Nicolas de Beer – Nicolas Koreicho – Juin 2009
Dialogue entre un psy et un coach
« Chercher le bonheur dans cette vie, c’est là le véritable esprit de rébellion »
Henrik Ibsen
II La pleine écoute
Nicolas de Beer
La pleine écoute, ne se satisfait pas d’écouter les mots, attentivement, d’être présent, bienveillant et pour beaucoup, « reformuler » ce qui a été dit pour signaler au client qu’on l’écoute et le comprend. Serait-ce une envie de nous légitimer de cette façon, aurions-nous peur que notre client ne se sente pas compris ? A ce sujet, nous nous sommes aperçu depuis un certain temps que faire reformuler le client est bien plus efficace que de reformuler soi-même ses propos.
Ecouter, c’est aussi observer avec les yeux, avec le corps, les oreilles et aussi faire appel à la pensée.
Observer, pour agir, ne pas agir, aider, ne pas aider. Pour certains aussi interpréter les propos.
Regarder l’autre avec ses yeux, c’est être attentif aux expressions de son visage, ses expressions par rapport aux mots qu’il exprime, aux mots que j’exprime, aux silences que je pose, aux silences qu’il pose. C’est aussi être attentif à la position de son corps, en avant, droit, en arrière, détendu, tendu, etc.
Part-il en réflexion, alors je me tais ? Se détend-il, je le laisse ? A-t-il un visage interrogateur, je me peux me demander si je réponds ou me tais. A-t-il besoin de moi, j’y suis attentif, comment ? Ou pas ?
Observer avec mes oreilles, écouter donc. Je peux écouter à plusieurs niveaux. Ecouter les mots, certains pour y trouver du sens, y relever une répétition, un mode culturel, des contradictions, des répétitions, etc. Certains vont écouter ce que les mots disent qui n’est pas dit, l’absent mais implicite, inspiré des travaux de Derrida ; certains vont chercher la demande cachée ; certains vont chercher des associations de mots ; d’autres vont écouter les stratégies derrière l’expression ; d’autres encore vont observer ce qui se dit entre eux et le client, se demandant s’il y a une analogie avec un dialogue de mon client dans son contexte problématique. Etc.
Ecouter aussi à l’intérieur de soi, les associations, ce que soudain « un moi me dit », les voix intérieurs utiles ou inutiles. Et être attentif à son « courant de conscience » dont parle William James et qui s’écoule sans fin dans mon cerveau. « la conscience de soi n’est pas le point de départ mais un point d’arrivée, celui d’interactions sociales et publiques, de notions communes (langage, croyances…) déterminant notre conscience.
Expérimenter physiquement ce qui nous arrive, c’est une écoute du corps, des ressentis. Ayant un thérapeute pour traiter de ses propres difficultés, de ses résonances, il est possible que certains de des ressentis du praticien soient le vécu d’une partie de l’expérience que le client vit.
Tout ceci, nous amène à des négociations intérieures qui nous feront prendre une décision d’agir ou de ne pas agir, de proposer ou de se taire, ou tout autre chose.
Etre attentif à ne pas réagir, à faire ce qu’Alfred Korzybski appelait « une pause sémantique », mettre de l’espace entre le message reçu et son propre message, s’il y a lieu. Et toujours se laisser plusieurs choix, répondre et alors de multiples manières, ou ne pas répondre, ou encore donner un délai à sa réponse…
La pleine écoute implique d’être conscient à de multiples niveaux, que l’on utilise le paradigme psychodynamique, cognitivo-comportementaliste, gestaltiste, systémique, socio-narratif ou d’autres.
Elle semble indispensable pour respecter le client, respecter sa demande, co-élaborer ensemble les séances.
Nicolas Koreicho
Quel titre, et quel défi, pour nous qui nous honorons d’avoir la meilleure écoute, c’est-à-dire la plus juste.
Pour cela, nous disposons en effet de notre regard, dans le sens naturel, de nos yeux qui à leur tour sont observés (attendus même), et dans le sens culturel, avec toute notre histoire personnelle et professionnelle.
A quelques moments, il est d’ailleurs bon que les regards s’abandonnent, dans la contemplation de l’autre, ou dans le vide d’un mur, d’un tableau, d’un velours, afin de laisser l’autre prendre sa liberté, remplir l’espace de ses yeux.
Nous disposons également de notre écoute, éminemment complexe et enchevêtrée dans les discours de l’autre, et dans nos propres discours intérieurs. La justesse et la stratégie d’accompagnement nous font jouer là un merveilleux rôle quasi tactile pour jouer et tourner dans nos discours qui se cherchent, s’exaltent, se résolvent, en émotions, en illuminations, en sanglots, en rires, en consolation et en rationalisation, toujours…
Nous devons demeurer scientifiques et analystes dans nos circonvolutions platoniques.
Cependant, il nous arrivera d’observer et de compléter notre vision (regard, écoute, compréhension) par tous ces moments qui font le sel de nos métiers, c’est-à-dire la chaleur ou la froideur du visage, la souplesse ou la raideur d’un corps, la manière dont la vie a sculpté une silhouette, lui a donné rythme, respiration, battement ou gestualité, l’odeur d’une personne, de son pays, de sa ville, de sa maison, de sa peau, du soin qu’elle a de son apparence, de la qualité de son énergie, défaite, subjuguée, à côté, ou prompte à bander l’arc de ce qu’elle a de conquête.
En effet, c’est ce que tu appelles les « négociations intérieures » et qui me paraissent être une des clés du bon professionnel, on doit là aussi être au plus juste de ce que l’on fait de ce qu’on ressent, de ce qui se tait et de ce qui se défait. Tout n’est pas à relever, à prendre, à renvoyer. L’analyse du transfert et du contre-transfert sont là pour nous y aider. Il faut prendre le temps de l’accueil, de l’interstice, du « je ne sais quoi et du presque rien ».
Dès lors, le respect se développera et s’imposera comme La qualité profonde et entière à restaurer et à nourrir sans cesse pour que, finalement, elle s’impose d’elle-même dans un paradigme analytique responsable.
Nicolas de Beer
Je prends au vol deux mots : complexité et respect.
Oui, honorer la complexité, baigner dans la complexité, écouter la complexité, respecter la complexité de l’humain, et d’autant plus la relation entre deux êtres. Accepter l’ambiguïté. Une écoute respectueuse ne cherchant pas à simplifier la parole de l’autre, la réduire, à l’appauvrir pour se simplifier la vie de praticien. Vivre et accepter le mystère. « Il est bien vrai que les gens gagnent à être connus. Ils y gagnent en mystère ». (Jean Paulhan)
Nicolas Koreicho
Je dirais, et comme c’est la Centième de la Newsletter du site de Médiat-coaching, que le thème intitulé par toi, Nicolas, « La pleine écoute », est non seulement important pour l’efficacité et l’éthique de nos métiers de l’accompagnement, mais qu’en outre ce thème est peut-être un de ceux qui reflètent le mieux les plus profonds malentendus de notre société.
En effet, ce que nous disent l’adolescent qui commet un geste violent envers son professeur, l’épouse qui fait disparaître son enfant, le militant qui promène son vote entre différents refus, et par respect pour notre démocratie, si complexe soit-elle, il faut apprendre (et enseigner) que l’on peut croiser le sauvageon tout puissant qui doit rencontrer la Loi, l’épouse délaissée qui doit saisir le bien fondé de la sanction, l’idéologue déçu qui doit subir pleinement le discours des urnes, que ceux-là n’ont pas été écoutés, et qu’il y a encore bien du mystère à connaître. Médiat a encore de beaux jours devant elle.
Nicolas de Beer – Nicolas Koreicho – Juin 2009 – Institut Français de Psychanalyse©