Eros et Thanatos au théâtre : Hamlet de William Shakespeare – Essai

Michel Mahler – Mars 2021

Eugène Delacroix – Hamlet et Horatio au cimetière – 1839, Louvre

Sommaire

1 – Introduction
2 – Dramaturgie
3 – Psychologie
3 – 1 Liste des états psychiques et relevé de répliques
3 – 2 Synthèse des états psychiques identifiés d’Hamlet
4 – Débat critique
5 – Essai – Introduction
5 – 1 Étude – Discussion
5 – 2 Du côté de l’art – Répliques remarquables
5 – 3 Conclusion

1 – Introduction

Pour réaliser cet essai, je me suis appuyé sur les documents suivants :
– W. Shakespeare – Hamlet – Ed. Librio théâtre Nouvelle édition. Traduction de François Victor Hugo – 2016.
Hamlet de Laurence Olivier d’après la tragédie de W. Shakespeare – 1948.
– La conférence de Nicholas Rand : Peut-on déchiffrer Hamlet ?
Invention poétique et psychanalyse du secret de famille dans Le Fantôme d’Hamlet de Nicolas Abraham
( https://po-et-sie.fr/wp-content/uploads/2018/11/59_1992_p106_118.pdf )
– L’article de Paul-Laurent Assoun : L’inconscient théâtral : Freud et le théâtre
Paul-Laurent Assoun dans Insistance 2006/1 (no 2)
( https://www.cairn.info/revue-insistance-2006-1-page-27.htm )
Puis, de façon plus personnelle, en mes qualités de comédien et metteur en scène, je propose, au fil du déroulement de la pièce, des qualifications concernant la psychologie du héros.
Ensuite, je propose une conclusion sur ce que Shakespeare pourrait avoir apporté à la connaissance de la psychologie ou plus largement, à la vie.

2 – Dramaturgie

La pièce est dense. Mon propos est centré sur le personnage principal, le prince Hamlet. J’apporterai parfois certains détails corollaires pour asseoir mon argumentaire.
Résumé
Le roi du Danemark, Hamlet père, est tué par son frère Claudius.
Claudius se marie avec la veuve, la reine du Danemark.
Claudius devient roi du Danemark.
Le défunt roi du Danemark a un fils, Hamlet.
Le défunt roi apparaît à Hamlet sous l’aspect d’un spectre qui vient révéler à son fils qu’il a été assassiné par Claudius. Il lui demande de le venger.
Hamlet tarde à passer à l’acte.
Un duel est organisé par Claudius pour tuer Hamlet.
Le duel se finit avec la mort d’Hamlet, qui tue Claudius à cette occasion. La reine meurt aussi dans cette scène.

3 – Psychologie

3 – 1 Liste des états psychiques et relevé de répliques
Les propos suivants listent la suite d’événements vécus par le héros et les impacts sur ses sentiments ou sa psychologie :
1/ Mort soudaine du père d’Hamlet par soi-disant la morsure d’un serpent. (A1 S1)
> Début de deuil d’Hamlet.
2/ L’oncle d’Hamlet, Claudius, se marie avec la veuve un mois après le décès du Roi. Claudius devient roi du Danemark. (A.1 S.2)
Hamlet :
« Le rôti des funérailles fut servi froid au mariage.»
> Sidération d’Hamlet.
3/ Sentiments d’Hamlet envers sa mère et Claudius :
«Elle s’accrochait à lui (Claudius) voluptueusement. Fragilité ton nom est femme.»
«Oh la plus perfide des femmes.»
»Oh mon oncle le plus infernal des scélérats.»
> Sentiments de trahison, d’abandon, de haine naissent chez Hamlet.
4/ Claudius fait son discours d’intronisation et se justifie en rappelant que son mariage répond à la demande générale des membres du gouvernement.
« Claudius (s’adressant aux membres du gouvernement) – Bien que la mort de notre cher frère Hamlet (père) soit un souvenir toujours récent […] C’est avec une joie douloureuse, en souriant d’un œil et en pleurant de l’autre […] que nous nous sommes mariés ; nous n’avons pas résisté à vos sages conseils qui ont été librement donnés dans toute cette affaire. Nos remerciements à tous !»
> Hamlet est isolé, marginalisé.
5/ Le père d’Hamlet apparaît à Hamlet sous la forme d’un spectre.
> Le spectre est une figure de compensation pour Hamlet.
6/ Il informe son fils que Claudius l’a assassiné. (A.1 – S.5)
> Hamlet développe de l’intuition.
7/ Le spectre réclame vengeance. (A.1 – S.5)
> Refoulement du passage à l’acte chez Hamlet.
8/ Hamlet à Horatio et aux soldats juste après la rencontre avec le spectre :
«Mes amis accordez moi une faveur [….] mais si bizarre que soit ma conduite, même si je juge bon d’affecter la démence [….] rentrons et gardons le silence.»
> Hamlet fait preuve d’adaptation et d’un début de résilience.
9/ Claudius insiste à maintes reprises sur le fait qu’il est comme le nouveau père d’Hamlet.
Claudius à Hamlet : « […] Regardez-moi plutôt comme un autre père […].»
« […] et c’est comme le plus tendre de tous les pères que je vous chéris […].»
« […] perle de ma cour, mon cousin, mon fils […].»
« […] vous le premier de notre cour, notre cousin et notre fils.»
> Hamlet subit une usurpation, un harcèlement. Il est dans une confusion.
10/ Hamlet est amoureux d’Ophélie mais son père Polonius fait barrage pour des raisons de différence de classe sociale. Pas de  désaccord manifeste du roi. (A.2 S.1 et S.2)
> Sentiments de frustration voire de castration d’Hamlet.
11/ To be or not to be. (A.3 S.1)
Hamlet
« […] Ainsi la conscience fait de nous tous des lâches ; ainsi les couleurs natives de la résolution blêmissent sous les pâles reflets de la pensée ; ainsi les entreprises les plus énergiques et les plus importantes se détournent de leur cours, à cette idée, et perdent le nom d’action […] »
> Hamlet devient mélancolique.
12/ Ophélie a été convaincue par son père Polonius et par son frère Laertes de s’écarter d’Hamlet et de le considérer comme un aventurier envers les femmes.
Une rencontre est organisée entre Hamlet et Ophélie par Claudius et Polonius. Ces derniers se cachent pour assister à la scène.
Hamlet a connaissance du stratagème.
> Hamlet rejette Ophélie.
Le roi comprendra que Hamlet n’est pas si fou et qu’il doit se méfier. Il projette de le faire tuer lors d’un voyage en Angleterre.
13/ Une troupe de comédiens, amis d’Hamlet, arrive pour le distraire. Hamlet est heureux.
> Hamlet régresse vers un âge où il était insouciant. Il se réfugie dans le rêve.
14/ Hamlet prépare une scène d’une pièce de théâtre où l’on voit un roi qui est tué par son frère de la même façon que Claudius a tué son frère. (A.3 S.2)
Hamlet : « Ainsi je piégerai la conscience du roi.»
> Prémices du passage à l’acte.
15/ La scène a eu lieu. Claudius est en crise. Hamlet est satisfait. Il a mis l’assassin à découvert.
« Hamlet – Heure de la magie nocturne des tombes entrouvertes de l’enfer déchaîné. Maintenant je pourrai boire du sang chaud. Je me sens tenté d’être impitoyable.»
> Hamlet voit clair, devient lucide de la situation, réagit.
16/ Claudius est effondré. Hamlet nourrit toujours le projet de l’abattre mais l’envoyer au ciel serait une faveur. Pas de vengeance meurtrière à ce moment de la pièce.
> Hamlet refoule le passage à l’acte.
17/ Hamlet est demandé auprès de sa mère.
« Hamlet – Chez ma mère ! Mon cœur ne soit pas inhumain. Que je ne devienne pas un second Néron. Cruel oui mais non dénaturé. »
> Hamlet voit clair, devient lucide de la situation, réagit.
18/ Hamlet va pour tuer sa mère mais il dévie son geste et tue Polonius caché derrière les tentures. Hamlet va imaginer qu’il a tué le roi.
« La reine – Que veux-tu faire ? Veux tu m’assassiner ? Au secours ! au secours ! holà !
Polonius (derrière la tapisserie) – Quoi donc ? holà ! au secours !
Hamlet (dégainant) – Tiens ! un rat ! (il donne un coup d’épée dans la tapisserie) Mort ! Un ducat, qu’il est mort !
Polonius (derrière la tapisserie) – Oh ! je suis tué. (il tombe, et meurt.)
La reine – Ô mon Dieu, qu’as-tu fait ?
Hamlet – Ma foi ! je ne sais pas. Est-ce le roi ? (il soulève la tapisserie et traîne le corps de Polonius.)»
> Stratégie d’évitement de Hamlet face à l’insupportable. Emprise du fantasme œdipien
19/ Hamlet tance sa mère. Le spectre réapparaît de nouveau qui lui demande de l’indulgence.
« Hamlet au spectre – Que veut votre Majesté ? Venez-vous reprocher à votre fils de tarder à exécuter vos ordres ?
« Le spectre – N’oublie pas, je viens pour aiguiser ta volonté qui s’émousse. »
Hamlet somme sa mère de prendre ses distances d’avec Claudius.
« Hamlet – Pour être humain je dois être cruel.»
> Hamlet régresse vers un instinct animal, forme de lucidité en rapport avec le vivant non éduqué. Forme de résilience.
Ophélie devient folle de chagrin à propos de son père mort. Elle passe d’un délire morbide à de la lucidité. Elle répond au roi qui lui demande comment elle va :
« Le roi inquiet – Comment allez vous ma douce ?
Ophélie joyeuse – Bien, Dieu vous aide. La chouette était dit-on fille d’un boulanger […]. On sait ce qu’on est, pas ce qu’on deviendra. »
A noter que la chouette est un symbole de la clairvoyance.
L’information arrive au roi que Hamlet rentre vivant de son voyage en Angleterre.
Laertes rentre de France, apprend l’assassinat de son père Polonius par Hamlet, et découvre sa sœur folle.
Ophélie se tue accidentellement.
Claudius monte Laertes contre Hamlet. Il organise un duel truqué entre Hamlet et Laertes qui doit entraîner la mort du premier.
« Claudius à Laertes – Aimiez-vous vraiment votre père ou n’êtes-vous qu’une effigie de la douleur ? [….] Ce qu’on veut il faut le faire sans tarder sinon la volonté trouve des prétextes à mollir […] Au vif de l’abcès ! […].»
20/ Lors du duel, Hamlet meure suite à un coup d’épée empoisonnée. La reine boit le contenu de la coupe empoisonnée destinée à Hamlet et meure.
Laertes meurent d’un coup de la même épée empoisonnée. Avant de mourir, il dénonce Claudius à Hamlet à propos du duel truqué. Hamlet tue Claudius avant de mourir lui-même (effet retard du poison). (A.5 S.1)

3 – 2 Synthèse des états psychiques identifiés d’Hamlet
(dans l’ordre proposé par l’œuvre) :
1/ Début de deuil d’Hamlet.
2/ Sidération d’Hamlet.
3/ Sentiments de trahison, d’abandon, de haine naissent chez Hamlet.
4/ Hamlet est isolé, marginalisé.
5/ Le spectre est une figure de compensation pour Hamlet.
6/ Hamlet développe de l’intuition.
7/ Refoulement du passage à l’acte chez Hamlet.
8/ Hamlet fait preuve d’adaptation et d’un début de résilience.
9/ Hamlet subit une usurpation, un harcèlement. Il est dans une confusion.
10/ Sentiments de frustration, de castration d’Hamlet.
11/ Hamlet devient mélancolique.
12/ Hamlet rejette Ophélie.
13/ Hamlet régresse vers un âge où il était insouciant. Il se réfugie dans le rêve.
14/ Prémices du passage à l’acte.
15/ Hamlet voit clair, devient lucide de la situation, réagit.
16/ Hamlet refoule le passage à l’acte.
17/ Hamlet devient lucide de la situation, réagit.
18/ Stratégie d’évitement de Hamlet face à l’insupportable. Emprise du fantasme œdipien.
19/ Hamlet régresse vers un instinct animal, forme de lucidité sur le vivant non éduqué. Forme de résilience en perspective.
20/ Passage à l’acte et mort d’Hamlet

4 – Débat critique

Avant d’élaborer mon point de vue, voici une liste (non exhaustive) de critiques émises à l’époque de la sortie de l’oeuvre.
Nicolas Abraham :
Abraham crée l’acte VI qu’il baptise Le Fantôme d’Hamlet ou le VIe Acte. Il cherche à apporter un éclairage sur le mystère du spectre.
 Écrit en 1975, il propose une enquête sur le passé clandestin des personnages de la pièce et élabore par là une psychanalyse trans-générationnelle. Le problème d’Hamlet résiderait en sa méconnaissance du passé honteux de son père.
Extrait : « Abraham envisage Hamlet stricto sensu comme un sphinx. Il considère que la perplexité d’Hamlet devant ses propres atermoiements est le signe d’un désir authentique de vengeance, lequel — pour des raisons mystérieuses et en dehors de la volonté même inconsciente du prince — aurait été inhibé, voire empêché.»
William Hazlitt (1778 – 1830, Écrivain irlando-britannique) :
Hazlitt se laisse fasciner par l’élan d’une question dans le même sens, mais qu’il n’aura posée qu’à moitié : « L’indécision d’Hamlet et son penchant excessif à la réflexion se situent au-delà de toute découverte par la critique, puisque lui-même, il fait la chasse analytique aux motivations…»
– T.S. Eliot (1888 – 1965, poète, dramaturge et critique littéraire américain naturalisé britannique) :
Celui-ci développe la thèse d’une motivation défectueuse chez Hamlet.
« (…) La pièce n ’est rien moins qu’imparfaite car elle ne contient aucune situation ou suite d’événements qui permettrait de justifier les sentiments et le comportement du prince. Hamlet est dominé par un sentiment inexprimable qui se situe au-delà des faits tels qu’ils se présentent. C’est donc un sentiment qu’il ne saurait comprendre…, par conséquent, celui-ci perdure pour empoisonner la vie et pour faire obstacle à l’action. »
Samuel Johnson, poète lexicographe anglais (1709 – 1784) :
Samuel Johnson, présente sa critique sous la forme d’un résumé des défauts de la pièce. « Le récit n ’est peut-être pas à l’abri de toute attaque. L’intrigue se déroule, il est vrai, pour la plupart en progression continue, mais il y a un certain nombre de scènes qui ni ne la propulse, ni ne la retarde. Pour la folie feinte d ’Hamlet il n ’y a pas de cause adéquate car il n’entreprend rien qu’il n’aurait pu faire avec un renom de lucidité. […] Tout le long de la pièce Hamlet semble être plutôt un instrument qu’un agent. Après avoir reconnu, grâce au stratagème de la pièce, le roi coupable, il ne tente point de le punir, et la mort de celui-ci survient à la fin par le biais d ’un incident qu’Hamlet n’aura pas provoqué. »
Sigmund Freud :
« (…) les fantasmes-désirs sous-jacents de l’enfant sont mis à jour et sont réalisés comme dans le rêve ; dans Hamlet, ils restent refoulés, et nous n ’apprenons leur existence — tout comme dans les névroses — que par l’effet d ’inhibition qu’ils déclenchent. »
« Rompre le silence à la faveur d’une explication psychologique des scrupules d’Hamlet, telle fut déjà en 1900 l’intention de Sigmund Freud. L’interprétation psychanalytique de la première époque se fonde sur la mise en parallèle thématique d’Œdipe Roi et de la tragédie shakespearienne. Le parricide et l’inceste d’Œdipe apparaissaient à Freud comme l’accomplissement fatal de vœux inconscients universels le plus souvent non exaucés. »
« La pièce est fondée sur les hésitations d’Hamlet à accomplir la vengeance dont il est chargé ; le texte ne dit pas quelles sont les raisons ou les motifs de ces hésitations ; les multiples essais d ’interprétation n’ont pu la découvrir. […] Mais nous voyons dans le thème de la pièce, qu’Hamlet ne doit nullement nous apparaître incapable d ’agir. […] Qu’est-ce donc qui l’empêche d ’accomplir la tâche que lui a donnée le fantôme de son père ? Il faut bien convenir que c’est la nature de cette tâche. Hamlet peut agir, mais il ne saurait se venger d ’un homme qui a écarté son père et pris la place de celui-ci auprès de sa mère, d ’un homme qui a réalisé les désirs refoulés de son enfance. […] Je viens de traduire en termes conscients ce qui doit demeurer inconscient dans l’âme du héros. »
– Paul-Laurent Assoun :
(L’inconscient théâtral : Freud et le théâtre. Paul-Laurent Assoun dans Insistance 2006/1 (no 2))
« En cette version moderne du drame hamlétien, le combat se déroule « dans la vie psychique du héros elle-même », comme combat générateur de souffrance, entre différentes motions. Le tragique se trouve radicalisé par cela même qu’il est « immanentisé », voire « laïcisé ». Du coup, il ne s’agit plus d’une tragédie du destin, mais d’un drame du désir où le « destin » a pris la forme de l’interdit en son immanence, ce qui ouvre sa dimension inconsciente. […]
Hamlet n’est pas seulement hésitant : il peut tout, sauf cela, exécuter sur l’autre les représailles face à son propre acte impossible – d’inceste et de parricide. Forme dramatiquement « réflexive » de l’œdipe. Freud a entrevu le principe de la formidable puissance théâtrale de la créature hamlétienne : soit le recul devant l’acte qui libère une formidable énergie révélatrice de l’acte théâtral même. »

5 – Essai – Introduction

Des 6 critiques, il ressort un intérêt pour ce qui n’est pas exprimé, voire par ce qui n’est pas conscientisé par Hamlet. La pièce est un plongeon répétitif dans l’inconscient de Hamlet. Le choc de la disparition brutale du père, le besoin de faire le deuil, activent l’inconscient d’Hamlet dont il devient l’instrument ponctuel. Je propose de voir dans cette œuvre de Shakespeare, une nouvelle version de la tragédie œdipienne. La pièce «Hamlet» de W. Shakespeare constituerait une pré-étude des effets des contraintes de l’affect et de l’éducation.
Freud à propos de l’écriture théâtrale (L’inconscient théâtral : Freud et le théâtre. Paul-Laurent Assoun dans Insistance 2006/1 (no 2) :
«[…] le propre de la névrose sur (en) scène est d’être en train de se jouer : « Ce serait la tâche du dramaturge de nous plonger dans la même maladie, ce qui se réalise au mieux quand nous suivons l’évolution avec lui […] Son mode syntaxique est celui du « gérondif » ou du « participe présent ».

5 – 1 Etude – Discussion
Hamlet aurait peut-être pu moins tarder à passer à l’acte mais il traverse des deuils et des conflits d’enfance non résolus. A noter également que l’accès au trône lui est  rendu impossible. Tout cela contribue à obscurcir la décision et à ralentir le passage à l’acte. Hamlet compense avec l’apparition du spectre. L’injonction de vengeance est symbolique. Elle vient du spectre qui est lui-même un symbole produit par l’inconscient. La demande de vengeance du spectre est d’ordre du fantasme œdipien mais est inversée par rapport au complexe d’oedipe où la pulsion de mort est reconnue pour naître chez l’enfant et non pas chez le père. Devoir tuer un oncle, lié donc au père par fratrie, constitue un autre motif de refoulement. Cette situation pose un doublon au niveau du complexe œdipien (père + beau-père). Hamlet doit faire les deuils et résoudre ses conflits intérieurs avant de passer à l’acte.
En résumé, nous assistons à un cas d’école des drames humains :  confusion ; refoulements ; mélancolie ; castration ; régression.
« Chez Freud, il y a au fond des névrosés partout, sur la scène comme dans le parterre. Mais ce qui se joue, sous forme mêlée de sublimation et de jouissance, c’est bien le drame du refoulement et de la résistance. Soit le refoulé « sous les feux de la rampe ». L’inconscient théâtral : Freud et le théâtre. Paul-Laurent Assoun dans Insistance 2006/1.
En résumé, Hamlet doit prendre conscience que son père est mort, que sa mère l’a abandonné et trahi, qu’il ne peut aimer librement et qu’il a un roi à tuer. Shakespeare souligne tout au long de cette pièce que le héros est trop éduqué pour le faire passer à une action plus juste ou plus naturelle voire plus animale. C’est le passage de «éduqué» à «cruel» qui me fait évoquer la notion de compensation.

5 – 2 Du côté de l’art – Répliques remarquables
Par expérience, j’ai remarqué que les auteurs de pièces révèlent, par des répliques clés, ce que sont réellement les personnages, leurs motivations, le sens de leur histoire.
Exemples :
«To be or not to be, that is the question […]. Ainsi la conscience fait de nous tous des lâches. »
Lorsque Hamlet fait la morale à sa mère de façon autoritaire et après des gestes brutaux envers elle, il lui dit : « […] Pour être humain je dois être cruel.»
Sur la tombe d’Ophélie : « Hamlet – Hercule ne saurait empêcher, le chat de miauler, ni le chien de se venger.»
Là où Shakespeare est « psychologue » :
Juste avant le duel, Hamlet dit à Horatio :
«Horatio je te tiens pour le plus juste des hommes. […] Ni les faveurs ni la fortune ne te troublent. En toi l’instinct et la raison s’accordent. […] Toi tu n’es pas l’esclave de la passion. Je te chéris dans le cœur de mon cœur. »

5 – 3 Conclusion
Avec Freud, je qualifierai l’œuvre de Shakespeare comme la tragédie de la prise de conscience.
Avec Shakespeare, la tragédie de la prise de conscience constituerait un symbole de de fin, voire de mort.
A noter que les personnages principaux, Hamlet le fils, Claudius le beau-père, et la reine, succombent avec pour point commun la prise de conscience.
Exemples :
Hamlet : réalise tout un parcours pour s’affranchir de l’éducation et de la morale.
Claudius : prend conscience de son fratricide :
« Oh ma faute fermente ; elle infecte le ciel même ; elle porte avec elle la première, la plus ancienne malédiction, celle du fratricide ! … […]» (A.3 S.3)
La reine : prend conscience de ses « souillures » lors de l’intervention de son fils :
« Oh ! ne parle plus Hamlet. Tu tournes mes regards au fond de mon âme ; et j’y vois des tâches si noires et si tenaces que rien ne peut les effacer. […] Assez mon doux Hamlet !» (A.3 S.4)
Shakespeare voulait-il exprimer que nous avons juste le temps d’une vie pour comprendre notre vie ? Hamlet lui-même ajoute avant de mourir : « La chute d’un oiseau dépend de Dieu. Aujourd’hui sinon demain. Demain sinon aujourd’hui. Ou mon heure est venue ou elle viendra un jour. Être prêt est tout. Dieu donne forme au destin que nous ébauchons. »

Michel Mahler – Mars 2021 – Institut Français de Psychanalyse©

 34RL1H3    Copyright Institut Français de Psychanalyse

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