Nicolas Koreicho – Juin 2025
Sommaire

- Préambule
- Actualité des pulsions de vie
- Actualité des pulsions de destruction
- Origine du concept double en psychanalyse
- Pulsions fondamentales
- Traitement des corps
- Civilisation de la raison
- Sublimation, principe de liaison
- L’art et la liaison
Préambule
Notre démonstration débutera par une référence relative à la deuxième théorie des pulsions, laquelle propose un point d’entrée satisfaisant pour introduire ce que représente le concept double Liaison-Déliaison applicable à toutes les topiques.
Les années 1915 ont permis à Freud de développer la manière dont un premier dualisme, l’opposition pulsions sexuelles – pulsions d’autoconservation ou pulsions du Moi constitue un processus dynamique de compréhension des énergies psychiques[1].
Les années 1920 ont offert, à l’occasion de la description par Freud d’un second dualisme, la plus fructueuse théorie psychanalytique concernant la conflictualité qui construit à la fois psychopathologies et organisation de l’inconscient, en l’espèce l’opposition pulsions de destruction – pulsions de vie[2].
Actualité des pulsions de vie
Les pulsions de vie nous amèneront ipso facto à la considération du concept de Liaison dans la mesure où elles permettent de constituer des unités toujours plus grandes, à les maintenir et à proposer des processus de construction-assimilation-transformation, depuis Empédocle jusqu’à Freud[3], vers la possibilité d’agencement et de compréhension qui fait tendre vers l’équilibre de la personne.
Cet équilibre trouve sa meilleure expansion dans la manière dont le corps est représenté, selon une expression non refoulée de la sexualité, ainsi qu’il en est dans l’élation artistique de la civilisation, tableaux, sculptures, images montrant des corps d’êtres humains, naturels, maquillés, vêtus, nus, groupés, suggérés, dans l’érotisme, l’allégorie, l’action, la pensée, tous éléments signifiant l’appel de la vie à elle-même, sous les multiples formes et écoles développées dans la civilisation occidentale. Laisser les femmes et les hommes se montrer dans tous les miroitements de leur beauté, de leur singularité, de leur visage et de leur corps, donne à la pulsion de vie sa plus forte démonstration.
Actualité des pulsions de destruction
Dans la mesure où les pulsions de mort qualifient des processus de destruction-désassimilation-fixation, nous observerons la dimension réactionnelle provenant du manque de discernement des mouvements qui traversent nos sociétés en tant que l’on peut les considérer sur un même plan que les pulsions du Ça, mortifères en leur origine[4].
Ainsi, le point commun des idéologies déconstuctionnistes se ramène, dans la réalité effective des humains et du monde, à un désir mortifère répondant à la pulsion de destruction : transgenrisme (interventions chirurgicales de changement de sexe, hormono-transplantations, bloqueurs de puberté – avec, au passage, une perte de 7 à 15 points de QI –), multiplication des drogues (avec décompensations psychotiques, désorientation, hallucinations, états paranoïdes, crises de panique, angoisses profondes parfois irréversibles, baisse de motivation, déficit de la mémoire, déficit de l’attention, risque d’infarctus x 5, risque d’AVC x 5, accidentologie décuplée[5]), dysorthographie et effondrement syntaxique (écriture inclusive et ses conséquences dyslexiques et dysorthographiques chez les élèves), négligence civilisationnelle (dégradation d’œuvres d’art, violence contre les services publics et les représentants de la loi, incendie des édifices religieux chrétiens particulièrement, tenues discriminantes en faveur de l’inégalité homme-femme, promotion politique de l’islamisme).
À partir d’une évidente régression intellectuelle et morale, se déterminent l’abolition des différences (des sexes, des générations, des places), l’inculture et la réduction ad minimorum de l’enseignement, du soin, de la justice, du commerce, conséquence des déplacements de population, de l’usage des drogues, de la délinquance, et s’impose, comme dans les trois psychopathologies princeps – psychoses, psychopathies, perversions – le primat de la pulsion de destruction éminente dans les pathologies limites.
Ceci correspond, en droite ligne de la précarité intellectuelle et culturelle du mondialisme, au refoulé de la sexualité, de l’autorité, de l’art, de la littérature, au déclin de la sublimation, conséquence de la primauté des questions wokistes sociologistes, l’absence de représentation des corps et de la compréhension de leurs affects, à la correspondance de la négligence pour les corps[6], humains et animaux, et ce qui en découle, viols, violences, crimes et délits.
Origine du concept double en psychanalyse
En psychanalyse, les deux termes liaison-déliaison désignent des états, des processus, des mouvements énergétiques, associatifs, directs et indirects, issus de l’observation de la circulation et de la fixation de l’énergie psychique selon des forces qui expriment les dynamiques internes des pulsions, des affects et des représentations mentales, le plus souvent inconscients.
Liaison et déliaison, si elles impliquent, pour l’une, organisation, intégration et compréhension, et pour l’autre, désintégration, dissociation et incohérence, font référence à des mouvements interprétables dans la réalité de l’être au monde des personnes au travers de leurs actions.
Ainsi, la liaison s’applique aux pulsions dans la mesure où elles sont liées à des représentations de mots ou de choses et que, dès lors, elles correspondent à des idées, des périodes, des situations qui peuvent aisément se concrétiser selon les valeurs du sujet, en accord avec un environnement moral reconnu comme tel.
La liaison peut également s’appliquer aux affects à la condition qu’ils puissent être distanciés et intentionnellement reliés à des rêves, des souvenirs, des fantasmes eux-mêmes devant pouvoir s’appuyer sur des situations, des domaines, des périodes spécifiées par le sujet apte à établir verbalement l’organisation d’une logique entre ces rêves, ces souvenirs, ces fantasmes et le réel de sa biographie et de ses environnements.
Par suite, la liaison peut amener le sujet à organiser des déroulements structurés en discours, de manière qu’il puisse développer un sens aux différents mouvements et expériences qu’il a traversés, autrement dit de façon que le sujet puisse faire quelque chose – récit, expérience, changement – de ce qui lui est arrivé.
La déliaison, quant à elle, est impliquée dans l’absence de logique, de rationalité, de langage cohérent, elle est éloignée d’une profondeur de sincérité et de correspondance avec l’équilibre entre le principe de plaisir et le principe de réalité. Elle peut s’appuyer sur l’abstraction de la pensée articulée – le lexique en particulier – et détacher les mouvements naturels pulsionnels de la prise en compte et du respect de l’autre. Elle peut également faire se dissocier les émotions, les éprouvés, les ressentis, de l’origine des périodes, des épreuves, des traumas. Enfin, les images qui, normalement, devraient renvoyer à des récits constitués, peuvent se trouver fragmentées, morcelées, détachées d’une logique à tout le moins esthétique ou, à tout le moins, cohérente.
Le concept double est prépondérant dans toute tentative de compréhension non seulement des pulsions, mais encore dans l’effort de maintien d’un équilibre en le sujet, particulièrement subordonné à la conflictualité qui règne, quoiqu’on fasse, dans la vie psychique de chacun.
C’est probablement une des missions principales de toute psychothérapie digne de ce nom (psychothérapie, psychanalyse, psychologie, psychiatrie[7]) que d’accompagner le Moi du sujet en difficulté à rétablir la liaison entre des éléments mortifères, si détachés, morcelés ou incohérents, rétifs aux processus de sublimation.
De manière plus générale, la liaison se déploie, dans la thérapie analytique vers l’idée de faire se conjoindre équilibre psychique, adaptation au monde, à l’autre, à soi, et développement mélioratif des facultés du sujet.
En guise de synthèse sur la place du concept double en psychanalyse, nous pouvons dire que la liaison est susceptible de caractériser, dans sa mise en œuvre, un investissement régulier, stable, d’ensembles de représentations profondément logiques et articulées concernant des relations d’objet, internes et externes, appropriées – correspondant à la fois à son propre désir et à la prise en compte de l’altérité –, le maintien d’un ensemble psychique cohérent et non mortifère (non immédiatement pulsionnel) qu’on souhaitera au moins en développement, la prétérition d’un ensemble psychique de cohésion (le Moi), l’élaboration soutenue du processus secondaire (pensée rationnelle, langage, logique).
La déliaison, quant à elle, va représenter des séries de discontinuités dans les régimes d’investissement obligés (angoisse annihilante, conséquences des traumas, passages à l’acte psychotiques et psychopathiques, perversion), précarité des états-limites, au travers de la dérégulation du processus primaire (visualisation, symbolisation, déplacement – métaphore –, condensation – métonymie –).
Ainsi la déliaison autorisera la circulation libre, mais chaotique, de l’énergie psychique dans le but d’une satisfaction immédiate des pulsions (comme dans les rêves, dans les impulsions et les compulsions). Ce processus peut être bénéfique dans certaines situations non élaborées, comme à l’adolescence, où il permet de défaire ce qui a été lié précédemment pour intégrer de nouvelles expériences, d’apprendre dans le dessein que puissent s’établir de nouvelles liaisons.
Notons la place particulière occupée par les états limites par rapport à cette dialectique liaison-déliaison dans la mesure où, tel Sisyphe, le sujet lutte alternativement et, c’est peut-être là le drame de ces pathologies, conjointement, dans la construction immédiate, instinctive, de réponses à des motions trop peu explicitées, donc peu énonciatives, dans le sens non pas d’un approfondissement mais d’une consolidation de processus contradictoires.
Pulsions fondamentales
Du côté de chez Sigmund, et selon la suite donnée par lui aux travaux de Gustav Theodor Fechner (1801- 1887), Freud pose[8] bien solidement les formations psychiques comme dynamiques énergétiques et processus associatifs répondant à sa 1ère topique (1900 : Ics, Pcs, Cs), puisque l’hypothèse freudienne implique qu’un état lié de l’énergie associée au Moi assure la cohésion des éléments constitutifs du processus secondaire (pensée rationnelle, langage, logique), processus à dynamique lente, cependant qu’à l’inverse, les phénomènes constitutifs des associations et représentations pulsionnelles (visualisation, symbolisation, condensation, déplacement) constitutives du processus primaire, lequel processus opère sous énergie libre à dynamique rapide pouvant créer, par exemple, rêves, hallucinations, fantasmes non médiés, et qui participe à la formation des symptômes, des actes manqués, des mots d’esprit, des lapsus.
Pour illustrer l’opposition entre processus de liaison, du côté duquel œuvrent les pulsions de vie, et de déliaison, vers quoi travaillent les pulsions de destruction, Freud, en 1920[9], indique que les névroses traumatiques sont la preuve de l’échec des processus de liaison menaçant la cohésion et l’intégrité du Moi, la tendance de la pulsion de mort étant de se diriger vers des états, certes, en fin de processus, stables, mais à énergie nulle, ainsi qu’il en est du nirvaña[10].
Plus précisément, un système dynamique, la compulsion de répétition, laquelle réactualise indéfiniment les motifs d’une « expérience », décrite dans Au-delà du principe de plaisir[11], viendra compléter et réactualiser soit la liaison, soit la déliaison, selon que cette compulsion se manifestera, pour la liaison, en vertu de motions pulsionnelles appartenant à la pulsion de vie, et pour la déliaison, en fonction de retours relatifs à la pulsion de destruction[12]. C’est, indirectement, l’occasion pour lui de décrire de manière empirico-déductive une forme polysémique de conflit obligé, si l’antagonisme relevé apparait comme prépondérant, Freud observe néanmoins que les deux pulsions et les deux mouvements de lutte au sein de chacun des phénomènes de liaison et de déliaison peuvent s’établir dans « l’action conjuguée » des deux pulsions originaires et offrir une intrication propice à la régulation des processus vitaux. Notons l’intérêt dans la pensée freudienne pour « […] la théorie de Ewald Hering, (physiologiste prussien) dans l’opposition qu’il formule entre les processus de construction-assimilation (pulsion de vie) et les processus de destruction-désassimilation (pulsion de mort)[13]. »
Par ailleurs, les systèmes d’opposition des motions observées sont nettement illustrés dans leurs grandes tendances, conflictuelles, dans les processus de liaison et de déliaison en cohésion avec les pulsions de mort et les pulsions de vie : « Ces deux pulsions, incompréhensibles selon un abord direct, ne nous sont connues que par leurs représentants psychiques. Freud isole alors quatre représentations de la pulsion de mort : la destructivité, la déliaison, la compulsion de répétition dans son acception « démoniaque » et le principe de nirvâna. Parallèlement, il distingue quatre figurations de la pulsion de vie : l’autoconservation et la sexualité, la liaison, la compulsion de répétition dans son versant adaptatif et le principe de plaisir[14]. »
Traitement des corps
Pour ce qui est du corps et de son traitement[15], lorsque l’on intègre à notre réflexion la question des pulsions et leur place « entre le psychique et le somatique », en tant que « représentant psychique des excitations », nous ne pouvons qu’acquiescer à l’assertion freudienne qui concerne les trois principes qui conditionnent le destin des pulsions et, en particulier, le principe de constance selon lequel « […] la quantité de sollicitations somatiques et psychiques oblige le sujet au maintien de l’appareil psychique à un minimum d’« excitations » régulées par les « décharges » pour éviter un trop plein de déplaisir, le principe de plaisir, qui vise à la décharge immédiate, grâce à la satisfaction, réelle ou fantasmatique, le principe de réalité, qui contribue à ajourner la satisfaction et à poser les limites nécessaires à l’équilibre, avec soi-même et avec l’Autre, lesquels déterminent les principes de liaison et de déliaison[16] ».
Selon André Beetschen dans son article sur la déliaison et la destructivité[17], la déliaison en tant que motion « […] démoniaque, indomptée, fondamentalement hostile au Moi […]» est présente au cœur même de la sexualité, et qui aurait son origine dans la sexualité infantile. En cela il prend la suite de Jean Laplanche pour qui la déliaison est en lien avec la pulsion sexuelle de mort, laquelle provient du Ça, instance par définition non liée. Nous pouvons compléter par l’idée, en écho avec la proposition de Laplanche, que la déliaison, dès lors qu’elle se transpose en acte, trouve son énergie et sa dimension mortifère dans l’absence d’intégration du refoulement en situant, dans ces conditions, la caractérisation perverse de l’acte du côté de l’« inconciliable », comme il en est dans les mouvements sociaux sexuels et politiques radicaux, entre la pulsion et sa mise en acte fondées sur l’incompréhension de l’objet total – et donc du sujet – à l’avantage, malheureusement, de l’objet partiel et, par définition, incompris dans son intégrité.
À ce moment de notre développement, en fonction des invariants fondamentaux de la découverte freudienne – l’inconscient, la pulsion, le refoulement –, Éros, pulsion de vie, apparait comme la force de liaison par excellence, totalisante et qui absorbe « l’indompté » du sexuel dans l’amour pour le Moi et pour l’objet, cependant, à l’inverse, qu’il s’agit pour Thanatos, pulsion de destruction, d’une force de déliaison démoniaque, « inconciliable » et se complaisant dans « l’indompté » du sexuel en tant qu’hostile à l’autre et au Moi, issue de la pulsion sexuelle infantile refusant de transiger avec les notions plus subtiles du refoulement apprivoisé, de la distanciation acceptée et de la différenciation temporelle.
Enfin, et pour opposer le traitement des corps par les humains et celui qui est appliqué par les animaux, nous prendrons l’exemple du loup, une sorte de monstre d’humanité telle qu’il n’existe pas chez les hommes, qui, lui, ne mange jamais de cadavres, contrairement aux hommes, ni d’animaux, ni d’humains, qui passe toute sa vie en couple avec une seule compagne, dans une perfection monogame – si sa partenaire meurt, il reste seul jusqu’à la fin de sa vie –, qui ne commet pas l’inceste, tel que l’accouplement avec ses parents ou sa fratrie, qui protège ses petits jusqu’à leur vie d’adulte, qui aide ses parents, même infirmes, même malades, en leur apportant leur pitance, qui organise les déplacements de sa meute d’une manière extrêmement rationnelle et « humaine » en y plaçant chacun de ses membres en fonction de leur âge, de leur état de santé, de leur vigueur.
Civilisation de la raison
Nous prendrons comme métaphore du rôle de la liaison pour le rétablissement et le développement des personnes, en patientèle aussi bien, l’idée de « l’impératif catégorique[18] », concept de la philosophie morale d’Emmanuel Kant selon lequel la raison – qui s’oppose aux pulsions brutes, pulsion de mort –permet au sujet de se représenter une loi morale selon laquelle il faut agir – comportement, Loi symbolique – de telle manière que la maxime de notre action – principes de vie, sujet-objet, pulsion de vie – puisse être élevée au rang de maxime universelle. Ainsi, l’impératif est dit catégorique dans la mesure où l’agent – de liaison – moral doit agir par devoir, lequel est régulateur de l’action, digne et intègre, en tant qu’être rationnel, capable de délibération morale, capable de douter, de se remettre en question et d’évoluer, puisqu’il est apte à examiner la maxime (le principe subjectif) de son action afin de s’assurer de la dimension morale de celle-ci.
Considérons la dite maxime comme emprunte de l’idée de normalité au sens où cette idée – idéal – de normalité en psychanalyse n’est pas l’absence de symptômes mais la capacité pour le sujet de se dégager de la répétition et d’accroître ses capacités développementales pour accéder à un compromis satisfaisant entre soi et le monde, entre soi et l’autre, entre soi et soi, c’est-à-dire, en définitive, entre ses exigences pulsionnelles et les contraintes de la réalité et de soi et de l’autre. Cela ne signifie pas qu’il faille au sujet se conformer à la réalité et au monde, mais il lui faudra à coup sûr se dégager de la conformité ancienne, archaïque, aux périodes et aux moments traumatiques qui ont empêché son Moi d’élaborer un établissement et/ou un rétablissement, à partir d’une capacité de penser les nouvelles donnes, souvent à venir encore, de sa vie et, dès lors, de développer des solutions satisfaisantes – non perverses, non psychotiques, non psychopathiques, dans la prise en compte des limites – pour réajuster ses propres instances pulsionnelles bien distinctes de celles de l’enfant.
Cette ambition est simplement la norme de l’adulte qui, par-delà transfert et névrose de transfert et dans la délivrance de la satisfaction du masochisme primaire, de la culpabilité primaire et des pulsions de destruction régulièrement trouvées dans la résistance à l’ « aller mieux », se met à vouloir acquérir des éléments d’une connaissance nouvelle qui relègue les motions pulsionnelles et libidinales de l’enfant à l’arrière-plan du désir de vie dans l’idée de redessiner des relations de qualité à soi et aux autres.
Si, au XIXe, l’idée d’une disjonction entre facultés mentales et mouvements affectifs (facultés morales à l’époque) se fait jour et vient préserver ce qui peut être maintenu d’un reste de raison, le XVIIIe annonce l’altération, pour les « aliénés », des « facultés morales ». D’un point de vue subjectif, sujet affectif et sujet raisonnant sont séparés – ce qui nous renvoie directement au concept double liaison-déliaison -, et il ne tient qu’à l’histoire – mais surtout à ce que le sujet fait de son histoire – de les relier ou de les délier.
Le lien entre la folie et la passion nous amène à considérer la pertinence du concept de liaison-déliaison. Sans doute, entre autres, parce que la folie – dont les « passions tristes » : haine, jalousie, ressentiment –fait basculer immanquablement du côté de la pulsion de mort et que, du côté de la pulsion de vie, c’est la passion – dont les « passions joyeuses » : amour, puissance, satisfaction – qui tient le haut du pavé, en ce qu’elle peut se tourner vers la sublimation.
Sublimation, principe de liaison
La liaison est la condition même de la sublimation et, par conséquent, de la civilisation.
La déliaison, réalisation sous une forme ou sous une autre de la pulsion de destruction ou pulsion de mort, marque l’échec de la sublimation[19], qui se développe dans les œuvres de transformation à composante artistique, sociale (affective, spirituelle), et intellectuelle, dans leurs déclinaisons scientifique, littéraire, analytique.
Jean Laplanche et André Green ont développé, chacun à leur façon, l’idée d’une pulsion sexuelle de mort, fondamentalement hostile au Moi (Laplanche) et dont il a noté la dimension « inconciliable » avec le développement du Moi[20], fonction d’un dualisme au sein même de la pulsion sexuelle. Ainsi en est-il du basculement de la pulsion sexuelle de vie vers la pulsion de destruction – pulsion de mort – lorsqu’elle ne prend pas le chemin de la sublimation, et qu’elle empreinte la décharge complexe de la perversion, qui, dans le meilleur des cas, est un crime inabouti. La déliaison se tient là dans la mesure où le sujet lâche toute idée de responsabilité du Moi vis-à-vis de l’objet et, pire peut-être, vis-à-vis de lui-même, et que la pulsion l’emporte sur une régulation possiblement névrotique.
André Green, quant à lui, développe dans ses extensions du concept de narcissisme, les narcissismes de vie et de mort[21] qui peuvent selon lui rendre compte « […] des ensembles dans lesquels s’insèrent hystérie et cas limite, les différences qui les séparent ainsi que le cadre conceptuel qui peut les réunir […], dans la mesure où le corps hystérique rejoint dans la déliaison la catégorisation limite des pathologies perverse, psychotique, psychopathique. L’auteur proposera le terme de « chiasme[22] » pour rendre compte de « […] la zone d’intersection [– déliaison –] entre hystérie et états limites […].
Dès lors, la déliaison « réalise » sous une forme concrète et agie de l’interdiction d’exposition et de représentation des corps, la pulsion de destruction – pulsion de mort – et marque l’échec de la sublimation.
À l’inverse de cette situation inconciliable se situe, de manière triviale (introduction du tiers conceptuel), la liaison et sa possibilité de choix vers le libre arbitre et la responsabilité du sujet, ouvrant la voie vers la sublimation[23], qui elle, se développe dans les œuvres de transformation à composante artistique, sociale (affective, spirituelle, philosophique), et intellectuelle dans ses déclinaisons scientifique, littéraire, analytique, là où l’Éros, au sens le plus large du principe de vie et de son expansion vers lui-même, l’emporte. Ce mouvement vers la sublimation rend possible la Civilisation.
L’art et la liaison
La liaison implique une appréhension directe de la civilisation, par le biais de la sublimation, vers la possibilité de compréhension des corps, reléguant le refoulement – de la sexualité, du plaisir, du partage de la jouissance, du désir, de l’intellection, de l’éthique et de l’esthétique de l’expansion et, finalement, de la vie même – et ses composantes mortifères du côté de la délinquance politique et/ou religieuse, de l’obscurantisme sectaire et de l’amoralité universitaire wokiste, où, comme en miroir saturé de refoulement sexuel et de croyance paresseuse, la représentation des corps ordinaires n’existe pas ou doit être discréditée.
En effet, l’épanouissement artistique civilisationnel s’exprime d’abord par le regard vers la condition humaine et, ipso facto, vers les corps, montrés et/ou sublimés dans les multiples Écoles[24] des pays à culture chrétienne principalement à travers, au commencement d’une élaboration artistique élaborée par la civilisation gréco-latine, les déclinaisons des beaux-arts que sont l’architecture, la sculpture, la peinture, la musique, la littérature, le théâtre, le cinéma.
Nicolas Koreicho – Juin 2025 – Institut Français de Psychanalyse©
[1] Sigmund Freud, Pulsion et destin des pulsions, 1915
[2] Sigmund Freud, Au-delà du principe du plaisir, 1920
[3] Nicolas Koreicho, Éros et Thanatos : d’Empédocle à Freud – Les deux théories des pulsions, 2020, En ligne, Site de l’IFP, https://institutfrancaisdepsychanalyse.com/eros-et-thanatos-dempedocle-a-freud-les-deux-theories-des-pulsions/
[4] « La haine, en tant que relation à l’objet, est plus ancienne que l’amour ; elle prend source dans la récusation, aux primes origines, du monde extérieur dispensateur de stimulus, récusation émanant du Moi narcissique. En tant que manifestation de la réaction de déplaisir suscitée par ces objets, elle demeure toujours en relation intime avec les pulsions de conservation du Moi, de sorte que pulsions du Moi et pulsions sexuelles peuvent facilement en venir à une opposition qui répète celle de haïr et aimer. » Sigmund Freud, 1915, op. cit.
[5] De manière générale, les addictions représentent 30% des hospitalisations, la moitié des cancers, 10 ans d’espérance de vie en moins.
[6] Question de la sublimation.
« D’abord in absentia. Représentation des corps : inexistence, dans certaines aires et dans une culture de plus en plus absente de la formation des étudiants, de tableaux, sculptures, images représentant des corps d’êtres humains, naturels ou suggestifs, d’érotisme, d’actions, de scènes, de pensées, d’allégories, du quotidien, réalistes ou figuratifs – liste infinie dans les multiples écoles occidentales…-, et, par voie de conséquence, émergence de monstres chez les adeptes de la frustration, à partir du refoulé, suscitant meurtres, viols, terrorisme, violence et barbarie, les passages à l’acte reproduisant ce qui pourrait exister dans l’art, dans la littérature, à travers les systèmes de représentation qui permettraient de médier le réel. » Cf. Nicolas Koreicho, La Sublimation, 2022, En ligne, Site de l’IFP, https://institutfrancaisdepsychanalyse.com/la-sublimation/
Sublimation : transformation de la partie nocive – destructrice – de la sexualité
[7] Rien d’autre. Foin de ces multiples soi-disant « thérapies »et « psychanalyses » – ceci fait pour, plus ou moins, échapper à la loi de 2004-2012 https://institutfrancaisdepsychanalyse.com/activites/travail-analytique-et-psychoterapique/le-titre-de-psychoterapeute/ tels les psychothérapies et psychanalyses du soi (Winnicott), interpersonnelle (Sullivan), humaniste, intégrative, relationnelle, appliquée,dasein-analyse, analytique (Jung), individuelle (Adler), kleinienne, schizo-analyse ( !), écopsychothérapie, psychosomatoanalyse, actuelle, féministe, contemporaine, symbolique, trans-générationnelle, queer-analyse (!), psychorésonante, systémique, stratégique, systématicienne, interculturelle, animiste, existentielle, psycho-organique, psychosomatoanalytique… Les (soi-disant) thérapeutes, psychopraticiens, experts en santé mentale, e-spécialistes, etc. étant à l’avenant.
[8] Sigmund Freud, Naissance de la psychanalyse, 1895.
[9] Op. cit., Sigmund Freud, 1920.
[10] Le principe de nirvaña est un concept créé par Barbara Low, après Schopenhauer, puis utilisé par Freud qui le rapproche de son concept de pulsion de mort, pour désigner la tendance du psychisme à ramener vers zéro, vers le néant, toute excitation, toute quantité d’énergie ou tension, interne ou externe.
[11] Op. cit., Sigmund Freud, 1920.
[12] Nicolas Koreicho, « Psychopathologie historique : Éros et Thanatos – Les convulsionnaires », Site de l’IFP, Janvier 2021, https://institutfrancaisdepsychanalyse.com/psychopathologie-historique-eros-et-thanatos-les-convulsionnaires/
[13] Idem, Nicolas Koreicho, Janvier 2021.
[14] Ibid., Nicolas Koreicho, Janvier 2021.
[15] Cf. notre article écrit à la suite de la manière dont les corps des femmes, filles, fillettes ont été traités le 7 octobre 2023 in Nicolas Koreicho, « Le traitement des corps. Actualité, psychopathologie, civilisation », Site de l’IFP, Avril 2024, https://institutfrancaisdepsychanalyse.com/le-traitement-des-corps-actualite-psychopathologie-civilisation/
[16] Nicolas Koreicho, « Éros et Thanatos : d’Empédocle à Freud – les deux théories des pulsions », En ligne, site de l’IFP, Octobre 2020, https://institutfrancaisdepsychanalyse.com/eros-et-thanatos-dempedocle-a-freud-les-deux-theories-des-pulsions/
[17] André Beetschen, (2015), « L’inconciliable : déliaison et destructivité », Annuel de l’APF, 2015(1). https://doi.org/10.3917/apf.151.0217.
[18] Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785.
[19] Nicolas Koreicho, « la Sublimation », Site de l’IFP, 2022, en ligne, https://institutfrancaisdepsychanalyse.com/la-sublimation
[20] Jean Laplanche, « La pulsion de mort dans la théorie de la pulsion sexuelle », La Révolution copernicienne inachevée, 1984.
[21] André Green, Narcissisme de vie, narcissisme de mort, 1983.
[22] Chiasme : inverser deux groupes de mots (« bonnet blanc et blanc bonnet » ; « apprendre pour enseigner et enseigner pour apprendre »).
[23] Nicolas Koreicho, la Sublimation, 2022. En ligne, Site de l’IFP, https://institutfrancaisdepsychanalyse.com/la-sublimation/
[24] Écoles de peinture en particulier, antique, abstraite, réaliste, figurative, hyperréaliste, baroque, classique, impressionniste, surréaliste, moderne, naïve, cubiste, expressionniste, symboliste, fauviste, pointilliste, romantique, rococo, maniériste, gothique…