Le cas Schreber, analyse d’un récit de passion

Vincent Caplier – Mars 2023

« L’influence des rayons porte mes nerfs à des fréquences vibratoires qui modulent certains mots humains dont le choix, loin d’être abandonné à mon gré, relève d’un pouvoir extérieur qui s’exerce contre moi. Dès le début, de surcroît, s’est imposée l’emprise du système du couper-la-parole qui consiste en ce que les vibrations que l’on imprime à mes nerfs, et avec elles les mots qu’elles induisent, viennent à véhiculer non pas des pensées accomplies mais seulement des débris de pensée, dont c’est la tâche qui échoit en quelque sorte à mes nerfs que de les faire, en quelque façon, aboutir au sens. C’est en effet un trait de la nature des nerfs même de se mettre, chaque fois qu’on leur jette des mots sans lien ou alors des phrases tronquées, à chercher automatiquement ce qui manque pour faire une pensée aboutie qui satisfasse l’esprit humain… »

Daniel Paul Schreber, Mémoires d’un névropathe, 1900

Jacqueline Nonkels, René Magritte peignant Clairvoyance, Bruxelles, 4 octobre 1936

Incorporé en France dans le volume des Cinq Psychanalyses, Les Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de Paranoïa (Dementia paranoides) décrit sous forme autobiographique[1] sont couramment désignées par Le président Schreber ou Le cas Schreber. Dénomination impropre dans la mesure où l’analyse se base sur des mémoires ou plutôt des « faits mémorables[2] ». Le mode d’adresse, qui prend part à la structure du délire, n’est pas tant une remémoration autobiographique qu’un récit d’événements servant une plaidoirie destinée à réhabiliter son auteur. C’est donc dans le double esprit d’une psychanalyse appliquée et hors divan qu’il nous faut aborder ce paradigme de délire d’influence du « merveilleux Schreber, que l’on aurait dû faire professeur de psychiatrie et directeur d’établissement[3] ».

De la littérature appliquée à la psychanalyse

Ces « remarques psychanalytiques… » viennent prolonger en 1911 trois œuvres récentes faisant glisser la psychanalyse sur le terrain de la culture via la biographie et la création littéraire : La Gradiva (1907), à propos de l’intrigue romantique de Jensen, L’inquiétante étrangeté (1908), au travers du conte L’homme de sable d’Hoffman et Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci (1910), ayant pour support le journal fictif du roman de Dimitri Marejkowski. Le Président Schreber entretient un lien étroit avec chacun de ces trois essais : le délire pour le premier, les mécanismes à l’œuvre et les liens qu’entretient le créateur littéraire avec la fantaisie pour le second, enfin le fait homosexuel dans le dernier.

Ce serait faire un faux procès à Freud que de l’accuser de démonstrations illustratives par le truchement de cas exemplaires, tout particulièrement avec le cas Schreber. Il connaît la résistance du cas à se laisser écrire et en faisant de Schreber un auteur, sans céder sur sa folie, il le reconnaît comme interlocuteur. Prenant soin d’isoler l’anamnèse en séparant la parole du patient du discours et du diagnostic clinique qui s’en dégage, le compte rendu n’est plus une étude de cas mais l’analyse d’un potentiel analysable, celui du potentiel clinique de la psychose. C’est avec prudence qu’il avance et dresse les limites de l’exercice : « Dans le traitement du cas Schreber, ma retenue m’est imposée par le fait que les résistances à la publication des Faits mémorables auront tout même eu pour résultat positif de faire échapper à notre connaissance une part considérable du matériau, et vraisemblablement le plus important pour la compréhension. »

Lorsque Freud est aussi précautionneux d’alerter son lecteur, c’est qu’il a quelque chose à nous communiquer, une infrastructure inédite à formuler qui « s’éloigne des cas typiques de l’interprétation dans le travail psychanalytique », à distance de la familiarité avec la psychanalyse que son auditoire a acquise. Après s’être attaché à découvrir l’origine des névroses, Freud part à la recherche d’un mécanisme spécifique à l’origine de la psychose. Mais il prévient : « on ne pourra jalonner les justes frontières du bien-fondé de l’interprétation qu’après de nombreuses tentatives et après avoir fait mieux connaissance avec l’objet. »

L’objet de la paranoïa, enjeu du texte

C’est donc un Freud en pleine réflexion que nous lisons, qui évoque des problèmes, des idées et des résultats. Freud ne manque pas au passage de distinguer les attendus du psychiatre, dont l’intérêt « s’épuise lorsqu’il a constaté le produit du délire », de ceux du psychanalyste qui « aimerait découvrir les motifs et les chemins de ce remaniement ». Il va même plus loin et « apporte l’hypothèse que même des formations intellectuelles aussi singulières, divergeant à ce point de la pensée habituelle de l’homme sont issues des motions les plus générales et les plus compréhensibles de la vie psychique ». Une conception pérenne qu’a Freud de la psychose de Schreber et qui s’appuie sur la « conviction » que « tous les troubles, qui se manifestent à nous sous forme de phénomènes névrotiques et psychotiques, ont une unité et une appartenance communes[4] ». La psychose ne serait qu’une variation maligne du développement psychique infantile et des forces qui produisent la névrose. La formulation métapsychologique serait à inscrire en continuité avec la névrose (avec les mécanismes infantiles, normatifs et primitifs). Elle devrait, en conséquence, être perçue comme une variation particulièrement sévère des conflits œdipiens.

« Nous nous retrouvons donc, dans le cas Schreber, sur le terrain familier du complexe paternel », un rapport infantile au père qui a déterminé le délire, un mécanisme analogue au mécanisme qui produit une névrose. La paranoïa serait la conséquence d’une réaction de défense contre un désir homosexuel refoulé. Freud en veut pour preuve que « ce que nous prenons pour la production morbide, la formation de délire, est en réalité la tentative de guérison, la reconstruction ». Seulement Freud relève que ce n’est pas le fantasme de désir homosexuel qui est à l’origine de la paranoïa mais le fait que le patient ait réagi par un délire de persécution pour se défendre contre un fantasme de désir homosexuel, faute d’être parvenu à le maintenir dans l’inconscient. C’est en cela que le mécanisme de la paranoïa répondrait à la logique de la névrose : fixation, refoulement, échec et retour du refoulé. À la différence près que le premier séducteur, dans le cas de Schreber, tient du sentiment de persécution, et n’est autre que le médecin, auteur des persécutions, son soignant, le Pr Flechsig. Un processus de transfert où la projection est un trait remarquable de la constitution du symptôme. Un déplacement d’une position homosexuelle passive devant le père que Freud ne peut que supposer. Nous serions tentés, à ce stade, d’évoquer une psychose actuelle.

Malgré les efforts de Freud à relier la psychose de Schreber au complexe d’Œdipe, le lien n’en reste pas moins problématique, indirect. À ce stade des connaissances, il est alors effectivement possible d’en soupçonner le caractère inversé et négatif, à distance d’une forme simple et positive. Si Freud illustre ce phénomène dans son étude du Président Schreber (1911) ou dans le cas de L’homme aux loups (1918), ce n’est qu’en 1923, dans le Moi et le Ça qu’il soulignera la complexité de l’expérience et la relation dialectique des deux formes[5]. C’est à la même période[6] qu’il détermine le moment d’acmé, faisant du phallus l’organe central de l’unité. C’est alors une autre négativité qui est dégagée : la « réaction thérapeutique négative ».  De plus, aux côtés de « la surestimation connue de l’objet amoureux », la mégalomanie du sujet met ici en relief la contradiction de « la surestimation sexuelle de son propre moi ». Objet amoureux, au passage, qui n’a rien d’originel et marque plus encore la distance avec le classicisme de l’Urszene, cette scène dite primitive ou scène originaire. La perte du succédané montre, par le caractère infantile d’une mégalomanie qui n’a pas été sacrifiée à la société, que nous sommes en présence d’un objet absent, qui a toujours déjà été perdu, une absence qui relève plus du manque que d’une perte. Une situation singulière où le sujet investit son monde et ses objets sur un mode narcissique, en quête d’un objet miroir et anaclitique.

L’autre mythe et les prémisses d’un concept

Seulement, voilà, Freud n’en était pas encore à ce stade d’élaboration. La seconde topique n’est pas encore à l’horizon et le narcissisme pleinement introduit. Freud n’en est qu’à une conception élargie du fait homosexuel qu’il a initié dans le Vinci en dégageant deux groupes en fonction de l’objet primaire : d’un côté le sujet lui-même, par un processus psychologique d’identification à la mère, et de l’autre « la femme au pénis », la solution par l’objet, un mécanisme pulsionnel de fixation à la mère. C’est en 1915, avec Les trois essais sur la théorie sexuelle et l’introduction de la libido du moi, que « la psychanalyse enseigne qu’il existe, pour la trouvaille de l’objet, deux voies, premièrement celle […] qui se produit par étayage sur les prototypes infantiles précoces, et deuxièmement la voie narcissique qui cherche le moi propre et le retrouve dans l’autre ».

Mais l’énigme du cas Schreber participe déjà d’une élaboration sophistiquée et avancée du concept de narcissisme en articulant névrose, psychose et perversion, logique du cas et logique des foules. Le “ je t’aime, moi non plus “ de Freud se résume par un désir inacceptable (« je l’aime, lui ») se transformant en un sentiment de haine intolérable refoulé à l’intérieur, projeté sur une personne vers l’extérieur pour ressurgir sous la forme d’une perception externe. Formule qu’il applique au délire de persécution, l’érotomanie et la mégalomanie. L’étude du président Schreber est un instantané d’une réflexion en mouvement. Celle d’une théorie psychanalytique, centrée sur le narcissisme, qui met en relation jalousie, homosexualité et paranoïa. Il nous faut garder en tête qu’il n’est « guère possible d’exposer une notion ou un concept psychanalytique sans témoigner de la conscience historique et épistémologique qu’il prend chez l’analyste en même temps qu’il révèle de celui-ci le travail spécifique qui l’a mis en œuvre[7] ».

Louis A. Sass mésentend l’étude de Freud lorsqu’il opère une critique circonstanciée (Les paradoxes du délire, 1994) en se contentant d’évoquer que « Freud présente la sexualité, et l’homosexualité en particulier, comme le facteur explicatif fondamental de la psychose de Schreber », le délire paranoïaque faisant office de formation de compromis, « enraciné dans une fixation psycho-sexuelle pré-œdipienne[8] ». D’une part il omet d’inscrire le texte dans la chronologie du corpus freudien et le fait qu’il bénéficie pour sa part du savoir de la seconde topique, des avancées des post-freudiens, de la lecture de Lacan et qu’il poursuit la réflexion phénoménologique des années 70. Ensuite, il aurait tiré bénéfice de le soumettre à la même herméneutique qu’il a appliqué au texte de Schreber et dégager que l’universalisme des mythes freudiens n’a rien de fondamental et que c’est à la seule métapsychologie, en perpétuel questionnement, que ce rôle échoit. Par ailleurs, il occulte à double titre le caractère psycho-sexuel et la dimension fétichiste[9] qui se dessine en oubliant les travaux de Géza Roheim[10] alors qu’il voit, lui-même, chez Schreber surtout « une personne schrizophrène ». Enfin, en faisant des « prétendus délires » une affaire de savoir et de croyance fruit d’un solipsisme sans limites, comme enjeu épistémique du rapport au monde indépendant de toute détermination pulsionnelle, il semble oublier le rôle de la poussée épistémophilique de la pulsion de savoir, cette « curiosité plus ou moins perverse » que Freud évoquait dès les études des hystéries, et son intrication aux théories sexuelles infantiles. L’exploration de « l’énigme du caractère de Léonard de Vinci » l’amenait d’ailleurs à « prendre au sérieux l’investigation primitive des enfants » et surtout, « son échec nécessaire[11] ».

Freud sait « comme on ne peut pas forcer les paranoïaques à dépasser leurs résistances intérieures, comme ils disent de toute façon que ce qu’ils veulent dire » et note le manque de dissymétrie essentielle au bon déroulé de la cure en relevant que « le véritable méfait de Flechsig, et ce qui l’a poussé à le commettre, le malade le raconte avec l’imprécision et l’insaisissabilité caractéristiques d’un travail de formation de délire mené avec une intensité particulière, s’il est permis de juger la paranoïa selon le modèle du rêve beaucoup plus connu ». Ce « meurtre d’âme » dont Schreber accuse Flechsig et que Freud entend bien, est un constat fondamentalement moderne. « La psychanalyse des psychoses souligne nettement cette difficulté pratique pour le thérapeute d’être à la fois celui qui garantit le fonctionnement des processus d’identification projective (provenant du clivage et servant de défense reconstructrice), appelant la constitution d’un double imaginaire symétrique et d’autre part celui qui ne peut s’accréditer lui-même comme l’absent (objet de cette identification)[12]. » Un manque de distanciation qui occasionne la perte de l’intervalle pour entendre. Le contre-transfert est bel et bien, ici, questionné. Si on en vient à regretter parfois la présence de l’analyste dans le cadre des névroses, on peut se demander si la rencontre est possible dans le cadre d’une psychose, sauf à ménager le vide nécessaire à la réponse que le patient attend : le silence d’une écoute qui lui donne le sentiment d’être entendu.

L’importance et la portée du secret de l’écoute

« L’étude psychanalytique de la paranoïa serait d’une manière générale impossible si les malades ne présentaient pas la particularité — mais sous une forme distordue — de révéler précisément ce que les autres névrosés dissimulent comme un secret. » Notre paranoïaque serait-il « le fantastique gardien du secret » qu’évoque judicieusement Pierre Fédida ? Une réflexion que nous ne pouvons reproduire que dans son intégralité :

« Les recherches philosophiques et psychanalytiques ont, il est vrai, renouvelé le concept de perversion : elles en ont décomportementalisé le contenu et définalisé les formes : elles ont contribué à en spécifier la structure dans son articulation à la névrose et à la psychose. La valeur donnée au contrat, à la transaction ou à l’alliance rétablit aujourd’hui – pour ainsi dire phénoménologiquement – une description clinique dans le champ de la psychanalyse : cette description n’amoindrit en rien les analyses structurelles du déni ou du désaveu et la compréhension du processus de clivage.
Que la perversion fasse entendre à l’analyste d’étranges choses de l’amour et qu’elle en désigne la condition de vérité : nous ne pouvons pas en douter. Les “ valeurs “ dont la perversion connaît l’éthique sont intransigeantes : la propriété du corps, la communication inter-subjective, la parole de la culture sont mises au “ défi “ de leur propre dénonciation lorsqu’une tromperie concerne un secret de l’amour. La perte du secret équivaut à l’évanouissement de la parole et la vérité en est meurtrie. Avec la vérité, c’est l’identité qui pourrait disparaître[13] . »

Nous pourrions dire que le psychotique est connecté à l’inconscient de l’inconscient. Freud dégage ainsi, au-delà du complexe d’Œdipe, un deuxième noyau, comme un en-deçà, qu’il décèle dans la comparaison faite de la jalousie au deuil dans Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité (1922) : « Sur la jalousie normale il y a peu de choses à dire du point de vue analytique. Il est facile de voir qu’elle se compose essentiellement du deuil, de la douleur causée par l’objet d’amour que l’on croit avoir perdu, et de l’humiliation narcissique, pour autant que cet élément se laisse séparer des autres. » Deux structures, donc, qui se superposent, susceptibles de varier en intensité, de la normalité au délire psychotique, au sein d’un même mouvement. Devrions-nous dire d’un même complexus ? Comme le mélancolique, notre psychotique est sans doute confronté à une perte, « mais on ne peut pas clairement reconnaître ce qui fut perdu, et l’on est, à plus forte raison, en droit d’admettre que le malade, lui non plus, ne peut pas saisir consciemment ce qu’il a perdu. D’ailleurs ce cas pourrait aussi se rencontrer encore lorsque la perte occasionnant la maladie est connue du malade, celui-ci sachant certes ce qu’il a perdu, mais non ce qu’il a perdu en cette personne[14] ».

Le rien et la non-chose

De la même manière que Bion distingue le « rien » (nothing) et la « non-chose » (no thing), nous ne pouvons comprendre le couple dénégation (Verneinung) — refus de reconnaître un désir déjà exprimé — et déni (Verleugnung) — refus de reconnaître la perception d’une réalité traumatisante — qu’au moyen de la catégorie du négatif. L’œuvre de Freud consistait à tenter de dévoiler ce qui était refoulé et à lui donner une signification positive. Une attention portée sur le contenu de l’inconscient plus que sa raison d’être : la nature de l’inconscient en tant qu’inconscient. Pour se développer la psyché doit être capable d’introjecter, puis de conserver ce qu’elle a introjecté, processus de représentation qui consiste à ce que « la pensée possède la capacité de rendre à nouveau présent ce qui a d’abord été perçu, par reproduction dans la représentation, sans que l’objet ait besoin d’être encore présent au dehors[15] ».Freud tient pour acquis le premier processus, primordial, la construction d’une conception du sein (représentation de chose), et garanti par la réalisation hallucinatoire du désir. Bion, en cherchant à expliquer l’échec psychotique, avance que cette voie, cette capacité de l’enfant n’est nullement garantie. L’hypothèse est loin d’être contredite par un passage de Complément métapsychologique à la théorie du rêve : « un essai d’explication de l’hallucination devrait s’attaquer d’abord non pas à l’hallucination positive mais plutôt à l’hallucination négative[16]. »

Appliqué aux représentations, ce processus négatif a pour conséquence de les supprimer, les rendre indisponible à la re-présentation, isolées au plus loin de la conscience, hors d’atteinte. Dans le processus de déni qui concerne Schreber, Freud en vient d’ailleurs à remplacer « refoulement » par « abolition » dénotant que les processus de symbolisation sont altérés. L’objet renverrait à la capacité de rêverie. Aussi, la relation d’objet, dépendante du lien archaïque et indéfectible à la mère sur l’axe menant de l’auto-érotisme à l’amour de l’objet, donnerait tout son sens à la notion d’ombilic de la relation d’inconnu de Guy Rosolato. Une fixation à la mère, maintenue dans une zone d’ombre, fortement réprimée où le seul rempart à cette mère seule, toute puissante, phallique et destructrice ne serait autre que l’image du père et ses substituts.

Pierre Fédida souligne le danger de contresens théoriques auxquels aboutirait la psychologisation d’un négatif lorsqu’il s’agit de conférer un contenu à la séparation, au manque ou à la castration, c’est à dire l’objectiver, le positiver. Le vide avec son complément d’objet n’y échapperait pas « alors qu’il est justement le trop-plein d’une oreille qui ne peut rien entendre et qu’il n’est ainsi fondé par aucun contenu. Une limite technique de la psychanalyse est ainsi désignée par l’illusion d’avoir pour objet la psyché et pour méthode l’analyse ! ». L’analyse de l’angoisse (Angstanalyse) nécessiterait une disjonction et un déliement (analuein), une analyse sans objet qui « fonde le dit par l’entendu d’une parole qui s’ouvre, en elle, à son propre vide ».  Il accuse ainsi la manie d’intelligence qui privilégie une fonction de l’interpréter en annulant la capacité d’une écoute « préoccupée par une pensée pré-théorisée qui s’impose à l’analyste comme un discours. Et la parole de l’analysant – parole quotidienne dont l’associativité est l’événement du divan – ne peut s’ouvrir alors à son propre vide lorsque l’oreille qui l’écoute est déjà occupée. » La métaphore, à la base de l’interprétation des rêves aurait-elle seule le pouvoir de recevoir et de redonner le secret de cette expérience traumatique dont « la signification somatique originaire se maintiendrait inscrite dans la parole actuelle[17] » ? Une expérience qui s’exprime au travers du récit du président Schreber qui relève, selon les propres termes de Freud, de cette grande « proximité de la folie et de la vérité ». Aussi prie-t-il « le lecteur de [son] étude de se familiariser d’abord avec [le] texte, en le lisant au moins une fois ». Un écrit qui passe « par dessus la personnalité du psychotique […] par dessus sa folie, fût-il un écrit fou[18] ».

Vincent Caplier – Mars 2023 – Institut Français de Psychanalyse©


[1] Sauf mention contraire, les citations de l’article renvoient à l’ouvrage.

[2] Le titre du livre de Daniel Paul Schreber, communément appelé Mémoires, est en fait Denkwürdigkeiten eines Nervenkranken, soit : “ Hauts faits (événements) mémorables d’un malade des nerfs. “

[3] Sigmund Freud, lettre à Jung du 22 avril 1910.

[4] Sigmund Freud, Petit abrégé de psychanalyse, 1924.

[5] « … le petit garçon n’a pas seulement une attitude ambivalente envers le père et un choix tendre dirigé sur la mère, mais il se comporte en même temps comme une petite fille en montrant une attitude féminine tendre envers le père et l’attitude correspondante d’hostilité jalouse à l’égard de la mère. »

[6] L’organisation génitale infantile de la libido, 1923.

[7] Pierre Fédida, L’absence, 1978.

[8] Louis A. Sass, Les paradoxes du délire, 1994.

[9] Le recours à la double opération clivage/déni, d’abord décrite comme spécifique de la perversion et notamment du fétichisme en 1927, sera étendu à la psychose en 1940 dans l’Abrégé de psychanalyse.

[10] Géza Roheim, Magie et schizophrénie, 1955.

[11] Lettre à Jung du 17 octobre 1908.

[12] Pierre Fédida, op. cit.

[13] Pierre Fédida, Le secret. Virginité et perversions, 1975.

[14] Sigmund Freud, Deuil et mélancolie, 1917.

[15] Sigmund Freud, La négation, 1925.

[16] Sigmund Freud, Complément métapsychologique à la théorie du rêve, 1916-1917.

[17] Pierre Fédida, L’organe psychique, 1975.

[18] André Green, Passions et destins des passions, 1980.

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