Archives de l’auteur : Nicolas Koreicho

L’Amour et le crâne

L’amour et le crâne – Charles Baudelaire

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Jan Saudek – Stavic girl with her father

L’Amour est assis sur le crâne
De l’Humanité,
Et sur ce trône le profane,
Au rire effronté,

Souffle gaiement des bulles rondes
Qui montent dans l’air,
Comme pour rejoindre les mondes
Au fond de l’éther.

Le globe lumineux et frêle
Prend un grand essor,
Crève et crache son âme grêle
Comme un songe d’or.

J’entends le crâne à chaque bulle
Prier et gémir :
— «Ce jeu féroce et ridicule,
Quand doit-il finir?

Car ce que ta bouche cruelle
Eparpille en l’air,
Monstre assassin, c’est ma cervelle,
Mon sang et ma chair!»

Charles Baudelaire

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Invictus

Invictus

Dans la nuit qui m’environne,invictus
Dans les ténèbres qui m’enserrent,
Je loue les Dieux qui me donnent
Une âme, à la fois noble et fière.

Prisonnier de ma situation,
Je ne veux pas me rebeller.
Meurtri par les tribulations,
Je suis debout bien que blessé.

En ce lieu d’opprobres et de pleurs,
Je ne vois qu’horreur et ombres
Les années s’annoncent sombres
Mais je ne connaîtrai pas la peur.

Aussi étroit soit le chemin,
Bien qu’on m’accuse et qu’on me blâme
Je suis le maître de mon destin,
Le capitaine de mon âme.

William Ernest Henley – 1875

Out of the night that covers me,
Black as the pit from pole to pole,
I thank whatever gods may be
For my unconquerable soul.

In the fell clutch of circumstance
I have not winced nor cried aloud.
Under the bludgeonings of chance
My head is bloody, but unbowed.

Beyond this place of wrath and tears
Looms but the Horror of the shade,
And yet the menace of the years
Finds and shall find me unafraid.

It matters not how strait the gate,
How charged with punishments the scroll,
I am the master of my fate,
I am the captain of my soul.

William Ernest Henley – 1875

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Erythrea

Erythrea

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Heemskerck Van Maarten – The Sybil Erythrea Sun (1564)

Colonne de Saphir, d’arabesques brodée – Reparais ! –
Les Ramiers pleurent cherchant leur nid :
Et, de ton pied d’azur à ton front de granit
Se déroule à longs plis la pourpre de Judée !

Si tu vois Bénarès sur son fleuve accoudée
Prends ton arc et revêts ton corset d’or bruni :
Car voici le Vautour, volant sur Patani,
Et de papillons blancs la Mer est inondée.

Mahdéwa ! Fais flotter tes voiles sur les eaux
Livre tes fleurs de pourpre au courant des ruisseaux :
La neige du Cathay tombe sur l’Atlantique :

Cependant la prêtresse au visage vermeil
Est endormie encor sous l’Arche du Soleil :
Et rien n’a dérangé le sévère portique.

Gérard de Nerval (1808-1855) (Recueil : Les chimères)

Correspondances

Correspondances

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John William Godward – The Bouquet

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
— Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens

Charles Baudelaire – Les Fleurs du mal

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Limites 2. Entre transfert et morale : la question des limites

Nicolas Koreicho – Novembre 2010

Ainsi, nous passons de la question du transfert* à la question des limites. Nous pouvons parler également de la relation d’aide. L’aide présente dans le transfert négatif dont elle peut s’accompagner un aspect inégalitaire de prise de position sur l’autre qui ne convient pas en dernière analyse à une relation équilibrée. La flexibilité dans la répartition des rôles et de l’autorité est certes nécessaire, dès lors que l’on veut instaurer une valeur fondamentale, le respect, mais pas l’absence de limites, qui en particulier conduit à la faillite de l’éducation et de la prise en compte de la Loi symbolique. Le flou, le « trop négocié » peut être propice à l’angoisse et aux débordements.
On sait à quel point, depuis les grands asservissements de l’histoire, la « transparence » (glastnost) peut être synonyme de tentation totalitaire. Donc, point d’hypocrisie. Nous ne sommes pas dans un monde où tout le monde est beau et gentil. Les règles sont nécessaires et le cadre (sa partie relationnelle) ne saurait être l’objet d’une négociation. Il répond à des contraintes précises de sauvegarde de la relation et des personnes et ne peut à ce titre être approximatif, ce qui ne veut pas dire qu’il ne peut pas évoluer.
Ainsi, si l’on prend l’exemple d’une session de formation, il faudrait énoncer : « Voici ce qui m’est nécessaire pour que je puisse animer cette session dans de bonnes conditions et pour qu’elle développe une construction pédagogique. Est-ce que cela vous convient ? ». Car si la négociation du cadre est admissible lors de formations qui ont trait principalement au développement de compétences philosophiques ou psychodramatiques, elle n’est pas adaptée lors de séminaires fondés sur la transmission de connaissances**.
L’échange mou n’apporte d’ailleurs qu’un semblant de connaissance. Les limites, elles, dessinent une architecture. Cela n’exclut d’ailleurs pas l’humanisme du formateur, et sa relativisation pour un travail de construction mutuelle. Faute de quoi il peut basculer dans l’argument d’autorité qui avec des adultes s’opposerait à l’apprentissage commun. Cependant, si le groupe est bien trop intelligent pour ne pas savoir, qu’est-ce qu’il fait de cette intelligence en formation ? Et les formateurs, n’ont-ils rien à transmettre, à partager de profond ?
L’un des grands enseignements que nous pouvons tirer des excès de la transmission molle, des concepts flous, d’une sorte de foire au nivellement des propos et des idées (tout se vaut, tout le monde est à égalité de savoirs) et de ses développements abusifs (transférentiels, agressifs, militants), c’est que plus la violence est manifeste, non seulement en situation de formation mais dans toute forme de relation, plus la distance de la personne qui fait montre de cette violence, avec son propre inconscient, est grande, et plus son déséquilibre est marqué et s’exprime dans la négation de l’autre. D’où la nécessaire imposition des limites, des règles, d’une loi symbolique civilisatrice, c’est-à-dire, en définitive, d’une éthique.

Nicolas Koreicho – Novembre 2010 – Institut Français de Psychanalyse©

*Cf. Limites 1. Sur le transfert en formation
**Ce qui pose au passage la question des pré-requis personnel (travail sur soi) et culturel (niveau de formation) : l’ignorance est le fondement de la violence.

Limites 1. Sur le transfert en formation : le transfert, le cadre
Limites 2. Entre transfert et morale : la question des limites
Limites 3. Limite et no-limit : implications d’une dissolution

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Limites 1. Sur le transfert en formation : le transfert, le cadre

Nicolas Koreicho – novembre 2010

Il arrive, singulièrement en formation, d’être confronté à des interventions agressives de la part de participants qui ne réalisent pas que cette agressivité, qui bien évidemment pallie d’abord le défaut d’argumentation, n’est pas recevable lorsque ces « saillies » se produisent dans un cadre professionnel et, qui plus est, de la part de professionnels de l’accompagnement.

Il arrive aussi d’être sollicité par des interventions séductives qui, elles, seraient plutôt facilitantes pour le développement d’un travail d’apprentissage.

Ces premiers moments, agressifs, relatifs à la pulsion de destruction, peuvent prendre place dans des sessions de transmission et de formation quand le participant n’a pas encore pris le recul nécessaire à l’analyse des interactions, y compris lorsqu’il y est lui-même confronté, recul qu’autorise un travail sur soi et une éthique fondé sur une écoute attentive et bienveillante.

Cette écoute attentive et bienveillante met en branle la question du transfert et du contre-transfert* toujours analysables et aptes à être dépassés d’abord par l’accompagnant, du fait de sa formation, qui supposent un travail d’analyse et d’auto-analyse nécessaires, ainsi que la prise en compte de la question de l’éthique, décidément indispensable à une pratique intelligente et respectueuse de chacun.

Dès lors que l’on comprend que c’est toute la question du cadre** qui se pose ici, et le plus important degré du cadre, c’est-à-dire celui qui ne peut autoriser les passages à l’acte, on saisit que ce cadre est destiné à être intégré et respecté. A cet égard, le transfert positif est facilitant, dans la mesure où il autorise une certaine souplesse et le recours à une plus ample compréhension, pas l’empathie, l’humour, l’indulgence, cependant que le transfert négatif est à même de proposer des pistes de progrès, dès l’instant qu’il est admis par le participant, patient, étudiant, client…

Il faut en l’occurrence considérer trois points :

Tout d’abord la formation personnelle de celui ou celle qui n’intervient pas de façon adaptée, agressive en fait, dans la demande que présuppose le transfert. Cette situation doit de la sorte particulièrement prendre en compte les phénomènes de transfert et de contre-transfert à l’œuvre dans les situations d’interlocution, où l’autre veut se mesurer au professionnel, propres aux relations à enjeu, comme on les retrouve en coaching, psychothérapie, accompagnement…, lesquelles impliquent non seulement de penser le problème posé par l’autre, mais également de penser précisément la situation d’interlocution, et enfin de SE penser dans ce double fonctionnement.

En second lieu, le participant doit être prêt, comme en toute situation d’apprentissage, à accepter que des systèmes de référence, et éventuellement de valeur, différents des siens, lui soient proposés et puissent indiquer à l’autre le phénomène auquel il est soumis. Ici, l’écoute attentive, neutre et bienveillante du participant à l’endroit du formateur et vice versa doit s’exercer.

Enfin, le participant doit pouvoir s’entendre en train de se modifier lui-même dans une relation productrice de principes, cette relation fût-elle professionnelle, et à comprendre ce que sont au plus juste les phénomènes auxquels il est soumis ce qu’a priori, en passant, les formateurs devraient connaître bien et transmettre aussi bien.

Le participant doit ainsi en tout premier lieu « participer » à ce triple mouvement, pour adopter la flexibilité nécessaire à l’exercice de son métier de participant et de son métier tout court, ainsi d’ailleurs que dans les relations que chacun entretient avec l’autre.

On peut ainsi d’ailleurs élargir cette notion du transfert à toutes les relations sociales, et considérer que les réactions sont certes légitimes lorsqu’elles induisent une certaine souffrance, mais qu’elles doivent faire absolument la part de l’histoire personnelle du sujet dans la considération et l’attribution de cette souffrance, faute de quoi la personne vivrait sa vie « à côté ».

Nicolas Koreicho – novembre 2010 – Institut Français de Psychanalyse©

*Le transfert représente dans les processus d’accompagnement, psychanalyse, psychothérapie, coaching, mais aussi vis-à-vis du médecin, de l’avocat, de l’enseignant, etc. la projection, par l’analysant, l’étudiant, le patient, le client, etc. de contenus issus de son propre inconscient et provenant d’expériences infantiles avec les père et mère et avec la fratrie, sur la personne de l’accompagnant, qui lui apparaît dotée de qualités, d’intentions, d’affects différents de la réalité de l’accompagnant. (Francis Pasche – 1975) : « La reviviscence de désirs, d’affects, de sentiments éprouvés envers les parents dans la prime enfance, et adressés cette fois à un nouvel objet ». Le contre-transfert est la projection par l’accompagnant des contenus issus de son inconscient et de ses expériences sur la personne de l’analysant, du patient, du client, de l’étudiant de motions affectives.

**Le cadre est multiple et ses composants les plus importants, les cadres, donc, sont, dans l’ordre d’influence, relationnel (transfert, contre-transfert), personnel (le non-verbal), conversationnel (discursif), référentiel (éthique, théorie), contractuel (l’objectif), matériel (lieu, temps).

Limites 1. Sur le transfert en formation : le transfert, le cadre
Limites 2. Entre transfert et morale : la question des limites
Limites 3. Limite et no-limit : implications d’une dissolution

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La Loi symbolique

Nicolas Koreicho – décembre 2014

Gustave Moreau – Jupiter et Sémélé, 1895 – Musée Gustave Moreau, Paris

Le concept de la Loi symbolique, dont la souveraineté est démontrée d’abord par l’anthropologie puis prouvée par la psychanalyse, provient de l’idée d’un ordre symbolique fondateur de la sociabilité (fonction symbolique de C. Lévi-Strauss), sans quoi les groupes sociaux déclinent (décadence) puis disparaissent (explosion de la violence – du pulsionnel – sous toutes ses formes, puis implosion).
Cette loi est universelle, elle concerne tous les continents et s’inscrit au-dessus des lois édictées, juridiques, religieuses ou idéologiques.
Toutefois, elle est lisible dans la mythologie, le légendaire, le fictionnel, certaines philosophies et certains préceptes religieux, ainsi que dans certaines lois et traditions humaines et sociales, sans toutefois qu’on puisse la confondre avec telle loi politique. En littérature, on en trouve des systèmes dans de grandes épopées et en inverse infernal, si l’on peut dire, dans l’œuvre de Sade.
La Loi symbolique en tant que telle n’est pas consciente et répond à des universaux d’intégration du corps humain et des grands termes de l’inconscient dans le corps social.

La Loi symbolique, dans son acception positive, est susceptible d’assimiler, afin que la personnalité n’y reste pas fixée, les grandes étapes de l’évolution de la personne en promouvant le dépassement indispensable des représentations originaires des fantasmes à absorber (Fantasmes originaires : retour au sein et au ventre maternel, séduction incestueuse, scène primitive réitérée, castration figurée effective), lesquels ne se rencontrent en principe, dans leur acception la plus logique en tant qu’étape obligée de l’évolution de la personne, qu’une fois. Leur signification globale autorise respect des espèces et harmonie entre les vivants. Elle se résout à l’occasion de la mise en scène de ces fantasmes, et s’actualise des sèmes suivants :

Proscription : meurtre, inceste. (F. Retour au sein maternel)

Verbalisation : nomination de la parenté, dès lors, proscription du crime et respect de la différence des générations. (F. Séduction)

Prohibition : amoralité du vol, du viol, de l’abus de pouvoir. (F. Scène primitive)

Prescription : différence des sexes. (F. Castration)

Ces repères, lorsqu’ils sont ignorés, donnent lieu non seulement à des transgressions manifestes, plus ou moins prises en compte par la loi des hommes, mais, pour ce qui nous occupe, si ces repères ne trouvent pas d’origine sur le plan des contenus latents, ces repères ignorés donnent libre cours au développement de psychopathologies, transformées et éclairées dans la sublimation des œuvres d’artistes, d’écrivains, de mainte manière.

« J’ai, pour me guérir du jugement des autres, toute la distance qui me sépare de moi ». Antonin Artaud

Proscription : meurtre et inceste. Ce sont les plus anciens, les plus fondamentaux et les plus fondateurs, tant du point de vue personnel que du point de vue social. Ils s’appuient sur la nécessaire construction de la personnalité à partir du système de l’Œdipe, système de signifiants constitutifs de l’indépendance de l’individu.
Le fantasme originaire du retour au ventre ou au sein maternels ne doit pas avoir lieu de manière prolongée, ceci pour autoriser l’accession à l’indépendance de l’enfant puis de l’adolescent, selon des modalités distinctes.
La question de l’altérité est posée. Il y a un autre. Il y a de l’identique (prohibition de la sexualité entre parents et enfants ; consanguinité) et du différent (aller vers l’autre sang, l’autre sexe : fécondité).
La dialectique du même et de l’autre structure et organise le monde et les sociétés.
L’identique, dans son exécution (relation amoureuse ou haineuse de deux frère et sœur par exemple) interrompt cette construction. L’absence des interdits du meurtre et de l’inceste provoque l’annihilation de la nécessaire distinction entre le désir (fantasmé) et son assouvissement (en réalité). Elle représente une régression qui empêche la formation du Moi qui, rappelons-le, nécessite que chacune des étapes de son évolution soit dépassée pour se réaliser. Sans cela, la constitution de la personnalité se fait sur un versant pervers. Par exemple, on ne peut rester fixé au stade sadique-anal. Il en est ainsi du dégagement obligé de chacun des stades d’organisation de la personnalité dans son acception libidinale (oral, sadique-oral, phallique…) pour que chacun puisse se réaliser.
Au contraire, ces interdits  permettent la réalisation et l’émancipation de la personne de ces différents stades, vers son autonomie donc, dans une direction d’expansion vers soi et le monde de l’autre.

Verbalisation : nomination de la parenté. La question de la différence des générations est posée. Les personnes ne se traitent pas de façon identique et ne doivent pas se considérer de la même manière, jeune et vieux, ascendant et descendant, parent et enfant, vivant et mort, enfant et adolescent… La nomination conditionne l’ordonnancement de ce qui est utile ou néfaste, bienveillant ou nocif, vital ou mortifère.
Cette nomination différenciée permet de sauvegarder la paix entre les personnes dans une régulation adaptée aux différents âges de la vie.
Les rôles de chacun sont spécifiés.

Prohibition :  du vol, du viol, de l’abus de pouvoir. La question du respect, de la coopération et du partage est posée.
La pulsion de mort, et son corrélat, la pulsion agressive, est mise à l’index, et ne doit pas s’appliquer aux relations entre les vivants. Elle le fait cependant dans ses réalisations sadomasochiques ainsi que dans certaines élaborations de pathologies narcissiques (psychopathie…) et psychotiques (schizophrénie paranoïde…).
Dépasser le narcissisme primaire est le grand enjeu de ces prohibitions et dans cette dialectique les prescriptions de coopération sont éminentes. La personne n’est plus sa majesté le bébé ou l’enfant-roi. Il s’agit de permettre, et de protéger, l’intégrité de la personne.
L’agressivité naturellement animale de l’homme ne s’applique plus à la vie dans la société, si, jadis, elle se justifiait par l’existence de ses prédateurs ou la rivalité entre tribus et la nécessaire protection du territoire, de la nourriture, de la descendance, de la femelle…
Aujourd’hui elle s’exprime par la guerre, les crimes et les délits, y compris dans les familles.

Prescription : la différence des sexes. La question du masculin et du féminin est posée. Il y a toujours des mâles et des femelles. C’est une différence irréductible qui conduit à la différenciation des personnes et des identités, différenciation qui, elle-même, permet l’individuation. Elle représente une irréductible opposition fondamentale à l’origine de la vie même. Elle est de surcroit le modèle de la pulsion de vie et s’exerce par la procréation et les relations amoureuses qui sont censées y préparer selon le précepte de la complétude. Différence des sexes et différence des générations constituant les deux piliers de la génitalité.

Le cannibalisme. Le cannibalisme, a, parmi les tabous universels – mais pas de tout temps et non dans toutes les civilisations – un statut particulier, et des significations situées entre l’appropriation symbolique, qui est censée conférer au mangeur les qualités du mangé (Freud, Totem et tabou, 1912), et l’inceste symbolique qui fait que les asiatiques, contre la civilisation, mangent des chats et des chiens, c’est-à-dire potentiellement des membres de la famille, en passant par l’identification (les fils de la horde dans Totem et tabou, qui dévorent le père), par l’imaginaire incorporatif prégénital (mère-enfant)(Claude Lévi-Strauss, Mythologiques, 1964-1968) et par les mythes littéraires amoureux (le coeur mangé – la sensualité mortifère de la tubéreuse) des amants (Baudelaire, Causerie in Les Fleurs du mal, 1857 ; Zola, Nana, 1880 ; Claudel, L’Otage, 1911 ; Donatien A.F. de Sade, La Philosophie dans le boudoir, 1796).

Nicolas Koreicho – décembre 2014 – Institut Français de Psychanalyse©

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Vos enfants

Vos enfantsarchere – Khalil Gibran

Et une femme qui portait un enfant dans les bras dit :
Parlez-nous des Enfants.
Et il dit :
Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même,
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.
Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,
Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes,
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves.
Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux, mais ne tentez pas de les faire comme vous.
Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier.
Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.
L’Archer voit le but sur le chemin de l’infini, et Il vous tend de Sa puissance pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l’Archer soit pour la joie ;
Car de même qu’Il aime la flèche qui vole, Il aime l’arc qui est stable.

Khalil Gibran – extrait du recueil Le Prophète

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À une passante

passante

Giovanni Boldini – Portrait de madame Lantelme – 1907

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?

Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !

Charles Baudelaire

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Choisir son psy

Nicolas Koreicho, le 2 février 2001

Cette lettre répond à un article paru dans une revue généraliste de psychologie qui décrivait l’ensemble des méthodes de psychothérapie. Voici la réponse faite à cet article par Nicolas Koreicho, le 2 février 2001.

Madame,

Votre dossier « Choisir son psy » est tout à fait bien documenté pour accepter qu’on lui apporte une légère critique et un élément supplémentaire. Dans la description très efficace que vous faites des différents mouvements « psy », il manque une hiérarchie qui replacerait la psychanalyse à sa juste place, dès l’instant où elle est clairement spécifiée, en, opposition aux thérapies agissant sur le symptôme et seulement sur celui-ci.
En effet, à l’heure des joies et des drames, des retrouvailles et des séparations, des vraies questions et des mauvaises réponses, la psychanalyse a, plus que jamais, son mot à dire.
En sachant prendre ses distances avec les sous-discours de certains médias et de la rue, des divertissements et les colloques, les cercles et les écoles, la psychanalyse doit proposer une véritable alternative à la société du spectacle, à la solitude des familles, aux actes incompris.
La psychanalyse est la seule à pouvoir donner une explication cohérente des motivations profondes de chacun et de chacune, qu’il soit chômeur, notaire ou amoureux.
En effet, la complexité des contraintes sociales, professionnelles et personnelles auxquelles les personnes, dans la société multiforme d’aujourd’hui, sont soumises, ne profite, en fin de compte, qu’à quelques hommes  de pouvoir.
C’est pourquoi l’interprétation des motivations des uns et des autres, à commencer par ce qui nous fait nous-mêmes agir, réagir ou subir les différents événements de la vie est, plus que jamais, indispensable.
Parce que la psychanalyse est apte à identifier ce qui se trouve derrière une santé défaillante, des relations humaines perturbées, ou des habitudes néfastes, que l’existence nous pose au quotidien, elle nous permet de nommer puis d’affronter les problèmes psychiques qui sont souvent à l’origine de nombreux symptômes physiques et psychologiques.
Des personnes souffrent dans leur corps, dans leur sommeil, dans leur alimentation, sans comprendre ce qui se passe, et sans comprendre pourquoi tel ou tel symptôme se développe.
D’autres souffrent d’une sexualité insatisfaisante, de difficultés à communiquer ce qu’ils voudraient, de la solitude.
D’autres encore ont trop souvent recours à l’alcool, au tabac et aux autres drogues, les conduisant à des dépendances de différente nature, pour tenter d’oublier les véritables questions qui les taraudent. Elles ne sont pas résolues pour autant.
Enfin, il existe toute une gamme de craintes irrépressibles, d’envies inquiétantes, d’obsessions lancinantes, qui peuvent peser sur la vie de tous les jours de façon handicapante.
La psychanalyse peut faire quelque chose contre tout cela. Pas n’importe quelle psychanalyse. Une psychanalyse discutée, expliquée, partagée entre le patient et l’analyste.
Elle permet que tout ce qu’on n’a pas pu dire sur ce dont on souffre puisse s’exprimer par des mots, révéler une origine aux choses, subjuguer les causes du mal et le neutraliser.
Elle nous fait revivre les situations enfouies, les moments clés, les sentiments refoulés, dans un cadre d’écoute, de compréhension, de bienveillance.
Enfin elle donne les éléments, dans l’interprétation, qui nous permettront de vivre pleinement, de s’épanouir avec d’autres, d’aimer simplement.
Sans être un remède miracle – il est bien des affections, des maladies, des accidents pour lesquels la psychanalyse ne saurait modestement être qu’une psychothérapie de soutien -, sans être non plus la seule, ainsi qu’en atteste votre dossier, la psychanalyse semble pourtant bien constituer aujourd’hui une véritable alternative mais en profondeur, aux émotions destructrices, aux échecs relationnels, aux réponses toute faites et immédiates, que provoque le quotidien, violent, spectaculaire ou insidieux d’une société devenant sans cesse plus complexe à dire, à penser et à vivre.

Nicolas Koreicho
, le 2 février 2001 – Institut Français de Psychanalyse©

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