Guy Decroix – Juillet 2025
3ème partie
Sommaire

Introduction
I Émergence d’un différentialisme et des identités
II Un moment orwellien ou l’inversion des valeurs
Liberté, égalité, fraternité, laïcité
Le langage ou la perversion des mots
Censure et intimidation
Les marges en place du centre
Le présent et le futur en place du passé
La sensibilité en place de l’intelligibilité
La victime en place du héros
L’animal en place de l’homme ou l’antispécisme
Du féminisme des années 70 aux néo-féministes
L’irrationnel en place du rationnel
Un pulsionnel mortifère à l’œuvre
III Limite et paradoxe de l’intersectionnalité
IV Vers une idéologie transhumaniste
V Sur la position du psychanalyste à l’épreuve du contemporain
∴
D’un point de vue métapsychologique, c’est-à-dire inconscient, les liens institutionnels et politiques peuvent s’entendre comme la somme d’individus qui introjectent le même idéal du moi et qui s’identifient en conséquence dans leur moi en partageant un même objet. Ce sont ces liens, y compris socio-familiaux, que nous avons repérés dans notre première partie, qui se sont progressivement effrités, ouvrant la voie à de nouveaux types de liens totaux mortifères et à l’engagement de certains dans le phénomène de transition.
Dans notre seconde partie, nous avons tenté de circonscrire des éléments favorables à l’accueil de cette nébuleuse trans et de son idéologie, en pointant et critiquant l’idéologie de l’autodétermination dans différents secteurs, les effets d’une toute-puissance infantile non régulée et l’inscription de ce phénomène dans le champ de l’indifférenciation.
Nous nous proposons dans un dernier temps de repérer l’inscription de ce transgenrisme dans le wokisme, un phénomène articulé à une inversion des valeurs, à l’intersectionnalité et enfin à une idéologie transhumaniste.
Le transgenrisme que nous avons abordé dans l’article intitulé « Wokisme, une déraison mortifère »[1] se rattache à des discours idéologiques associés à la mouvance décoloniale et intersectionnelle. Ces discours, marqués par une binarité récurrente et une incapacité à dialectiser, considèrent l’Occident comme une entité dominante, coloniale, blanche et patriarcale, tandis que toutes les minorités (femmes, personnes LGBT+, groupes raciaux, personnes transgenres) se perçoivent comme des victimes de cette domination, appelées à se révolter contre leurs oppresseurs. Cette logique binaire du wokisme qui empêche toute reconnaissance de l’ambivalence psychique, apparaît quelque peu paradoxale pour les mouvements LGBTQ+ qui précisément, s’efforcent de dénoncer la binarité. Dans ce contexte, un dirigeant politique de « La France insoumise » plaide pour inscrire dans la Constitution la liberté du choix de genre, lors d’un vibrant plaidoyer pour promouvoir les études de genre à l’université de Lille. Ce responsable politique exhorte à « déconstruire le faux genre humain », soutenant que l’homme serait violent par construction, basant son argumentation sur les études de genre face « aux ignorants grossiers ». Il conclut en soulignant la nécessité « de former les professeurs pour qu’ils fassent face à quelque chose qui va à rebrousse-poil de la construction genrée de la société telle que nous la connaissons aujourd’hui ».[2]
Cette mouvance a pris corps à la suite des travaux de Terra Nova en 2011, qui ont prôné l’abandon du peuple français ainsi que de la laïcité au profit de l’émergence d’un néo-peuple articulé autour du wokisme, de l’islamo-gauchisme et du néoféminisme.
I Émergence d’un différentialisme et des identités
« D’autant que l’âme est plus vide et sans contrepoids, elle se baisse plus facilement sous la charge de la première persuasion. »
Michel de Montaigne, Les Essais, 1580.
L’année 1983 marque un tournant décisif pour la gauche au pouvoir. Des slogans comme « Black Blanc Beur », qui remplace le traditionnel Bleu Blanc Rouge, et « Touche pas à mon pote », avec sa référence à la main jaune évoquant l’étoile jaune, se rapportent à une identité raciale et ethnique qui entame l’universalisme républicain au profit d’une logique communautaire. Cette mutation du rapport au symbolique, à l’identité et à la Loi au sein de la société française illustre le passage d’un paradigme symbolique, où le citoyen était un concept abstrait, un sujet défini par son intériorisation de la Loi, à une réalité plurielle, incarnée par des corps réels, visibles, sexués et racialisés. Cette mutation demeure une source de morcellement et d’enfermement identitaire. Ce mouvement prône « le droit à la différence » plutôt qu’à la ressemblance. Cette dynamique, associée à l’instauration de la discrimination positive, se traduit par la reconnaissance d’identités variées (gays-raciales-noires) en lien avec des revendications d’égalitarisme, dans le contexte du wokisme naissant en France. La lutte contre toutes formes de discrimination, qu’elles soient basées sur le sexe, la race ou l’orientation sexuelle, devient l’horizon des démocraties contemporaines qui ont renoncé à toute idée de progrès social et d’émancipation collective.
Parallèlement, la mondialisation et ses conséquences en matière de délocalisations, qui engendrent un marché de consommateurs à l’échelle mondiale, contribuent à l’effritement de la classe ouvrière. Dans ce mouvement, un groupe de réflexion progressiste, Terra Nova, publie une étude le 10 mai 2011, affirmant qu’un « mythe fondateur de la gauche française est brisé[3]. » Terra Nova évoquerait la « nouvelle terre » à reconquérir symboliquement dans ses fondements et potentiellement à reconfigurer un lien social. L’article souligne que le divorce entre le Parti socialiste et la classe ouvrière, « en déclin », est prononcé. Les signataires préconisent de s’adresser à un nouvel électorat urbain composé de « diplômés », de « jeunes », de « minorités des quartiers populaires » et de « femmes » : tous rassemblés autour de « valeurs culturelles et progressistes ».
Un nouveau peuple est désormais en mouvement, focalisé sur les minorités ethniques, religieuses, culturelles et sexuelles. Dans cette société marquée par l’individualisme et le consumérisme, chacun est invité à façonner sa propre identité, qui relève d’une projection narcissique, ignorant tout déterminisme historique ainsi que toute donnée biologique et sexuelle. Chacun brandit en étendard sa prétendue identité, en participant à une marche des fiertés permanente ! Les identités, qui mutent en diverses « fiertés », ne se définissent plus par ce qu’elles accomplissent, mais par leur essence. Notons que ces parades périodiques et festives des fiertés, comme les Gay Pride, pourraient soutenir l’idée du « fait social total » déjà évoquée. Les conquêtes socio-politiques laissent place à l’émergence permanente de représentants issus du combat juridique.
Dans ce contexte, les différents groupes sexuels, dont le transgenrisme trouveront leur essor. Historiquement, jusqu’à la fondation du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR), le militantisme LGBT+ prônait une forme d’assimilation revendiquant le droit à l’indifférence. Aujourd’hui, ce mouvement aspire à cultiver sa différence jusqu’à devenir un puissant lobby revendiquant sa propre culture.
L’assimilation, inscrite dans le Code civil, cédait ainsi la place au droit à la différence, à la diversité et à l’exclusivité des groupes, ouvrant ainsi la voie à divers types de communautarismes. Le slogan de McDonald’s « Venez comme vous êtes » devenait le motto de l’école, de la société et, récemment, la devise de la refondation d’un parti politique français[4].
Comme le souligne Natacha Polony[5], l’identité nationale qui nous rassemblait autour d’une mémoire commune et d’un narratif collectif, où chacun avait sa place dans la société, est désormais la seule identité véritablement bannie. Nous pourrions rappeler que cette communauté nationale, hier qualifiée de patrie, était invoquée dans les appels à l’unité et chantée dans nos écoles : « Allons, enfants de la patrie ! »
À l’instar des États-Unis, un quotidien français[6] recense les parlementaires selon leur pigmentation pour dénoncer une assemblée qui « reste blanche ». Pendant son mandat, le président Obama représentait l’archétype dumonde de la diversité à venir, associant en sa personne sexe et race : afro-américain, blanc et noir, tout en présentant une fragilité féminine, presque « métis et hermaphrodite[7] » générant ainsi une véritable Obamania. Il convient de souligner que les minorités ont trouvé protection dans l’universalisme, acceptées non pas pour leurs différences, mais pour leur similitude au sein de notre humanité partagée. Dans un retournement majeur, le social a cédé la place au « sociétal », un néologisme qui a affecté les mœurs et les modes de vie privés. Alors que le social est le terrain fondateur du lien intersubjectif, du langage et de l’inconscient dans la structuration du sujet, qui n’existe que par son inscription dans un ordre social et symbolique, le sociétal s’inscrit dans des mutations culturelles qui altèrent le mode de subjectivation et tendent vers une désymbolisation par un brouillage des repères et une confusion des places.
En marge de ces diversités, nos sociétés sont traversées par un élan de commisération. Un zèle compatissant envers les démunis, les déshérités et les exclus ne cesse de se manifester dans l’arène politique. À tel point que, comme le note Myriam Revault d’Allonnes[8], « les dirigeants n’hésitent plus à faire de leur aptitude à compatir un argument décisif en faveur de leur droit à gouverner ».
En 1902, Lénine se posait la question fondamentale : « Que faire ? », alors qu’aujourd’hui, il semble que les politiques se préoccupent davantage de « Que dire ? » en quête de soi-même et visent moins les mouvements d’émancipation que la défense des minorités « menacées ».
La désormais célèbre anaphore d’un candidat à la présidence de la République, « Moi, président », fait référence à l’individu en tant que personne privée, en opposition à l’expression « si je suis président », où le pronom « je » désigne un sujet. Loin est l’époque de Roosevelt, grand homme d’État, paralysé par une poliomyélite invalidante et jamais présenté dans son appareillage pour tenir debout. L’éthique des journalistes consistait alors à dissimuler la vie privée d’un dirigeant.
Cette autoaffirmation de soi, métabolisée en hypertrophie du moi, signe notre époque. Les « vécus » des auteurs fleurissent comme jamais dans la littérature, et les ouvrages consacrés aux émotions et aux sentiments connaissent un essor considérable dans les rayonnages des livres de développement personnel.
Comme l’indique Élisabeth Roudinesco[9], des expressions telles que « Je pense donc je suis », « Ça pense là où je ne suis pas » ou encore « Je est un autre » et « Je suis Charlie » affirment l’existence d’une identité universelle, à la fois consciente et inconsciente, toujours divisée, toujours « autre », tout en restant soi-même et en incluant l’étranger en soi. Cependant, l’affirmation « Je suis Charlie » reste discutable, dans la mesure où elle ne représente qu’un volet face à la barbarie. Comme elle le souligne, chacun aspire à « être soi-même comme un roi » et non pas comme un autre. Nous pourrions également entendre, en ces temps narcissiques, chacun cherche « à être soi, m’aime »…
L’émergence de ces diversités identitaires s’est accompagnée de « souffrances narcissiques identitaires » repérées par René Roussillon. Cela témoigne de l’évolution d’une société centrée sur le surmoi, qui représente des intérêts collectifs, à une société valorisant l’idéal du moi et les intérêts narcissiques.
II Un moment orwellien ou l’inversion des valeurs
« La guerre, c’est la paix, la liberté, c’est l’esclavage, l’ignorance, c’est la force. »
George Orwell, 1984.
Le concept de déconstruction, forgé par Martin Heidegger et revisité par Jacques Derrida, s’est transformé progressivement en une idéologie nihiliste visant la destruction des assises de notre civilisation par une inversion de nos valeurs fondamentales. Ce processus s’attache à déconstruire ce qui est souvent désigné comme « le privilège blanc » et ses multiples facettes : la langue française, la structure familiale, ainsi que les notions de genre et de sexe. Nous tenterons d’explorer quelques-unes de ces inversions narratives, avant d’y repérer une pulsion de mort à l’œuvre.
Liberté, égalité, fraternité, laïcité
Au nom de la liberté individuelle, nous assistons paradoxalement à une entrave à la liberté d’autrui, qui se manifeste par différentes formes de nuisances, d’insultes, voire de violences. Nous constatons des perturbations ou des annulations de conférences, ainsi que des intimidations et des menaces de mort liées à la présentation d’ouvrages comme Transmania[10]. La liberté, qui doit être encadrée par des lois (c’est-à-dire des limites, des frontières et des institutions), semble désormais menacée.
Dans ce contexte, ma liberté, envisagée à travers le prisme du « moi je », s’affranchit de toutes formes d’aliénation déjà mentionnées par Platon. Nous glissons insidieusement de la liberté vers un système de contrôle, en dénaturant ainsi le projet d’émancipation inscrit dans la promesse républicaine et en contrariant l’esprit démocratique, qui doit résoudre les différends par le dialogue et non par la violence. L’idée d’un « homme qui s’empêche », selon l’expression d’Albert Camus, semble, aujourd’hui frappée de caducité, comme si le sujet moderne ne rencontrait plus d’obstacles intérieurs pouvant freiner sa jouissance. En l’absence d’introjection des interdits, le surmoi s’est érodé et l’homme contemporain ne s’empêche plus : il s’abandonne.
Une autre forme d’atteinte à la liberté se manifeste aujourd’hui dans une sorte de jouissance punitive de dénonciation, par le biais de la censure pratiquée par les pairs, remplaçant ainsi la censure verticale imposée par les autorités.
Annie Ernaux, la première femme écrivain française à recevoir le prestigieux prix Nobel, écrit pour « venger sa race », tout en ne renonçant pas aux honneurs du monde d’en haut, peuplé de ces « dominants » qu’elle pourfend, rapporte le journal Le Point [11]. Elle s’indigne face à la publication de Langue fantôme[12], un essai critique sur le multiculturalisme, et obtient le départ de Richard Millet du comité de lecture de Gallimard après avoir initié une pétition, signée par environ cent-cinquante écrivains, et publiée dans les colonnes du Monde [13]. Faut-il rappeler la phrase d’Albert Camus lors de son discours de réception du prix Nobel en 1957 ? « Les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s’obligent à comprendre au lieu de juger, et s’ils ont un parti à prendre en ce monde, ce ne peut être que celui d’une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne règnera plus le juge, mais le créateur, qu’il soit travailleur ou intellectuel. »
L’égalité, second volet de la devise républicaine, s’avère également dévoyée en un vice égalitariste. Quelques illustrations :
Le Planning familial peut affirmer dans ses brochures : « Un homme peut être une femme » ou encore « Un pénis est un pénis, pas un organe sexuel mâle ! » Ces énoncés incohérents illustrent comment la conception de l’égalité des droits, qui est un principe démocratique, se transforme en une forme d’égalitarisme, semblable à une véritable religion de l’égalité. Ce processus infini vise à uniformiser et à indifférencier, en écrêtant toute distinction et en annihilant toute reconnaissance. Ce phénomène est amplifié dans un contexte de relativisme, où les autorités sont affaiblies et où règne l’horizontalité des réseaux sociaux. Cette jouissance sans limites d’un surmoi collectif, identifié par Lacan, qui pourrait s’exprimer sous l’injonction « Jouissez pareillement ! », n’exprime-t-elle pas une dérive imaginaire en réaction à la structure symbolique du manque ?
Cet égalitarisme, en place de l’excellence, se déploie notamment à travers l’écriture inclusive, qui vandalise la langue et nous sépare d’un passé supposément inégalitaire. Adieu aux beautés des alexandrins, si nous devions écrire « le vainqueur et la vainqueuse » ! Flaubert, inquiet de la dégradation possible de la langue, affirmait : « Je n’écris pas pour le lecteur d’aujourd’hui, mais pour les lecteurs qui se présenteront tant que la langue vivra. » Ce nouveau signifiant maître, l’inclusion, cherche à définir tout individu par sa différence, remplaçant ainsi la notion d’égalité dans l’école publique. L’objectif est d’inclure dans le savoir[14], qui doit être désormais à la portée de tous, tout en occultant que cette inclusion implique nécessairement une forme d’exclusion.
Lacan[15] le soulignait en précisant que tout ensemble procède d’une exclusion du fait de l’identité à un trait commun. Ce principe d’inclusion, qui s’oppose à toute forme de méritocratie, s’avère être une chimère. Le sigle LGBT en est l’expression, par l’inflation de signes qui s’attachent à ces initiales. Comment pourrait-on visibiliser tous les genres (femme, trans, personne non binaire…), ce qui est une visée de l’écriture inclusive, dans une langue qui, par sa nature même, fonctionne sur le principe de l’exclusion, à savoir que, ce qui est énoncé implique toujours ce qui ne l’est pas ? Cette tentative de modifier le symbolique par le politique, de rectifier le Réel (l’impossible du sexe) et de réparer la castration par la syntaxe répond à un fantasme de maîtrise du langage. Pour Lacan, l’écriture inclusive pourrait être une tentative « d’écrire le rapport sexuel » en un lieu où il n’existe pas symboliquement.
Cet égalitarisme se déploie dans l’éducation des élèves en vue d’instaurer une véritable égalité des sexes au sein de l’école. Paradoxalement, une initiative censée promouvoir l’égalité, à savoir le port d’un uniforme scolaire, pensé comme un moyen d’abolir la rivalité des apparences et l’emprise des marques, suscite la réticence, voire le refus, d’une part significative du corps enseignant. Et ce, alors même qu’elle fut portée par un ancien Premier ministre au nom d’un idéal républicain d’unification.
N’est-il pas contradictoire de soutenir que le symbolique exerce une action causale (exprimée par exemple dans la volonté d’ajouter un e à professeur), alors que l’imposition de l’uniforme à l’école est rejetée ? Cette même approche égalitariste tend à aplatir la différence générationnelle, générant une relative difficulté des parents à occuper leur place.
Les concepts sont ainsi pervertis, menant à des falsifications qui peuvent engendrer, libérer et encourager l’expression de la haine. Cette idéologie égalitariste évoque les langues totalitaires des sociétés modernes, que Tocqueville qualifiait de « despotisme doux » en démocratie. Il s’agit d’une forme de « totalitarisme sans le goulag » [16], où la seule option qui s’offre à chacun est de se conformer à la doxa, sous peine d’être qualifié de réactionnaire. Jean-Pierre Chevènement[17], dans son ouvrage Res Publica, fait remarquer que « l’égalité devant la loi est devenue, par un singulier glissement, l’égalité des identités, ce qui n’a strictement rien à voir et nous vaut un relativisme généralisé maquillé en tolérance ».
La notion de fraternité désigne les liens forgés par les luttes pour l’émancipation. La ferveur unificatrice se manifeste lors de la fête de la Fédération du 14 juillet : « Nous jurons de demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la fraternité », déclamait Lafayette. Actuellement, cette fraternité se traduit par ce nouveau syntagme doucereux du politique, réitéré tel un mantra : « le vivre-ensemble », sous-entendant que le fait d’être côte-à-côte ferait lien social. Ne peut-on pas vivre ensemble dans l’indifférence ou la conflictualité ? Seule la référence à nos principes républicains et non à un « vivre ensemble » serait de nature à protéger de la peur d’enseigner, par exemple, à en croire Jean-Pierre Obin dans son dernier ouvrage « Les profs ont peur[18] ». Par ailleurs, une telle expression est étrangère à la psychanalyse, car l’inconscient ne désire pas un « vivre ensemble », mais repose sur l’exclusion d’un tiers et sur des désirs inconscients asociaux en quête de jouissance. Freud nous rappelle que « L’homme est un loup pour l’homme ». Seuls le refoulement et la répression des pulsions favorisent un certain lien social.
Cette fraternité républicaine tend à s’effacer aujourd’hui dans certains lieux, au profit d’une fraternité religieuse. Ernest Renan, lors de sa célèbre conférence « Qu’est-ce qu’une nation ? » prononcée à la Sorbonne le 11 mars 1882, en donnait le contour en précisant, entre autres, une volonté de faire société, un désir de cohabiter. Le vivre-ensemble repose sur un trait identificatoire commun, impose des références implicites communes, un langage commun où les mots ne sont pas interchangeables et des mœurs communes. N’assistons-nous pas aujourd’hui dans certains territoires français à une tendance à des replis communautaires ? À titre d’exemple, comment « vivre ensemble » avec des pratiques culturelles de contrôle du corps des femmes, contraires à nos mœurs, comme l’illustre ce slogan : « Les vacances, c’est fait pour s’amuser, pas pour être mutilée, l’excision ne doit pas faire partie du voyage », figurant sur l’affiche d’une campagne nationale du ministère de l’Égalité entre les hommes et les femmes ? Cette excision ou mutilation du féminin est une castration réelle du corps vécue comme une violence non symbolisable, source de clivage ou de dissociation par l’enkystement de la sexualité dans le traumatisme.
Enfin, la laïcité, qui n’est pas une valeur, mais un principe fondamental, repose sur l’élaboration d’un espace neutre, aconfessionnel, dans lequel chacun peut exprimer ce qui est commun et non ses différences individuelles : Expression de la discrétion. L’autorisation pour certains du port du voile au nom d’une certaine laïcité dite « ouverte », en d’autres termes, accommodante, participe de la confusion des esprits. Selon Sami Naïr, il n’existe pas de « laïcité ouverte ou fermée » : seule existe la laïcité, quatrième pilier de la République. En matière de laïcité, gardons en mémoire un des préceptes de la « lettre aux instituteurs » de Jules Ferry : « Demandez-vous s’il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire.Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. »
Aujourd’hui, pour le tartuffe woke ayant un rapport perverti à la réalité, « il faut voir ce que l’on dit et non dire ce que l’on voit ». Un exemple manifeste récent en témoigne : la déclaration de la présidente de France Télévisions lors d’une audition à l’Assemblée nationale : « Je tiens à dire qu’on ne représente pas la France telle qu’elle est, on essaie de représenter la France telle qu’on voudrait qu’elle soit. » Il revient à tous les médias de témoigner de la réalité, de tendre vers la vérité, et il incombe aux politiques élus de changer la société, non aux journalistes en tant que tels, ni aux magistrats dans l’exercice de leurs fonctions. Quand un juge se donne cette responsabilité, cela aboutit à la célèbre tirade de Baudot : « Ne vous contentez pas de faire votre métier […] Vous avez un rôle à jouer […] Soyez partiaux […] Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’ouvrier contre le patron, pour le voleur contre la police. »
Dans l’idéal platonicien de la cité juste, chaque individu trouve sa juste place selon sa nature propre, et s’y consacre en accomplissant sa mission. Cette perversion, qui est une position subjective par rapport à la Loi et au désir, fait du pervers un « faiseur de loi » qui détourne le sens des mots (transphobe, homophobe, islamophobe…) à des fins de manipulation des esprits. Notre époque est désormais enfermée dans « une cage aux phobes », selon l’expression de Philippe Muray, dont les trans sont les derniers avatars. Rappelons que toute phobie, « phobos », désigneune peur spécifique de situations ou d’objets ! Ainsi, l’homophobie ne fait pas référence à une peur ou haine du même, mais à une crainte ou haine de celui qui éprouve de l’amour pour le même sexe. Paradoxalement, le démophobe, qui définit la peur du peuple de la part de nos élites, ne figure pas dans la litanie des « phobes ». Rappelons que la démocratie est un système de gouvernement où le peuple est souverain. La répétition de slogans, la mise en scène et la propagande instaurent un espace pulsionnel destiné à assujettir les individus. Les slogans s’avèrent être des instruments efficaces de manipulation, d’autant plus qu’ils s’adressent davantage à l’émotion qu’à la raison. Gérard Rabinovitch[19] dénonce les perversions du langage ainsi que l’antinomie entre la résistance et le terrorisme. Il souligne que « le résistant se fait violence d’entrer dans cette voie quand le terroriste se promet d’en jouir ». Tandis que le premier inflige la mort à l’ennemi pour préserver la vie, le second sacrifie sa vie pour propager la mort. Nous avons récemment pu observer combien le terrorisme pouvait chosifier, dégrader, voire nazifier celui qui est attaqué. Cette confusion ruine le droit à la résistance et, par un subterfuge, par une imposture, sanctifie la violence terroriste.
La « langue genrée » d’une minorité agissante s’applique désormais à la maternité.
Un nouveau manuel[20] issu d’universitaires et de sage-femmes progressistes vise à promouvoir la « décolonisation du genre » et la « justice reproductive » par le biais de rectifications linguistiques. Au nom de l’inclusivité, les mères qui accouchent sont déshumanisées, spoliées de leur corps et de leurs gestes en devenant « parent gestationnel » ou « personne enceinte ». L’expression « allaitement maternel » est muée en « allaitement thoracique » et le « lait maternel » est rebaptisé « lait humain » ou « lait du parent nourricier ». Le père devenu superfétatoire est désigné « membre de l’équipe de soutien ». Dans une « mise en scène de la vie quotidienne » que l’on pourrait qualifier de psychiatrisée, et pour refléter la diversité du genre et des sexualités, nous pouvons voir opérer un « spécialiste en santé reproductive » à la place du traditionnel gynécologue. « L’effort pour rendre l’autre fou[21] » dans ce scénario s’étaye sur la novlangue devenue la norme. Quand le langage se paupérise par sa binarité, qu’il n’est plus habité dans ses nuances et qu’il se délite par son incapacité à dialectiser, alors les notions d’exigence et de mérite s’effondrent et la transmission défaille. Le langage n’est certes pas la réalité, mais tenter de modifier la langue pour transformer le monde, c’est confondre le signifiant avec la chose. Cette aspiration à faire coïncider le mot avec la chose, en adoptant, par exemple des prénoms neutres comme « iel » ou « celleux », révèle d’une volonté d’abolir l’écart fondateur entre le signe et le réel : Elle constitue, en ce sens, une négation du symbolique.
Le langage cesse d’être un lieu d’équivoques et d’ambiguïtés pour devenir un outil de pouvoir.
Ce langage neutre qui prétend englober toutes les identités, sans distinction de sexe ou incorporant les deux, est le fantasme d’un signifiant maître absolu sans faille. Cette plongée dans le réel où le mot est la chose, rappelle l’enfant psychotique repéré par Lacan dans L’Étourdit. Cet enfant est dans le langage, mais hors discours. Faute d’un discours établi pour l’enfant, le symbolique n’est pas articulé comme chaîne signifiante pouvant border la jouissance. Aussi, cette perversion des idées et des concepts constitue une falsification susceptible de provoquer, de libérer et d’autoriser l’expression des haines. La violence devient la seule voie de décharge. Rappelons avec Francis Ponge que « la meilleure façon de servir la République est de redonner force et tenue au langage ».
Censure et intimidation
Observons ce nouveau paradoxe, où, à l’heure du recul des préjugés à l’endroit des homosexuels, des associations militantes dénoncent dans un climat de terreur l’homophobie d’un certain nombre d’intellectuels sous le slogan « l’homophobie tue ». La conférence de Sylviane Agacinski prévue sur « l’être humain à l’époque de sa reproductibilité technique » a été annulée, car des groupuscules associatifs radicaux (Riposte trans, Mauvais Genre-s), désignés par le journal Marianne [22] comme « milices fascistes », avaient menacé de perturber l’évènement « par tous les moyens ».
Dans ce mouvement de déconstruction, certaines universités s’engagent dans ce combat avec la caution intellectuelle et institutionnelle des studies, promeuvent une police du langage et de la pensée et exercent un terrorisme par le biais de la censure. Consterné aurait été l’auteur des Essais d’assister à ce spectacle au sein de l’université portant son nom, en ce lieu dédié à la disputatio et à la controverse argumentée. Adieu au projet humaniste qui invitait à penser contre soi, à « limer sa cervelle contre celle d’autrui », à se dépasser par le savoir… Montaigne revient, avec la promptitude propre aux esprits qui ne dorment jamais : ils sont devenus fous ! Ces censures expriment une des facettes de l’idéologie woke qui n’est que pure négation et totale destruction. Un autre exemple, l’ouvrage de Daniel Lindenberg[23], le Rappel à l’ordre, où l’auteur disqualifie les voix dissidentes qui, dans un désir de retour du refoulé, de l’ordre symbolique, dénoncent le relativisme ambiant, le multiculturalisme et l’héritage de mai 68. À la manière d’un retour aux listes noires, cet ouvrage ne se contente pas de contester la pensée adverse : Il la disqualifie en l’assignant à une mouvance réactionnaire (Pierre-André Taguieff dénonce une « inquisition intellectuelle »), et adopte ainsi la posture d’une dénonciation morale, excessivement surmoïque. Le cinéaste américain Ami Horowitz déclare en guise d’incipit dans son documentaire diffusé en juillet 2024, un paradoxe de taille : « le soutien des LGBTQ aux Palestiniens dans le conflit les opposant à Israël [24]. » En Palestine, non seulement on ne prône pas une telle convergence des luttes, mais on traque, torture, viole et assassine les personnes homosexuelles, alors que certaines d’entre elles trouvent refuge en Israël et peuvent participer éventuellement à la magistrale Gay Pride de Tel-Aviv.
Les marges en place du centre
« La vérité surgit toujours dans les marges. » Jacques Lacan.
Déclarer que les marges sont devenues le centre, exprime que certaines identités, historiquement minorées ou invisibilisées jusqu’alors (transgenres, handicapées…) occupent désormais l’espace dominant de la société dans les débats médiatiques ou culturels et contestent les normes dominantes par l’imposition idéologique de la « wokisation ». Les identités trans actuelles pourraient incarner le retour du refoulé de l’ordre sexuel et révéler la béance structurale entre les sexes. Ce refoulé se manifeste actuellement par une sur-visibilité et une certaine radicalité.
Ainsi, des groupes marginaux se constituent en lobby, s’exposent dans des manifestations internationales ou s’imposent dans les écoles en légitimant et en banalisant le tout possible : « Au planning, on sait que les hommes aussi peuvent être enceints ! » Ces groupes marginaux tendent à s’expatrier à l’étranger avec la création d’un poste d’ambassadeur de France pour les droits LGBT+. Néanmoins, une conférence prévue au Cameroun sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre n’a pas pu avoir lieu en raison du refus de ce pays d’accueillir l’ambassadeur. Ce triomphe des passions identitaires travaille à un enfermement de l’homme dans le cercle étroit des identités de sexe, de genre, de religion, d’ethnicité au détriment de l’unique identité qui nous dépasse : l’identité nationale. On assiste à une tentative de réorganisation du pouvoir et de transformation du lien social, qui serait moins fondé sur le refoulement et la loi que sur le ressenti et la jouissance minoritaire, dans un désir d’éradiquer le manque et la dette structurant le sujet.
Le présent et le futur en lieu et place du passé
« Tous les pays qui n’ont plus de légende, seront condamnés à mourir de froid […]. »
Patrice de la Tour du Pin, 1946.
L’histoire semble vécue comme un affront narcissique insupportable. Effacer le passé, ses œuvres, ses réalisations et ses enseignements au profit d’un surinvestissement du présent, c’est renoncer à une certaine modestie, c’est annihiler la mémoire, effacer l’identité, refuser la dette symbolique, déliter les liens humains, fuir devant le réel du trauma historique et favoriser l’émergence d’une horde sauvage livrée à ses pulsions primaires.
Le mouvement woke juge le passé et ses structures mentales, censées être sexistes, racistes et homophobes, de manière anachronique en refusant la contextualisation.
Notons une exception pour le pogrom du 7 octobre 2023, où la contextualisation est évoquée par les présidents de certaines universités des États-Unis. Cette exception témoigne d’une certaine porosité entre le wokisme et l’antisémitisme.
Hannah Arendt,[25] dans « La crise de l’éducation », décrit le monde comme un espace façonné par l’humanité sur terre. Il faut, dit-elle, « expliquer aux enfants que le monde dans lequel ils vivent est plus vieux qu’eux, c’est-à-dire les introduire au monde du passé : ne pas instruire du passé les enfants, c’est introduire une brèche entre le passé et l’avenir, c’est rompre le fil de l’humanité, c’est empêcher les enfants d’être pleinement humains ». Cependant, à quelles fins offrir aux élèves les œuvres du passé qui ont perduré jusqu’à ce jour, si l’on considère, sans discernement, que le monde précédent était mauvais, raciste et colonialiste ? L’école française est une structure universaliste qui accueille tous les élèves à visée d’apprentissage, indépendamment de leur sexe, de leur statut économique, de leur culture d’origine ou de leur couleur de peau… « Un peuple qui oublie son histoire se condamne à la revivre », disait Winston Churchill. Enfin, Hannah Arendt nous rappelle dans Vies politiques que « toute époque pour laquelle son propre passé est devenu problématique à un degré tel que le nôtre doit se heurter finalement au phénomène de la langue, car dans la langue ce qui est passé a une assise indéracinable, et c’est sur la langue que viennent échouer toutes les tentatives de se débarrasser définitivement du passé. »
La sensibilité en place de l’intelligibilité
Nous sommes nés à quêter la vérité ; Il appartient de la posséder […].
Michel de Montaigne.
Le « woke » se doit de réagir à toutes les formes de discrimination (sexisme, misogynie, homophobie, transphobie…) avec une sensibilité absolue. Ainsi, certains défenseurs de cette « cause » perçoivent la moindre énonciation d’opinions ou de pensées qui divergent des leurs comme une « micro-agression », une offense, un cautère dans les entrailles. Ils imposent une confiscation de la parole, une annulation de conférences, par leur incapacité à affronter le débat et l’altérité, qualifiant alors « tout opposant » de transphobe, d’homophobe ou d’islamophobe. Une politique du ressenti claquemure l’individu dans la clôture de ses sensations, l’isole de l’universel. Cette division binaire du monde entre deux subjectivités antagonistes avec le retour de la dualité (phileo et phobos) rend tout débat impossible. Daniel Sibony engage fréquemment un parallèle avec l’Islam, une religion qui, selon lui, « fonctionne selon une logique binaire » : « Pour le Coran, il y a les soumis (les musulmans) et les insoumis (les incroyants). » De même que l’islam désigne l’autre comme infidèle, le wokisme qualifie l’homme Blanc et hétérosexuel de raciste et de colonialiste, en essentialisant des identités.
Par ailleurs, l’hypersensibilité actuelle s’articule à la question des identités. User du registre des identités, c’est-à-dire se prononcer en tant que représentant d’une minorité et non user du registre des idées, pervertit le débat et prive d’une liberté de parole, dans la mesure où l’identité présente une sensibilité particulière à la flagornerie ou à la critique. Rappelons que, pour Winnicott, la sentimentalité est un attribut qui s’origine dans le refoulement de la haine.
Le wokisme, qui présentait à l’origine des vertus louables en désirant réveiller les consciences sur les injustices, aura dérivé vers une idéologie intransigeante dès lors qu’il a fait de la moindre offense un préjudice, une blessure propre à la vie sociale, un dommage atteignant l’intégrité de la personne. Cette inversion aura ouvert la porte à une tyrannie illimitée, à une purification moralisatrice. Ce fantasme de pureté pourrait répondre à une défense contre le réel de la division du sujet en tant que ce dernier est toujours traversé par des ambivalences, des pulsions et des contradictions. Une vérité universelle peut-elle encore subsister, dès lors que toute remise en question de ma vérité est perçue comme une atteinte à mon intégralité, voire comme une blessure ?» Il fut un temps, celui de l’affaire Dreyfus, où les débats idéologiques faisaient rage, mais où la littérature et le patriotisme réunissaient les opposants comme Léon Blum et Maurice Barrès durant la Grande Guerre. Les haines actuelles et l’absence d’un bien commun semblent désormais rendre cette alliance improbable.
Une conférence sur les nouveaux défis rencontrés par les parents, à laquelle Caroline Eliacheff devait intervenir à la mairie de Paris centre, a été annulée sous la pression exercée par des militants transgenres. La municipalité défend publiquement sa position : « la mairie est engagée contre toutes les discriminations et contre la transphobie », tout en qualifiant les intervenants de « chercheurs aux positions controversées ». La polémique est ainsi vécue comme une offense ou une agression à censurer. Ainsi, dans cette ambiance de quérulence, chacun met en avant sa propre identité, en exhibant ses souffrances, en dénonçant les offenses, en signifiant son besoin de visibilité et de reconnaissance. Une « société du ressenti », donc d’individualités, tend à une destruction du bien commun. Comment coexister avec autrui, dès lors que, m’adressant à un individu barbu, ce dernier exige d’être appelé mademoiselle ? Une société sans référent commun tendrait à s’animaliser, selon l’expression de Philippe Murray.
La politique actuelle se prête à cette question de la sensibilité, notamment avec l’abrogation de l’épreuve de français au concours des grandes écoles d’ingénieurs. Cette épreuve, qui n’était pas une dissertation de type agrégatif, mais plutôt un QCM, est jugée « anxiogène » et « pouvait être socialement discriminante ». La priorité n’est plus de maîtriser la langue française ou de détecter des talents, mais plutôt de « s’adapter aux réalités des étudiants » et d’éviter de heurter l’hypersensibilité des élèves « qui ne se sentent pas toujours prêts ».
Un député demande l’éviction de l’expression « travail au noir », la considérant comme péjorative et ignorant à l’évidence la référence à l’interdiction du travail de nuit. Cette intervention de type paranoïde impose une police du langage et de la pensée sans toutefois véritablement contribuer à la lutte contre les discriminations ou au travail clandestin.
Cette polarisation sur le binôme dominant-dominé, entrainant la culpabilisation des dominants selon Michel Foucault et des classes favorisées selon Pierre Bourdieu, et articulée à la dénonciation récurrente de la domination, représente pour Nathalie Heinich[26] une posture mentale liée au ressentiment. Ce primat du vécu émotionnel, cette centralité de la souffrance subjective ainsi que cette quête de réparation, signent la projection de blessures narcissiques non élaborées sur la scène sociale. Cette position d’une identité victimaire figée prive le sujet de toute responsabilité tout en éludant le symbolique au profit de l’imaginaire : « Je ressens, donc j’ai raison. » Une fois encore, parler au nom de son ressenti, c’est oublier, comme Freud l’a illustré dans L’interprétation des rêves (1905), que le sujet n’est pas transparent à lui-même. Ce que chacun croit dire consciemment masque des formations de l’inconscient, tels que des désirs, des fantasmes et des ambivalences.
Ainsi émerge le postmodernisme qui ouvre la voie au despotisme des ressentis et aux vérités subjectives. Nous observons une inversion radicale de la conception de la vérité, qui se dissout dès lors que chacun s’autorise sa vérité, menant à une position mortifère. Dans un négationnisme d’atmosphère, la vérité ne compte plus. La pensée s’agence autour de narratifs dont la véracité reste secondaire.
La victime en place du héros
« Le vrai génie du mal est de faire de la victime un modèle. »
Albert Camus, L’Homme révolté.
On observe une confusion entre deux figures archétypales : celle du héros et celle de la victime. Le héros était doté de vertus cardinales : un choix, une volonté, un idéal chevaleresque, du courage et des valeurs non marquées par une logique égalitaire. En revanche, la victime contemporaine érige en vertu une posture doloriste permanente, dans un cadre égalitariste ou toute forme de distinction est proscrite, et où l’admiration elle-même paraît suspecte.
Une nouvelle médaille nationale a été créée pour honorer les victimes du terrorisme. La plaque commémorative dédiée à Arnaud Beltrame, un gendarme assassiné, précise : « Victime de son héroïsme. »
Hier, les poilus de la Première Guerre mondiale étaient considérés comme des héros défendant leur patrie et non comme des victimes. La figure du héros est devenue suspecte en tant qu’elle véhicule une valeur de courage qui s’apparente aujourd’hui à l’image de la domination. Cette substitution de la figure héroïque a commencé à s’illustrer dans le film Les héros sont fatigués, au titre évocateur.
Pascal Bruckner[27] illustre à quel point nous avons glissé vers une humanité victimaire où prime le souci des humiliés : « La victimisation comme chantage sur autrui et la pathologie de la reconnaissance sont les envers de ce progrès. » Ce changement de posture, favorable aux vécus minoritaires, génère une culpabilité collective qui ravive ainsi notre dette symbolique envers le souffrant. Nous baignons dans un dolorisme ambiant d’où émerge la figure du martyr. Deux grandes passions sont à l’œuvre : le ressentiment et la vengeance. Selon Marcel Gauchet,[28]dans cette nouvelle démocratie dite « néolibérale », les droits des délinquants prévalent sur ceux des victimes. Cette sacralisation de la victime, figure emblématique du wokisme, s’exprime avec une infatuation à être du côté du vrai et du bien.
Lors du procès d’Outreau, la victime incarnait la vérité : « L’enfant dit le vrai », affirmait une ex-ministre de l’Éducation qui s’auto-désignait « la ministre des enfants » ; des déclarations corroborées dans le rapport sur « l’action publique contre la maltraitance des enfants »[29]. La victime représente la vérité : « Le racisme anti-Blanc n’existe pas. »[30] Cette figure de la victime ne découle-t-elle pas de la déchristianisation contemporaine, précédemment évoquée, dans la mesure où, pour donner un sens à la souffrance, la victime pourrait symboliser la figure du sacré sans religion, remplaçant ainsi les martyrs chrétiens ? Cette inclinaison à ressentir de la culpabilité attribuée à l’homme blanc occidental pourrait trouver ses racines chez les Grecs, à travers le destin d’Œdipe, qui en raison de sa faute, se crève les yeux, mais qui prendra toute son ampleur avec le christianisme et sa conception du péché originel face à Dieu.
Florent Poupart[31] fait remarquer que le conflit psychique n’est plus traité au sein des instances internes, mais externalisé. Désormais, la charge de la responsabilité incombe à autrui, c’est-à-dire à celui qui est perçu comme le coupable des contraintes qui entravent la jouissance du sujet. Il en résulte la revendication spécifique rencontrée chez « l’individu woke ».
Une question que l’analyste pourrait formuler, en présence du névrosé adoptant une posture quérulente, revendicatrice et teintée de morbidité, comme une plainte obstinée de l’enfant en quête de reconnaissance face à l’adulte, pourrait s’énoncer ainsi : « Cette plainte qui semble vous habiter, ne pourrait-elle pas, par les bénéfices secondaires qu’elle procure et la culpabilité qu’elle fait peser sur autrui, tenir lieu de déclaration d’innocence ?» Cette remarque freudienne rejoint la position de Lacan lorsqu’il souligne que la souffrance peut devenir un véritable capital dans l’économie subjective du sujet.
Il est pour le moins inattendu que ce capital souffrance puisse s’inscrire dans un dispositif institutionnel soutenu par certains gouvernements. Au Canada, un dispositif officiel permet d’évaluer le degré de victimisation en fonction de l’identité déclarée ; dans cette hiérarchie de la souffrance, la figure trans occupe la première place.
Si l’une des visées reste pour l’analysant de prendre conscience de sa solitude et d’assumer son destin, quel type de travail peut-on engager avec une catégorie qui s’institue victime, et par conséquent, comme des sujets irresponsables qui évacuent ainsi le rapport au destin, contrairement au héros qui choisit sa voie ? Si l’une des visées de l’analyse demeure pour l’analysant de prendre conscience de sa solitude et d’assumer son destin, quel travail peut-on encore engager avec une subjectivité qui s’institue victime et qui, ce faisant, se dérobe à toute responsabilité ? Car en se soustrayant à l’épreuve du destin, elle s’éloigne radicalement de la figure du héros, celui qui, lui, choisit sa voie. Finalement, comment faire société avec des « groupes de victimes » constitués d’individus repliés sur eux-mêmes, créant ainsi les conditions d’un conflit civil des mémoires antagonistes ? Pascal Bruckner[32] évoque la victimisation comme une « carrière », une variante de « discrimination positive sauvage », une manière de s’octroyer un passe-droit quand tous les recours juridiques des politiques viennent à manquer ». Ainsi émerge le paradigme binaire et généralisant de notre temps : dominants-dominés, ou sa variante oppresseurs-opprimés, accompagnée d’une inversion des rôles. Ce phénomène est observable dans un contexte géopolitique où, hier persécuté et victime de la Shoah, le juif en tenue rayée, devenant soldat, est transformé en oppresseur nazifié. Selon Michel Wolkowicz, Gaza est le lieu fétiche de cette inversion qui fonctionne comme la réalisation hallucinatoire d’un désir de destruction et de la rencontre de deux quêtes identitaires complètes : d’une part l’Islam, où la cause palestinienne permet de faire masse pour combler les manques et échecs, et d’autre part un Occident européen, honteux de son passé lié à la Shoah. Soulignons à cet égard, l’interprétation de deux expressions : « Je sais bien que Gaza n’est pas un génocide, mais quand même » révèle une forclusion, un désaveu pervers de la réalité. Quant à l’énoncé « Israël a le droit d’exister » se présente comme une affirmation explicite mais qui pourrait avoir valeur de dénégation, c’est-à-dire signer un refus implicite inconscient, dans la mesure où tout État reconnu n’a nullement besoin d’une légitimation de son existence. Enfin, nous pourrions constater combien il est saisissant qu’au sein d’un même discours militant fait de slogans chargés de contradictions, puissent co-exister l’accusation d’une logique d’effacement, celle d’un « génocide à Gaza » et l’exigence d’une Palestine « from the river to the see », révélant d’une logique d’effacement équivalente : l’anéantissement du peuple juif. L’étymologie de génocide, selon le dictionnaire de l’Académie française (9e édition), précise sa composition : il provient du grec genos (naissance, race), et de cide, qui dérive du latin caedere, (abattre, tuer). Ce terme désigne l’extermination physique, systématique et planifiée d’un groupe humain en raison de ses origines. Comment dès lors appréhender, au-delà de la manifestation d’un négationnisme consubstantiel de l’extermination, cette obsession jouissante mais inappropriée à employer le terme de génocide en écho au « déicide historique » ? Selon Daniel Sibony[33], c’est une perversion qui consiste à dénoncer chez l’autre ce que l’on pratique soi-même, une réalité ancrée dans la tradition radicale de l’Islam dans le Coran. Nous pourrions ajouter que cette pulsion pourrait être organisée par un fantasme où le juif occupe une place spécifique dans l’imaginaire antisémite musulman, dans la mesure où il incarne une limitation de la jouissance encadrée par des lois ainsi qu’un refus des idoles qui s’oppose radicalement à toute extrémisme.
« La politique est la grande génératrice et la littérature la grande particularisatrice, et elles sont dans une relation non seulement d’inversion, mais aussi d’antagonisme… Quand on généralise la souffrance, on a le communisme. Quand on particularise la souffrance, on a la littérature[34] ».
L’animal en place de l’homme ou l’antispécisme
« L’humanisme est mort le jour où l’on a voulu faire du porc un frère. »
Michel Onfray, Le ventre des philosophes.
Le spécisme, dont se réclame Élisabeth de Fontenay[35] dans le silence des bêtes, reflète une préoccupation légitime et bénéfique pour le bien-être animal. Toutefois, il convient de souligner que la sollicitude de l’animal envers l’homme n’existe pas. Cette notion d’antispécisme apparaît comme un symptôme contemporain visant à naturaliser l’homme et à humaniser l’animal. Cette idée signe une déclinaison de l’égalitarisme, une lutte contre les discriminations systématiques subies par toutes les espèces extérieures à l’humanité et une déconstruction de notre rapport à l’animal. L’antispécisme abolit la distinction entre nature et culture en créant un continuum entre l’homme et l’animal, dans lequel un savoir inné serait à recouvrer, car brisé par la culture, le langage et le symbolique, ainsi que le désir de s’affranchir de la dissymétrie entre l’homme et l’animal. En niant la spécificité du sujet humain, l’antispécisme refuse le langage instituant, refoule la castration symbolique structurante du sujet et se livre à une transgression vers un stade naturel idéalisé pré-langagier où l’humain se vit alors sans division ni loi. C’est une forme de déni infantile du réel, un fantasme de l’unité perdue.
Cette idéologie de l’indifférenciation et de l’inclusion conduit le philosophe Peter Singer[36], considéré comme le fondateur de l’antispécisme, à déclarer en 2003 que la zoophilie pouvait être considérée comme un choix sexuel légitime et finalement banal. Sans limite, nous n’habitons plus l’humanité, mais la nature, où l’adéquation et les rapports sexuels existent chez les animaux. Rappelons cette distinction : seul l’homme est constamment préoccupé par la sexualité, à la différence de l’animal qui traverse des phases de repos. Enfin, en ce qui concerne le racisme comparé au spécisme, qui serait « le pire des maux[37] » pour certains antispécistes, Lacan avance cette thèse, lors de son séminaire VII, que toute fraternité repose sur une ségrégation : « Tout ce qui existe est fondé sur la ségrégation et, au premier temps, la fraternité. » Cette prise de conscience pourrait être de nature à limiter le pire, en tant qu’un désir idéaliste de fraternité et de justice générerait une nouvelle forme de ségrégation.
Sous couvert d’écologie, d’idolâtrie de la terre Gaïa et de la défense animalière, Bérénice Levet[38] démontre dans son ouvrage la motivation enivrante de ces défenseurs, qui vise une cible : l’homme blanc occidental. Ce dernier s’inscrit dans le grand récit intersectionnel, dont la chronique se résumerait à l’élaboration de victimes identitaires (femme, noir, musulman, LGBT, animal) face à la « masculinité toxique » du prédateur occidental. Dans une forme de « barbarie douce » décrite par Jean-Pierre Le Goff, il s’agirait de modifier nos comportements afin d’en finir avec le modèle de civilisation occidental désormais considéré comme coupable et prédateur.
Dans une autre perspective, Régis Debray corrobore cette conversion de civilisation dans son ouvrage Le Siècle vert, un changement de civilisation,[39]où il identifie l’homme prométhéen comme un conquérant maître et possesseur de la nature, dans la vision « Aux armes citoyens », supplanté par l’homme vert, honteux de son passé, divinisant l’animal et la nature sous le cri « Aux arbres citoyens » tout en occultant la nature de l’homme. Il s’agit d’un renversement du sacré, dans le passage du Dieu (masculin) de l’histoire au paganisme de la déesse Gaïa (féminine), qu’il n’hésite pas à qualifier de « crépuscule », en évoquant l’écologisme de Hitler, qui avait inscrit dans la législation le culte des animaux et de la forêt. Cette « écologie profonde » idéalisant la nature répondait chez Hitler à un fantasme de pureté ethnique, de terres ancestrales (le Blut und Boden, « le sang et le sol »), au service d’une pulsion de mort, celle de détruire les « humains impurs », tels que les juifs et les étrangers.
Du féminisme des années 70 aux néo-féministes
« Les 2 sexes mourront chacun de son côté. »
Alfred de Vigny, La colère de Samson.
Sans remonter aux suffragettes qui désiraient être reconnues comme des sujets de droit et non plus comme des objets du désir masculin, nous assistons au remplacement d’un féminisme égalitaire, universel et républicain, héritier des luttes du MLF (mouvement de libération des femmes) des années 70 qui plaidait pour l’égalité entre hommes et femmes ainsi que pour la libre disposition de son corps (contraception et avortement), par des néo-féministes qui s’inscrivent dans la tyrannie des minorités, dont les trans, prônant les droits à la différence. Ces néo-féministes adoptent une posture moralisatrice, criminalisent les hommes et cantonnent les femmes à une position infantilisante de victimes chroniques dans les relations entre les sexes, abandonnant ainsi la véritable cause féministe. C’est une perversion des principes égalitaires en prescriptions tyranniques.
Dans un article publié dans le Monde,[40] la philosophe Camille Froidevaux-Mettrie précise sa cause : « Je crois que, quand on est féministe, on est nécessairement misandre. », ajoutant que « la misandrie est aussi un projet dans le lesbianisme politique qui propose de vivre sans les hommes au sein de communautés séparées… ». N’est-ce pas la tentation du séparatisme entre hommes et femmes dans cette culture du narcissisme par peur de l’altérité et de l’engagement ? Ces féministes reconduisent un profil essentialiste, une ontologie féminine spécifique, une naturalisation du type de l’éternel féminin telle que décrite par Goethe.
Notons que, pour la psychanalyse lacanienne, « LA Femme n’ex-siste pas ». Selon Lacan, « on ne peut pas la ranger dans une catégorie qui ne convient pas aux femmes » et il précise dans sa logique poétique : « on ne peut pas dire La femme, car si on la dit, on la dit-femme, on la diffame. » Enfin, dans son Séminaire XX (Encore), il déploie une théorie du féminin psychique reposant sur le concept de « femme, pas toute ».
Les néo-féministes attaquent la société qui leur a permis l’accès aux libertés, en pointant une « masculinité toxique » et un « privilège blanc », tout en imposant l’absurdité d’une langue dite inclusive. « Choisir le terrain linguistique pour mener cette bataille nécessaire, en mélangeant règle grammaticale et marques de sexe, c’est confondre les luttes sociales et le badinage de salon », souligne Alain Bentolila.[41] La terreur politique de 1793 n’aura pas autorisé une telle manipulation de la langue. Ainsi, Olympe de Gouges féministe a été exécutée, entre autres raisons, pour cette confusionentre homo (l’être humain) et vir (l’homme par opposition à la femme) à l’occasion de la parution des Droits de la femme et de la citoyenne.
Autres attaques de la société : la promotion d’une justice populaire médiatique, fondée sur l’émotion, contre le droit qui, rappelons-le, est étayé sur le principe contradictoire et la présomption d’innocence. Désormais, la plaignante est désignée victime et une police des mœurs et de la pensée s’est instaurée, influençant les différends conjugaux en faisant appel à « une culture du viol » basée sur le syntagme « violences sexistes et sexuelles », ce qui autorise un continuum de non-discrimination entre la blague grivoise et le viol. À l’opposé, elles refusent de soutenir les femmes iraniennes qui combattent la dictature islamiste en rejetant le voile, au risque de leur vie, tandis qu’elles militent pour le voilement des femmes en France (burkini, hijabeuses) en arguant d’un embellissement ou d’une expression de la féminité : un étendard de leur servitude volontaire. Pour ces néo-féministes, l’excision ne serait pas systématiquement rejetée au nom du respect des cultures, alors que le machisme des quartiers dits « sensibles » est occulté. Caroline de Haas préfère faire élargir les trottoirs plutôt que de lutter contre le harcèlement de ces mêmes hommes.
Enfin, il conviendrait de souligner que ce féminisme misandre dénonçant en permanence la masculinité toxique et la culture du viol pourrait masquer un désir masochiste inassumable. Dès 2003, Charles Melman[42] pointait ce féminisme misandre qui conduisait à une dévirilisation en livrant l’homme, en tant que tel, à la prédation. Cela pourrait susciter l’émergence d’une société ouverte à des phénomènes de radicalisation où les hommes pourraient être de plus en plus fascinés par une idéologie fasciste et totalitaire, en recherchant un maître incarné, que l’on croit en tant que tel, ce qui illustre une des facettes de la psychose définie par Lacan.
L’irrationnel en place du rationnel
« De l’astronomie, apprends toutes les règles, mais laisse-moi l’astrologie et l’art de Lullius [= l’alchimie], comme autant d’abus et de futilités. »
Rabelais, Lettre de Gargantua à son fils Pantagruel
Selon Michel Maffesoli, le rationalisme, qui constitue l’un des trépieds de la modernité aux côtés de l’individualisme et du progressisme, fait désormais place à l’émotionnel et à l’irrationnel.
La théorie du genre promeut la création d’un homme nouveau, déconstruit, et à l’instar de tout régime totalitaire, elle sape les fondements anthropologiques de l’humanité en niant le corps et en faisant usage de la puissance du performatif : « Je suis ce que je dis ou ce que je ressens. » Cette théorie bénéficie du soutien d’organisations militantes telles que le planning familial ou de « formateurs » intervenants dans l’institution scolaire. Les formations font florès : « Violences sexistes sexuelles », projets ANR qui proposent des recherches participatives menées par un laboratoire de sociologie et une association de personnes transgenres, ainsi que des colloques sur la « décolonisation des savoirs », la « démasculinisation des sciences » et les thématiques relatives au genre et à la médicalisation.
Ces « études du genre » investissent aujourd’hui toutes les disciplines universitaires, en validant leur fondement basé sur la dichotomie dominants/dominés tout en œuvrant à une dénonciation permanente des injustices que des oppresseurs imposeraient à des victimes de cette domination. La création d’un homme nouveau, déconstruit, résonne avec le projet civilisationnel de marchandisation des corps de l’Europe maastrichtienne, où l’enfant apparaît comme un projet modifiable (par interruption médicale de grossesse) pour motif psychosocial, jusqu’à neuf mois, et où chacun peut louer un utérus selon ses désirs. Pour Éric Marty[43], le genre (gender) représente le dernier grand message idéologique que l’Occident adresse au reste du monde Une députée EELV, interrogée par Charlie Hebdo au sujet de la mouvance éco-féministe, nous offre cette réponse improbable : « Le monde crève de trop de rationalité […], je préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR. »Au-delà de la promotion d’une spiritualité New-Age, essentialisante et antiféministe renvoyant les femmes à leur foyer et à un imaginaire collectif d’effroi et d’ostracisme, on note que la figure scientifique est rejetée au profit de la sorcière, symbole du savoir interdit. Cela illustre l’expression de la forclusion du symbolique, qui ouvre à une position fusionnelle du savoir non encadrée par les lois du langage. Dans une identification imaginaire et un fantasme de persécution, on pourrait lire : « je demeure du côté des dominées, même si cela m’oblige à privilégier l’irrationnel sur l’institution dominante ». La dénégation est manifeste : « Je sais bien que c’est irrationnel, mais quand même… Je choisis de me ranger du côté des opprimées. »
Dans le même registre, l’université britannique d’Exeter propose un master of arts[44] équivalent à un master en magie et sciences occultes. La directrice du programme précise que la décolonisation, l’exploitation d’épistémologies alternatives, le féminisme et l’antiracisme sont au cœur de ces études. De plus, la queer archeology [45] tente de démontrer la non-binarité d’un défunt à partir d’ossements de Vikings et d’explorer la nature contextuelle de l’identité humaine.
Reviens parmi nous, Freud, « ils sont devenus fous », pour nous rappeler ta citation adressée à Albert Einstein : « L’État idéal résiderait naturellement dans une communauté d’hommes ayant assujetti leur vie instinctive à la dictature de la raison.[46] »
« La jeunesse occidentale subit un véritable lavage de cerveau dont l’antisémitisme universitaire est l’ultime avatar », déclare Alain Finkielkraut.[47] Pour illustration, nous pourrions évoquer la démission de la présidente de l’université de Harvard, Claudine Gay, pour des propos jugés ambigus en rapport avec la recrudescence de l’antisémitisme.
Soulignons ce dernier paradoxe du wokisme, qui consiste à mener des combats déjà remportés, en s’insurgeant contre l’esclavagisme dans les sociétés qui l’ont aboli, en condamnant le colonialisme à l’ère postcoloniale, en défendant les droits des femmes dans des sociétés dans lesquelles l’égalité entre homme et femme est établie, tout en ignorant les véritables pays où le patriarcat reste féroce et où l’homosexualité ainsi que le transgenrisme sont passibles de mort.
Rappelons que ces sociétés patriarcales exercent une violence non seulement aux femmes, mais également aux hommes astreints à un modèle de virilité difficile à réaliser. D’une part, ces derniers sont castrés symboliquement par un patriarche tout-puissant, et d’autre part, la société intime à ces hommes d’incarner une virilité exacerbée. Pour compenser ce sentiment d’impuissance imposé par le patriarche, les hommes essaient de consolider leur identité masculine en adoptant des comportements stéréotypés masculins et en opprimant les femmes dans un processus d’identification à l’agresseur.
Dans une tentative d’éradication des vestiges du patriarcat, on a anéanti la fonction paternelle par une interprétation erronée. En l’absence de passeurs des commandements de la loi, émergent des grands frères en quête de jouissance.
« Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaires, C’est à un maître. Vous l’aurez.»
Jacques Lacan aux étudiants de Vincennes, 1968.
Un pulsionnel mortifère à l’œuvre
L’Occident semble travaillé par une pulsion de mort repérable dans un double registre : d’une part, celui de l’endormissement d’un peuple (Hypnos et Thanatos, les jumeaux, personnifiant le sommeil et la mort) et, d’autre part, l’idéologie nihiliste portée par le wokisme, marquée par une inversion des valeurs, une haine de soi et une aversion vis-à-vis de la culture.
Du registre de l’endormissement d’un peuple.
« Il est triste quand on s’endort dans une bergerie de trouver au réveil les moutons changés en loup. »
Hippolyte Taine, Les origines de la France contemporaine, 1875.
Selon Bichat, « la vie est l’ensemble des forces qui résistent à la mort ». La pulsion de mort qui n’est pas synonyme de meurtre, mais qui habite la vie, qui travaille à sa destruction et qui est une trace de l’inorganique dans l’organique, est à repérer dans le déni, le refus d’entendre et de voir le danger de substitution de valeurs, de maintenir le statu quo, d’éviter tout remous, de débattre du sexe des anges, et de fuir sur le mode « ne pas faire le jeu de… ». Daniel Sibony[48] illustre parfaitement la pulsion de mort à l’œuvre, lors du 7 octobre 2023 en Israël. Habitées par un conservatisme, un présent identique par nécessité de vivre et une pulsion de vie suspendue qui serait capable d’encaisser les coups d’altérité et de les remanier avec fécondité, toutes les forces israéliennes ont refoulé le rêve d’une altérité extérieure qui est de vous anéantir.
La course vers l’autodestruction serait également en partie liée à l’impuissance relative des instances politiques, au langage perverti, où deux langues quasiment incompréhensibles s’affrontent : Une expression de l’hypnose similaire à celle du renard et des poules d’Inde de La Fontaine.
Des éléments révélateurs : selon le rapport démographique de 2023 de l’Insee, les taux de natalité sont au plus bas depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec une chute de la fécondité (une baisse de 6,6 % en 2023 par rapport à 2022). Déjà, Auguste Comte nous enseignait que « la démographie c’est le destin », pour souligner la dynamique démographique difficile à renverser à court terme d’une croissance faible majoritairement portée par le solde migratoire. Ne devrions-nous pas « avoir raison avec Raymond Aron », qui avait mis en garde les nations occidentales contre le risque d’un « suicide par dénatalité » ? Cette baisse de la sexualité constatée pourrait être attribuée à une permissivité excessive, à l’absence de contraintes qui annihilent le manque et, par conséquent, le désir. Le nombre d’interruptions volontaires de grossesseenregistré en 2022[49] a atteint un sommet inédit depuis 1990, affichant un taux de 30,7 pour 1000 dans les départements et régions d’outre-mer. Rappelons que, dans le cadre du projet de loi sur la bioéthique, un amendement autorise une interruption médicale de grossesse jusqu’à neuf mois en cas de « détresse psychosociale ». Le pouvoir apparait plus préoccupé par les questions d’euthanasie et de ses dérives possibles que par celles concernant les naissances chez les populations allochtones. « La Voix du Vatican » évoque une « culture du déchet » qui tend à exclure quiconque ne répond pas aux critères déterminés de santé, de beauté et de valeur. Une nouvelle version du « traité de Tordesillas » qui répartissait les territoires (à l’est, la langue portugaise, et à l’ouest, la langue espagnole) pourrait planer sur nos têtes en raison d’une crise identitaire dans l’hémisphère nord, dans l’indifférence et le nihilisme de l’État…On peut également noter la baisse du niveau scolaireen France, avec le classement Pisa[50], ainsi que l’affaissement du champ lexical, essentiel à la réflexion (les résultats des élèves de 15 ans révèlent une chute historique de 21 points, les plaçant en dessous de la moyenne de l’OCDE dans les domaines fondamentaux des mathématiques et de la compréhension écrite), ainsi que l’effondrement de la transmission,réduite aujourd’huiau patrimoine dans une vision anthropologique matérialiste, déjà dénoncée par Bernanos dans son ouvrage La France contre les robots publié en 1947, où il dépeignait une société focalisée uniquement sur « l’efficience et le rendement ». L’affaiblissement des lois du langage et de la transmission symbolique, initié par certains théoriciens de Mai 68 avec leur slogan « cours camarade, le vieux monde est derrière toi », combiné à l’éclipse des grands récits d’émancipation, ouvrirait des failles propices à des conflits civils, via l’horizontalité des réseaux sociaux et certaines formes de radicalisation. La phrase de Voltaire bien appropriée : « ils se sont fait dévots de peur de n’être rien » fait écho aux propos de Lacan lorsqu’il aborde dans son séminaire sur l’Éthique de la psychanalyse (1960) les trois modalités d’appréhension du vide : par la religion qui tente de le combler, par la science qui choisit de l’ignorer, et par l’art qui « compose avec » sur un mode sublimatoire
Julia Kristeva nous invite à penser la perte du langage et de la mémoire dans son ouvrage Les nouvelles maladies de l’âme : « Quand le langage transmis s’effondre, l’être devient exilé même de lui-même. » La perversion du langage conduit à une babélisation des langues, une incapacité à dialectiser, à freiner toute forme d’échange et à s’exprimer dans une bêtise abyssale : selon Pierre-André Taguieff [51] : « La bêtise woke se reconnaît notamment à son lexico-centrisme paranoïaque, inquisiteur et purificateur. » Ses représentants s’évertuent à accomplir quotidiennement de micro-révolutions langagières qui consistent à éliminer et à remplacer des mots pour purifier la langue. Notre histoire, qui se joue à l’entrecroisement d’une civilisation en déclin et d’une autre en émergence, expose sa signature dans l’inauguration des Jeux olympiques, où le spectacle de la parade substitue le rituel par l’image, le réel par le virtuel, le tragique par le ludique et l’histoire par la fiction. De plus, dans le cadre de cette « société du spectacle », Il a été donné à voir, d’une part, l’expression d’un temps archaïque à travers la fusion troublante des tableaux dépourvus de transcendance, telles que la cène laïque et inclusive ainsi que les bacchanales transgressives, témoignant d’une dissolution des identités flottantes et d’un effondrement des structures, et d’autre part, est le symptôme d’une société en proie à la pulsion de mort, traversée par une crise du lien social, dû à l’exaltation de la jouissance immédiate de l’ère postmoderne. Dans ce cadre, le pulsionnel sert un surmoi tyrannique incapable de soutenir le manque et le désir, dans une célébration sans Loi qui ne relie plus. Cette manifestation festive dispendieuse et étrange dans un pays endetté n’évoque- t-elle pas les sociétés en déclin à l’orée de leur chute, telles que la République de Venise ou l’Empire Romain ?
La libération sexuelle a autorisé, via la contraception, de vivre une sexualité sans procréation. Nous assistons à une inversion, celle d’engendrer des enfants sans avoir à se rapporter à la sexualité masculine anatomique. Obtenir le produit de l’accouplement sans avoir recours au coït signerait une appréhension ou une aversion envers l’organe masculin et traduirait un fantasme d’abstraction de l’autre sexe.
L’Occident semble être encore travaillé par la pulsion de mort, dans l’explosion incontrôlée des techniques biomédicales : cryogénisation d’embryons, surplus d’embryons par une transposition des pratiques de l’élevage intensif, insémination post-mortem… Cette biotechnique autorise à se dispenser de la sexualité. On assiste à l’accomplissement des fantasmes infantiles de toute-puissance : l’illusion d’un auto-engendrement, la négation de la différence des sexes et des générations qui structurent tout individu. En une génération, nous avons échangé le modèle du cadavre chaud pour celui de l’embryon congelé, évoluant de « la mort de l’après-vie » vers « l’avant-vie de la mort », dans une fascination qui résonne comme un état hypnotique.
Il s’avère que, d’une part, les questions adressées à la science ne sont plus de l’ordre de la pulsion épistémophilique mais de la jouissance, et d’autre part, la biomédecine a pour vocation de soulager la souffrance, non de nous guérir de la condition humaine. Enfin, face à la pandémie de COVID-19, au nom d’une politique sanitaire, une rupture anthropologique a été imposée aux familles, les privant des derniers instants auprès de leurs aînés dans les établissements médicalisés, ainsi que des traditions funéraires habituelles. Ces personnes sont décédées moins de la COVID que de l’isolement affectif continu : un travail de déliaison entre Éros, Hypnos et Thanatos. Comme l’exprime Vladimir Jankélévitch[52] : « Si la mort n’est pensable ni avant, ni pendant, ni après, quand pourrons-nous la penser ? »
Cette pulsion de mort est revendiquée par Lee Edelman[53], un des fondateurs de la théorie queer. L’auteur conteste la dimension futuriste du « croissez et multipliez » au motif de l’injonction oppressive pour l’humanité à se reproduire, en opposition aux attentes de procréation dans une société qui n’avait pas encore cédé à l’individualisme. Ce mouvement se rapproche des écologistes qui désirent préserver la planète et non la terre habitée, parfois au prix de l’acceptation de l’extinction de l’espèce humaine dans une logique sacrificielle absurde. En écho, le mouvement No kids représente le choix conscient de ne pas avoir d’enfants. Cette aspiration peut être lue, dans sa dimension sociale, comme un symptôme contemporain dominé par un individualisme triomphant et qui pourrait s’exprimer par le refus d’entrer dans l’ordre symbolique de la transmission et de ne pas « laisser trace » ou encore se soustraire à la mort symbolique du moi tout-puissant incarné par l’enfant qui introduit une altérité radicale. Une fois encore, la seule position de la psychanalyse dans ce secteur pourrait se résumer ainsi : » Qu’est-ce que cela dit de votre désir ? «
Il est à souligner que seuls les pays en voie de développement connaissent des poussées démographiques, tandis que l’Occident ouvre la voie à Thanatos, en travaillant aux formes d’euthanasie à mettre en œuvre. Notons que, dans une certaine duperie, la décision ne portera pas tant sur la mort elle-même que sur un état de sommeil sans réveil.
Enfin, la question des frontières se pose. « Au commencement était la peau : frontière, limite et liens », pourrait-on soutenir. Le vivant émerge de la soupe primitive par l’élaboration d’une membrane, d’une première ébauche d’enveloppe physique, qui délimite l’intérieur de l’extérieur. En effaçant les formes diverses ainsi que toutes les frontières, les différences entre les sexes, entre l’homme et l’animal, entre le privé et le public, notre contemporain tend vers un retour à un état indifférencié mortifère. L’archétype de ce mouvement est incarné par Martine Rothblatt transgenre et transhumaniste qui écrit que le mouvement transgenre est la première étape d’une nouvelle révolution, celle de la liberté « de forme ». Refuser ces distinctions pave la voie à un monde qui exclut l’altérité et provoque l’effondrement de la culture. Selon Régis Debray[54] : « L’indécence de l’époque ne provient pas d’un excès, mais d’un déficit de frontières. » Il n’y a plus de limites à parce qu’il n’y a plus de limites entre. « Entre le citoyen et l’individu, le nous et le moi-je. »
Du registre de l’idéologie nihiliste.
« Avec le nihilisme, pas de discussion possible ; car le nihilisme logique doute que son interlocuteur existe, et il n’est pas bien sûr d’exister lui-même. »
Victor Hugo, Les Misérables, 1862.
On peut repérer un déchaînement de la pulsion de mort dans cette passion pathologique narcissique, purement imaginaire, qui se revendique sans Autre, dans l’auto-détermination et l’auto-engendrement, qui anéantissent toute forme d’altérité.
Selon Freud, la pulsion de vie impose d’en passer par l’autre. Lacan avait pressenti et repéré dès 1936 dans Les complexes familiaux, en lien avec « l’évaporation du nom du père » comme manifestation de la transmission symbolique, une forme d’autisme ou de solipsisme chez le sujet n’ayant d’autre réalité que la sienne.
Julien Rochedy[55]souligne qu’un certain nombre des promoteurs de cette idéologie étaient habités par la mort et qu’une position nietzschéenne ne dissocierait pas les hommes de la construction de leur œuvre : Gilles Deleuze, auteur de L’île déserte et autres textes, se suicidera en se défenestrant ; Maurice Blanchot, dans L’écriture du désastre, louera le cancer ; Louis Althusser, qui articulait marxisme et déconstruction, décèdera dans un hôpital psychiatrique après avoir assassiné sa femme lors d’un de ses sérieux épisodes maniaques ; Roland Barthes sera hanté par la mort notamment dans Journal de deuil ; Michel Foucault, fasciné par la souffrance et la mort, tentera à plusieurs reprises de se suicider ; Enfin, Jacques Derrida confiera « son envie de se tuer » dans Circonfession.
Autant de suicidaires nihilistes instigateurs des principes de la déconstruction.
Ce nihilisme contemporain pourrait également s’enraciner dans le ressentiment lié à La condition de l’homme moderne telle que présentée par Hannah Arendt : « Le premier accès de l’homme à la maturité est que l’homme a fini par en vouloir à tout ce qui est donné, même sa propre existence, à en vouloir au fait même qu’il n’est pas son propre créateur ni celui de l’univers ».
On pourrait noter que toutes ces inversions de valeurs ainsi que des comportements tels que les insultes, l’hypocrisie, l’exclusion et le pouvoir de la rue sont des manifestations d’une idéologie révolutionnaire déjà théorisée par Hippolyte Taine, qui s’interrogeait sur le déclin de la France dans son œuvre majeure, entreprise au lendemain de la débâcle de 1870 : Les Origines de la France contemporaine.
Laissons résonner la voix de Freud, dont les mots dans L’Avenir d’une illusion, tels des échos lointains, viendront sceller nos propos : « Inutile de dire qu’une civilisation qui laisse insatisfaits un aussi grand nombre de ses participants et les conduit à la rébellion n’a aucune perspective de se maintenir de façon durable et ne le mérite pas. »
III Limite et paradoxe de l’intersectionnalité
« L’homme n’est pas seulement ce qu’il subit, il est aussi ce qu’il fait de ce qu’il subit. »
Sigmund Freud.
De quelques troubles au sein de l’intersectionnalité.
Ce projet d’intersectionnalité qui se veut une convergence des luttes, une unité des « minorités », une combinaison d’identités victimaires et une sacralisation de la diversité, dans une radicalité politique qui fait cause commune avec l’islam politique, s’avère progressivement un lieu de fragmentation, de section, voire de haine et de dissension.
Cette tentative de fusion des luttes politiques s’exprime dans l’iconographie de la marche des fiertés 2025 où se côtoient des symboles politiques : personnages aux couleurs de l’arc-en-ciel représentant la diversité sexuelle, réduits à leur appartenance (une personne en sari, barrée d’une écharpe trans ; une femme arborant un pin’s palestinien ; une autre femme voilée défilant pour les droits LGBT) jumelés devant un homme en noir et blanc, étendu au sol et inanimé, orné d’une croix celtique au cou, un signe de ralliement des mouvances nationalistes, tenu en laisse à l’aide de sa cravate par un manifestant au sourire goguenard.
Cet agglomérat « nous », les membres de la communauté queer, contre « eux », les réactionnaires, traduit une projection de la haine et du manichéisme du clivage kleinien d’un moi avec le « bon objet » minoritaire queer et le « mauvais objet » ennemi réactionnaire blanc. Cette inversion de la marche des fiertés, faite hier d’éclats festifs, évoque le retournement fantasmatique « actif-passif », décrit par Freud dans Les 3 essais sur la théorie sexuelle, où le sujet anciennement victime rejoue le scénario de l’agression en changeant les rôles.
L’affiche qui arbore, entre autres, les logos de la ville de Paris et de la région Île-de-France, s’inscrit dans une filiation communiste : « Contre l’internationale réactionnaire, queers de tous les pays unissons-nous. » Cette affiche a suscité des critiques, notamment celles de l’association Fiertés citoyennes qui se revendique « non partisane« . Selon eux, » le message contradictoire qui en résulte, traversé par un biais idéologique manifeste, finit par flouter les revendications autour des personnes LGBT+ au point de les rendre absurdes ».
Deux autres événements récents illustrent l’illusion et le paradoxe de cette convergence.
Le journal Marianne[56] rapporte une nouvelle fois l’avis de « Fiertés citoyennes », sur certains groupes LGBT+ animés par une « idéologie indigéniste et coloniale ». Selon cette association, il y a une indignité et une incohérence à soutenir des slogans comme « Queers for Palestine » ou « LGBT+ avec les Palestiniens », dans un pays où l’on exécute avec atrocité des personnes pour le simple fait d’être homosexuelles.
Pour certains commentateurs, ces slogans qui circulent sur les campus occidentaux pourraient résonner avec « Turkeys for Christmas ». Dans cette cohorte d’identitaires antagonistes, face à la question « comment pouvez-vous vous retrouver dans le Hamas ? », certains queers peuvent répondre « je sais bien, mais quand même » … Cette conviction « quand même » formulée par Octave Mannoni et qui persiste en dépit des perceptions, signe l’énoncé paradigmatique dans sa dimension sociale du déni de réalité.
Cette attitude, repérée par Freud dans Psychologie des masses et analyse du moi, répond à un délire psychotique collectif visant à faire partie d’un tout, d’une identité totale, protectrice et réparatrice, dans le registre narcissique, qui vient combler un vide identitaire. L’antisémitisme reste emblématique du monde pulsionnel sans limites, sans contradiction, de la psychose collective qui peut s’exprimer par des accusations portant sur les juifs, les qualifiant à la fois de bolcheviques et de capitalistes, inventeurs d’un Dieu unique et meurtriers de ce même Dieu.
Figaro vox[57] relate une situation « imprévue » dans la ville de Hamtramck, aux États-Unis.
L’arrivée de musulmans dans cette localité a reçu le soutien de la communauté LGBT locale, qui déplore désormais la « menace » pesant sur « ses » droits, dont l’interdiction des drapeaux LGBT dans les lieux publics, et se sent trahie par le conseil municipal, majoritairement musulman.
Les « nouveaux damnés de la terre » vivent cette situation inconcevable avec un sentiment de « trahison ». Nous pourrions encore évoquer la tristesse et la colère de la communauté homosexuelle à la suite de l’assassinat du premier imam au monde ayant affirmé son homosexualité dans un pays comme l’Afrique du Sud, souvent présenté comme le prototype en matière de droits LGBTQI+ : nouvelle expression violente de dissensions entre les minorités sexuelles présentes dans certaines religions.
En réponse à la question d’une journaliste, sur le point commun positif entre un musulman salafiste, une personne dite « transgenre » et un Noir qui vit en Occident, Pierre-Valentin auteur de Comprendre la révolution woke, explique que leur seule unité potentielle réside dans une critique : le système blanc serait considéré comme « islamophobe », « transphobe » et « systématiquement raciste ». Illustration si besoin était, d’une prétendue « intersectionnalité » qui brouille les distinctions entre inclusion et diversité, identitarisme et essentialisation des citoyens, ainsi que la désignation et l’extermination d’un bouc émissaire dont la fonction est de rassembler la société des frères. Cela pourrait être considéré comme un meurtre, qu’il soit externe ou interne, dans le cadre d’une lutte fratricide. Cet aspect du wokisme qui fait rapprocher par identification victimaire des minorités éventuellement opprimées et qui s’allient à l’islamisme exprime un masochisme chez certains groupes et révèle une véritable tyrannie délirante maccarthyste. Le concept de « narcissisme des petites différences » pourrait demeurer opérant pour appréhender cette impasse ainsi que la fragmentation des minorités. Ces « oppressions » croisées génèrent une politique du traumatisme et une posture de victimes permanentes incriminant les systèmes de domination sociale, tout en occultant les dimensions intrapsychiques ambivalentes de la souffrance généralement liée au sexuel. Cette approche intersectionnelle, en prétendant cerner le sujet dans la totalité de ses déterminations, occulte la faille constitutive de son être façonné par le langage, jamais totalisable, toujours pris dans un maillage de signifiants qui le dépasse et alimente l’illusion de la réparation d’une société empreinte d’inégalités et de conflits. Cette position conduit à des impasses telles que le rejet de la contradiction, la surinterprétation des intentions et un militantisme puritain.
IV Vers une idéologie transhumaniste
« Nous vivons un temps particulièrement curieux, nous découvrons avec surprise que le progrès a conclu un pacte avec la barbarie ».
Sigmund Freud, L’homme Moïse et la religion monothéiste.
L’idéologie trans qui refuse le donné biologique, la mort et toute forme d’héritage entretient des liens étroits avec celle du transhumanisme. Repérons quelques domaines :
Récusation du biologique
Orlan, une artiste trans féministe et activiste, se montre fascinée par le transhumanisme, qui conteste le « déterminisme naturel, social, politique et toute forme de domination ». En s’appropriant le slogan féministe « mon corps m’appartient », l’artiste, dans un mouvement paroxystique, fait de son corps un support d’inscription de tous les désirs, un matériau modulable en implantant des cornes sur le front et des bribes de mâchoire de bœuf, à des fins de création d’un « nouveau masque » opposé à celui de « l’inné ».
La quatrième clause de la déclaration transhumaniste de 2012 introduit l’idée d’une amélioration radicale, en affirmant le droit à la liberté de transformation morphologique,[58] tout en refusant tout donné biologique et toute forme de passivité des corps. Le transhumanisme transcende les frontières de la réalité biologique, à l’instar du transgenrisme qui vise au changement de sexe et qui permettrait aux hommes d’enfanter.
Ray Kurzweil, dans son ouvrage Humanité 2.0, la Bible du changement [59], dépasse aujourd’hui les théoriciens du genre en prônant une libération des bases de la génétique. Après l’homme augmenté H+ du transhumanisme, défini par deux signes, nous pourrions déceler dans le titre de l’ouvrage une substitution du nom du Père par un chiffre, en équivalence peut-être au déchiffrage du génome humain, dans une quête désespérée de quelques messages codés de nos pères, résumés en quatre lettres. Ne rechercherions-nous pas la Loi par manque de repères symboliques, mais à travers l’instrumentalisation de l’Homme ?
Désaffection pour un corps altérable.
Les théoriciens des études de genre pourraient se référer au gnosticisme, un courant chrétien accusé d’hérétique, qui soutenait que l’âme humaine était prisonnière d’un corps et d’un monde matériel mauvais, dont il fallait se libérer après la mort grâce à la « connaissance ». Ray Kurzweil déclare que « au début des années 2030, il n’y aura plus de distinction claire entre l’humain et la machine, entre la réalité virtuelle et la réalité réelle ». Le mot « vie » disparaît de cette vision. Il devient aussi nécessaire de se défaire de ce que certains transhumanistes appellent « viande » pour échapper à la dégradation. On assiste à une haine du corps comme lieu de la jouissance et du symptôme due à une objectivation de ce corps et une négation de sa dimension symbolique et inconsciente.
Éviction de l’altérité.
Cette volonté d’éviction, déjà repérée dans le transgenrisme, se manifeste également dans le transhumanisme qui aspire à réaliser le rêve, qui serait un véritable cauchemar, d’avoir une existence infinie et d’abolir la mort, c’est-à-dire de se libérer de toute forme d’altérité, une ambition exprimée dans la Gnose. Il s’agit du mythe de l’homme nouveau, affranchi des formes de l’altérité, en opposition avec la tradition gréco-judéo-chrétienne, qui impliquait une altérité nécessitant une quête de croissance.
Un fantasme de toute-puissance s’exprime dans cette vision d’un corps immortel et sans faille. Pure illusion, dans la mesure où le sujet humain est marqué par la castration et ne se constitue que dans et par la perte.
Désir d’une société fluide et d’abolition des formes.
Ces deux idéologies partagent un idéal de fluidité, sans frontières, une demande toujours croissante auprès d’une technoscience délirante, ainsi qu’une abolition des identités nationales. Martine Rothblatt[60], femme transgenre militante, férue d’intelligence artificielle et adepte du courant transhumaniste, développe une variante transgenre de ce dernier.
Sa revendication historique est de désindexer le biologique du genre par le biais de la technique en devenant un « cyborg ». Dans son ouvrage, elle soutient que le mouvement transgenre est la première phase d’une révolution, d’une « liberté de forme », et précise que « notre corps disparaîtra, mais il n’y a pas de raison logique que cela soit vrai pour notre personnalité, que l’on pourra préserver sous forme digitale ». L’idée d’implants numériques chez l’homme, couplée à d’autres pièces mécaniques, pourraient correspondre à la définition du rire bergsonien : « de la mécanique plaquée sur du vivant ».
Cette position n’est pas sans évoquer une variante du « syndrome de Cotard », où le sujet perçoit son corps comme illimité, immortel et dépourvu d’organes. Il s’agit d’une pathologie mélancolique d’un univers chaotique sans séparation. Pour Paul-Laurent Assoun[61], la limite tient au réel de l’empêchement, à l’imaginaire par le corps propre et au symbolique par l’interdit.
À l’exception de quelques psychotiques incapables d’être dupes, toutes les relations humaines obligent à du « semblant », mais ces deux idéologies semblent faire du « semblant » l’alpha et l’oméga dans les deux registres de la prothèse-fétiche et de l’artifice, qui est, par définition, construit de toutes pièces.
Si la psychanalyse fut subversive, en déchiffrant, à l’instar de Champollion, un autre sujet en soi, l’inconscient, la prétendue révolution actuelle de cette communauté cherche à évincer toute division du sujet par une idéologie machinale, passant du sujet castré à l’homme augmenté…
Transgression des limites.
Ce projet posthumaniste s’adosse à la réflexion postcartésienne de l’homme « comme maître et possesseur de la nature » ainsi qu’à l’idée heideggérienne selon laquelle « le projet de la technique est d’arraisonner le monde ». Il désire mettre l’homme en « trans » en transgressant les limites. Le symbole étant l’homme H+. En évacuant le symbolique et en tentant d’éradiquer la castration, le corps, la sexualité et la mort, en réduisant l’homme à ses organes, il s’autorise toutes les transgressions. Deux fantasmes délirants, mégalomaniaques, émergent de cette pensée magique maquillée en science : l’immortalité, qui n’ambitionne rien de moins que d’éradiquer la mort par la technoscience, « tuer la mort », et concevoir un homme parfait en dissociant procréation et sexualité. « Dans l’inconscient, chacun de nous est convaincu de son immortalité » écrivait, Freud en 1915…
Le « transgenrisme », proche du courant transhumaniste déshumanisant, s’avère plus fascinant que tout travail psychique d’exploration d’un désarroi, d’un rapport à l’identification, en soulignant la nécessité d’une figure paternelle pour qu’un homme puisse s’affirmer en tant qu’homme. Rappelons par ailleurs que la vocation de la biomédecine est de soulager la souffrance et non de nous guérir de la condition humaine.
V Sur la position du psychanalyste à l’épreuve du contemporain
« Le psychanalyste ne se recrute pas parmi ceux qui se livrent tout entier aux fluctuations de la mode en matière psychosexuelle. »
Jacques Lacan, 1956.
La psychanalyse n’est pas indifférente à la mutation de ces discours, que l’on peut appréhender comme l’expression d’un malaise dans la culture et qui s’exprime dans le registre des symptômes du sujet, tout en distinguant la souffrance du trans de l’idéologie contemporaine trans qui s’étaye sur un puissant discours propagandiste.
Si Lacan invitait le psychanalyste à « rejoindre à son horizon la subjectivité de son époque[62] », il ne préconisait certainement pas une attention particulière au militantisme communautaire, ni une adaptation aux valeurs du moment ou à l’esprit du temps (Zeitgeist), qui inclinerait à s’orienter vers des psychanalyses spécifiques en fonction des identités. Il vise la singularité du sujet qui ne se réduit pas à son genre, à son identité sexuelle ou à son statut de victime.
Au-delà des prises de position sur le transgenrisme et de la visée subversive de la psychanalyse, qui introduit un vide dans les discours totalisants, celui du manque et du désir, le praticien doit avant tout demeurer un clinicien. Sa vocation demeure, quelle qu’en soit l’issue, l’accompagnement dans leurs sinuosités des sujets en souffrance dans leur corps et leur psychisme. En d’autres termes, il doit se tenir au service d’un sujet dans son rapport à son désir. Le praticien, doit entendre ce qui se joue dans la réalité psychique du patient sur la scène de l’inconscient, accueillir et soutenir sa souffrance ainsi que sa parole singulière dans son histoire, son rapport aux autres, ses idéaux, ses angoisses. De plus, il doit également être habité par l’éthique analytique comme un acte de résistance à ces dérives de purification symbolique du langage, du sexe, du genre, qui ratent l’inconscient et génèrent des « naufragés de la subjectivité ».
Enfin, si le psychanalyste doit rester un clinicien dans son cabinet, il ne peut pas ne pas s’ouvrir au social à l’instar de Freud pour qui « le sexe était l’indécent… qui ne se laisserait pas définir facilement » et repérer que cette question d’identité de genre est un symptôme social actuel, spécifique aux démocraties occidentales. La dynamique psychique singulière du sujet restera donc en ligne de mire, en modérant les repères identitaires et en privilégiant le jeu fluctuant des identifications, pour promouvoir une autonomie accrue dans la relation à soi-même et aux autres.
Les discours sociopolitiques d’un gauchisme progressiste, porteur d’un idéal de réparation d’une faille subjective, en écho au discours capitaliste défini par Lacan, favorisent l’émergence magistrale de « l’objet petit a » et confinent le « petit autre » dans sa jouissance immédiate et illimitée. Tous ces discours conduisent au déni de la différence des sexes et des générations, de l’altérité et de l’autorité, entravant une certaine institutionnalisation du sujet, qui nécessite un étayage symbolique par la présence du « grand Autre » qui chute aujourd’hui et d’une articulation soutenante des deux cariatides que sont la langue et le droit. Érasme nous rappelle qu’« on ne naît pas homme, on le devient ».
Quand Antigone se lèvera-t-elle pour résister aux apôtres de cette déferlante idéologique délirante et aux petits hommes gris pusillanimes qui altèrent la psychanalyse ? Antigone, la flamboyante insurgée refusant la soumission et la tyrannie qui s’arroge un droit sur les corps jusqu’à leur mort, Antigone assoiffée de liberté et sans compromission, refusant une existence médiocre, Antigone, enfin, dont Lacan fera le paradigme d’une résistance face à l’arbitraire, Antigone qui ne cédera pas sur son désir.
Guy Decroix – Institut Français de Psychanalyse©
Précédemment :
1ère partie
2ème partie
[1] Guy Decroix, Institut Français de Psychanalyse, Le wokisme, une déraison mortifère, 2023. En ligne : site de l’IFP, https://institutfrancaisdepsychanalyse.com/wokisme-et-cancel-culture-une-deraison-mortifere-i/
[2] Bernard Guyot, Front populaire, 16 novembre 2021. En ligne, https://frontpopulaire.fr/politique/contents/jean-luc-melenchon-veut-inscrire-la-liberte-du-choix-du-genre-dans-la-const_co697937
[3] David Doucet, Terra Nova : il y a 10 ans, la note qui fracturait la gauche et pavait la voie à Macron, maudite note, Marianne, 9 mai 2021.
[4] EELV reprend le slogan de McDonald’s, « Venez comme vous êtes », JDD, 9 février 2024.
[5] Natacha Polony, Changez la vie. L’Observatoire, 2017.
[6] Mediapart, Malgré des efforts à gauche, l’assemblée reste blanche, bourgeoise et éloignée de la société mobilisée. 10 juillet 2024.
[7] Jacques-Alain Miller, métis et hermaphrodite, qui dit mieux ? interview journal « Le Monde » 12 avril 2001.
[8] Myriam Revault d’Allonnes, L’Homme compassionnel, Seuil, 2008.
[9] Élisabeth Roudinesco, Soi-même comme un roi, Seuil, 2021.
[10] Dora Moutot et Marguerite Stern, Transmania, enquête sur les dérives de l’idéologie transgenre, Magnus, 2024.
[11] Said Mahrane, Annie Ernaux, l’autre syndrome de Stockholm, Le Point, 13 décembre 2022, En ligne,
[12] Richard Millet, Langue fantôme, Essai sur la paupérisation de la littérature, Ed. Pierre-Guillaume de Roux, 2012.
[13] Les univers du livre, Actualités, 24 juin 2024.
[14] Loi n°2013-595 du 8 juillet 2013 introduisant dans le Code de l’éducation la notion d’école inclusive.
[15]Jacques Lacan, Le Séminaire, livre IX, « L’identification », leçon du 24 janvier 1962.
[16] Mathieu Bock-Coté, Le totalitarisme sans le goulag, La Cité, 2023.
[17]Jean-Pierre Chevènement, Res Publica, Éditions Plon, 2024. En ligne,
[18] Jean-Pierre Obin, Les profs ont peur, L’observatoire, 2023.
[19] Gérard Rabinovich, Terrorisme et résistance, d’une confusion lexicale à l’époque des sociétés de masse, Le Bord de l’eau, 2014.
[20]Emily Joshu, How dare you say woman ! New woke bible for midwives urges termes like ‘gestational parent’, Mail Online 17 octobre 2024, En ligne, https://www.dailymail.co.uk/health/article-13736637/midwife-woke-dictionary-gender-neutral-language.html
[21] Harold Searles, « L’effort pour rendre l’autre fou », Gallimard, 2001.
[22] Natacha Polony, « Sylviane Agacinski censurée : le nouveau visage du fascisme universitaire », Marianne, 27 décembre 2019.
[23] Daniel Lindenberg, « Le Rappel à l’ordre, Enquête sur les nouveaux réactionnaires », Seuil, 2016.
[24] Jean Degert, « Il vaut mieux être gay ou lesbienne en Israël qu’en Palestine ». Causeur, 18 décembre 2022.
[25] Hannah Arendt, La crise de la culture, Gallimard, 1972.
[26] Nathalie Heinich, « Sublimer le sentiment ». Elias, « Les 5 voies vers une autre sociologie », in
Consommer, donner, s’adonner. 2014/2 n° 44.
[27] Pascal Bruckner, Je souffre, donc je suis. Grasset, 2024.
[28] Marcel Gauchet, Le Nœud démocratique, Gallimard, 2024.
[29] « L’action publique contre la maltraitance des enfants », dossier d’étude numéro 65, p. 61, février 2005.
[30] Alain Policar, « Le racisme antiblanc n’existe pas », Libération, 23 octobre 2018.
[31] Florent Poupart, « La psychologie clinique à l’ère de la morale totale », dans Emmanuelle Henin, Xavier-Laurent Salvador, Pierre Vermeren, « Face à l’obscurantisme woke », PUF, 2025.
[32] Pascal Bruckner, La Tyrannie de la pénitence, Grasset, 2006.
[33]Daniel Sibony, Génocide à Gaza ?En ligne, https://www.youtube.com/watch?v=RH0wm une limitation de la jouissanceKVaeOY
[34] Philip Roth, J’ai épousé un communiste, Gallimard, 1998.
[35] Élisabeth de Fontenay, Le Silence des bêtes, Point, 1998.
[36] Nicolas Journet, Pour ou contre la zoophilie ? Sciences humaines n° 273.
[37] François Jacquet, « Le pire des maux : éthique et ontologie du spécisme », Elliott, 2024.
[38] Bérénice Levet, L’écologie ou l’ivresse de la table rase, L’Observatoire 2022.
[39] Régis Debray, Le Siècle vert, un changement de civilisation, Gallimard, 2020.
[40] Camille-Froidevaux-Mettrie, On peut être misandre et vouloir impliquer les hommes dans les luttes féminines. Propos recueillis par Celia Laborie. Le Monde, 25 mai 2025. En ligne, https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2025/05/25/camille-froidevaux-metterie-on-peut-etre-misandre-et-vouloir-impliquer-les-hommes-dans-les-luttes-feministes_6608328_4497916.html
[41] Alain Bentolila, La grammaire n’est pas une injustice sociale ! Revue Causeur, 5 février 2025.
[42] Charles Melman, L’Homme sans gravité, Denoël, 2003.
[43] Eric Marty, Le sexe des modernes. Pensée du neutre et théorie du genre. Seuil, 2021, p.11.
[44] Un diplôme de « magie et de sciences de culte » lancé par une université britannique, Le Parisien, 6 octobre 2023, En ligne : https://www.leparisien.fr/societe/un-diplome-de-magie-et-science-occulte-lance-par-une-universite-britannique-06-10-2023-U63AJKHELFEIDOV4FUMSHF2DOI.php
[45] Mikhaïl Kostylev, Viking femme ou non-binaire ? Quand la « science » woke s’entredéchire, En ligne : https://decolonialisme.fr/vikings-femme-ou-non-binaire-qu
[46] Lettre de Sigmund Freud à Albert Einstein, « Pourquoi la guerre », 1932.
[47] Alain Finkielkraut, entretien dans le journal Le Figaro du 4 janvier 2024.
[48] Daniel Sibony, Les non-dits d’un conflit, Le Proche-Orient après le 7 octobre, Éditions Intervalles, 2024.
[49] DRESS, Études et résultats, N° 1281, du 27 octobre 2023.
[50] Public Senat, classement Pisa, chute historique du score de la France, En ligne, www.publicsenat.fr – Actualité-éducation-classement Pisa, 5 décembre 2023.
[51] Pierre André Taguieff, le wokisme une bêtise enrubannée ou la folie dissimulée ?
Préface du livre de Nadocculia Geets, Woke ! La tyrannie victimaire, Édition F. Deville, Bruxelles, 2024.
[52] Vladimir Jankélévitch, La mort, Éditions Flammarion, 2017.
[53] Lee Edelman, Merde au futur, théorie queer et pulsion de mort. EPEL 2016.
[54] Régis Debray, Éloge des frontières, Gallimard, 2010.
[55] Julien Rochedy, Philosophie de droite, Hétairie, 2022.
[56] Journal Marianne, LGBT pro Hamas : Autant dire que les dindes votent pour Noël, Tribune collective 20 novembre 2023.
[57]Anne-Elen Chompret, Pour le jeune occidental urbain, l’islam ne peut être coupable de rien et certainement pas d’homophobie, Figarovox, 1 mars 2021.
[58] Steve Fuller, Morphological Freedom and the question of Responsibility and representation in Transhumanism, Confero, vol. 4, n°2, 2016.
[59] Ray Kurzweil, Humanité 2.0 : la Bible du changement, M21 Éd., 2021.
[60] Martine Rothblatt, Le transhumanisme, une anthologie, Hermann, 2020.
[61] Paul-Laurent Assoun, Interdit et limites, Press, 2020.
[62] Jacques Lacan, Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse, Écrits, Seuil, Paris,1966.