Serge-Henri Saint-Michel – Août 2021
La Fureur dans le sang (Wire in the Blood) est une série télévisée britannique, créée d’après les romans de Val McDermid, écrivaine écossaise, auteure principalement de romans policiers.
Je me pencherai sur l’un de ses héros, le Dr Tony Hill, psychologue.
Côté pro, le Dr Hill se spécialise dans les récidivistes violents et les tueurs en série.
Côté perso, il souffre de troubles de la coordination du développement et dispose de faibles compétences sociales, résultant en partie d’une enfance violentée psychologiquement comme le laissent penser quelques allusions en flash-back.
Côté pro et perso, il est souvent accompagné dans ses enquêtes par l’inspectrice en chef Carol Jordan. Leurs enquêtes se déroulent dans des milieux glauques et violents.
Le Dr Hill et Carol Jordan entretiennent une relation compliquée, mais toujours empreinte de respect et de considération mutuels. Une amitié nait. Sans sexe entre eux.
Le Dr Hill évite d’entrer dans une relation amoureuse avec Carol Jordan en partie à cause de ses soucis de dysfonction érectile (impuissance), cf Le chant des sirènes Val McDermid (1995), mais La Fureur dans le sang n’aborde pas cette explication. Par contre, le Dr Hill est parfois montré comme ayant eu une relation difficile avec sa mère, une femme d’affaires émotionnellement détachée qui a mis au monde son fils alors qu’elle était encore jeune et célibataire, à une époque où une telle chose était considérée comme scandaleuse.
Il est également révélé dans Beneath The Bleeding que sa grand-mère avait l’habitude de l’enfermer dans un placard pendant de longues périodes chaque fois qu’il l’irritait ou faisait quelque chose de mal. De plus, sa mère et sa grand-mère ont utilisé les coups comme punition pour des délits involontaires dans l’enfance ; elles lui hurlent dessus. Du coup, il ne supporte pas de se disputer, d’être disputé. Il dit même : « les adultes crient et ça doit être de ma faute ». Par parenthèse, sans tomber dans une psychanalyse transgénérationnelle sauvage, dans un épisode, suite à une fuite d’eau, son plafond lui tombe dessus ; comme si tous ses ascendants lui urinaient dessus, jusqu’à l’obliger à déménager, à fuir, temporairement certes.
Alors il défend la vie, souvent maladroitement, pour trouver sa place dans la sienne via une approche très sartrienne ; il échange avec le médecin légiste, les officiers de police, reconnaît que parfois il n’y a pas d’explications ni de raisons. Il avance en s’appuyant sur ses inspirations, ses constats et ses analyses, pour mieux anticiper. Eros.
Mais il est sans cesse rattrapé par son vécu, d’ailleurs jamais évoqué dans la série TV (uniquement dans les romans), qui remonte à la surface, lui cause des troubles comportementaux, de l’agoraphobie, des maladresses, des penchants violents (quand il pense avoir une tumeur au cerveau et qu’il s’offre en pâture à un criminel). Thanatos.
Peut-être pour rendre acceptable ses travers, son comportement parfois border line, son étonnante capacité à mettre mal à l’aise ses collègues, le Dr Tony Hill est atteint du syndrome d’Asperger. Ainsi, « ce n’est pas grave, c’est juste qu’il est malade »… qui l’autorise à tout dire, même avec des conséquences négatives ou lui ou ses collègues. Ainsi, ce « sachant fou » est presque une sorte de parrèsiaste (comme le précise Michel Foucault*) « sachant tout » et « disant tout ».
En conséquence, Tony Hill se réfugie dans le travail qui devient une sorte d’addiction (sans en avoir aucune par ailleurs). Il dort peu et mal, arrive au commissariat en pleine nuit après avoir cogité et ouvert des bouquins érudits. En somme, c’est un geek, que le savoir étourdit, non par narcissisme, mais par sublimation et catharsis, probablement en toute conscience, compte tenu de son métier.
Pour le Dr Tony Hill, combattre Thanatos et ses bras armés passe par une croisade personnelle, comme s’il avait à prendre une revanche, celle d’un môme que le regard de la mère n’a jamais soutenu, jamais accompagné. Tony Hill n’a pas eu de mère suffisamment bonne** : elle l’a laissé, lui l’enfant, en souffrance et dans une angoisse néantisante.
L’Eros de Tony Hill vise à lui permettre de se dénéantiser en se révélant à la lumière de la folie meurtrière et thanatéenne de l’Autre, dont il dévoile les mécanismes intriqués. Comme si Tony Hill s’auto-analysait à crime scene ouverte…
Serge-Henri Saint-Michel – Août 2021 – Psychiart©
Références :
- Michel Foucault, Le courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II, Cours au collège de France 1984, Paris, Gallimard Seuil, 2009
- Donald W. Winnicott, La mère suffisamment bonne, Petite Bibliothèque Payot, 2008