation et de la prise en compte de la Loi symbolique. Le flou, le « trop négocié » peut être propice à l’angoisse et aux débordements.
On sait à quel point, depuis les grands asservissements de l’histoire, la « transparence » (glastnost) peut être synonyme de tentation totalitaire. Donc, point d’hypocrisie. Nous ne sommes pas dans un monde où tout le monde est beau et gentil. Les règles sont nécessaires et le cadre (sa partie relationnelle) ne saurait être l’objet d’une négociation. Il répond à des contraintes précises de sauvegarde de la relation et des personnes et ne peut à ce titre être approximatif, ce qui ne veut pas dire qu’il ne peut pas évoluer.
Ainsi, si l’on prend l’exemple d’une session de formation, il faudrait énoncer : « Voici ce qui m’est nécessaire pour que je puisse animer cette session dans de bonnes conditions et pour qu’elle développe une construction pédagogique. Est-ce que cela vous convient ? ». Car si la négociation du cadre est admissible lors de formations qui ont trait principalement au développement de compétences philosophiques ou psychodramatiques, elle n’est pas adaptée lors de séminaires fondés sur la transmission de connaissances**.
L’échange mou n’apporte d’ailleurs qu’un semblant de connaissance. Les limites, elles, dessinent une architecture. Cela n’exclut d’ailleurs pas l’humanisme du formateur, et sa relativisation pour un travail de construction mutuelle. Faute de quoi il peut basculer dans l’argument d’autorité qui avec des adultes s’opposerait à l’apprentissage commun. Cependant, si le groupe est bien trop intelligent pour ne pas savoir, qu’est-ce qu’il fait de cette intelligence en formation ? Et les formateurs, n’ont-ils rien à transmettre, à partager de profond ?
L’un des grands enseignements que nous pouvons tirer des excès de la transmission molle, des concepts flous, d’une sorte de foire au nivellement des propos et des idées (tout se vaut, tout le monde est à égalité de savoirs) et de ses développements abusifs (transférentiels, agressifs, militants), c’est que plus la violence est manifeste, non seulement en situation de formation mais dans toute forme de relation, plus la distance de la personne qui fait montre de cette violence, avec son propre inconscient, est grande, et plus son déséquilibre est marqué et s’exprime dans la négation de l’autre. D’où la nécessaire imposition des limites, des règles, d’une loi symbolique civilisatrice, c’est-à-dire, en définitive, d’une éthique.

Nicolas Koreicho – Novembre 2010 – Institut Français de Psychanalyse©

*Cf. Limites 1. Sur le transfert en formation
**Ce qui pose au passage la question des pré-requis personnel (travail sur soi) et culturel (niveau de formation) : l’ignorance est le fondement de la violence.

Limites 1. Sur le transfert en formation : le transfert, le cadre
Limites 2. Entre transfert et morale : la question des limites
Limites 3. Limite et no-limit : implications d’une dissolution

 34RL1H3    Copyright Institut Français de Psychanalyse