Guy Decroix – Mars 2025
« Ce que dit Freud en mille, deux mille endroits de ses écrits, que le moi est la somme des identifications du sujet, avec tout ce que cela peut comporter de radicalement contingent. »
Jacques Lacan[1]
1ère partie
Introduction
Des causes de demande exponentielle quasi virale de changement de sexe

- Influence anglo-saxonne
- Un mouvement de délégitimation des parents :
. Un mouvement sociétal
. Un discours politique - L’affaiblissement des grands récits
- Triomphe de la science et de la médecine
Introduction
Par une désaffiliation des individus et une désinstitutionalisation progressive de nos sociétés, (entendons sommairement par institution ce qui fonde, ce qui forme, ce qui maintient), articulées à une « société des individus » définie par Marcel Gaucher, les sujets s’insinuent aujourd’hui dans ce qui fait symptôme l’autodétermination, la violence, les liens forts mortifères corrélés à la désymbolisation, la défaillance de la subjectivation, le ratage de l’intériorisation des limites, voire l’errance pour certains qui risquent de s’agglutiner dans une « co-errance » communautaire. Ne pourrait-on pas entendre « j’errer » dans l’usage particulièrement fréquent du signifiant gérer ses enfants, sa vie, son travail ?
Une des pathologies du contemporain aura conduit à s’éloigner d’un certain enracinement cher à Simone Weil pour qui le lieu fait lien, du sens des limites protectrices, des rites et formes, ouvrant à une humanité que Zygmunt Bauman[2] aura nommé « La vie liquide », dans laquelle excellera la fluidité de genre et l’absence de tout point de fixation.
Outre la question de l’autodétermination qui sera notre préoccupation, le relâchement du lien symbolique, entendu comme chaîne signifiante prise dans le désir de l’autre et qui m’institue comme sujet, s’exprime par de nouveaux liens totaux mortifères : toxicomanies, fanatismes, sectes…
Cette fragilisation du lien s’exprime par ailleurs par l’accroissement de ce syntagme aberrant de « développement personnel », comme si le petit humain pouvait se développer hors tout lien affectif à l’autre.
La réapparition dans le Réel de la forclusion du symbolique s’exprime dans le corps. Tatouages et piercing peuvent être pensés comme régression du symbolique qui s’inscrit désormais sur la peau, les scarifications comme tentatives de prise d’autonomie et de contrôle de la douleur. Le « toxicomane » qui cherche à être « accro » reste en quête d’un objet de jouissance, illusion d’un comblement face à l’insupportable angoisse de castration. Expression d’un lien mortifère au produit, car comme l’énonce Daniel Sibony[3], ce qui rend nos liens vivants, « c’est que l’essentiel nous échappe… la part de l’Autre, et autres forces inconscientes où notre être se renouvelle ». Dans ce processus, « le toxicomane » participe à la destruction du lien social.
Nous pourrions repérer d’autres liens mortifères, dans le fanatisme et les sectes.
Toute forme de fanatisme pourrait se repérer dans l’impuissance à supporter une certaine distance à son Dieu, et où l’individu tente de réparer cette carence, à l’aide d’un lien fanatique en « disposant » du fanum, le temple en soi, dans un fantasme de disposition intégrale de son identité, de son origine, de ce qui fonde. « La condition humaine » d’André Malraux nous rappelle que le lien nécessite des conditions créant un bord et que toute inscription dans un groupe humain demeure toujours conditionnelle, à la différence du militant qui peut être conduit à occulter les limites.
Enfin, la secte permettra de rassurer les membres sur leur « identité », et de proposer un lieu de reconnaissance et d’inscription. Ce type de rassemblement aura quelques échos avec notre domaine exploré. Souvent administrée par un obsessionnel, celui qui dit « je sais », le sujet supposé savoir, prend le pouvoir sur l’autre. Étrangement, le planning familial actuel à l’instar d’une société savante énonce sur l’une de ses affiches « Au planning, on sait que les hommes aussi peuvent être enceints ».
Notre propos sera de mettre l’accent sur l’autodétermination sexuelle et la question du genre. Nous interrogerons dans un premier temps certaines causes de demandes exponentielles de « changement de sexe », avant de surplomber des éléments de contexte idéologique favorables à l’accueil de ce « moment trans ». Remarquons en avant-propos, cette énigme d’individus qui viennent à se penser comme autosuffisants dans un moment historique « matriarcal » où l’individu n’a jamais été aussi dépendant de l’État dans toutes les modalités de sa vie.
Notre époque contemporaine est traversée par de nouveaux phénomènes, liés aux changements sociopolitiques et aux vacillements des structures familiales. De nouveaux tableaux cliniques émergent, en particulier celui de la transidentité, qui apparaît comme un des paradigmes psychopathologiques de nos sociétés immergées dans un nouvel imaginaire de la postmodernité. Une clinique de l’auto-référence déclinée sous différentes formes : autodétermination, autonomisation… Cette transidentité, qui pourrait apparaître comme un « malaise dans l’identification » ne laisse pas indifférent, en tant qu’elle percute des représentations millénaires, mais essentiellement parce qu’elle révèle un point d’angoisse à toute identification sexuelle chez l’autre, en donnant à voir dans le réel ce qui est de l’ordre généralement du fantasme. Par ailleurs, la société et le politique progressistes vivant le progrès comme obligatoirement positif, s’emparent de la question, faisant du trans la figure de l’une des minorités à défendre au non d’un égalitarisme, véritable religion de l’égalité. Dans l’expression d’une américanisation wokiste des esprits, un député aura envisagé de faire inscrire le droit de choisir son genre dans la constitution. La psychanalyse est interpellée, dans la mesure où dans ce mouvement, la division subjective est particulièrement fragilisée.
Notre propos n’interrogera pas la question trans, versus souffrance, déjà travaillée par certains auteurs. Ces derniers ont pointé l’aide médicale scandaleuse et irresponsable à transitionner chez les enfants. D’autres, ont repéré la « détransition » de sujets qui reviennent à leur identité sexuée initiale, pour qui le malaise avait été diagnostiqué « dysphorie de genre » par le DSM, et qui après un long traitement hormonal, réalisent leur erreur de parcours.
D’après ces auteurs, près de 85% qui « dé-transitionnent » expriment leur malaise sous l’expression « je n’arrive pas à soutenir ce que l’on attend de moi » et désirent faire table rase de leur erreur d’orientation. Rappelons qu’en deçà du genre, il (garçon) ou elle (fille), existe un imaginaire des parents et la tentative pour l’enfant de se conformer à cette attente. Comment appréhender aujourd’hui cette difficulté à soutenir cette attente ?
Enfin, dans une étude récente, le professeur Sallie Baxendale[4], professeur de psychophysiologie clinique à l’University College London, dénonce les bloqueurs de puberté comme étant responsables d’une baisse très importante du quotient intellectuel chez des adolescents « traités » par ces composés chimiques.
Nous souhaitons plutôt nous interroger sur les causes exponentielles de ces demandes de transition en lien avec des mutations familiales, sociétales, civilisationnelles, demandes toujours accrues d’autonomie dans un processus « d’autonomisme » à l’instar du progressisme comme ferveur du progrès. Ce phénomène s’est accompagné d’un affaissement des grands interdits structuraux nécessaires pour accéder à l’humanité et construire le sens de la Loi symbolique et des lois sociales.
Faute de ces étayages vitaux (containing de Bion et holding de Winnicott) relayés par la culture pour conduire à une autonomie dans l’interdépendance, certains jeunes rechercheront d’autres limites en créant de nouveaux liens totaux mortifères, d’autres s’engageront dans ce phénomène de transition.
Nous tenterons dans une seconde partie de circonscrire des éléments de contexte idéologique actuel favorables à l’accueil de cette nébuleuse trans et de son idéologie.
Nous reprendrons occasionnellement quelques extraits de notre article précédent « Wokisme et cancel culture : une déraison mortifère[5] » où nous avions évoqué « la théorie du genre ».
Rappelons notre position : tout majeur autonome peut vouloir « changer de sexe » sans qu’une autorité de quelque nature puisse interférer dans cette option. Le psychanalyste pourrait en répondant à la demande du candidat au transgenrisme, conduire ce dernier à être sujet de son discours à l’instar du geste freudien devant l’hystérique. En revanche, le scandale porte sur le risque sanitaire et physiologique de mineurs vulnérables, aux corps sains, en raison de leur profond mal-être, de devenir patients à vie, voire stériles à cause des traitements hormonaux. L’idée d’interdire ces traitements ouvre à la liberté de choix des jeunes adulte.
« Celui qui promettra à l’humanité de la délivrer de l’embarrassante sujétion sexuelle, quelque sottise qu’il choisisse de dire, sera considéré comme un héros. »
Sigmund Freud, 1914.
Michel Foucault, dans un geste militant, illustrera le passage d’une société de la loi symbolique constitutive du sujet, loi marquée d’une transcendance, d’une négativité, à une société des normes productives, immanentes rendant possible la « disjonction du sexe et du genre[6] », ainsi que l’émergence de la pensée du genre présentée comme une construction sociale à déconstruire.
Dans un fantasme de toute-puissance d’engendrement infantile, une visée de la transidentité sera de congédier toute finitude, la différence des sexes, toute référence à l’origine, le système social construit dit « oppresseur », et de reconstruire un monde nouveau avec ses codes culturels, sa langue (« iel », « cisgenre » …), son écriture inclusive, ses rapports sociaux dans une civilisation occidentale où les marges, la « fluidité de genre » et l’indifférencié deviendront les nouvelles normes. Notons cette étrange volonté de vouloir réintroduire le sexe, dans l’écriture inclusive, là où les néo féministes et transgenres n’ont de cesse de vouloir l’occulter. Cette idéologie du signe « e » dans l’écriture inclusive, comme s’il représentait la femme, relève d’une pensée pseudo anthropomorphique, d’une imposture narcissique et assigne à résidence sans levée d’écrou possible, « l’auteur(e) » « réduit(e) » à la femme sans espace de jeu.
Des causes de demande exponentielle quasi virale de changement de sexe
Quelques chiffres : depuis une dizaine d’années, dans l’ensemble des pays occidentaux, les jeunes générations sont de plus en plus nombreuses à s’identifier « trans », et à solliciter des traitements hormonaux et chirurgicaux, à des fins d’adéquation entre leur sexe reconnu à la naissance et leur ressenti de genre.
Dans leur ouvrage La fabrique de l’enfant transgenre[7], Caroline Eliacheff et Céline Masson alertent sur les dérives de ce « transgenrisme » beaucoup plus massif chez les jeunes filles (plus du double), que chez les garçons. L’assertion « je ne veux pas être une femme » relèverait de préférence du registre de l’anorexique, sinon du refus d’un modèle femme présentée aujourd’hui comme victime, potentiellement violable par des hommes prédateurs. Notons que ces jeunes filles s’expriment sur un mode négatif par le « je ne veux pas être une femme » plutôt que « je veux être un garçon ».
A l’inverse, cette figure de victime érigée en héros de notre temps, donne à certains jeunes le sentiment d’exister et autorise en tant que minorité à une demande de droits.
Dans un article, sur le procès actuel concernant les viols dans le village de Mazan, Camille Kouchner[8] pointe ces violeurs présumés : « Ce sont simplement des hommes ». Un sophisme possible où « Tous les hommes sont ordinaires, donc tous les hommes sont des violeurs en puissance », illustrerait ainsi « la culture du viol », la domination masculine et la femme victime. Or, tous les hommes rencontrant l’annonce écrite du mari n’ont évidemment pas répondu. En faisant un pas de côté, ne pourrions-nous pas avancer l’hypothèse avec Daniel Sibony[9], de quelques hommes captivés par le fantasme infantile incestueux et précoce du fils couchant avec sa mère en présence du père, réalisé dans un montage pervers ?
Pour Nicole Athéa[10], ce phénomène correspondrait à des « dysphories pubertaires », ce qui permettrait de mieux cerner leur problématique identitaire et ouvrirait ainsi un champ clinique nouveau.
Selon les pays, sur une période de 10 à 15 ans, le diagnostic de « dysphorie de genre » qui traduit le sentiment d’inadéquation entre le sexe de naissance et le ressenti a augmenté de 1000 à 4000%[11] et passé d’environ 10 demandes par an il y a 10 ans, à 10 demandes par mois en 2020.
La population américaine s’identifiant comme transgenre a doublé en 5 ans soit 1,4% en 2016[12]. Rappelons que le diagnostic clinique de dysphorie de genre se manifeste dans l’ensemble des sociétés entre 2 et 4 ans, et que son apparition plus tardive pourrait être en relation avec les pressions sociétales.
Selon un sondage IFOP de novembre 2020, sous le titre « Fractures sociétales, enquêtes auprès des 18-30 ans », pour le journal Marianne[13], plus d’un jeune adulte sur cinq (de 18 à 30 ans) déclare ne pas se reconnaître en tant qu’homme ou femme.
Comment identifier ce phénomène trans ? Mode passagère destinée à disparaître, épidémie sociale en nombre et visibilité par un effet d’imprégnation, amplifiée par les réseaux sociaux chez les enfants et adolescents ou « fait social total » selon l’expression de Marcel Mauss, dans la mesure où ce fait affecte un grand nombre d’institutions : politique, éducation, santé, économie ? Dans ce phénomène, certains jeunes sont vécus comme des héros, défiant l’institution scolaire. Pour appréhender ces regroupements, à l’allure sectaire (rupture avec l’entourage, désignation d’un extérieur hostile, intimidation à l’égard des éventuels fugitifs, discours « prêt-à-porter » désubjectivisé et identique pour chacun), Jean-Pierre Winter[14], empreinte à Freud la notion « d’identification par sympathie ». Il s’agirait d’une « prétention étiologique identique », d’une « appartenance communautaire nouvelle », d’une identification par le symptôme partagé d’être « nés dans le mauvais corps ».
Historiquement, des phénomènes de contagion semblables ont déjà émergé, sans l’amplification des réseaux sociaux, avec les religieuses possédées de Loudun au 17e siècle et l’hystérie au 19e siècle. Notons que le transsexuel actuel pourrait apparaître selon une nouvelle forme de l’hystérie, en tant qu’il pose la question inconsciente et fantasmée de l’identité sexuée, du « qui suis-je ? », « Homme ou femme ? ». Enfin, l’anorexie au 20e siècle pourrait s’assimiler à ce phénomène de contagion.
Dans ce cadre, on pourrait s’interroger sur l’usage fréquent de la forme adverbiale du terme « genre », synonyme de « sorte » ou « type », dans les échanges chez les jeunes générations. Faut-il y repérer un défaut de vocabulaire, une indigence réflexive, une difficulté de clarification ou l’emprunt au champ sémantique de la transidentité, au motif de l’omniprésence de cette nouvelle doxa ?
Influence anglo-saxonne
Christian Flavigny[15] fait remarquer à juste titre que nous assistons à l’incursion d’une conception américaine avançant l’idée d’une erreur de la nature. Le préfixe « dys- » dans dysphorie signerait alors une anomalie, un déficit à rééduquer au regard de la norme d’un enfant normal.
Le puritanisme normatif anglo-saxon aura conduit à emprisonner Oscar Wilde pour homosexualité, à condamner Bill Clinton pour une fellation reçue, au titre d’un comportement inapproprié et à remplacer le mot homosexuel par celui de gay moins troublant. Enfin, le signifiant « sexe » dans « transsexuel » sera recouvert par celui de « genre » dans « transgenre » plus facile à manier et moins gênant. Le genre, apparaît comme une forme de résistance à la sexualité toujours énigmatique, en devenant littéralement un « cache-sexe ».
Cette approche anglo-saxonne rudimentaire, sans véritable culture psychanalytique fondamentale, est plus apte à accueillir le caractère superficiel de la « théorie du genre ». Elle ne vise pas la genèse de la détresse affective à écouter, mais fonde le sujet à demander réparation à la société, via la médecine dans une visée adaptative. Cette demande de réparation, qui comme toute demande en cache une autre, pourrait signer un refus de la division subjective et de ses avatars ainsi qu’une volonté impossible à réaliser, la séparation du corps et du parlant.
Cette conception, où la sexuation est inféodée au cerveau qui domine le corps, conduit au narratif « mon anatomie doit correspondre à mon genre ». La dimension du ratage, qui est le propre de chaque sujet, est prise au pied de la lettre pour être corrigée et pousse à une intervention dans le réel au lieu d’être entendue.
Une certaine jeunesse, qui n’est pas insensible aux mouvements américains et encline à adopter facettes et notions du wokisme, accueille à son tour cette tendance trans, comme une contestation « prête à penser » ou à panser magiquement et artificiellement son malaise, écornant la légitimité des parents. Il est remarquable en effet d’écouter les discours convenus de l’autodétermination au cours des consultations.
Notons que, contrairement à la France à ce jour, les médecins des pays nordiques s’autolimitent dans leurs interventions médicamenteuses et chirurgicales à l’instar de certaines lois interdictrices aux États-Unis.
Un mouvement de délégitimation des figures parentales
Jean-Pierre Lebrun illustre parfaitement l’appréhension du phénomène trans en trois moments historiques :
– Psychose délirante jusqu’aux années 1970. Pour Lacan, la psychose « pousse-à-la-femme » en tant que modalité que peut prendre l’effet de la forclusion pour un sujet psychotique. Réévoquons la déclaration du président Schreber[16] « Que ce doit être une chose singulièrement belle d’être une femme en train de subir l’accouplement. »
– Second moment : « L’enfant modèle de la science » au cours duquel les prouesses médicales rendaient possibles les demandes du sociétal, de transformation du corps en conformité avec les aspirations et convictions de chacun.
– Enfin, « L’enfant modèle de la société des individus » où s’opère cette inversion radicale du « nous précédant le je » en un « je faisant le nous » devenant « le-nous du nous », dans une sorte de « nounou » communautaire qui noue au lieu de délier.
De quelle nature serait-ce un phénomène d’inversion ?
Hier, l’adolescent dont une partie de l’étymologie -croître- qui implique un processus de maturation psychique et physique, de deuils, de renoncements aux potentialités fantasmatiques bisexuelles (il s’agit de n’être plus que d’un sexe) devait traverser un moment conflictuel dans sa trajectoire de la sexuation et d’individualisation, en ébranlant momentanément les structures familiales, pour trouver sa propre voie. Aujourd’hui, ces structures familiales sont délégitimées par le discours sociétal et politique, qui lui offrent, voire soutiennent la possibilité de revendiquer d’être d’un autre sexe et de réaliser son « intime conviction » devenant alors sa réalité. Certaines associations aux États-Unis proposent même le terme de « dysphorie parentale », pour illustrer le renoncement des parents devant la pression sociale à prendre en compte la « vraie » nature de leur enfant !
On pourrait avancer l’hypothèse que certains jeunes « renoncent » à l’angoisse de castration par un attachement au corps d’enfant non sexué.
Un discours sociétal
Ce discours manifeste dans l’espace public se repère dans des mouvements ou organisations identificatoires pour les jeunes.
Une affiche réalisée par le planning familial, dans le cadre d’une campagne nationale de promotion et de sensibilisation à la diversité de la communauté LGBT+, représentant un couple au sein duquel un homme noir trans, « enceint-e » de huit mois, près d’une femme à barbe, est assortie de la légende : « Au planning on sait que les hommes aussi peuvent être enceints ».
Un autre texte précise : « C’est quoi [sic] cette idée, de lier le fait d’avoir des règles avec le fait d’être une femme ? » et « un pénis est un pénis, pas un organe sexuel mâle ». Dans le lexique du planning familial, on peut lire « le sexe est un construit social » et « un homme gay peut avoir une vulve ». La femme définie par « personne qui menstrue » est déshumanisée, scotomisée, réduite à des fonctions organiques. Expression d’une manipulation langagière orwellienne. Cette performativité idéologique du langage récuse l’existence de la réalité et de la vérité, en remplaçant la bisexualité psychique de chacun par la bisexualité anatomique. Nous assistons à une inversion du rapport au réel, où les mots se détachent de la réalité et deviennent objet de manipulation.
On sait que des éléments de langage déterminent partiellement la représentation du monde : « Faites-leur avaler le mot, ils avaleront la chose » disait Lénine. Ce « Plan Stratégique du Planning Familial » (2023-2025) rédigé en écriture inclusive confond le genre grammatical conventionnel avec l’identification sexuelle. Il est remarquable que sous le motif de liquider le privilège du masculin et de visibiliser le féminin, les tenants de la « fluidité de genre » proposent une langue illisible et « imparlable » par la destruction de sa musicalité et de sa fluidité ! C’est une illustration de ce désir de destruction, à des fins de recréer une langue, une écriture, une identité sexuelle dans un fantasme de maîtrise de l’humain, face à l’arbitraire d’une langue, du roc dur de la biologie. Cette écriture dite inclusive s’avère en réalité excluante et discriminante pour des élèves en difficulté d’apprentissage de lecture.
Notre temps semble vouloir satisfaire et promouvoir toutes les jouissances singulières, ouvrant à une nouvelle économie psychique. Hier, le planning familial des années 70 militait au droit à l’avortement pour tous, à la contraception, à la prévention. Aujourd’hui, dans une dérive idéologique radicale, tout opposant se voit psychiatrisé dans le registre de soi-disant « phobies ».
L’Eurovision de la chanson apparait comme une tribune pour les talents queer (« bizarre » en français) et des revendications minoritaires. Quelques lauréats de ces dernières années : 2014, la diva barbue Conchita Wurst, au nom signifiant « ça m’est égal », incarnait l’alliance du transgenrisme et du kitsch ; 2019, Bilal Hassani, égérie queer aura représenté la France en chantant « je suis free, oui, j’invente ma vie… quand je rêve je suis un roi » ; 2024, deux artistes dits non binaires, dont l’un exhibant le drapeau non binaire, s’autonome « Nemo », ne hemo « Qui n’est pas un homme » ou encore « personne » en latin… « Mes parents pensaient que si je n’étais personne je pourrais être n’importe quoi », avait-il expliqué en 2018 au magazine suisse Schweizer illustrierte. Par leurs déclarations, ces chanteurs prototypiques trans apparaissent comme des héros et modèles de liberté pour certains jeunes.
Les auteurs de « Le sermon d’Hippocrate[17] » illustrent par ailleurs l’influence des médias : « Nous n’avions pas non plus réalisé à quel point les médias de service public et une partie de la presse écrite et télévisuelle se prêtaient à la diffusion des discours trans affirmatif, notamment en direction des enfants. »
Le moment inaugural des Jeux olympiques 2024, aura été traversé dans son expression festive, par le wokisme, promouvant les identités LGBT+, offrant drag queen, femme à barbe obèse (expression de l’antivalidisme), transformisme, danseuse pervertissant l’ordre apollinien de la garde républicaine sur fond d’Académie française et bacchanales dionysiaques. Dans un entretien au Monde[18], le chef d’orchestre de la cérémonie présenté par le journal comme « un metteur en scène qui aime franchir les limites », assume ses tableaux en précisant que « notre culture est faite de cette fluidité de genres ». Esprit d’une époque, expression du kitch Desigual qui aurait pu être pointée par Milan Kundera dans L’insoutenable légèreté de l’être, comme exhibition d’un Occident perçu décadent par certains pays autoritaires, et offrant l’opportunité d’un exercice de haine contre l’homme blanc quinquagénaire, hétérosexuel et judéo-chrétien. A l’inverse, un vote surprise du gouvernement bulgare attisé par les Jeux olympiques de Paris aura conduit à interdire la propagande en faveur des LGBT+ à l’école[19].
La drag queen introduite dans les écoles, pour des lectures de contes, représente la version ludique militante de la théorie du genre, une des figures hypersexualisées de l’homme devenant femme ou réciproquement, exposées à de jeunes enfants, incarnant la post-modernité de l’homme délivré de toute détermination.
Un atelier de drag-queens aura été proposé aux enfants d’une MJC près de Bordeaux : occasion de découvrir le « monde des drag-queen », de créer leur « personnage », de participer à un « moment de réflexion sur le genre », de jouer avec « les stéréotypes ».Étrangement, ces tenants de la déconstruction invitent les jeunes enfants, à s’affubler des attributs vestimentaires féminins : talons aiguilles, maquillage…
Un atelier du même profil, dans une médiathèque de Toulouse, fut heureusement réorienté sous différentes pressions, afin de « n’accueillir qu’un public majeur ». Notons à ce jour que si en France il est encore possible de faire réorienter un atelier de ce type, en Ontario[20] une sanction financière à hauteur de 2500$ peut être appliquée pour toute critique de cette idéologie trans radicale, qui mettrait en œuvre des représentations au sein des écoles. Dans une dernière avancée woke de Disney pour répondre à l’inclusion et à la diversité, sont recrutés des acteurs transgenres dans le nouveau spectacle « la petite sirène » ainsi qu’un personnage transgenre dans Star Wars et une femme baptisée Sister à l’armure aux couleurs LGBT+ pour assumer son identité de genre. Enfin, répondant à l’air du temps, la nouvelle production Les brigands d’Offenbach, à l’opéra Garnier de Paris, nous immerge dans un univers queer.
Dans ces situations, le problème n’est pas celui du travestissement qui a toujours existé, mais le fait que la drag queen appartient au monde des adultes, souvent une des figures du cabaret et ne peut être le colporteur de l’idéologie trans. Notons que dans cette figure, où la pulsion scopique est à l’œuvre, le trans se soutient du regard de l’autre qui le valide, se faisant passer non pour un autre mais par un autre. Enfin, la sexualisation des enfants ne saurait être une des missions de l’école. La visée n’apparaît-elle de nature à déstabiliser l’enfant en bas âge, qui a besoin d’une part de rencontrer des limites dans la construction de son identité, d’autre part d’une certaine accalmie, sans incursion du sexuel dans sa période de latence, d’autant plus que celle-ci apparait aujourd’hui plutôt écrasée. Cette irruption de la sexualité de l’adulte auprès de jeunes élèves, participe de « la confusion de langue entre les adultes et l’enfant » de Sándor Ferenczi et ne peut être que source d’angoisse et de sidération pour l’enfant.
Le film Toutes pour une, adaptation du roman d’Alexandre Dumas est revisité dans une version féminine woke. Les trois mousquetaires, femmes avec postiches, fausses barbes et poitrines bandées, illustre cette volonté de visibiliser les femmes par une déconstruction des hommes, sans doute à l’instar de l’écriture inclusive. Il s’agit de « se transformer pour être libre, se transformer pour être soi » promet le site du distributeur UGC.
Conclave (2024) film adapté du roman éponyme de Robert Harris nous invite au cœur de l’élection papale. Le pape se dévoile intersexué auprès du doyen de la Curie. Cette spécificité célébrée comme un signe d’ouverture devient une vertu cardinale de son pontificat.
Le film Emilia Pérez du réalisateur Jacques Audiard, remporte sept Césars avec son « film transgenre » illustré par un narcotrafiquant mexicain qui devient femme.
L’histoire de Souleymane film réalisé par Boris Lojkine sera primé au Festival de Cannes 2024 et aux César 2025. Après un parcours chaotique de sans-papiers et visé par une OQTF (obligation de quitter le territoire français), l’acteur Abou Sangare reçoit le prix d’interprétation masculine.
Ces dernières productions cinématographiques illustrent les deux figures hypermodernes, le migrant et le trans, à l’apogée de la démocratie, pointées par Alain Finkielkraut, et que nous développerons dans notre second chapitre.
Cette idéologie de la transidentité et de la « fluidité de genre » est généralement soutenue par des influenceurs trans et des centres de « consultation transidentité ».
Ces influenceursportés par des lobbies internationaux, confinent à un enfermement par les informations réitérées d’un discours unique, à la faveur des algorithmes des réseaux sociaux. Ils offrent un champ lexical destiné à répondre à tous détracteurs, à toutes interrogations, et proposent des diagnostics pouvant conduire à la recherche de médecins bienveillants. Ce récit militant invite à réparer « l’injustice » faite à des minorités dites opprimées. Beaucoup de jeunes, fréquentant assidûment ces réseaux sociaux se retrouvent dans des groupes trans et rencontrent dans un premier temps un sentiment d’appartenance et d’existence face à une désaffiliation ambiante.
Autant ces activistes ont toute liberté d’expression sous couvert d’une argumentation étayée, autant dans certains domaines elles ne peuvent s’opposer à la tenue de conférences proposant d’autres positions.
Les centres de consultation transidentité tel le CIAPA (Centre Intersectoriel d’Accueil pour Adolescents), reçoivent et accompagnent des personnes qui souhaitent entamer un processus de « changement de sexe ». Ces services dits spécialisés « trans affirmatifs » suivent les préconisations des États-Unis dont le credo est d’accompagner systématiquement. Certains centres proposent des « protocoles hormonaux » de transition vers le sexe désiré et peuvent évincer comme dans le film Petite fille, documentaire prosélyte et étendard de la cause trans, la psychiatrie à orientation psychodynamique, en se dispensant de la considération du lien de cette demande avec le désir de la mère, de la relation au père. Il s’agit d’écouter la singularité de cette sollicitation, avant toute proposition prête-à-porter de transition sociale ou d’autodétermination. L’énoncé « je suis une fille » signe une performativité articulée à une itération de messages gramophones inscrits dans le discours du champ social. Cette proposition peut être validée en tant qu’elle exprimerait un désir de souveraineté du sujet.
L’accompagnement psychologique pour comorbidité, montre que sur 25% des enfants reçus à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris, pour motif de « dysphorie de genre », 25 % sont en décrochage scolaire, 42% victimes de harcèlement, 60% ont traversé un épisode dépressif, 20% ont fait une tentative de suicide[21] !
Il apparaît que certains jeunes qui ignorent leur « mode de jouir » durant leur enfance, traversent ce questionnement du profil « ne serais-je pas trans ? » avant de découvrir que leur « mode de jouir » s’avère homosexuel. Il est loisible de penser que la déclaration de trans pourrait être plus facile à assumer dans un premier temps. On peut s’interroger sur ces centres « spécialisés » qui inévitablement restent sous influence du moment et pris dans une certaine urgence à « faire ». S’avèrent-ils les mieux appropriés pour aborder ces profils psychopathologiques ? Remarquons que cette formulation « trans », acquiert le « statut de passeport » selon l’expression de Daniel Roy[22] pour la transidentité et peut par cette nomination apporter l’illusion temporaire d’un mieux-être à cet étrange malaise de l’enfant. Freud avait repéré dans la sexualité infantile d’une part, la pulsion épistémophilique de l’enfant, ses interrogations sur la sexualité (d’où viennent les enfants ? pourquoi suis-je garçon plutôt que fille ?) et d’autre part, la solitude de l’enfant face aux incapacités de réponse des parents. Dans cette crise, l’enfant doit s’engager avec son corps et ses mots sur le chemin incertain de l’accès à sa propre sexuation.
Ce discours « trans » « prêt-à-porter » offre un recours immédiat, une proposition d’identification extérieure, mais surtout impose une dépendance implacable qui inhibe l’élaboration d’un espace de séparation nécessaire. Un tel discours, prescrit en quelque sorte des façons de faire et de dire de nouvelles normes sociales et pervertit la condition de l’enfant moderne.
Ce discours sociétal se veut aujourd’hui au service de l’individu. Comment une société pourrait-elle ne fonctionner qu’avec des individus, sans référence au commun qui est de nature à limiter cette « conviction intime » et autres revendications ? Comment la famille délégitimisée pourra, voire osera aujourd’hui contrecarrer ce tout pulsionnel de l’enfant ?
Enfin, comme aime répéter sans détour Jean-Pierre Lebrun, il n’y a pas de conviction intime chez l’enfant sauf à la percevoir comme l’expression de la toute-puissance infantile et narcissique et pour la différencier de l’homosexuel, il emprunte la chanson de Brassens «la bandaison papa ça n’se commande pas ». Version nouvelle de Martial, dans ses Épigrammes « crois-moi, on ne commande pas à cet organe comme à son doigt ». L’homosexuel bande pour un autre homme et pas pour une femme ! Alors que l’homosexualité est un mode de jouissance, la dysphorie de genre est fondée sur un refus de la réalité du sexe anatomique.
Un discours politique
« Il est parfois nécessaire de changer certaines lois mais le cas est rare, et lorsqu’il arrive, il ne faut y toucher que d’une main tremblante. »
Montesquieu, De l’esprit des lois, 1748.
Un certain nombre d’orientations politiques sont moins déterminées par le discours politique lui-même que par les lobbies LGBT+ qui imposent leurs revendications sociales. Les modèles proposés aux jeunes générations s’avèrent plus de nature individualiste, narcissique, voire exhibitionniste et consumériste que structurés sur le bien commun.
Certains de ces discours politiques, qui s’expriment sous forme de circulaires ministérielles de l’Éducation Nationale, soutiennent ce discours radical « trans » dans le cadre d’une scolarisation dite « inclusive », et autorise le jeune à se revendiquer d’un autre sexe en cas de « conviction intime ». Le Conseil d’État ouvre à la transition sociale en validant la circulaire Blanquer qui autorise les élèves transgenres à utiliser le prénom de leur choix, avec « l’accord des deux parents de l’élève mineur ». Il s’agit de « veiller à ce que le prénom choisi soit utilisé par l’ensemble des membres de la communauté éducative ». Cette circulaire s’inscrit dans la volonté d’une scolarisation « inclusive » afin de garantir à ces élèves « l’intégrité » et le « bien-être », en comprenant les « besoins exprimés par les jeunes concernés ». Cette circulaire, sous couvert d’inclusivité, réglemente les modalités d’accueil des « enfants transgenres » à l’école et ouvre à une idéologie militante qui normalise et banalise une disposition à risque pour les enfants. Par ailleurs, le changement de prénom peut se traduire chez le parent, par une incroyance dans l’efficacité d’une parole qui nomme, car tel est le statut du prénom à la déclaration de naissance de l’enfant.
Alors qu’un principe de précaution concernant l’environnement est inscrit dans la constitution, alors que des mesures de prudence et de rétractation sont à présent adoptées dans certains pays européens concernant la transition de genre, la Haute Autorité de Santé composée d’« experts » sur-représentés en activistes trans qui ne présentent pas leur méthodologie des catégorisations de preuves A B C, propose dans un projet de recommandations sur les personnes trans, une forme de service public de la transition de genre. Dès 16 ans, sur le ressenti de l’adolescent, une prise en charge gratuite pourrait être effectuée rapidement sans évaluation psychologique. Une déchéance de parentalité est envisagée en cas de désaccord avec les parents, preuve d’une nouvelle attaque déstructurante de l’autorité des figures parentales.
Une brochure informative belge, (véritable vade-mecum) rédigée en écriture inclusive indique « Changer de prénom et modifier l’enregistrement du sexe à l’état civil » émanant du Ministère de la justice, du Secrétariat d’État à l’égalité des genres et à la diversité, associée à la « coopération intense » d’associations trans précise que « se retrouver confronté-e [sic] chaque jour à un prénom et ou un enregistrement du genre ou du sexe qui ne correspond pas aux convictions intimes ce n’est pas rien ». La loi du 25 juin 2017 prévoit « la possibilité de faire adapter votre prénom et/ou enregistrement du sexe de manière très accessible […] supprime toutes les exigences médicales[…] seule votre conviction importe, une déclaration sur l’honneur suffit […]». Ainsi, dès 12 ans l’enfant peut changer de prénom et modifier l’enregistrement du sexe dès 16 ans « sans être confronté à de lourdes exigences ».
Ces décisions politiques appellent plusieurs remarques. Le prénom, attribué à la naissance par les parents signe leur désir et l’entrée symbolique irrévocable dans l’histoire familiale. Notons que les tenants du transgenrisme radical parlent d’assignation et non de reconnaissance du sexe à la naissance, comme pour pointer l’empreinte de l’« hétéro-patriarcat », inhibant toute future autodétermination. Autant les parents doivent accueillir cette parole de l’enfant, autant nous semble-il, l’enfant a besoin de savoir que pour l’adulte, son enfant né garçon est un garçon, porteur d’un prénom masculin c’est-à-dire qu’il n’échappe pas à « l’anatomie du destin[23]». La tolérance à l’égard de l’acceptation du changement de prénom à l’école est de l’ordre d’une démission parentale, dans la mesure où une grande majorité des enfants catalogués « trans », seront homosexuels après leur adolescence. C’est au prix d’un travail psychique que l’enfant dont la psyché est construite dans celle des parents, qu’il pourra s’individuer, s’abstraire du « corps à corps » et accéder au « mots à mots » selon l’expression de Jean-Pierre Lebrun.
Tout parent doit savoir que l’enfant puis l’adolescent traverse dans son développement psychosexuel des troubles, des remaniements, des imaginaires, des désirs d’éprouver l’autre type de jouissance, avant de s’engager dans la périlleuse aventure de la transition. La question « si j’étais de l’autre sexe » est l’interrogation banale de tout enfant ou adolescent, dans sa construction et développement psychosexuel, qui s’atténue par identifications progressives au même sexe. Dès lors que la part imaginative de sa vie s’avère différente de la réalité, l’enfant est entré dans la loi qui distingue ces deux registres avec des mots pour symboliser cette différence.
Comment, dans le cadre de telles circulaires, l’enfant pourrait-il se repérer dans cette alternance, prénom du privé et prénom du civil, dans ce « en même temps » garçon et fille qui abolit toute distinction. À noter, que ce « en même temps » entre en résonance avec une tendance politique actuelle abolissant également toute opposition et dialectique. C’est ignorer la différence entre le sujet de Droit qui sait ce qu’il veut et le sujet de l’inconscient divisé qui ignore ce qu’il dit, ce qu’il est, et qui alterne entre cette double formulation : ne pas désirer ce qu’il veut et ne pas vouloir ce qu’il désire. Il n’appartient pas à l’école de construire un homme nouveau au travers d’une idéologie, en faisant douter l’enfant dans un premier temps sur son identité, ni de répondre à une mission thérapeutique en tentant de traiter un certain malaise. Le code de l’éducation assigne comme premier objectif la transmission des connaissances et entre autres, le genre mais grammatical ! On est en droit d’attendre plus de vigilance de la part de l’institution et des parents pour limiter ces changements de prénom, dans la mesure où une immense majorité des enfants classés « dysphoriques » changeront de position après l’adolescence, en reconnaissant leur homosexualité et en acceptant l’une des manières d’être un garçon.
Ce malaise, expression de la frustration chez l’adolescent ou carence de préparation à supporter le fait que dans la vie nous ne disposions pas toujours de ce que l’on souhaite, signerait un problème d’orientation dans cette difficulté à assumer les changements psychophysiologiques et non d’identité. Les thérapies de conversion visant à modifier l’orientation sexuelle pour les homosexuels et l’identité de genre d’une personne, ont été explicitement interdites par la loi du 31 janvier 2022. Autant cette décision nous apparaît fondamentale en faveur des homosexuels qui subissaient des thérapies cruelles et inutiles, autant l’application de cette loi est de nature à contrecarrer toute investigation thérapeutique en direction de l’enfant et de l’adolescent. Il s’agit pour la psychanalyse de réintroduire la question du sujet et de son inconscient, de ce qui se joue sur l’autre scène dans cette difficulté et d’ouvrir un questionnement vers ce qui fait symptôme pour l’enfant et ses parents. L’enfant doit pouvoir témoigner de son réel, à des fins de produire un « bout de savoir » sur ce qui lui arrive.
À l’heure d’un brouillage des repères, ces discours sociétaux et politiques viennent délégitimer encore un peu plus le rôle et l’autorité des parents déjà vacillants depuis quelques dizaines d’années et implicitement leur imposent une certaine obligation de tolérance, qui devra néanmoins rencontrer à un certain moment les limites anthropologiques, telles que les interdits de tuer ou d’inceste. Cette « bienveillance » apparait d’autant plus à l’œuvre que beaucoup de parents n’ont pas intégré la notion et le bien-fondé de l’autorité, de la loi qui permet de dire non et n’osent pas contredire leur progéniture par crainte de perdre leur amour, confondant désaccord et désamour. L’institution du sujet capable de dire non nécessite l’étayage articulé de la langue et du droit (et non des droits) qui borne et soutient.
Faute d’autorité, et en présence de géniteurs inconsistants, les jeunes non contenus risquent de se sentir abandonnés. Ils peuvent alors s’agglutiner en orphelins terrorisés par leur sexuation et se réfugier dans des communautés, des gangs, voire des sectes qui leur offrent une réassurance, un réconfort dans leur orientation sexuelle face à une désaffiliation ambiante. La communauté demeure une spécificité de l’adolescence, mais la substitution du vocable de communauté éducative à celle d’institution par le sociopolitique s’avère antinomique avec l’autorité qui exige asymétrie pour grandir.
Cette tolérance généralisée apparaît comme la vertu spécifique de la modernité dans nos sociétés démocratiques. Celles-ci ne peuvent introduire de la négativité et se comportent en « Big Mother » dans une ambiance nihiliste de nature à conduire à de nombreuses dérives et positions radicales. Pour Michel Schneider[24], « écoute, proximité, caresse, urgence, amour, nomination par les prénoms, les politiques jouent à la mère. Dirigeants n’osant plus diriger, citoyens infantilisés attendant tout de l’état : La France est malade de sa politique comme certains enfants le sont de leurs mères ».
L’affadissement des grands récits
Dès 1974, Jean François Léotard énonçait « la disparition des grands récits » dont le récit religieux dans l’avènement de la postmodernité. La religion catholique aura perdu de son influence. Ces préceptes sont désormais peu suivis, les injonctions papales souvent ignorées à propos de la sexualité ou de l’avortement. Le christianisme, qui fonctionnait comme modalité de lien social en fournissant des cadres axiologiques et qui soutenait le processus de civilisation, ne permet plus d’œuvrer comme organisateur des conduites et de la morale sexuelle. Cet affadissement ouvrait le champ à une sexualité plus récréative que procréative et tolérait le processus de transition.
Cette religion affaiblie n’aura pas manqué d’être caricaturée par des drag Queens dans une représentation de la cène lors de l’ouverture des Jeux Olympiques en France.
L’Occident demeurait jusqu’alors une civilisation animée par la passion de l’universel adressée au monde, et par la mission de l’évangélisation. Faute de ce régulateur catholique divin limitant la toute-puissance des petits « autres », faute d’un narcissisme mobilisé au niveau du grand « Autre », le besoin de sacré de l’homme conduit à un double mouvement : sacraliser et idéaliser une part de l’humanité, les « victimes » d’injustice (femmes, homosexuels) et de façon concomitante, accuser, voire déshumaniser les « dominateurs ». Un moment paranoïaque risque d’émerger en lien avec le nombre de sujets se déclarant objets de préjudices. Yann Carrière[25] fait remarquer que le 20e siècle s’illustre dans ces deux idéologies meurtrières athées, par l’amour d’allemands pour le nazisme et la haine des juifs, l’amour de prolétaires communistes et la haine des bourgeois et oppresseurs. Par ailleurs, la notion de péché originel était de nature à freiner ce clivage dans la mesure où chacun était porteur du « mal ».
Cette déchristianisation résulte du processus d’autonomisation de l’individu, qui débute avec les Lumières, qui refuse l’appartenance religieuse et qui se traduit par un abandon de la croyance collective pour devenir individuelle.
On pourrait repérer quelques symptômes actuels, dans la crémation, comme signe de désacralisation et de désaffiliation et dans la volonté de proposer un droit pécuniaire d’entrée à Notre-Dame de Paris. Outre l’illégalité de la taxation de la prière au regard de la loi de 1908, laissons s’exprimer Malraux sur cette question : « La nature d’une civilisation, c’est ce qui s’agrège autour d’une religion. Notre civilisation est incapable de construire un temple ou un tombeau. Elle sera contrainte de trouver sa valeur fondamentale ou elle se décomposera[26]. »
Avec l’affaiblissement de ces grands récits, émergent de nouveaux sacrés : l’argent, la sécurité dans une demande de protection de tous les aléas de la vie et de la pollution, la santé avec une sollicitation toujours plus grande de la médecine, et en l’occurrence de la chirurgie et de l’endocrinologie pour les personnes entrant dans les processus de transition. L’américanisation quant à elle percole dans les interstices, le chrysanthème de la Toussaint cède la place à la citrouille d’Halloween.
Pour Éric Marty, faute de grand récit, « le genre est le dernier grand message idéologique de l’occident adressé au reste du monde[27] ». Ce puissant message implique de nombreux domaines de la vie, la différence sexuelle, la transmission, etc.
Triomphe de la science et de la médecine
« Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants
La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots
Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots ! »
Arthur Rimbaud, Le bateau ivre.
Winnicott comparait la traversée de l’adolescence au franchissement du « pot au noir », terme de navigation désignant une zone de convergence intertropicale angoissante, faute de maîtrise du vent. Et cette traversée juvénile nécessitait un « temps » fécond, pour qu’advienne une parole, le conduisant à son devenir sexué.
Ce « temps » est aujourd’hui contrecarré par une modernité empressée de fournir diagnostics et médications (hormones -psychotropes – chirurgies), dans laquelle les rites d’initiation se sont évanouis, et où les réseaux sociaux invitent à des réponses automatisées aux questionnements des adolescents.
Nos sociétés contemporaines, installées dans un modèle néolibéraliste, abandonnent l’individu à ses intérêts individuels et transforment les citoyens en consommateurs permanents, dans un marché où la technique au sens heideggérien promeut la disponibilité de toutes choses, dont la location d’utérus.
Le dernier ouvrage « Le sermon d’Hippocrate » de Caroline Eliacheff et Céline Masson témoigne d’une médecine sous emprise des idéologies identitaires trans-affirmatives. Cette médecine est mise en œuvre au « détriment des jeunes en prétendant être du côté du bien ». Dans leur ouvrage les deux psychanalystes évoquent la situation d’une jeune fille de treize ans qui exprime son malaise, son souhait d’être un garçon, et qui trouve le diagnostic « je suis trans » sur les réseaux sociaux. Elles notent l’attitude exceptionnelle du père qui après un moment de sidération doit résister non seulement à sa fille mais aux médecins. Les auteurs précisent par ailleurs qu’à ce jour, les traitements ne tiennent pas leurs promesses relatives à une meilleure santé mentale et une diminution de suicides. En lien à cette médecine, on assiste à une explosion incontrôlée et triomphale de la technoscience fascinante dans l’univers de la procréation sous la demande sociétale. Baudelaire dans Recueillement pourrait illustrer le plaisir de la consommation « Sous le fouet du plaisir, ce bourreau sans merci ». Le discours de la science n’est-il pas aujourd’hui « ce bourreau sans merci » ?
La notion de santé étendue aujourd’hui à la notion de bien-être associée aux prouesses médico-chirurgicales permettent de répondre à cette demande de transformation du corps en conformité avec les aspirations de chacun.
Cette demande tend à entériner l’éventuel « discours du maître » de la médecine et à installer le médecin chirurgien en place de thaumaturge, animé d’un fantasme de toute-puissance infantile, voire de perversion, en effectuant un « changement de sexe » par mutilation sur des corps sains, pour répondre à une souffrance psychique. Pratique qui pourrait être interpellée par l’un des textes fondateurs de l’éthique médicale : « Primum non nocere », d’abord ne pas nuire.
Ne pourrait-on pas repérer une certaine rivalité avec les capacités de la femme enfantant garçon ou fille ? Françoise Héritier nous a invité à méditer sur les conséquences de cette asymétrie anthropologique fondamentale où seules les femmes présentent ce pouvoir exorbitant de porter et d’accoucher de garçons et de filles.
Notre condition sexuée imposait jusqu’alors le passage par un autre pour procréer. La technoscience aura autorisé la procréation sans sexualité, ressuscitant le dogme de l’Immaculée Conception et provoqué une mutation inédite de la filiation anéantissant quasiment la binarité du sexe. Demain, ce sera la sélection des gamètes déterminant le sexe anatomique de l’enfant. Ces pratiques génèrent un saisissement de l’humanité qui n’a peut-être pas encore été métabolisé à ce jour. Déjà, Lacan prévoyait en 1970, que dans une époque privée du sens de la tragédie, le Nom du Père réduit à une fiole de sperme ne deviendrait qu’un objet partiel.
Juxtaposer « le tout possible » de la technoscience au « rien n’est vrai » d’une certaine classe politique progressiste colorée de postmodernité, conduirait non seulement pour Hanna Arendt dans son ouvrage Le totalitarisme, à la crise du « vivre ensemble » mais au « tout est permis ».
Ce « progrès » inducteur du passage du « rien n’est impossible » au « tout est permis » ne réside-t-il pas dans une aspiration du psychisme à parvenir à un rapport hyper satisfaisant à l’objet ?
Dans ce cadre, Mustapha Safouan[28] nous invite à repenser certains de nos fondements civilisationnels qui durèrent des siècles, mais, depuis quarante ans, s’ouvrirait une humanité qu’il n’hésite pas à qualifier de « post-œdipienne ».
Nous serions passés du surmoi de la deuxième topique de Freud, limitateur de pulsions, à un impératif de jouissance du surmoi sur le mode « je jouis comme je veux », évoqué par Lacan dans « Télévision » sous le vocable de « Gourmandise du surmoi ». Les discours demeurent porteurs d’injonction à la consommation entre autres médico chirurgicales et à l’autodétermination.
Jacques-Alain Miller a proposé la notion de « corps-parlant » unissant le corps au « parlêtre ». Or la subjectivité de l’époque ne répond-elle pas à ce désir de couper le corps du parlant dans les demandes d’intervention chirurgicale ?
Il n’est pas certain, que la transformation chirurgicale du corps pour tendre vers le genre souhaité ne dispense pas du besoin de parler de cette souffrance du lien social. Une des perspectives de la psychanalyse demeurerait alors le maintien de ce lien corps-parlant.
Guy Decroix – Mars 2025 – Institut Français de Psychanalyse©
1ère partie
À suivre :
2ème partie
[1] Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre II, Le Seuil,1978.
[2] Zygmunt Bauman, La vie liquide, Pluriel, 2013.
[3] Daniel Sibony, Du vécu et de l’invivable, psychopathologie du quotidien, Albin Michel, 1992, p 81.
[4] Sallie Baxendale, « Les bloqueurs de puberté administrés aux enfants risquent d’abaisser leur quotient intellectuel », Pour une école libre au Québec, 20 Janvier 2024.
[5] Guy Decroix, Institut Français de Psychanalyse, Le wokisme, une déraison mortifère, 2023. https://institutfrancaisdepsychanalyse.com/wokisme-et-cancel-culture-une-deraison-mortifere-i/
[6] Eric Marty, Le sexe des modernes, Seuil, Fiction et Cie, 2021.
[7] Caroline Eliacheff, Cécile Masson, La fabrique de l’enfant transgenre, L’Observatoire, 2022.
[8] Camille Kouchner, Ce sont simplement des hommes, Libération, 14 septembre 2024.
[9] Daniel Sibony, L’homme qui faisait violer sa femme, YouTube, 2024, https://www.youtube.com/watch?v=q0dMaUuKb4k
[10] Nicole Athéa, Changer de sexe un nouveau désir ?, Hermann, 2022.
[11] Caroline Eliacheff, Celine Masson, La fabrique de l’enfant-transgenre, L’observatoire, 2022.
[12] Patricia Gherovici, Transgenre. Lacan et la différence des sexes, Paris, Stylus, coll « Résonnances », 2021.
[13] Enquête Ifop, « Fractures sociétales, enquêtes auprès des 18-30 ans » sondage Ifop pour Marianne, Novembre 2020.
[14] Jean-Pierre Winter, Le sexe des narcisses. Théorie du genre, du militantisme au sectarisme, Revue Causeur, 11/10/2023.
[15] Christian Flavigny, Aider les enfants « transgenres » : contre l’américanisation des soins, Pierre Tequi, Avril 2021.
[16] Daniel Paul Schreber, Mémoire d’un Névropathe, Le seuil, Points, 1975.
[17] Caroline Eliacheff, Céline Masson, Le serment d’Hippocrate, L’Observatoire Eds, 2025.
[18] Joelle Gayot, interview Thomas Joly, directeur artistique de Paris 2024, Le Monde, 12 septembre 2024.
[19] « En Bulgarie, la loi interdisant la propagande LGBTplus à l’école provoque l’indignation », Le Monde, 7 août 2024.
[20] « Vers une interdiction de manifester près des drag queens ? » Le journal de Montréal, 4 avril 2023.
[21] Jean Charles Bettan, Idéologie trans, YouTube, 19 mars 2024, https://www.google.com/search?q=Jean+Charles+Bettan%2C+Id%C3%A9ologie+trans%2C+YouTube%2C+19+mars+2024&rlz=1C5CHFA_enFR1151FR1151&oq=Jean+Charles+Bettan%2C+
[22] Daniel Roy, Être né dans le mauvais corps, Daniel Roy, Lacan Web, 28 juin 2021
[23] Guy Decroix, Wokisme et cancel culture, une déraison mortifère, Avril 2023, en ligne, Site de l’IFP, https://institutfrancaisdepsychanalyse.com/wokisme-et-cancel-culture-une-deraison-mortifere/
[24] Michel Schneider, Big mother. Psychopathologie de la vie politique, Odile Jacob, 2002.
[25] Yann Carrière, La théorie du genre, entretiens, YouTube, https://youtu.be/MWTV0hafRxc/
[26] André Malraux, Note sur l’Islam, 3 juin 1956.
[27] Eric Marty, Le sexe des modernes, Seuil, 2021.
[28] Mustapha Safouan, La civilisation post-œdipienne, Hermann, 2018.