Nicolas Koreicho – Novembre 2024
Sommaire
I Histoire du terme
II Le Sphinx et la Chimère
III Des monstres et des corps
I Histoire du terme
Monstre a été créé par emprunt du latin monstrum, dérivé de monere « faire penser, attirer l’attention sur », d’où « avertir » (ainsi qu’il en est dans moniteur, montrer, monument, prémonition), terme du vocabulaire religieux désignant un prodige, sans qu’aucune connotation positive puisse être associée à ce terme, et qui signifie un avertissement en provenance de la volonté des dieux, autrement dit un signe divin à interpréter comme phénomène, fait surprenant qui arrive en dehors du cours normal des choses, et que l’on considère comme surnaturel. Ex. Ce prodige leur sembla présager quelque grand malheur.
Par suite et par métonymie, le terme est appliqué à un objet de caractère exceptionnel ou attribué à un être surnaturel.
À basse époque (2e, 3e siècle), il se dit par hyperbole d’un homme (monstrum hominis) ou d’une femme (monstrum mulieris) dans un langage de comédie ; notons que, dans la langue religieuse, il va qualifier spécialement les démons.
En français, le sens premier est celui de prodige (cf. précédemment à propos de la neutralité du mot), miracle (ici aussi, terme neutre, religieux, désignant un « fait ne s’expliquant pas par des causes naturelles et qu’on attribue à une intervention divine », un événement magique donné à voir dans le réel, sens encore bien attesté au 16e, puis action monstrueuse, criminelle, chose prodigieuse, incroyable et, par hyperbole, chose mal ordonnée, mal faite. Cet emploi général a progressivement décliné par rapport aux emplois, ultérieurs, où monstre désignera des êtres mythologiques, de légende.
Dès le 14e, l’adjectif monstrueux est employé avec une idée morale au sens de « bizarre, extraordinaire, prodigieux » appliqué à une action contraire aux lois de la nature, sens qui vient compléter la signification religieuse, c’est-à-dire contraire à la volonté divine, et qui va augurer des usages scientifiques relatifs à la question de l’anomalie.
Depuis le 16e on relève dans l’expression encore usuelle monstre marin appliqué par exemple à la baleine puis au 17e aux gros poissons que l’on servait à table (carpes, brochets, saumons, turbots). Racine dans Phèdre l’emploie pour parler d’un animal féroce. Son application parallèle à un être humain remonte au 12e siècle.
À partir de cette époque on parle de monstre à propos d’un homme au physique et aux mœurs étranges, comme à propos d’un homme défiguré par la lèpre ou contrefait de corps ou de visage, d’un castrat, parfois d’un impie, et, par hyperbole, depuis le 17e, d’un homme très laid.
Le mot témoigne également d’une appréciation morale, au 13e, en parlant d’un païen (sens propre au Moyen Âge) et d’un être repoussant, au physique et surtout au moral, dans la locution un monstre de femme à propos de Messaline que le 17e semble avoir prisée : monstre de cruauté, monstre d’avarice, mais également parfois en contexte positif comme dans monstre de mémoire.
Son emploi antiphrastique comme terme affectueux date du 18e, époque où l’on commence à dire d’une chose c’est un monstre au sens de « c’est adorable ».
L’emploi adjectivé du mot (monstrueux) a valeur intensive pour « énorme, immense » dans l’usage familier et n’est pas attesté avant le 19e.
Depuis le 16e il est également employé avec un sens voisin de « prodigieux, extraordinaire », même si le sens biologique « qui a les caractéristiques d’un monstre » s’applique à un animal ou un enfant. L’emploi substantivé du mot à valeur de neutre (le monstrueux) date de l’époque romantique et de la remise à l’honneur d’une esthétique du chaos (Hugo), puis du bizarre (Baudelaire).
Dès la 2ème moitié du 16e on trouvera : « action monstrueuse, criminelle ». Au 17e : on verra « faire un monstre » (de quelque chose), « la représenter de manière monstrueuse, périlleuse », mais aussi « ce qui est mal fait, mal ordonné ». Au 18e, par antiphrase, on trouvera « une femme constante est un monstre nouveau », mais également le terme sera employé pour dire de quelqu’un qu’il est adorable « c’est un monstre ».
Au 19e, au sens d’extraordinaire, on rencontrera « un effet monstre », directement emprunté au latin monstrum de monere « avertir, éclairer, inspirer », du vocabulaire religieux « prodige qui avertit de la volonté des dieux », par suite « objet de caractère exceptionnel, de caractère surnaturel » (démon) du 12e au 16e, jusqu’à l’acception actuelle, jusqu’à, finalement, « acte monstrueux, contre nature ».
Notons que l’analogie – incorrecte selon la lexicographie – avec le latin monstrare (montrer) nous indique nonobstant que le monstre est celui qui se montre, qui s’expose, qui s’exhibe en tant que tel. Elle indique que le monstre est celui qui rompt avec la norme, provoquant la terreur (le violeur, le criminel, le terroriste) ou l’admiration (la merveille : le monstre sacré, la star, l’enfant adoré).
Nous pouvons considérer avec bénéfice les différentes acceptions socio-culturelles du monstre entre l’Antiquité et la fin du 17e, période qui fait de lui un mystère parmi d’autres, et dont il faut cependant se défier, la littérature l’apparentant préférentiellement au démon.
Au siècle des Lumières, le monstre est un objet d’étude savante, qui s’appuie en particulier sur la médecine et la biologie, voire l’anatomie.
Au 19e, c’est surtout la dimension romanesque, littérature et poésie, et artistique, en peinture notamment, qui sera à l’honneur.
Au 19e, le monstre est spécifié selon sa dimension biologique qui fait de lui un « raté de fabrication » ou de conception, où la sémantique de l’anomalie va se confirmer. L’étude raisonnée des monstres, la tératologie, qui se veut La science des monstres (Wolff), s’attache à classer les monstres et les anomalies, malformations, monstruosités qui s’y rattachent.
Dans l’acception générique actuelle, le monstre est le plus souvent un sujet que l’on soumet à la faculté de la science, normée et classifiée, anatomique, biologique et embryologique le plus souvent (tératogenèse), mais aussi psychiatrique.
Ainsi en est-il par exemple de l’intersexualité avec une quarantaine de caractères pathologiques ou d’anomalies, qualifiants choisis selon les partis pris des chercheurs, décrits par l’endocrinologie et l’hormonologie mais qu’il est bien entendu nécessaire de ne pas discriminer en tant que critère sociologique (1,7% de la population, trop souvent relégués dans les oubliettes de la prostitution).
De nos jours, la littérature, le théâtre et surtout le cinéma illustrent le thème du monstre, de manière variée, profonde et spectaculaire.
II Le Sphinx et la Chimère
Dans ce tableau intitulé « Le Sphinx et la Chimère », réalisé en 1906, le peintre Louis Welden Hawkins se livre à une interprétation symboliste de la figure du monstre hybride.
Il puise ses références dans la mythologie antique, et réunit en un seul deux animaux composites :
depuis la plus lointaine antiquité, en passant par Hésiode (Φίξ / Phíx), un lion à tête humaine (androsphinx) ou de bélier (criosphinx), parfois de faucon (hiéracosphinx) ou de chat.
Le sphinx est au masculin la figure mythique la plus ancienne (Égypte : le gardien des rois morts), figure de puissance, de protection et de vigile contre les forces malfaisantes.
La Sphinge, plus récente, monstre féminin (Grèce : la cruelle divinité des enfers), figure mythique qui a subsumé un de piliers de la psychanalyse, Œdipe, continue de vibrer en le sujet, sous les formes des processus primaires métaphoriques (par déplacement), métonymiques (par condensation), substitutives (visualisation, symbolisation), lorsque nous pratiquons et théorisons les concepts et les associations. C’est aussi elle qui a autorisé, sur les plans de l’art, de la littérature, de l’histoire des idées, de la psychanalyse, une des influences les plus puissantes de la mythologie[1].
La chimère est, selon les mythes, un animal à trois têtes – une de lion, une de chèvre et une de serpent. Fille de Typhon et d’Échidna, elle ravageait la région de Lycie (en Asie Mineure), quand le héros Bellérophon reçut du roi Iobatès l’ordre de la tuer. Il y parvint en chevauchant le cheval ailé Pégase.
La symbolique de la chimère est vaste et son nom a été repris pour désigner, dans un sens étendu, toutes les créatures composites possédant les attributs de plusieurs animaux ainsi qu’elles apparaissent dans les rêves, les fantasmes ou encore dans les utopies impossibles.
Le sphinx, selon le principe de réalité, pourrait représenter le questionnement – les fameuses énigmes – sur les origines du fantasme, principe de plaisir, pour élucider les références du sujet avec l’Œdipe, le narcissisme, la castration. En effet, rappelons-nous que la sphinge est le fruit de monstres et de l’inceste – Echidna et Orthros, son fils.
La chimère, quant à elle, pourrait représenter la pulsion à maîtriser, l’impossible réalisation du fantasme, s’affirmant comme polymorphique, comme les animaux qu’elle incarne, sous peine de mort, de maladie, de souffrance.
Le but de cette composition Sphinx-Chimère étant de sauvegarder l’intégrité du sujet contre les tentations perverses, psychotiques, psychopathiques en intégrant le système de l’Œdipe : selon Claude Lévi-Strauss, l’énigme principal de la sphinge réside dans la problématique de la bipédie et pour Oidipus d’ « une difficulté à marcher droit ».
La chimère pourrait représenter une illusion, celle d’un mystère facile à élucider sans le truchement de l’analyse, c’est-à-dire le fantasme pur, la pulsion – le passage à l’acte – et le sphinx, au contraire, l’explication de ce qui nous constitue, mais qui nous ralentit – qui nous empêche – le questionnement qui nous permettra de se rapprocher d’une vérité personnelle.
Ainsi, le tableau Le sphinx et la Chimère proposerait l’alliance, précaire, active, vécue en mouvement, de la coalition indispensable à prendre en compte, naturelle pourrait-on dire, entre la tentation fantasmatique et l’équilibre toujours à trouver induit par un questionnement existentiel vers l’allant, la réalisation de soi, et, pourquoi pas, l’épanouissement.
Cependant Hawkins s’inspire aussi de l’imaginaire médiéval – Moyen-Âge, entre-deux, pour la constitution de la personnalité – pour ce tableau à la fois sombre et lumineux, oxymore intrigant et ravissant : le monstre hybride semble ne faire qu’un avec la colonne de pierre sur laquelle il s’adosse – comme à la certitude d’un socle –, et rappelle que les gargouilles, barbacanes et chimères des cathédrales gothiques nous invitent à la vigilance sur l’équilibre instable des toujours possibles basculements du côté de la pulsion de vie – densité, santé, intégrité, selon la nature et la morale qui considèrent le sujet, aussi bien soi que l’autre, ou du côté de la pulsion de mort, dans les passages à l’acte et la condamnation de soi et l’ignorance de l’autre.
La lumière qui illumine le visage féminin apporte paradoxalement une dimension divine à ce monstre infernal et inquiétant, ouvrant à la fois sur la foi, l’amour, l’espérance, la certitude et l’humilité.
L’époque et le geste mettent en valeur, entre damnation éventuelle et rédemption souhaitée, mythologie antique et imaginaire gothique, la symbolique des êtres polymorphes et des monstres : côté sombre et dangereux de la vie psychique lorsqu’elle est sans limite, et côté éclairant de l’intellection, goût pour le surnaturel de l’inconscient et pour le naturel de sa résolution[2].
III Des monstres et des corps
« Il faut toujours dire ce que l’on voit ; surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. »
Charles Peguy, Notre Jeunesse
Il est nécessaire de garder toujours le sens du 1er degré, dans l’idée du soin, de la santé, de l’équilibre. Le monstre c’est ce qui se voit et qui nous semble monstrueux (sauf pour les monstres eux-mêmes et d’autres si affinités). Qu’est-il fait des corps, de son propre corps, du corps de l’autre. Un écrivain, homme de théâtre, engagé dans sa propre sublimation, en a eu la géniale intuition :
« Nous ne sommes pas encore nés, nous ne sommes pas encore au monde, il n’y a pas encore de monde, les choses ne sont pas encore faites, la raison d’être n’est pas trouvée, la seule question est d’avoir un corps. »
Antonin Artaud
Et cependant, ce n’est simple qu’en apparence. Le sujet n’est-il pas à la fois Sphinx et Chimère et à plus forte raison, last but not least, en psychopathologie et en psychanalyse ?
Le monstre, à l’occasion d’une réalisation projective, est celui qui veut abolir les corps ou, au contraire, exhiber les corps, mais des corps modifiés, d’une manière ou d’une autre.
Nous posons l’hypothèse que l’abolition et l’effacement des corps proviennent du refoulé sexuel.
Les crimes et meurtres sexuels représentent l’aboutissement de la conjonction, irrégulière, complexe, asymétrique, de psychopathologies (perversion, psychose, psychopathie) décrites dans la littérature et excipées par les avocats, agies en leurs pulsions brutes, non transformées et totalement exemptes de créativité – tout le monde n’est pas Donatien de Sade[3], Gérard de Nerval, Antonin Artaud, Salvador Dali –, dans la modification complète, c’est-à-dire par le truchement de la sublimation[4] des pulsions concernées en œuvres de création artistique, intellectuelle (scientifique, littéraire, analytique) et/ou, éventuellement socialisée (affective, spirituelle). Sans cette condition, elles sont donc, en la forme de passages à l’acte, la destruction et, à terme, la mort incarnées (non représentées).
D’abord in absentia.
Représentation des corps : inexistence de tableaux, sculptures, images représentant des corps d’êtres humains, naturels ou suggestifs, d’érotisme, d’actions, de scènes, de pensées, d’allégories, du quotidien, réalistes ou figuratifs…, dans certaines cultures et, par voie de conséquence, émergence de monstres chez les adeptes de la frustration, à partir du refoulé, suscitant meurtres, viols, terrorisme, violence et barbarie, les passages à l’acte reproduisant ce qui pourrait exister dans l’art, dans la littérature, à travers les systèmes de représentation qui permettraient de médier le réel. Photos, vidéos d’humains et d’animaux, après la musique, les cerfs-volants (!), les salons de beauté, viennent d’être interdits dans certaine idéologie religieuse ; élimination des corps – destruction de l’adversaire politique, du juif, du chrétien, de l’athée, du laïc, de la femme, de la fillette, de la jeune fille, de l’artiste – prétendument inférieurs (ou dégénérés), dans les totalitarismes les plus meurtriers – déportation des corps, effacement photographiques et médiatiques – au cœur du national-socialisme, du stalinisme, du marxisme-léninisme, du maoïsme, du guévarisme, de l’islamisme…
En Iran, on dénombre 853 exécutions capitales depuis le début de l’année, dont 5 enfants (aux Maldives, on exécute les enfants à partir de 7 ans) et de nombreuses femmes qui n’ont pourtant pas le droit de cité – Ainsi en est-il par exemple des salons de beauté féminins interdits dans les aires les plus reculées de l’intellection, qui sont victimes des deux systèmes dans la volonté d’effacer les corps des impies et de la beauté, – féminité et corps féminins -, d’avilir la pensée féminine : interdiction pour les filles d’accéder à une quelconque visibilité et interdiction pour les filles d’accéder à une quelconque formation, criminalisation de l’homosexualité.
Ce qui rapproche les deux radicalités, sous-culture wokiste de l’ignorance (histoire, littérature, théâtre, musique catalogués comme « masculinistes » (le soi-disant patriarcat) et terrorisme islamiste obscurantiste, c’est d’une part pour le wokisme la théorisation et d’autre part pour l’islamisme le choix, par identitarisme ou par refoulement, de l’effacement des corps sur le plan de l’intégrité, en premier lieu grâce à la tyrannie de minorités paresseuses.
Seuls comptent la jouissance dans la disparition des corps ordinaires – alors que, depuis la révolution, « La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune[5]. »
Les corps sains, ordinaires, hétérosexuels et blancs n’ont pas leur place (ou sont volontairement secondarisés) dans les grandes messes wokistes et dans certaines grandes écoles et universités occidentales.
C’est la question dans laquelle se rejoignent islamisme et wokisme : l’abolition des corps ordinaires.
Les talibans veulent abolir, après les corps féminins, les corps dans les médias. Les wokistes veulent abolir les corps blancs masculins au profit des corps marqués (racisés, genrisés[6], obèses, intersectés, sectarisés).
Puis in praesentia.
Il en fut ainsi lors de l’exhibition de corps diminués à l’occasion des Jeux Olympiques de Paris : cérémonie d’ouverture, paralympiques.
La cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris. La cène, à un moment pivot, en serait une lecture possible. Peu importe. La distinction christique n’y étant certes pas est singée par des travestis obèses, hirsutes, obscènes dans une exposition des corps, où la vulgarité et la lourdeur s’imposent comme éléments de spectacle. Sans remettre en question la question du genre, nous apprécierons que les « tableaux » représentent la mise en valeur de corps malades, ou monstrueux d’irrespect (le respect des morts n’est-il pas, dans toute civilisation qui s’honore de ce titre, la règle essentielle ?) : Marie-Antoinette tenant dans ses mains sa tête sanguinolente, en la fête – atroce – du féminicide le plus célèbre de l’histoire.
L’obésité est, pour tous les praticiens de la médecine et du soin, un symptôme évident de gravité pathologique, cependant qu’en tête de gondole, représentant éminent de la maladie érigée en dogme, Philippe Katerine se prélasse et lasse en vieux chérubin gras cyanosé.
Disons-le, en psychopathologie, la santé, et donc avec, le traitement des corps sont essentiels.
À cet égard, Angèle, Kavinsky et Phœnix ont sauvé les meubles d’une esthétique, soignée et humble à la fois, lors de la cérémonie de clôture, en un certain geste d’élégance et de respect des corps.
Entre la présence et l’absence.
Ainsi en est-il de la déconstruction du masculin occidental. Selon ce dogme wokiste, l’homme au masculin est un monstre qu’il faut déconstruire. Il serait le dominant dans la simpliste appréhension de ce mouvement axé sur l’ignorance (ignorant par exemple le véritable patriarcat à l’œuvre dans une partie de la culture islamiste). En revanche, le masculin « racisé » a le droit de s’imposer, jusqu’à la culture du viol[7], culture alors susceptible de compréhension, en particulier pour les néo-féministes, malgré parfois dans ces cultures la destruction physique ou symbolique des femmes (invisibilité, assignation à un rôle défini par les hommes), des temples (les djihadistes, les salafistes, les talibans), du roman des origines de l’Occident (gauchisme indulgent pour les coups donnés à la civilisation gréco-judéo-chrétienne dans les écoles, les hôpitaux, les universités), des particularités sexuelles.
« Du passé faisons table rase. »
Mais hélas, c’est du rien que naissent les monstres. Plutôt que confiner au passé une prérogative de la table rase – pensons au National-Socialisme issu du Parti des travailleurs hitlérien, au Parti national fasciste issu du Parti socialiste italien –, et, comme la nature a horreur du vide, elle peut enfanter de monstres, en leur ultime et atroce adaptation[8]aux grands mouvements d’élimination de l’autre.
À ce titre, nous assistons, désolés, à un exemple de tentative de normalisation par le sous-discours politique et/ou médiatique voulant réhabiliter les paraphilies.
C’est ce que nous lisons, sidérés, lorsque d’aucuns – nous aimons ce pronom indéfini apposé à ce type de militantisme – affirment que Jeanne d’Arc était avant tout un travesti[9]. C’est l’exemple d’une quadruple faute correspondant à :
– Une lacune historique, car elle était un chef de guerre, une figure politique du royaume, protectrice de Charles VII.
– Un slogan négationniste (le Christ n’a pas existé, la terre est plate, les chambres à gaz sont un détail de l’histoire, le 11 Septembre est un attentat des Américains par eux-mêmes). C’était une femme, reconnue comme telle par toutes les instances judiciaires de l’époque.
– Une injure personnelle, car personnalité spirituelle éminente. Elle respectait les dogmes de la religion qui autorisait « quand on y a recours par nécessité », par exemple « pour se cacher aux yeux des ennemis », de porter des habits d’homme.
– Un refus de l’égalité et de l’importance des femmes dans la guerre comme dans la paix. Elle est habillée en homme tant pour être acceptée comme chef de guerre par l’armée royale française – et pour porter l’armure – que pour être considérée comme interlocutrice par les Anglais, l’ennemi d’alors. Dans le même ordre d’idée, Jeanne a jusqu’à la fin voulu rester habillée en homme pour éviter d’être violée par ses geôliers.
Nicolas Koreicho – Novembre 2024 – Institut Français de Psychanalyse©
[1] Nicolas Koreicho, Sphinx, 2024, En ligne, Site de l’IFP, https://institutfrancaisdepsychanalyse.com/sphinx/
[2] Cf. Yves Vadé, Le Sphinx et la chimère, in Romantisme, 1977, n°15. Mythes, rêves, fantasmes. En ligne, https://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1977_num_7_15_5070
[3] « Allié par ma mère, à tout ce que le royaume avait de plus grand ; tenant, par mon père, à tout ce que la province de Languedoc pouvait avoir de plus distingué ; né à Paris dans le sein du luxe et de l’abondance, je crus, dès que je pus raisonner, que la nature et la fortune se réunissaient pour me combler de leurs dons ; je le crus, parce qu’on avait la sottise de me le dire, et ce préjugé ridicule me rendit hautain, despote et colère ; il semblait que tout dût me céder, que l’univers entier dût flatter mes caprices, et qu’il n’appartenait qu’à moi seul et d’en former et de les satisfaire. » DAF de Sade, Aline et Valcour, La pléiade.
[4] Nicolas Koreicho, La sublimation, mars 2022, en ligne, Site de l’IFP, https://institutfrancaisdepsychanalyse.com/la-sublimation/
[5] Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, septembre 1791
[6] Eugénie Bastié, « On peut changer de genre mais pas de sexe » : les leçons oubliées de la génétique », Juillet 2023, en ligne, Figaro Vox, lefigaro.fr/vox/societe/on-peut-changer-de-genre-mais-pas-de-sexe-les-lecons-oubliees-de-la-genetique-20230725
[7] Il existe dans nos contrées des « salles de shoot ». Pourquoi ne pas ouvrir des salles de viol pour les adeptes/addicts de cette pratique ? Mais parce que cela existe déjà : en ligne.
[8] Pensons aux monstres d’arrogance, d’inculture et de grossièreté qui sévissent au sein de notre hémicycle.
[9] Thomas Jolly pour le journal Le Monde : « Jeanne d’Arc, une des plus grandes travesties de notre histoire, n’a-t-elle pas été condamnée parce qu’elle était vêtue en homme ? »