Nicolas Koreicho – Nicolas de Beer – Mars 2009
Dialogue entre un psy et un coach
« Nul n’a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé, que pour sortir en fait de l’enfer »
Antonin Artaud
Co-incidences, reliance, associations d’idées, synchronicité…
Nicolas de Beer :
« La coïncidence n’est due qu’à l’homme qui fait le lien entre deux événements. » Karl Popper
Interrogeons-nous sur le concept de synchronicité, ou de co-incidence, c’’est-à-dire deux événements que nous, êtres humains verrions comme reliés. Certains diront « il n’y a pas de hasard », d’autres « reliances », d’autres encore utiliseront le terme de « synchronicité ». Ce concept prend, pour beaucoup, une grande place dans l’interprétation de le vie, nous permettrait de filtrer et donc d’interpréter notre vécu, donner du sens à notre vie.
Tout aurait du sens, relié à un autre événement, geste… La reliance, la synchronicité pourrait-elle être, pour certains abusivement la clé du sens ?
». « Tout a du sens ». « Il a eu des difficultés lors de la dernière séance, il n’est pas venu à la suivante, il n’y a pas de hasard… »
Mais comment ce concept pourrait-il être pertinent, comment l’utiliser sans en user ?
OK, c’est une possible porte d’entrée pour le praticien, il peut questionner cette co-incidence, forcer le trait, exagérer, provoquer, influencer. Il peut donc utiliser la synchronicité de même qu’il utilise l’analogie. C’est un artifice, une intervention pour aider le client. Cela permet de poser des hypothèses dans l’espace, de générer des questions différentes. Mais cela ne dévoile pas la vérité derrière l’inquiétante brume, cette vérité qu’il nous faudrait découvrir, car grâce à elle nous serions sauvés ! La séduisante vérité à trouver, magie derrière le réel.
« La finalité n’est importée dans la nature que par notre intellect qui s’émerveille d’un miracle dont il est en premier lieu l’auteur » (Schopenhauer)
En tant que praticien de la relation d’aide, il est nécessaire de me poser la question : relier des éléments entre eux pour comprendre le client, en tirer des déductions, ou aider le client à relier des éléments entre eux et le laisser trouver ce qui est pertinent pour lui ?
On ne fait de liens qu’avec ce que nous percevons et décidons de sélectionner ! Alors, quand un client nous parle nous ne percevons qu’une partie de son discours. Les liens que nous faisons nous concerneraient donc. Il n’y a de sens que pour celui qui perçoit, voit, entend, sélectionne et relie des éléments, événements entre eux.
Quid du client ?
Ce n’est pas l’univers qui fait des liens, ce sont les hommes, pour leur propre confort, pour donner du sens, mais qu’y a-t-il de réel dans tout cela ?
« Souvenons-nous que nous n’observons pas la nature elle-même, mais la nature soumise à notre méthode d’investigation » (Heisenberg)
L’outil qui se prend pour la théorie, c’est une dérive possible. Percevoir la « synchronicité » comme réelle peut en être une. Une personne décodée pour des co-incidences et qui par les conséquences qu’elle subit peut se retrouver responsable et donc fautive voire coupable. Si elle a des maux de dos c’est qu’elle a voulu trop porter, elle n’était pas obligée. Son cancer vient de son refus d’accepter la réalité. C’est un conflit interne…
La personne est non seulement blessée dans son corps mais en plus victime de la toute puissance de la cause à effet injustement soulignée par le corps social en mal de savoir fast-food.
« Quand les événements nous échappent, feignons de les avoir organisé ». Tant d’entre nous voudraient pouvoir donner du sens à tous les événements, trouver une cause à un effet, comme si notre vie en dépendait.
Créer des règles, des normes pour établir une universalité. Donner du sens à sa vie par ce moyen.
Nicolas Koreicho :
Evidemment, tout a du sens. Comment pourrait-il en être autrement ?
Ce que recouvre le terme de synchronicité répond à une double facilité : de discours, puisqu’il n’est pas toujours question dans l’emploi du terme de « temporalité mise en commun », de sémantique, car il est une façon de dire qu’on ne va pas au-delà du terme lui-même. Or, il est des milliers d’occurrences différentes d’une simple coïncidence qui vont au-delà du sens manifeste, et qui sont simplement autant de correspondances entre un sens caché et un sens apparent, lui, facile à relever.
En effet, à partir de l’intuition ou de la coïncidence que l’emploi du mot « synchronicité » (néologisme) présuppose, on peut analyser ce qui fait dire « Tiens, il y a synchronicité » (synchronie suffirait). Oui. On peut, et on doit, lorsqu’on est en position d’accompagner une personne qui ne comprend pas forcément tout à sa vie, professionnelle ou personnelle, analyser. Pour découvrir (ou inventer : mettre au vent de la lumière de la vérité, pourquoi pas ?) ce que tu appelles la magie derrière le réel, c’est-à-dire selon moi une interprétation qu’on doit faire la plus exacte possible, seul ou dans le dialogue, selon les cas.
Dès lors, à partir de cette intuition que quelque chose se passe du côté, non plus du réel, mais de la réalité de l’interprétation à faire, à produire, à partager, on peut tendre des perches, faire des ponts, établir des liens, ouvrir des portes, afin que l’autre ne se voit pas servir une réalité toute crue et indigeste, mais bien de lui permettre de se déplacer dans un espace nouveau qui ne correspond pas à une partie de son discours mais à une vérité pleine et entière « à un moment donné », la synchronie étant rejointe ici.
A ce moment, cette lumière posée sur la réalité et son plaisir trouvé, c’est ce que l’interprétation réussie modifie, provoque, convoque, touche dans le monde de l’autre, à condition d’être là pour faire quelque chose des conséquences de cette interprétation esquissée, si possible dans une certaine délicatesse, ce qui n’est pas toujours chose aisée.
Il est certaines réalités qui peuvent cependant être dites, dénoncées. Là, tout va dépendre, pour choisir ce qui peut ou ne peut se dire et comment, de techniques de fond, les concepts, et de techniques de forme, les talents.
Finalement l’idée étant de faire coïncider ce que l’on comprend avec ce que l’autre peut en faire : une synchronie engagée.
Nicolas De Beer :
Tu as raison de parler de synchronie plutôt que de synchronicité.
La synchronie c’est : envisager une situation à un moment donné – c’est un état – un arrêt sur image – relier des éléments (événements ?) entre eux à l’intérieur d’une frontière oui (thème partagé) mis hors du temps. S’arrêter pour donner du sens ?
Quoique ce soit existe-t-il sans temps ?
La diachronie propose d’introduire la dimension temporelle (qu’il n’y a pas dans la synchronie) : c’est envisager une situation comme évolutive – un processus plutôt qu’un état – relier des événements (ou des éléments)) entre eux autour d’un thème commun à travers le temps. On y ajoute la dimension temporelle.
La première systémique établissait qu’un système ne pouvait que rechercher l’équilibre (homéostasie) et reproduisait ainsi le même problème. Perception désespérante puisque plus on change moins on change.
La seconde systémique (dite dynamique ou encore biologique) introduit le « processus », le temps dans la situation arrêtée. Celle-ci ne tourne plus en rond mais est un continuum. Et alors ce n’est plus un scénario qui se répète mais une histoire qui se déroule.
Tu dis que tout a du sens. Alors je te demande si il serait possible plutôt de formuler ainsi « Dans mon paradigme, que tout ait du sens est souvent utile au client » ?
Et si la vie n’avait pas de sens, et que nous ayons besoin de lui en donner un comme si cela nous aidait à vivre ? Ce n’est pas nouveau. Donner du sens est important pour nous, cela nous permet de rester cohérents. Comme le disait Cioran « Ce matin, après avoir entendu un astronome parler de milliards de soleils, j’ai renoncé à faire ma toilette : à quoi bon se laver encore ?
Tu me parles d’intuition. Si tu te sers de la synchronie comme moyen pour aider un client à envisager autrement, éclairer le paysage différemment et non comme une vérité, je suis à côté de toi, évidemment. C’est convoquer, inviter à envisager d’autres possibles, et c’est une « voix » d’intervention.
La synchronie serait-elle le moyen pour chacun de commencer à raconter une histoire hors du temps, comme on disait « Il était une fois… » Dans ce cas, et si cela aide le client à se dire une histoire différente et plus confortable ou plus aidante que celle qu’il se raconte, oui, trois fois oui. Parfois ! Gardons cela comme une possible intervention parmi d’autres, mais pas la « clé des champs ».
Ma façon d’intervenir serait plutôt d’aider à quitter la synchronie pour aller vers la diachronie, c’est-à-dire passer d’une histoire que le client se raconte en boucle et ou la dimension temporelle est absente générant « un jour sans fin », pour passer à la ré-inscription d’événements dans l’histoire de la personne réintroduisant ainsi la dimension temporelle.
Relier des événements entre eux pour créer une nouvelle histoire qui continue à s’écrire et continue même après la mort de la personne, car elle continue tant que l’on parle d’elle oui. Belle et vivante est alors cette histoire. Belle aussi est la vie des personnes.
Nicolas Koreicho :
En effet, peu de choses existent sans temps, sauf une, qui est de taille : l’inconscient. Il est lui atemporel et anhistorique. Des éléments en sont inscrits, qu’on peut éventuellement dater, mais nos cellules, notre corps, notre esprit en sont pénétrés, et à jamais.
La vie n’a pas de sens tant qu’on ne l’a pas saisi. Ensuite, à partir de ce qui est saisissable, tu as raison de dire qu’il faut jouer à l’aiguilleur et garder, distribuer, approfondir, transmettre, en tant que de besoin et, comme tu le soulignes, en fonction d’une utilité.
Oui, l’intuition c’est un de nos trésors, comme ce que l’on ressent. Cela nous appartient, et il faut y tenir dur comme fer. C’est une chose que l’on peut garder et donner aussi. Ainsi, le moi se renforce, et la confiance suit, le dialogue ne peut que s’y retrouver.
Très belle idée de vouloir permettre à – je préfère à aider – l’autre à passer de la synchronie bouclée, trop inscrite et obstinée, à la diachronie, qui réinscrit les événements dans la vraie vie et dans le présent qui se poursuit sur une histoire réappropriée. Je suis cependant étonné par la licence – c’en est une, n’est-ce pas ? – qui te fait dire que la vie des personnes est belle, j’y veux voir autre chose que de l’optimisme et j’y trouve moi de la poésie ce dont je suis, comment dire, comme deux ronds de flanc !
Nicolas de Beer – Nicolas Koreicho – Mars 2009 – Institut Français de Psychanalyse©