Irma Grese, un moi féminin ou la métamorphose en un monstre nazi

Olivier Fourquet – Mai 2025

Irma Grese, Miguel Garcia Vega©

L’une d’elles, surtout, attirait les regards. Irma Grese, une jeune femme âgée de 22 ans, élégamment habillée, aux traits gracieux, aux yeux bleus, dotée d’une chevelure blonde bouclée. Derrière ce masque du « visage d’ange » se dissimulait la férocité agentique d’une auxiliaire SS, surnommée la « Hyène d’Auschwitz ».

Nous sommes durant la période de guerre de 39/45, où, selon Jacques-Alain Miller[1], « l’un tout seul » avait décidé de sa loi et de ses crimes atroces de tout un peuple. Sans l’identification au père symbolique, écrit l’auteur, le sujet demeure seul, avec sa jouissance, ses « plus à jouir » hors castration. Une jouissance liée à une épreuve traumatique primaire qui se répèterait comme une forme d’addiction. Le sujet serait en panne de l’autre ! Le récit d’un homme, celui transfiguré en dictateur et incarnant une déconstruction psychique : il orchestrera la désintégration des autres dans de multiples inclinations vers la perversion et certaines dispositions pathologiques. Cet homme aurait-il voulu être quelqu’un d’autre pour supporter le peu de lui-même ?

Le mot est écrit : « perversion », ou le narcissisme d’un moi clivé qui s’était mis en scène de façon hystérique pour s’offrir en spectacle pour haranguer la foule. L’homme se fera le porte-parole du groupe et ainsi hurlera ses discours pour être vu et entendu par l’excitation d’une foule délirante. Une disposition psychique pour venir se faire l’objet du manque pour l’autre. Selon Sigmund Freud[2] : « Les rapports de l’individu à ses parents, ses frères et sœurs, à son objet d’amour, à son professeur, son médecin, donc toutes ses relations qui ont fait l’objet privilégié de l’investigation psychanalytique, peuvent revendiquer d’être considérés comme phénomènes sociaux. »

La personnalité du dictateur aura inoculé l’illusion au peuple qu’il possédait « le manque », celui d’un « nous » collectif qui aurait pu apaiser l’angoisse des « je ». Le signe de ralliement, le cri du nom du bourreau ainsi qu’un bras levé raide tel « un phallus » fait signe d’une pulsionnalité scopique pour la jouissance symptomatique du despote. Rappelons-nous que le phallus est un objet encombrant, inexistant pour les deux sexes. Il indique le « ratage » de l’objet de satisfaction, celui après lequel chacun(e) court et qui fera « trou » dans notre rapport au réel.  Ce « trou » signifie pour Jacques Lacan le « manque-à-être », ce qui fait que nous sommes des êtres de désirs. Nous viendrions combler notre manque fondamental, et cela, sans jamais l’assouvir complètement. Pour l’auteur, nous ne sommes pas des êtres pleins.

Nous sommes traversés par le langage en quête de ce manque originel. Et tout l’enjeu pour l’animal parlant que nous sommes sera d’atteindre la castration symbolique de ce manque imaginaire…

D’après Laurence Kahn, les plus grands tyrans du XXᵉ siècle, qu’ils soient paranoïaques, sadiques, pervers narcissiques ou gravement complexés, ont tous souffert de névroses liées à leur sexualité.

L’Office of Strategic Services (OSS) des États-Unis écrivait que Hitler aurait apprécié les actes engageant « la défécation », qualifiés de « sexe caca ». Notons que le contrôle sphinctérien confère à l’enfant une perception de maîtrise et d’autonomie. Les pulsions anales nous révèlent les conflits internes liés au contrôle, à la maîtrise de soi et aux liens avec l’autorité parentale. Mein Kampf parle d’une idéologie qui se veut vraie ou reflète une obsession pour le contrôle total et la toute-puissance mondiale.

Le monstre représentera une figure fascinante pour l’excitation de la masse qui exercera une fonction désobjectivante, une libido vers la dérive morbide. Notons que la pulsion de mort exprime une organisation psychique pour l’autodestruction, à un état inorganique, voire à l’agressivité. Sigmund Freud[3], dans Psychologie des foules et analyse du moi (1913), déploie que les foules provoquent l’effacement, voire la disparition des différences individuelles. Hitler fera vivre une tension entre son moi et l’objet « foule » où il se fera objet du manque de l’autre. Durant cette période de chaos, nous pourrions énoncer l’emprise et la jouissance libidinale d’une identification du moi aux autres moi ; une continuité de collage à l’objet d’amour premier, une persévérance de relation initiale fusionnelle à l’âge supposé adulte. Par sa voix, l’autocrate va incarner l’objet primordial pour une masse en difficulté de tolérer l’indifférenciation, la séparation, voire son individuation. Ainsi, pour de nombreux Allemands, les institutions démocratiques n’ont pas su apporter une vie meilleure : celles-ci seront remplacées par la dictature d’Hitler. Disposé à renoncer à leurs droits individuels et à leurs libertés, le peuple attendra que le dictateur relance la dynamique économique. Ensuite, qu’il mette fin à la menace communiste pour rendre à l’Allemagne sa puissance et sa fierté[4].

Aujourd’hui, la foule des réseaux sociaux ne représenterait-elle pas l’architecture narcissique d’un « nous » en difficulté pour accéder à un « je » prenant la parole en première personne ? Ces tissus sociaux numériques figureraient des « scènes » où le moi consentirait à s’exhiber. La quête serait de chercher la reconnaissance qui sera validée par le groupe à travers des « likes » et autres commentaires. L’individu s’effacera derrière une identité façonnée et qui transformera le « je » en un « nous » narcissique, où l’appartenance et la validation vont primer sur l’identité du sujet. Il demeure alors le produit d’une dialectique entre le moi et la vue collective et qui, dit « produit », nous amène à penser « la persona » selon Carl Jung ou « faux self » selon Winnicott.

Dans son article sur « La société du spectacle », Guy Debord (1967) atteste que la société contemporaine modifie nos vies en représentations continues, où l’image prévaut sur l’épreuve réelle. Les réseaux sont un théâtre sur lequel nous projetons un personnage idéalisé approchant de la perfection. Qu’en est-il alors de la sublimation ? La sublimation, selon Sigmund Freud, est le processus par lequel nos désirs et pulsions refoulés seraient transformés en actions civilisatrices et autres objets de créations socialement valorisés. Selon Jacques Lacan, la sublimation s’articule indéfiniment avec la répétition d’un manque sans pouvoir le combler.

Sur ces réseaux, la sublimation semble prendre la forme d’une auto-représentation idéale qui permettrait de dissimuler nos angoisses, nos failles à travers des images retouchées, voire mythifiées. Serions-nous dans une société dite moderne où l’homme serait augmenté dans une organisation psychique avec des sujets « hors de » et du coup hors symbolisation ?

Actuellement, notre sphère sociale nous dévoile que toutes ces mutations technologiques et idéologiques viendraient fragiliser le champ du langage. La langue, lorsqu’elle vient toucher le corps, agis sur nos affects : elle peut aussi bien intoxiquer que revitaliser les sujets dans un espace de créativité. Ces évolutions transhumanistes pourraient conduire l’homme vers des voies psychiques pathologiques où celui dit « augmenté » sera séparé d’un processus nécessaire de symbolisation. Une dynamique psychique qui ouvre un lien significatif pour la construction d’une subjectivité.

Irma Grese, d’adolescente à gardienne de camp de concentration

Irma Grese illustre le parcours de certaines jeunes femmes devenues auxiliaires des crimes nazis. Née de parents agriculteurs à Berlin, elle avait été décrite comme timide. En 1936, à treize ans, sous ses yeux, elle vivra le traumatisme du suicide de sa mère. Elle aura vécu la violence réelle de la perte de l’objet sous son regard. La chute de la figure maternelle (« mater » et éternelle) qui lui fera perdre brutalement la douce idylle voire l’illusion de son lien mère/fille.

Son père, Alfred Grese, fervent catholique conservateur, infligeait une éducation rude et violente, corrigeant ses enfants pour se faire obéir. La transmission des traumatismes restés à l’état brut dans l’inconscient de ses parents, dans l’impossibilité de mutation en éléments alpha, selon Wilfred Bion, aura été transmise à Irma. Elle aura hérité d’un poids historique, émotionnel, traumatique, enkysté à « l’état brut » sans symbolisation, ni élaboration. En héritage pour cette jeune femme, des troubles psychiques qui se révéleront durant ses années comme gardienne de camp.

Des traumatismes psychiques n’auront eu de cesse de s’inscrire dans le corps d’Irma. Ce qui l’amènera sur la scène idéologique nazie, c’est la construction d’une persona, selon l’expression de Carl Jung. La persona serait un outil adaptatif pour paraître socialement doté d’une construction psychique clivée.

Elle abandonnera l’école à l’âge de 15 ans. Elle exercera pendant deux ans la fonction d’aide-soignante dans un sanatorium de la SS. Son rêve était de devenir infirmière, la bourse du travail rejettera sa demande. À cette époque, la société allemande est imprégnée par la doctrine nazie. Irma, en demande de reconnaissance et de repères, se laissera séduire par les serments du régime et leurs substances empoisonneuses. La fragilité d’Irma n’aurait-elle pas été instrumentalisée par un discours politique où le langage aurait façonné en elle un désir hypnotique autre ? N’aurait-elle pas été en proie au désir de ses manques où ses mouvements de manque l’auraient dominée ?

Elle correspondra à l’idéal des critères physiques des nazis, (« ça colle »). Un ça qui n’aurait pas décollé d’une instance moïque et qui la conduira à répondre à celle correspondant « au père idéalisé » pour un travail près du camp de femmes de Ravensbrück. Elle occupera l’emploi de gardienne des femmes avec la promesse d’une bonne rémunération et d’un hébergement, des éléments gratifiants offerts à la malléabilité d’une jeune femme de la ruralité. À noter que son « papa », antinazi, s’y opposera. Il la reniera, elle le dénoncera.

Serait-ce le conflit œdipien, hors la loi, enfermé derrière les barreaux ? La « loi du père », d’un point de vue symbolique, ne pourrait coexister avec la violation réelle de l’inceste, ce qui relèverait d’une pathologie criminelle et non d’un processus civilisateur. Alors, c’est la voix, le discours entendu d’un autre père monstrueux qui imposera ses vérités qui lui feront vivre sa destinée délirante. Pour Irma, cette perception auditive pourrait être entendue comme un langage qui serait venu toucher le corps ; un lien avec l’affect. Rappelons-nous que ce premier son est celui qui viendra soutenir les liens originels à l’Autre, ses angoisses, ses désirs, alors même que les mots ne sont pas encore présents. En ces instants, ne serait-ce pas la voix « d’un maître » entendue sous une forme hypnotique, assujettissante, jouissante ? Jacques Lacan parle de la voix comme d’une pulsion invocante différente des pulsions anales et orales. La demande psychique initiale (infans) est adressée à l’Autre où celui-ci transformera le cri en paroles signifiantes, ce qui inscrira le sujet dans le langage. Dans le cas qui concerne Irma, on pourrait penser avoir entendu un hurlement commun dans la continuité d’un malentendu ; une conduite du côté de la confusion des langues ! Une langue, autre, qui aura été parlée à sa place.

Notons que le langage précède le sujet, assujetti aux lois, et qui organisera le rapport à soi et à autrui. Lacan, lui, parle de la destinée tramée par le langage, comme si dans la vie, nous cheminions en suivant des trames filaires d’un large tissu conçu avant l’arrivée d’un moi en révélant son propre fil. Bourdieu exprime que « le langage est un code de mal entendu, de sous-entendu », etc.

L’organisation psychologique d’Irma paraît construite du côté de la psychose, par la racine d’un délire, du côté d’une surcompensation d’un « noyau profond d’angoisse », plaçant lien entre extériorité et intériorité, selon Marc Lebailly[5]. La question posée : « Où serait passé le sujet, celui qui devait se détacher du nous, celui de la perte pour trouver un sens de l’existence ? »

La démonstration d’un « je » sacrifié pour la place d’un « nous », une identification pour Irma au totalitarisme et à leurs violences, un ça négatif, infantile, demeuré actif. Une « liberté » pour sa personnalité psychotique de celle qui n’aura pas été prise dans la chaîne signifiante. Le fou, dit Jacques Lacan, serait celui qui ne serait pas aliéné comme le névrosé qui, lui, pourrait l’être.

Jacques Lacan : « Les hommes libres, les vrais, ce sont précisément les fous ». Il n’y a pas de demande du petit a, son petit a il le tient, […]. Le fou est véritablement l’être libre. […] « Disons qu’il a sa cause dans sa poche, c’est pour ça qu’il est fou[6]. »

Les décharges pulsionnelles d’Irma agiront vers des dispositions perverses polymorphes. Selon Freud[7], la perversion serait une régression à une fixation antérieure de la libido.

Pour Irma, c’est l’investissement dynamique d’une régression, de ses fixations qui vont se développer du côté de la perversion dans le sens psychopathologique. Le narcissisme pervers d’Irma sera organisé sous la pulsionnalité d’emprise, sadique, agressive qui se manifestera dans la relation aux objets, notamment des femmes prisonnières dont elle est la gardienne.

Si Baudelaire exprime son attirance, sublimée, pour les « choses » sombres ou immorales dans Les fleurs du mal, Grese sera dans le réel décrite comme la surveillante la plus cruelle d’Auschwitz. L’un des témoins lui attribuera jusqu’à trente décès par jour. La femme, l’aide-soignante, va se montrer perverse dans ses exactions.

Un moi en déliaison accolé à un processus primaire pour des satisfactions pulsionnelles immédiates. Un retour infantile transféré sur ces détenues pour exercer des répétitions et autres excitations, jouissances symptomatiques subies.

Une construction subjective psychique perverse restée fixée en déni de la castration symbolique. Rencontrer la toute-puissance despotique de ce « père » n’était-ce pas incarner et se faire objet pour venir combler son manque ? Une disposition perverse crée comme un dispositif visant à confronter ce « père » et ses lacunes, pour ensuite s’offrir comme l’objet capable de le compléter en jouissant tant de sa mise à mal que de l’action censée venir la colmater. « Une hystérique, c’est une esclave qui cherche un maître sur qui régner[8]. » Dixit Jacques Lacan.

Irma Grese était considérée comme une femme sadique, monstrueuse, prenant un plaisir à infliger des souffrances. Luba Triszinska, une survivante de l’Holocauste, a affirmé lors du procès de Bergen-Belsen qu’Irma Grese avait une habitude sadique qui consistait à assassiner les détenus en les abattant de sang-froid. Elle aimait aussi utiliser un fouet tressé pour écraser les seins des femmes, de préférence de belles juives et bien faites, jusqu’à ce qu’elles meurent. L’instance surmoïque tyrannique dotée d’une jouissance mortifère, où la répétition du passage à l’acte ainsi que le sadisme extrême d’Irma nous révèlent la domination de Thanatos sur la pulsionnalité d’Éros. Irma Grese aura perdu le contact avec la réalité, elle l’aura réorganisée selon ses propres lois (délires, hallucinations, perversion), à cause d’un élément fondamental d’une réalité symbolique qui lui aura fait défaut. Ces troubles traumatiques l’auront fait chuter du côté de la perversion ou version du père dans un noyau psychotique.

Toutes les exactions qu’elle aura fait subir à ses prisonnières vont s’inscrire dans un lien pulsionnel infantile enfermé du côté d’un moi narcissique primaire (destructivité de l’objet) en tuant le père réel, l’originel du langage !

Les cibles privilégiées d’Irma Grese comprenaient aussi bien les personnes en bonne santé, les malades, les faibles et les incapables qu’elle visait sans distinction dans ses manœuvres cruelles. Ceux qui, malgré leur faim et leurs difficultés, continuaient à manifester un peu de leur beauté d’antan, étaient les premiers à être sélectionnés[9]. L’agressivité d’Irma était dirigée vers la haine de la beauté rescapée et d’un désir de destructivité de l’objet manquant où elle exercera sa toute-puissance. Une destruction sadique visant à annihiler toutes les formes de jalousie et de frustration. À entendre certains témoignages, celle-ci aurait violé certaines détenues, alors ses viols commis ne seraient-ils pas ceux d’une pulsionnalité enracinée par la conflictualité profonde d’une homosexualité inconsciente ?

Relevons que les barbaries commises par Irma Grese ont poursuivi les survivantes, à troubler leur existence largement après la fin de cette guerre. Cette jeune femme aura présenté la figure archaïque d’un moi monstrueux qui aura dévoilé ses ombres et ses pulsions pathologiques les plus caverneuses. La fiction d’un sujet entre ses tensions, ses conflits intrapsychiques et toutes ses dérives. Ainsi que la perte dyadique de ce lien qui s’était élaboré. Élaboré tel un mythe de quelque chose qui n’existait pas au début et qui s’était construit, l’impensable de la chute !

Rappelons-nous que Jacques Lacan disait que nous jouissons de nos symptômes non pas dans un sens plaisant, ils viennent combler un vide, donner un sens qui viendrait mêler le corps et le langage…

L’histoire d’un sujet féminin qui aura été confronté à la folie d’événements traumatiques et qui aurait été dépossédé, voire désorganisé psychiquement. Comment être à nouveau ? Alors, c’est un processus de défense qui prendra place avec une identification aux agresseurs. Suivant Sándor Ferenczi[10], l’identification à l’agresseur permet au sujet de survivre psychiquement à l’agression en s’identifiant à l’adulte agresseur. Ce mécanisme prendra une place chez Irma qui aura été confrontée à des dangers et à des traumatismes.

Ce propos aborde la trajectoire du moi d’Irma confrontée aux traumatismes parentaux enkystés, qui aura produit un vertige existentiel, une perte de repères entraînant un recours à des mécanismes de défense. L’identification aux agresseurs s’inscrira au cœur de son processus psychique dans une dynamique première, celle de la figure du « papa » originaire puis celle du « père » phallique ou fantasmatique.

Notons que pour le moi de l’enfant, le « papa » aura un rôle fondamental. Il évoquera la protection, ainsi qu’une première altérité pour le petit d’homme. Il créera les premiers fantasmes, les attentes, etc. Progressivement, l’évolution psychique mènera l’enfant vers le complexe d’Œdipe. Ainsi, la figure du père se modifie : il sera le « père » phallique, le détenteur du signifiant phallique, l’incarnation de la Loi et l’interdit de l’inceste. La rupture permettra à l’enfant de se libérer du collage à la mère. Ce « père » n’est plus réduit à un individu réel. Il devient une instance symbolique qui produira le désir avec l’accès au langage, et à la pensée pour une subjectivité.

Cette identification à l’agresseur recoupe plusieurs mécanismes visant la condamnation à réprimer des pulsions de l’espace psychique intérieur, ainsi qu’une défense contre les objets extérieurs créateurs d’angoisse. Irma évoluera ainsi du statut de victime à celui d’agresseur en s’appropriant certaines propriétés du pouvoir de l’autre. La démonstration d’une fixation d’un narcissisme primaire, qui l’amènera à se construire en monstre vis-à-vis de son semblable, dans la forclusion d’une subversion libidinale et l’exclusion de ses affects. Le vécu pour Irma d’un pervertissement du moi par tout son sadisme agressif. Entrer au sein de ce parti, c’était interdire son « je » pour un « nous » avec ses normes, opposé à un autre nous, devenus eux ; les mauvais objets juifs. Le sacrifice en marche d’un « je » pour endosser l’habit physique, psychique d’une uniformisation au féminin. La ritualisation d’un « encore/en-corps » pris dans la répétition, où le corps sera tenu par la répétition et ses angoisses.

Employer le mot féminin dans l’histoire d’Irma Grese revient à la ramener à la singularité d’une identité. Une différence avec la féminité qui pourrait être envisagée par des rôles, des attitudes et autres mascarades définissant la femme. Si Sigmund Freud admettait que le féminin était resté pour lui un « continent noir », voire une « énigme » pour Jacques Lacan, « la femme n’existe pas ». En effet, celle-ci nous montre son unicité en dehors des structures symboliques d’une société et de ses normes culturelles. En d’autres termes, « La Femme » avec un grand « L » pourrait représenter toutes les femmes de manière uniforme, ce qui n’existe pas car la féminité est multiple et ne peut être réduite à une seule essence.

Irma Grese va nier les accusations déclarées contre elle et se présentera comme une simple exécutante, une fonctionnaire ordinaire. « C’était notre devoir », dira-t-elle lors du procès. L’état agentique d’Irma l’aura conduite du côté d’une identification surmoïque collective. Elle aura intégré les normes et autres ordres d’une autorité, une identification qui l’aura anesthésié de toute forme de culpabilité. Hannah Arendt parle de « banalité du mal ». C’est l’histoire d’Irma, une personne ordinaire qui aura commis des actes sanguinaires monstrueux. Sous l’emprise d’une autorité absolue, de la défaillance du moi, elle s’est trouvée aliénée par une toute-puissance. Elle n’aura été qu’un instrument, un objet façonné aux discours idéologiques hypnotiques entendus de la voix de son « maître » !

Elle écrira une dernière lettre à son papa avant son exécution ou la répétition d’une quête de reconnaissance du père symbolique demeuré dans sa psyché. Elle déclarera partir « courageuse, innocente et toujours fière », et demandera à son père de ne pas avoir honte d’elle.

Le 13 décembre 1945, au moment de sa pendaison, sa présentation glaciale, teintée d’une certaine arrogance, choquera l’opinion publique qui la qualifiera de « monstre ».

Qui est monté sur l’échafaud « La hyène d’Auschwitz » ou le corps d’une femme attaché à la psyché de la petite « fille à papa » ?

« Le moi n’est pas maître en sa demeure », disait Sigmund Freud.

Olivier Fourquet – Mai 2025 – Institut Français de Psychanalyse©


[1] Jacques-Alain Miller, L’Un-tout-seul. L’Orientation lacanienne », Édition de la Martinière, 2017

[2] Sigmund Freud, Essais de psychanalyse, Petite Bibliothèque Payot, 2001

[3] Sigmund Freud, Psychologie des foules et analyse du moi, Édition Payot, 2012

[4] https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/question/what-conditions-and-ideas-made-the-holocaust-possible

[5] Marc Lebailly, Esquisse d’une clinique psychanalytique structurale de la paranoïa, séminaire, 2016

[6] Jacques Lacan. Le Séminaire, livre III, les psychoses, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1981

[7] Sigmund Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle, Edition Payot, 2014

[8] Jacques Lacan, Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, (1969-1970)

[9] https://historiahoy.com.ar/la-historia-irma-grese-la-temida-y-sadica-miembro-las-ss-que-trabajo-los-campos-concentracion-n4376

[10] Sándor Ferenczi, Confusion de langue entre les adultes et l’enfant, Paris, Payot, 1982

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