Nicolas Koreicho – Octobre 2012
» Je crois que tout arrive pour une raison. Les gens changent pour que tu puisses apprendre à partir, les choses vont mal pour que tu puisses apprécier quand elles vont bien. Tu as cru à des mensonges donc tu apprends à ne faire confiance qu’à toi même. Et parfois les bonnes choses tombent en morceaux afin que de meilleures choses puissent arriver par la suite. »
Marylin MONROE
» La chaleur humide de ce vendredi torride l’enveloppait d’angoisse. Elle voulait déchirer quelque chose. Un voile, une peau, une histoire qui la séparait d’elle-même. »
Michel SCHNEIDER – Marilyn, dernières séances
Marilyn Mortensen, morte en scène
Marilyn était trop belle. Vraiment.
Marilyn, de son vrai nom Mortensen, est morte dans sa vie, et en scène. Mise en scène par elle, pour elle, et pour l’autre toujours absent.
La particularité du désir, au passage, est qu’il ne fonctionne que dans l’absence de l’objet désiré. De-siderare : l’étoile qui manque. Mais quel était la nature de son désir à elle ?
Elle était trop belle, mais ce n’est pas le trop que l’on entend aujourd’hui. Elle était trop belle car son œuvre et son art existaient d’abord dans et par sa beauté. Trop, car c’était pour elle une question de survie que de se faire un narcissisme original, et que celui-ci soit reconnu, puisque ses parents (père parti quelque temps après sa naissance, mère partie dans sa folie. Elle : abandonnée) n’ont fait que détruire son Moi, et le cœur de celui-ci, c’est-à-dire son narcissisme.
Trop également car cette quête d’un Moi allait demeurer inassouvi et la mener en enfer. La façon dont les hommes ont abusé d’elle sans cesse est à proprement parler infernale puisqu’ils ne lui ont pas permis qu’elle se retrouve. Elle finira par prendre ce courant de l’abus d’elle-même et en mourra. C’est comme si sa quête du bien, et du bien qu’elle était et qu’elle voulait trouver, reconnaître, s’annulait par la violence des hommes qui avaient croisé sa route. Il s’agissait pour eux de jouir, un peu, au passage, de cette quête absolu de bien dans l’image étourdissante que Marilyn montrait de ce désir, qu’à tort ils croyaient à eux destiné.
Il s’agissait pour elle non seulement de se faire reconnaître, mais, plus encore, de se faire renaître, avec les autres. Co-renaître. Re-co-naître.
Plus qu’une blessure, elle est partie de rien, puisqu’elle ne fut pas aimée, pour se faire elle-même. Il s’agit donc, complètement, d’une construction narcissique singulière qu’elle ne doit qu’à elle-même.
Elle disait : « l’enfance dure toute la vie ».
Un père qui ne la reconnaît pas, une mère qui ne l’aime pas. Seule au monde, avec le monde comme enjeu. Une douzaine de familles d’accueil. C’est-à-dire un abandon répété dont la puissance traumatique fut renouvelée durant toute son enfance. Consolidé donc. Le seul re-père fut pour elle sa propre image qu’elle devait ré-investir indéfiniment non pas pour plaire aux hommes, mais pour se maintenir dans le miroir que le regard des hommes lui tendaient. De la même manière, du côté du manque maternel cette fois, elle a ré-investi compulsivement une génitalité (sexualisation par défaut) non comblée par l’objet pri-mère.
Dans l’absence de ce regard du père et de la mère, la seule issue pour elle fut de construire sa propre image suffisamment explosive (la beauté et la provocation, toutes deux peaufinées avec une intelligence pragmatique peu commune) pour qu’elle puisse masquer sa détresse intérieure et archaïque provenant de ces deux manques intitiaux. C’est comme si Marilyn avait désinvestie l’intellection (à commencer par le langage : elle bégayait), malgré une vive intelligence qui la fit se rapprocher de bons intellectuels et entreprendre une analyse, malheureusement pour elle, avec un analyste médiocre qui se montra incapable d’analyser son contre-transfert. Marilyn, aspirée qu’elle était par l’absence d’amour en sa simple personne physique.
Eléments dissociés (narcissisme et environnement déceptif, quête de l’amour propre et amour de la sexualité salissante, image abîmée dans la vie et confiance en sa séduction en scène, intelligence brillante et absence de reconnaissance, urgences de montrer ses talents et retards devant la demande de l’autre) dans une construction exaltée, les constituants de sa personnalité n’ont été approchés que par objets (intellectuels, livres, pensées) interposés. Morte en scène de n’avoir pu être aimée vivante…
Nicolas Koreicho – Octobre 2012 – Institut Français de Psychanalyse©