« Dans l’analyse, il n’existe aucun « non » provenant de l’inconscient, et l’acceptation du contenu de l’inconscient de la part du moi s’exprime par une formule négative. » Sigmund Freud
Le déni
Pierre-Claude-François Delorme, Hector adressant des reproches à Pâris, 1783 – Musée de Picardie, Amiens
Le déni est un mécanisme par lequel le sujet refuse de constater, de considérer, de voir l’évidence. Ce mécanisme porte sur le réel, plus exactement sur le réel d’une perception. Il peut se résumer à ceci : le refus de la réalité d’une perception. Le déni provoque chez celui qui en est le témoin l’idée d’une injustice, rappelant le traditionnel « déni de justice », quand bien même il s’agirait plutôt d’un sentiment de tromperie dû au refus pour le sujet de considérer ce qui est de l’ordre d’une réalité observable. Le contraste ramènerait ainsi ce mécanisme du côté du psychotique. Originellement, c’est le mécanisme psychique par lequel le tout jeune enfant se protège de la menace de castration ; il refuse alors, il désavoue, il dénie donc l’absence de pénis chez la fille, la femme, la mère et va se réfugier pendant un certain temps dans l’idée de l’existence d’un pénis maternel – le phallus existe, sous son acception symbolique – qu’il pourra sous certaines conditions remplacer plus tard par un fétiche.
Elaboration du concept de déni chez Freud Si le terme de déni apparaît pour la première fois en tant que tel en 1925 dans Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes, il est déjà question de ce mécanisme dans d’autres écrits de 1905 et de 1908 : « L’enfant refuse l’évidence, refuse de reconnaître l’absence de pénis chez la mère. Tous les être humains sont comme lui, pourvus d’un pénis. » L’enfant pensant à ce moment que le pénis va se développer ultérieurement, tant le sens de l’organe est puissant et réprésentatif. Plus tard, dans L’Organisation génitale infantile (1923), Freud est encore plus explicite en augurant de l’organe devenant symbole, le phallus : « Pour l’enfant, un seul organe génital, l’organe mâle, joue un rôle : c’est le primat du phallus.« Mais Freud affirme que le déni, normal durant la phase phallique (phase où le petit enfant, devant consolider son pouvoir d’imposition de soi, fait montre d’une ignorance, dont la réalité est déniée, par rapport à la nature des organes génitaux féminins), devient problématique à partir du moment où il se prolonge au-delà de cette phase.
Fétichisme Il arrive que l’enfant persiste dans sa croyance en le pénis de la femme, ou, plus précisément, qu’il conserve son intuition concernant l’existence du pénis maternel mais, dans un balancement de pensée, il l’abandonne et le remplace par le phallus symbolique, ce qui pourrait s’élaborer et demeurer ainsi, dans le meilleur des cas ou, par le fétiche, lequel peut l’entraîner à développer des comportements pervers. Le fétiche sera ainsi le témoin que la réalité constatée, l’absence de pénis, bien que déniée, n’en a pas moins joué un rôle, en tant que représentation symbolique ; le fétiche apparaîtra alors comme un substitut du phallus maternel, matérialisé.
Déni et clivage du moi Freud inaugure dans l’article de 1927 sur Le Fétichisme la notion de « clivage du moi ». Il donne l’exemple de deux personnes dont l’analyse révèle une ignorance, plus exactement, dans notre conception du déni, un refus de la mort de leur père, et, tout comme pour le fétichiste, une méconnaissance, et finalement un déplacement, à l’instar de de ce qu’il imagine être la castration de la femme. Il y avait chez ces jeunes hommes deux courants psychiques contradictoires qui coexistaient : l’un fondé sur la réalité (la mort du père), l’autre sur le désir (envers la vie du père) ; l’un tenait compte de la mort du père, l’autre ne la reconnaissait pas. Freud note que si dans le cas des névroses, le processus à l’oeuvre est le refoulement, dans le fétichisme et les substitutions ou déplacements de cette nature, il s’agit bien du déni, où l’on a affaire à ce paradoxe psychique qui est que certains sujets savent, ont connaissance de quelque chose et à la fois ne savent pas, ou, bien entendu, ne veulent rien en savoir.
Le pervers Le pervers réalise la négation de la différence de l’autre, en vue de le contraindre à partager sa propre vision du sexuel ou de la relation, de manière violente, ou à tout le moins forcée, sur le fond et sur la forme, et il fait unilatéralement de l’autre un objet, au sens trivial du terme, lui déniant ainsi le statut de sujet. C’est d’ailleurs un procédé commun aux pathologies narcissiques que de faire de l’autre un « objet » matériel.
La dénégation
La dénégation est un mécanisme par lequel le sujet refuse d’accepter, d’admettre, de reconnaître l’évidence. Ce mécanisme porte sur des contenus intra-psychiques, tel le refus d’avouer, de reconnaître ce qui répond cependant aux caractéristiques de la réalité constatable, à savoir une certitude concrète. Il peut se résumer à ceci : le refus d’admettre une vérité, même argumentée. En cela il impliquerait plutôt à considérer l’ordre du névrotique.
Le refoulement Ce mécanisme consiste à refuser de reconnaître comme siens une pensée, un désir ou un sentiment, sources de conflits intra-psychiques inacceptables dans l’instant de cette pensée, de ce désir, de ce sentiment. C’est l’attitude psychologique qui consiste, pour un sujet, à refuser, en la niant, telle pensée, ainsi qu’il pourrait en être avec tel lapsus, qui fonctionne ainsi comme un acte manqué, malgré qu’elle soit par lui, ou par l’intermédiaire de son comportement, formalisée. Originellement, Freud, employant le syntagme die Verneinung, signifant d’abord la négation (1925, Imago, traduit en 1934, RFP), la négation étant liée au refoulement, lequel peut par exemple prendre la forme d’une association non chargée d’intentionnalité. Car en effet, si une personne nie une chose qui est cependant patente, dans un jugement, cela signifie que ce quelque chose, cette personne préfère le refouler, le jugement étant alors, du fait de son caractère apparemment définitif, le substitut intellectuel défensif correspondant au refoulement.
Le jugement Freud va démontrer le rôle de la négation dans la fonction du jugement. Par la force symbolique de la négation, la pensée se libère des limitations du refoulement. Freud considère d’abord les deux décisions possiblement incluses dans la fonction de jugement : – le jugement qui attribue ou refuse une propriété à une chose, – le jugement qui reconnaît ou qui conteste à une représentation une existence dans la réalité. Pour le premier, le jugement d’attribution, le plus ancien critère pour attribuer ou refuser, est le critère du bon et du mauvais. Dans cette phase, il ne s’agit pas encore de l’idée de la constitution du sujet. Ce n’est qu’à partir d’un moi indifférencié que le moi du principe de plaisir se constitue, le dedans étant lié au bon, le dehors au mauvais, instinctivement. Pour le second, le jugement qui reconnaît ou qui conteste à une représentation une existence réelle concerne une affirmation du moi de la réalité définitif, qui se développe à partir de ce principe de plaisir. Cependant, c’est l’épreuve de la réalité qui est ici convoquée. Dans cette phase du développement, il s’agit de savoir si quelque chose de présent dans le moi comme représentation peut aussi être retrouvé dans la perception de la réalité.
Plaisir et réalité Du point de vue du principe de plaisir, la satisfaction pourrait venir d’une hallucination de l’objet, ce qui peut se comprendre dans l’expression « hallucination de désir ». C’est pour parer à cette tendance à halluciner, c’est-à-dire consistant à ne pas vouloir admettre (ne pas vouloir désirer en quelque sorte) la réalité des faits que l’intervention évidente du principe de réalité se révèle nécessaire. Ici apparaît le critère consécutif de l’action motrice ou, plus abstraitement, de la confrontation au réel. Celles-ci mettent fin à l’ajournement de la pensée décisionnelle. Elles font place à l’action, le jugement devant être alors considéré comme une « approximation » motrice, avec faible décharge. Le moi va dès lors en quelque sorte goûter aux « excitations » extérieures pour se retirer à nouveau après chacune de ses tentatives hésitantes de s’y confronter.
L’accomplissement de la fonction de jugement n’est rendu possible que par la création du symbole de la négation. D’où son indépendance à l’égard du refoulement et du principe de plaisir. Aucun « non », dit Freud, ne provient de l’inconscient.
John William Waterhouse – Circe Offering the Cup to Ulysses, 1891 – Gallery Oldham, Royaume Uni
« Il faut bien que la sorcière s’en mêle. » C’est ainsi que Freud, citant dans un de ses derniers écrits le Faust de Goethe, désigne la métapsychologie, et il ajoute : « Sans spéculer ni théoriser – pour un peu j’aurais dit fantasmer – on n’avance pas d’un pas. » La sorcière métapsychologie, Freud n’a cessé de la convoquer. Mais, en 1915, parvenu au milieu de son trajet intellectuel, il éprouve le besoin de préciser et de cerner les concepts fondamentaux de la psychanalyse laissés jusqu’alors dans une relative et malgré tout féconde indétermination. D’ou suivront une série d’essais qui porteront sur l’inconscient, le refoulement, la pulsion, l’objet perdu (à partir de l’exemple du deuil et de la mélancolie), la régression (à propos du désir de dormir et de rêver). Autant de textes importants où la densité idéelle va de pair avec la clarté de l’expression qui sont à chaque fois l’occasion d’une lecture neuve. Ici la distinction classique entre théorie et clinique ne tient plus. C’est que la psychanalyse est d’abord une épreuve de la pensée, une mise à l’épreuve de nos convictions, à commencer par celles héritées de la psychologie.
Sigmund Freud conçoit la métapsychologie (μετάmeta : après, au-delà de, avec, mais aussi : point de vue supérieur sur un domaine. Ici, psychologie englobant les autres psychologies) en 1896 selon trois points de vue : – Topique (le psychisme s’organise en territoires et en systèmes) – Economique (il y a une énergie psychique qui circule) – Dynamique (c’est l’étude des forces et des conflits psychiques) Les trois points de vue sont, conformément au socle de la Métapsychologie, le point de vue topique, avec les systèmes Inconscient, Préconscient, Conscient puis avec les instances Ça, Moi, Surmoi, le point de vue économique avec les processus énergétiques primaire et secondaire, l’affect, la représentation, l’objet, le point de vue dynamique avec la pulsion, le refoulement, le symptôme, le transfert.
Ces trois points de vue sont étroitement liés et fonctionnent conjointement. Pour résumer, l’appareil psychique et l’énergie qui le traverse interagissent grâce à un jeu de forces, de conflits, de circulations.
ILe point de vue topique Il existe chez une même personne des « territoires » psychiques différents et plus ou moins indépendants les uns des autres (névrose, psychose, perversion). Freud a inventé deux systèmes d’instances qui se combinent et qui « quadrillent » l’appareil psychique. On les nomme « la première topique » et « la deuxième topique ».
Dans la Première topique (1915). L’appareil psychique est composé de trois systèmes : – Inconscient (Ics) – Préconscient (Pcs) – Conscient (Cs)
L’Inconscient est le réservoir des pulsions. Les pulsions de l’Ics sont libres et très mobiles (processus primaire). Elles tendent à faire irruption dans la conscience et à se décharger dans des conduites. L’Ics obéit au principe de plaisir.
Le Préconscient contient des représentations qui ne sont pas présentes à la conscience mais sont susceptibles de le devenir.
Le Conscient est chargé d’enregistrer les informations venant du monde extérieur et de percevoir les sensations intérieures de plaisir ou déplaisir. Il est aussi le lieu des processus de pensée ou processus secondaires (raisonnement, souvenirs). Il obéit au principe de réalité.
Il existe une frontière entre ces différents territoires, une « censure » qui empêche l’énergie et les représentations de circuler librement. La censure est particulièrement sévère entre Ics et Pcs. Elle ne laisse passer les désirs inconscients qu’après les avoir transformés ou déguisés. Si les désirs sont trop perturbants pour l’équilibre, elle les refoule. Cette censure s’exerce également, mais avec moins de rigueur, entre Pcs et Cs. La censure se relâche preque complètement dans le rêve, d’où l’importance de l’analyse des rêves en tant que « voie royale vers l’Ics ». Dans le travail analytique, il faut vaincre les résistances pour triompher de la censure entre Ics et Pcs, puis vaincre les réticences entre Pcs et Cs. A la surface de l’appareil psychique, entre Cs et monde extérieur, se trouve une troisième zone frontière, qui sert de filtre pour éviter que des stimuli trop violents ne pénètrent à l’intérieur du psychisme. C’est le pare-excitation. Lorsqu’il y a effraction du pare-excitation, il se produit un traumatisme psychique.
Dans la Deuxième topique (1923). Outre les trois systèmes de l’Ics, du Pcs, et du Cs, l’appareil psychique est composé de trois instances : le Ça, le Moi et le Surmoi, qui entrent en conflit à l’intérieur du psychisme.
Le Ça correspond schématiquement à l’Ics. C’est le réservoir des pulsions (de vie, de mort ou des pulsions sexuelles), « la partie obscure, impénétrable de notre personnalité ». Il est régit par les processus primaires et le principe de plaisir, c’est-à-dire qu’il ne connaît pas la logique, ni la contradiction, ni la négation. Le temps n’existe pas pour lui et il ignore les jugements de valeur, le bien, le mal, et la morale.
Le Moi doit composer entre les exigences pulsionnelles du ça, les contraintes de la réalité extérieure et les exigences du Surmoi. Le Moi est en quelque sorte le « médiateur » chargé d’assurer la stabilité et la cohésion de la personne. Il regroupe le Cs et le Pcs (de la première topique). Mais le moi comprend également une partie inconsciente.
Le Surmoi se construit à partir des exigences et des valeurs parentales. Il se met en place spécialement au moment du complexe d’Œdipe. Il a une fonction de morale et de censure. Il a aussi une fonction d’autoconservation et d’idéal. Surmoi = tu dois… (Sinon sentiment de culpabilité) Idéal du moi = tu devrais… (Sinon sentiment d’infériorité) Moi idéal = tu peux… (sinon mésestime de soi)
II Le point de vue économique
Freud a compris que l’appareil psychique était traversé par une énergie principale. Cette énergie provient du Ça où elle circule librement (processus primaire). La quantité d’énergie présente s’appelle aussi l’affect. Il existe plusieurs types d’énergies psychiques, avec des qualités différentes. L’énergie qui régit les phénomènes psychiques de la vie sexuelle (au sens large) s’appelle la libido. Pour accéder au système Pcs-Cs, l’énergie doit être liée à une représentation (processus secondaire).
La représentation : C’est l’élément de base des composants de l’appareil psychique. Elle désigne les traces mnésiques issues d’un refoulement et dont les affects liés continuent vraisemblablement d’être actifs, car ils en sont séparés, constituant ainsi les symptômes du refoulement. Freud distingue les représentations de chose des représentations de mots. Si les premières sont actives dans l’inconscient ou le préconscient sous forme d’images essentiellement, elles doivent, pour être rendues inactives, être verbalisées, donc transformées en représentations de mots.
L’objet : En psychanalyse, on appelle objet la personne (réelle ou imaginaire) vers laquelle se dirige l’amour (ou la haine) et le désir. C’est la personne visée par les pulsions d’un sujet. L’objet peut-être réel ou fantasmatique. La relation d’objet : C’est la relation qu’entretient une personne (un sujet) avec son entourage. Cette relation d’objet est en grande part fantasmatique (imaginaire), c’est-à-dire faite de représentations qui modifient l’appréhension de la réalité et du lien à l’autre. (Ex. la relation avec l’infirmière). La libido peut donc se fixer, se retirer ou passer d’un objet à un autre (ou d’une représentation à une autre). On parle d’investissement libidinal.
III Le point de vue dynamique
La pulsion : La pulsion est une tension qui prend sa source dans le corps et qui a pour but un objet apportant une satisfaction. La pulsion se transforme en une excitation pour le psychisme qui doit la réduire et l’éteindre pour retrouver son équilibre (ex. vérification obsessionnelle). Les objets de la pulsion sont multiples et ne se limitent pas à la recherche d’un partenaire sexuel. On distingue les pulsions de vie (Eros) qui visent la conservation de la vie, du plaisir, et les pulsions de mort (Thanatos) qui tentent de détruire le travail des pulsions de vie. Tournées vers l’intérieur elles visent l’autodestruction (suicide, anorexie…), tournées vers l’extérieur elles visent la destruction et l’agression (psychopathie). Tout le monde possède en soi ces pulsions et l’équilibre de la personnalité va dépendre de l’équilibre entre les poussées pulsionnelles et la réponse de l’appareil psychique.
Le refoulement : Le refoulement permet d’éviter un conflit entre le Moi et le ça en rejetant dans l’inconscient la pulsion inacceptable. Car ce qui peut être agréable pour le ça, peut-être source de déplaisir et d’angoisse pour le Moi. Ces éléments refoulés peuvent revenir sous diverses formes comme les lapsus, les actes manqués, les rêves, mais aussi sous forme de symptômes (angoisses, obsessions…). C’est alors qu’ils nécessitent d’être analysés en psychothérapie pour que le souvenir dont ils sont issus revienne à la conscience de manière à ne plus être douloureux pour le sujet.
Le symptôme : En médecine, le symptôme est un signe indicateur de la maladie. Il permet de découvrir ce dont souffre le malade et de le guérir. Le symptôme disparaît alors manifestement. En psychanalyse, le symptôme révèle un conflit psychique inconscient. Il ne s’agit donc pas d’éradiquer le symptôme mais d’en comprendre le sens car il vient parler à la place du sujet. Sous l’effet de l’analyse, le symptôme va se modifier de sorte à ne plus être source de douleur. Certaines psychothérapies non psychanalytiques visent à supprimer rapidement le symptôme (ex. thérapies comportementales – TCC) mais l’on s’aperçoit souvent que le symptôme réapparaît ailleurs sous une autre forme (on dit qu’il se déplace) car le conflit psychique sous jacent n’a pas été réglé. Le lapsus : C’est un mot inattendu, qui surgit de la bouche d’un individu tout à fait par surprise. Il n’est pas le mot que consciemment il avait prévu de dire et trahit le désir inconscient du sujet. L’acte manqué : C’est un acte ou une action inattendus, qui vient contrarier, et donc révéler, l’acte ou l’action que consciemment l’on avait projeté de faire. Exemple : rater le train que l’on avait prévu de prendre pour un voyage auquel on tenait beaucoup mais en réalité auquel on voulait échapper.
Le transfert : Le transfert peut se définir comme une intense relation affective, voire amoureuse, du patient à son psychanalyste (transfert positif). Mais il peut aussi être composé d’éléments agressifs ou haineux (transfert négatif). En réalité, ce n’est pas l’analyste qui est visé. Il s’agit en fait d’une relation imaginaire dans laquelle l’analyste vient incarner des figures de la vie du patient. C’est cela que signifie « transférer », c’est déplacer sur le psychanalyste des sentiments qui concernent des personnes de l’entourage présent et passé de l’analysant. Le transfert est le lieu de répétition d’émotions anciennes, c’est lui qui fait que le patient revient et a envie de parler. C’est en maniant le transfert que le psychanalyste va aider son patient à se remémorer son histoire et à en être l’acteur au lieu de la subir passivement. Il y a des transferts possibles dans d’autres domaines qu’en psychanalyse. Entre un patient et son médecin, ou entre un patient et les personnes qui le soignent. Dans ces autres contextes, on ne va pas travailler sur le transfert mais on va le repérer et éviter qu’il vienne perturber une relation saine. Cela nous permet de comprendre que l’agressivité d’un patient ne s’adresse pas forcément à nous. S’instaure également dans tous les cas de figure un contre-transfert.
IV Le point de vue développemental
Les stades : ils représentent l’histoire psycho-physique du sujet, en particulier les rapports d’une personne avec elle-même et avec le monde eu égard, plus précisément, aux moments du développement de la personnalité. C’est ainsi qu’il faut considérer, dans une première prise en compte, Le stade foetal Le stade oral (entre 0 et 6 mois) Le stade sadique-oral (entre 6 et 18 mois) Le stade du miroir (entre 6 et 18 mois) Le stade sadique-anal (entre 18 mois et 3 ans) Le stade phallique (entre 3 et 5 ans) Le complexe d’Œdipe (aux alentours de 5 ans) Le stade de latence (entre 5 ans et l’adolescence) Le stade génital (adolescence) Les stades adultes
Conclusion
La psychanalyse est une théorie complexe et complète qui continue d’apporter un éclairage très riche dans de nombreux domaines liés au soin, au mieux-être et à l’éducation. Elle est à la fois : – Une méthode d’investigation du psychisme humain. – Une théorisation du fonctionnement psychique (métapsychologie). – Une technique psychothérapeutique originale.
Les détracteurs de la psychanalyse l’accusent de manière superficielle d’être longue et coûteuse, de s’adresser aux « biens portants », et d’accorder une trop grande place aux pulsions sexuelles et à l’enfance du sujet. Ces points de vue témoignent d’une méconnaissance du sujet. Outre qu’elle est une métapsychologie et qu’elle est le fondement de la psychologie, de la psychiatrie et de la psychothérapie, c’est-à-dire ce sur quoi les professionnels de ces trois disciplines sont d’accord, mais elle est sans doute la méthode la plus approfondie d’accession au sujet véritable de notre vie et à son mieux-être. Depuis plusieurs années, des psychothérapeutes, des psychanalystes, des psychologues et des psychiatres pratiquent ce que l’on appelle des psychothérapies analytiques. Il s’agit de psychothérapies en face à face, qui s’inspirent des théories psychanalytiques sans être « la cure type », allongé sur le divan, c’est-à-dire la psychanalyse classique telle que Freud l’a préconisée.
Article librement inspiré d’une synthèse de SDB – octobre 2009.
Modèles en psychopathologie : biomédical, psychanalytique, béhavioriste, cognitiviste, systémique, humaniste
Les différentes approches en psychothérapie
Pierre-Auguste Cot, La Tempête (1880) – Metropolitan Museum of Art – New-York
– Le modèle biomédical Il concerne la mise en relation de troubles psychiques et de perturbations biologiques. L’archétype initial en neurobiologie en est l’infection syphilitique. Le développement de ce modèle concerne les neurosciences et la génétique. Les nouvelles techniques d’imagerie cérébrale mettent en corrélation des déficits cognitifs avec des atrophies cortico-neuronales comme dans la maladie d’Alzheimer. Selon ce modèle, les comportements « déviants », les troubles de la pensée, seraient liés à des altérations chimiques ou électriques du cerveau. Des traitements médicamenteux et, parfois, dans certaines conditions, l’électro-convulsivothérapie (l’ancienne psycho-chirurgie, avec le triste exemple de la lobotomie, a été en grande partie abandonnée) seraient aptes à réguler le fonctionnement du système nerveux et par là à normaliser les émotions, les conduites, les comportements. si en effet le système nerveux contrôle les conduites cognitives, émotionnelles et motrices, les avancées neurologiques ont affiné notablement le modèle. Au plan neuro-anatomique, l’accent est mis sur l’implication du système nerveux central dans les perturbations comportementales. Au plan neurochimique, les perturbations de la communication neuronale génèrent les troubles psychiques. Au plan génétique, les anomalies d’un gène augmentent la vulnérabilité à telle ou telle maladie mentale. Ce modèle met en valeur un fonctionnement du cerveau plus complexe et interconnecté, ce qui est une bonne chose, en particulier dans l’idée de l’interaction de divers neurotransmetteurs, les conditions psychologiques et environnementales modifiant l’activité neurochimique, voire l’immunité générale, activant ou neutralisant l’expression d’un gène, favorisant ou non des mécanismes de connectivité et de plasticité cérébrale, et permettant ou non l’éclosion d’un trouble psychique. L’influence des composantes émotionnelles, motivationnelles, socioculturelles demeurent pour ce modèle agissantes sans être déterminantes. Le modèle biologique des affections psychiatriques a permis la découverte des neuroleptiques et des psychotropes. La neuropsychopharmacologie a mis en place et décris en particulier les systèmes noradrénergique, dopaminergique, cholinergique, glutamatergique, sérotoninergique du cerveau. Auteur : Engel Dérivés : Neuro-psychiatrie
– Le modèle psychanalytique
Il concerne l’approche des phénomènes et des troubles mentaux en s’attaquant à leurs causes et à leurs racines les plus profondes. Ceux-là sont placés sous la lecture principale des conséquences de la mémoire inconsciente, à partir de l’organisation de l’appareil psychique telle que l’a développée Sigmund Freud (particulièrement selon la notion des points de vue : point de vue topique avec les systèmes inconscient, préconscient, conscient puis avec les instances ça, moi, surmoi, point de vue économique avec les processus énergétiques primaire et secondaire, l’affect, la représentation, l’objet, point de vue dynamique avec la pulsion, le refoulement, le symptôme, le transfert), dans le bien fondé parfaitement argumenté des concepts majeurs constitutifs de la personnalité (Œdipe, Narcissisme, Pulsions, Principes de constance, de plaisir-déplaisir, de réalité). L’archétype psychanalytique en est, au début de ses travaux, l’hystérie (Freud et Breuer – Anna O.) d’abord traitée par l’hypnose. Ensuite, selon la méthode de l’association libre, la psychanalyse a été éprouvée pour mettre en correspondance des représentations et des affects qui avaient été déliés pour abréagir (voir ce terme et les autres termes techniques) des souvenirs refoulés et actifs. L’appareil psychique se construit progressivement au cours des stades de développement de la personnalité, lesquels se caractérisent par un mode prévalent de la relation du Sujet à l’Objet (stades foetal, oral, anal, narcissique, phallique, génital, adulte). L’organisation psychique de la personne met en relation systèmes, instances, concepts, affects et percepts dans une Métapsychologie étayée par une clinique rigoureuse étayée jusqu’aujourd’hui. La personnalité est ainsi le résultat de la constitution de la personnalité en relation avec le comportement lié singulièrement aux environnements familial et symbolique. Les auteurs originels en sont Adler (complexe d’infériorité), Horney, Sullivan (contexte social et parental), Fairbarn, Winnicott, Ferenczi, Mahler (relations objectales, séparation/individuation), Hartmann, Bowlby (attachement), et surtout Sigmund Freud (métapsychologie générale et appliquée) dont l’étude permet d’ouvrir et de développer des pistes d’approfondissement toujours plus abondantes. Auteurs : Freud ; Ferenczi ; Winnicott Extensions : La psychothérapie analytique La psychosomatique Le psychodrame psychanalytique La psychothérapie de relaxation La psychanalyse de l’adolescent La psychanalyse groupale et familiale
– Le modèle béhavioriste
Ce modèle se fonde sur une psychologie du comportement manifeste (Pavlov, Watson), et s’inscrit en faux contre l’étude des émotions, des cognitions, de la subjectivité. A ce titre, il rejette l’introspection. Le modèle postule que les comportements sont appris à partir des expériences, donc de l’environnement, et qu’ils peuvent dès lors être corrigés directement. Le comportement s’améliore s’il est récompensé, se dégrade si il est pénalisé (Skinner). Ce modèle, plutôt simple et enfermé dans l’idée d’immédiateté, s’intéresse aux symptômes (l’expérience psychique est une « boîte noire ») et est utilisé principalement en milieu carcéral, par l’intermédiaire de jeux de rôles, de thérapie de groupe, de relaxation musculaire, de techniques de visualisation, complétées par la confrontation et le soutien. Les principes de la gestalt-thérapie, de l’analyse transactionnelle, de la programmation neuro-linguistique, du cognitivisme dérivent en partie du modèle béhavioriste. Auteurs : Pavlov ; Watson Dérivés : Gestalt-thérapie ; Thérapie de groupe ; Analyse transactionnelle ; Programmation neuro-linguistique, cognitivisme
– Le modèle cognitiviste
Le promoteur de ce modèle, axé avant tout sur le symptôme – c’est-à-dire la surface plutôt que la profondeur – est Piaget. Il fonde l’étude du développement des processus intellectuels chez l’enfant, dans l’optique d’une continuité entre les actions motrices et la pensée sous la forme d’une action intériorisée. Ce modèle représente une suite dérivée du béhaviorisme. Il est aujourd’hui théorisé selon les thérapies comportementales et cognitives (TCC). Le conditionnement y joue un rôle princeps, et les processus médiateurs (pensées, conceptions, souvenirs, croyances, perceptions, attributions, évaluations, attitudes, auto-affirmations, émotions) peuvent modifier les effets des stimuli à l’origine des dissonances cognitives ou patterns des pensées inappropriées et déformées, sources de troubles psychologiques. Pour Beck, les schémas cognitifs (façons de se percevoir et d’interpréter le monde) appris dès le plus jeune âge et guidant le traitement de l’information, influencent nos réactions émotionnelles. Ainsi, les schémas inadaptés (les expériences d’apprentissage défavorables) infléchissent la vision de soi et génèrent des déformations de la pensée provoquant dépression, anxiété et troubles de la personnalité. Pour Ellis, ce sont des croyances irrationnelles concernant les expériences qui génèrent les difficultés psychologiques (obligations, attentes pessimistes ou irréalistes) en faisant envisager les conséquences déplaisantes des situations, ce qui génère un sentiment d’impuissance. Auteurs : Piaget ; Beck ; Ellis Dérivés : Thérapies cognitivo-comportementales (TCC 3ème vague, méditation de pleine conscience, biofeedback…)
– Le modèle systémique
L’archétype de ce modèle provient de l’école de Palo Alto (Bateson – Watzlawick). Il inclut des données de la cybernétique et de la théorie des systèmes généraux. Sont considérés dans ce modèle des aspects phénoménologiques de l’interaction dans la cellule familiale avec des observations d’entrées (input) – ex. les symptômes – et de sorties (output) d’information. Y sont observés les mécanismes de la distorsion familiale : double lien, schisme, déviance parentale, pseudo-mutualité et barrière de caoutchouc, masse de moi indifférenciée, mystification, défaut d’individualité intégrée, famille à transaction schizophrénique, triangulation rigide. Auteurs : Bateson ; Watzlawick Dérivés : thérapies familiales et groupales
– Le modèle humaniste
Les représentants de ce modèle sont Rogers, Maslow, Perls, et une partie des développeurs de la gestalt-thérapie. Il postule que le comportement est déterminé par la perception que la personne a d’elle-même et du monde, et s’appuie sur son libre arbitre. Ce modèle consiste en un point de vue candide de l’humain qui aurait en lui, grâce à l’écoute et à l’empathie, les ressources nécessaires à son mieux-être. Chacun pourrait ainsi développer des valeurs fondées sur ses propres expériences et en modifier le devenir. Le modèle développe par exemple l’idée de fausses suppositions ou d’un désir exagéré de satisfaire les attentes des autres, ce qui cause des dysfonctionnements. Les perturbations psychiques seraient liées à des influences sociales néfastes ou à des obstacles concrets. Anxiété, dépression ou autres troubles seraient des modes d’adaptation à de mauvaises structures culturelles et sociales qui entravent l’expression de la personnalité. Chacun aurait la responsabilité dans ces contextes de reconnaître et d’accepter ses besoins et sentiments. Auteurs : Jung ; Rogers ; Maslow ; Perls Dérivés : Dasein-analyse ; Psychothérapie existentielle ; P. bio-énergétique ; P. intégrative ; P. relationnelle ; P. éclectique ; Approche centrée sur la personne (ACP) ; psychosynthèse
∴
La pluralité des modèles thérapeutiques et la multiplicité des pratiques dérivées remplacent la plupart du temps l’appréhension rationnelle (scientifique : en référence à la métapsychologie) des symptômes par des croyances philosophiques ou sociales ou défensives ou parapsychologiques ou morales, grâce à des partis pris laissant la place au dogme ou à des postulats non vérifiés par la clinique. Cette pluraliité est utile, dans la mesure où elle peut permettre à un patient (peu) souffrant de tel trouble psychique relatif de choisir l’accompagnement adapté. Utile aussi la prise en compte d’une approche multidisciplinaire pour la bonne intégration d’une pathologie, y compris avec les données de la médecine et des neurosciences, pour tendre vers un diagnostic différentiel.
Ces modèles sont, dans leurs développements les moins nocifs (voir a contrario la Liste noire des thérapies), des simplifications plus ou moins heureuses de théories psychologiques. Or, l’appréhension la plus approfondie logiquement et aboutie rationnellement des symptômes est la métapsychologie psychanalytique dans la mesure où elle est bien étayée d’abord par la clinique psychiatrique et par la psychopathologie scientifique, y compris par les neurosciences, d’une part, et qu’elle est non dogmatique et a-principielle, d’autre part, puisque l’on sait à présent que l’organisation et le fonctionnement de l’appareil psychique ne peuvent être dissociés du système de la pensée et, particulièrement, de la pensée inconsciente. Nous disposons donc d’une référence générique, c’est la métapsychologie psychanalytique. Ici, les autres modèles (cognitivisme, systémique, béhaviorisme, humanisme, biomédical au sens strict…) ne nous sont pas vraiment utiles, même si nous pouvons piocher parfois ici et là quelques idées, voire quelques concepts. Ainsi, la psychosomatique est une extension de la psychanalyse qui peut quelquefois et sous certaines conditions nous aider, comme le psychodrame analytique, la psychanalyse groupale, etc.). Par contre certaines disciplines (psychopathologie, psychologie, psychiatrie) nous sont indispensables pour le développement raisonné et étayé de la psychothérapie psychanalytique. C’est à cela qu’il est nécessaire de prêter attention afin de ne pas perdre de temps et pour ne pas s’égarer dans l’approximation de ces paradigmes (ou modèles), insuffisamment développés et approuvés scientifiquement. Ainsi, les connexions synaptiques et les embranchements dendritiques se font et se défont en fonction de l’exercice perceptif, intellectuel, expérientiel, représentatif et affectif de la personne. Le modèle analytique est naturellement scientifiquement consolidé par la compréhension de la période de développement de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte ainsi que le démontrent les conjonctions de la psychanalyse, de la psychiatrie et de la psychopathologie. Outre qu’elle est une métapsychologie, comme la linguistique pour le langage, et qu’elle est le fondement de la psychologie, de la psychiatrie et de la psychothérapie, c’est-à-dire ce sur quoi les professionnels de ces trois disciplines sont d’accord, elle est sans doute la méthode la plus approfondie d’accession au sujet et à l’objet de notre vie et à son mieux-être.
Alexandre Santeuil – Décembre 2012 – Décembre 2024
Voici une liste de thérapies établie entre autres dans un Guide de 2012 par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires pour lutter contre les dangers d’emprises sectaires de médecines et de psychothérapies non conventionnelles qui sont, compte tenu de leurs insuffisances conceptuelles et de leur manque de scientificité, dans le collimateur de la Miviludes, en raison de leur risque supposé de « dérives sectaires », ou de manipulation de personnes insuffisamment informées. En tant que pratiques, pas forcément sectaires, et pas systématiquement inintéressantes, mais la plupart du temps non réglementées, et, à ce titre, pouvant se révéler potentiellement dangereuses ou inutiles ou mensongères, elles ont pu faire l’objet de plaintes et de procès avec constitution d’associations de victimes et de remontées de signalements aux parlementaires et à la justice, pour atteinte à l’intégrité des personnes, abus de l’état de faiblesse ou d’ignorance, mise en danger de la vie d’autrui, escroquerie, exercice illégal de la médecine, de la psychothérapie*, de la kinésithérapie… Parmi ces quelques méthodes listées, certaines peuvent s’appuyer sur des approches tour à tour « psychologisantes, déviantes, par ingestion de substances, aux fins de prévention, de développement personnel, de rééquilibrage de l’énergie… » :
Amaroli (traitement du cancer par ingestion de sa propre urine) Analyse transactionnelle Ayurvédique Biomagnétisme Biopsychologie systémique Breuss (t. du cancer par cure de jus de légumes) Budwig (t. du cancer par ingestion huile de lin et lait caillé) Constellation systémique et familiale Crudivorisme Décodage biologique Énergiologie Ennéagramme EMDR (eye movment desensitization and repossessing) Etats de conscience modifiés Gemmothérapie Gestalt-thérapie Hamer (méthode) ou Médecine Nouvelle Germanique Holistique Hygiénisme Instinctothérapie Iridologie Kinésiologie Kryeon (EMF) (enfants « indigo » ou « cristal ») Lefoll (t. du cancer par ingestion d’un composé de trois acides) Libération des cuirasses (MLC) Massage Tui Na Médecine énergétique Méthode Hamer Mythe de l’enfant parfait Naturopathie Neo chamanisme Neuro quantique Ozonothérapie PNL (programmation neuro-linguistique) Psychobiologie Psychogénéalogie Psychologie quantique Psychosomatoanalyse Médecine quantique Rebirth Reiki Résonance Respirianisme Scohy (t. du cancer par ingestion de jus de citron) SHI (spiritual human yoga) Simoncini (t. du cancer par ingestion de bicarbonate de soude) Simonton Sophrologie Systémique Systémique orientée solution Tabitah’s place Thérapie(s) Thérapies du rêve éveillé Thérapie systémique Tipi Vittoz Yunâni
La Miviludes (cf. les Rapports annuels de la Miviludes) précise qu’un grand nombre d’autres méthodes, non citées ici (il en existerait environ 400 au total, hormis les « techniques » en kinésithérapie – cf. le Tableau des techniques illusoires signalées au Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes – par exemple : […] Astrologie structurale, Bioénergie, Biosynergie, Biodynamique, Biologie totale des êtres vivants, Body Mind Movement, Conscience énergétique des chakras, Féminin sacré, Intégration posturale, Massage bio-dynamique, Méthode Lefoll, Méthode Scohy, Narratologie, Psycho-bio-thérapie, Psychosynthèse, Somatanalyse, Sophroyoga, Technique du dialogue intérieur […]), ne sont pas non plus exemptes de risques. De même qu’un grand nombre de thérapies ou de psychothérapies souffrent d’insuffisances conceptuelles, développementales, éthiques, la psychanalyse n’échappe pas à ces dérives sectaires dans la mesure où, d’une part, des associations, des sociétés, des instituts usent d’épithètes ou d’attributs les qualifiant en termes subjectifs tels que « existentielle », « intégrative », « psychodynamique », « relationnelle », « humaniste », « jungienne », « féministe », « interpersonnelle », « queer », « inclusive », « schizo-analyse», «daseinsanalyse », etc. et où, d’autre part, des praticiens d’installation à prise rapide, sans aucun diplôme, sans formation sérieuse et même, parfois, sans avoir jamais fait d’analyse, s’intitulent « psychanalystes », sans droit ni titre. À présent, des méthodes, des associations, des « thérapeutes », de nombreuses thérapies, des organismes de formation, et surtout des formations, qui font les beaux jours de certains « praticiens », de professionnels peu exigeants sur le plan de la validité scientifique et conceptuelle de leur activité, naissent, se développent, changent de nom au gré des modes, puis, dans le meilleur des cas, s’éteignent. Nous en retrouvons régulièrement les promoteurs, exerçant sous des titres faciles à obtenir, la plupart du temps non reconnus par l’État, s’adjugeant de faux diplômes, de faux titres, et cependant parfois adulés sur les réseaux sociaux.
NB : Mises régulièrement en question, Fasciathérapie, Anthroposophie (Rudolf Steiner), Colibris (Pierre Rahbi), Végétothérapie caractéro-analytique (Wilhelm Reich) ne sont pas considérées officiellement comme relevant de dérive sectaire. Les organisations religieuses et/ou politiques ne sont pas listées, dans la mesure où elles font l’objet d’un traitement particulier par les services spécialisés des ministères compétents qui exercent une surveillance spécifique sur leurs activités.
Sous le titre Les Dérives Inquiétantes des « Médecins de l’Âme », le Centre Roger Ikor – et Le Figaro – alerte sur l’univers de la médecine symbolique, une pratique créée en 2006 par le couple Gandy, qui fait l’objet d’une vingtaine de signalements auprès de la Miviludes, et qui multiplie adeptes, ateliers et conférences organisés dans des lieux prestigieux et qui emprunterait une « façade de spiritualité » cachant des pratiques douteuses et problématiques.
*L’article 52 (de la loi sur le titre de psychothérapeute) est venu combler un vide juridique qui permettait à tout un chacun dans notre pays de s’autoproclamer psychothérapeute, de visser sa plaque ou de figurer dans les annuaires et d’être alors en situation de répondre, sans aucune garantie de formation, ni de compétence, ni d’éthique, à des sollicitations de personnes par définition fragiles courant le risque de voir leur détresse ou leur maladie aggravées, et souvent, hélas, d’être abusées par des personnes ou des organisations présentant une vision « particulière » ou mensongère ou obsolète (new age, structuralisme, psychologie des organisations, psychosociologie…) du monde ou de la société, philosophique ou sociologique ou cosmique ou de la conscience ou de l’intelligence émotionnelle ou de l’énergie ou de la joie, etc… Nous avions pourtant déjà fort à faire avec les professionnels en titre (Cf. Le monde des psys : les reconnaître), cependant qu’à présent, d’autres malins ne pouvant pas usurper le titre de psychothérapeute, utilisent d’autres titres courants, possibles ou imaginables – parfois soi-disant psychanalystes, hélas, car le titre n’est pas réglementé[1] -, afin de s’insinuer dans les méandres d’organisations, d’entreprises, d’organismes de formation, de cabinets de RH, d’institutions de soins, hôpitaux et cliniques, et de pratiquer une psychothérapie ou une psychanalyse sauvages. En effet, reste à présent aux instances d’éthique et de vigilance, ainsi qu’aux patients et aux clients, de répondre par la loi à l’utilisation et au détournement, par certains professionnels de la psychologie, de la psychanalyse, de la psychosociologie, de la relation d’aide, du développement personnel, du coaching…, soit de titres usurpés (y compris par des « stars » médiatiques) et de discours indûment empruntés, soit de « méthodes », d’ »approches », de « thérapies », psychothérapistes sans solide fondement théorique reconnu et/ou assimilé, ou illégales et parfois dangereuses. L’exemple de titres empruntés est par exemple attesté par l’emploi, volontairement générique, du vocable « thérapeute », ou « praticien », qui veulent ainsi donner l’idée du soin, en une imposture qui joue sur une ambiguïté lexicale métonymique, et par laquelle l’on ne sait de quel statut, diplôme, formation, ni de quelle « thérapie » le soi-disant thérapeute ou le « quelque chose thérapeute » ou le « thérapeute quelque chose » ou le « quelque chose praticien » ou le « praticien quelque chose » se targue… Ce même souci éthique et de vigilance, qui devra s’appliquer également à d’anciens étudiants ou à certains professionnels du marketing qui s’avancent à présent masqués derrière un de ces titres, ou qui usent de faux diplômes de coachs, mentors, thérapeutes, psychanalystes, praticiens, consultants…, doit se manifester entre autres dans la dénonciation de discours qui se font jour dans l’emploi erroné de termes (dont celui de « thérapie », ou de « psychothérapie ») empruntés à la psychanalyse, à la psychopathologie, à la psychologie, à la psychiatrie, par des « professionnels » en mal de crédibilité ou de rationalité provenant de cursus superficiels, de formations universitaires médiocres, mal évalués. Ceux-là utilisent de façon abusive des termes scientifiques propres à ces sciences humaines et médicale, obéissant ainsi à un besoin de consommation : celui de la culture psychanalysante ou psychologisante à prise rapide. Ce psychanalysme, ce psychologisme, ce psychiatrisme de forme sont source d’erreur et de confusion pour la patientèle pour deux raisons : D’abord parce que de telles utilisations de la terminologie et du lexique de ces disciplines scientifiques sont sans fondement justement scientifique (et par surcroît systématiquement inexactes). Des assertions, fausses dans les termes et sur le fond laissent penser que ces professionnels font par exemple, comme nombre de soi-disant psys, du Lacan sans le savoir dans ce qu’il a produit de plus discutable[2], car de plus éloigné du patient, lorsqu’en utilisant abusivement une connaissance superficielle de certains axiomes mathématiques il en inférait des logiques absurdes ou de la prose, comme superficiellement ces M. Jourdain d’aujourd’hui le professent. Ensuite, et c’est là que les utilisateurs de disciplines d’accompagnement à la mode, mais qui se cherchent encore, doivent, pour leur propre crédibilité, dénoncer les abus et les abuseurs, car il est nécessaire que soient critiqués ceux qui, pour faire sérieux et professionnel et « psy », utilisent des discours psychologistes ou psychanalytistes ou psychiatristes, et qui profitent ensuite de contrats et de conventions d’accompagnement, de relation d’aide, de suivi personnel et professionnel, de coaching, de mentoring… (liste non exhaustive) pour pratiquer dans un deuxième temps une psychothérapie ou une psychanalyse sauvages (et coûteuse) en entreprise, en institution ou en cabinet, aux dépens de leurs patients/clients, en réalité sans droit ni titre.
NB : L’usage, sans droit, d’un titre attaché à une profession réglementée par l’autorité publique ou d’un diplôme officiel ou d’une qualité dont les conditions d’attribution sont fixées par l’autorité publique est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Article 433-17 du Code pénal
La psychanalyse n’est pas un modèle. C’est bien plutôt une métapsychologie, c’est-à-dire, comme la linguistique vis-à-vis du langage, qu‘elle est la ressource de dernière instance, pour qui voudrait considérer ce qui, par delà son discours d’accompagnement, déborde un tant soit peu sa volonté de bien faire.
Cependant, il ne s’agit pas, comme Monsieur Jourdain faisant de la prose sans le savoir, de plaquer une culture psychanalytique à prise rapide sur des non-dits, des implicites, des presque-rien révélateurs.
D’ailleurs, et même si l’on en voit de plus en plus s’inventer dans les annuaires, les thérapeutes n’existent pas. On peut parler des thérapeutes d’Alexandrie, ces sages religieux contemplatifs de la secte antique des thérapeutes, mais on ne peut en aucun cas faire passer l’absence de qualifiant, au contraire par exemple de kinésithérapeute, pour une qualification.
La psychanalyse pense que l’important pour se dire qui l’on est, est de pouvoir se dire qui l’on a été et qui l’on sera. A fortiori pour quelqu’un qui voudrait pouvoir dire qui est l’autre, c’est-à-dire comment il fonctionne, d’où il parle, quelle est sa part d’histoire dans ce qu’il est. Il est nécessaire de comprendre que celui qui a visité pour son propre compte les contours et les détours de sa personne et de sa relation à l’autre, est à même d’accompagner un accompagnant, ayant vécu dans de profondes occurrences les conditions et les limites des cadres de son action, et de son intervention.
Ces cadres, du plus général au particulier, sont le lieu et le temps (cadre matériel), l’objectif (cadre contractuel), la déontologie, l’éthique et la théorie (cadre référentiel), le discours (cadre énonciatif), le non-verbal (cadre personnel), et enfin le transfert et le contre-transfert (cadre relationnel).
Ainsi, le transfert, et son corolaire, le contre-transfert, représentent dans les processus d’accompagnement la projection, par le patient et le psychothérapeute, par le client et le coach, par le patient et le psychanalyste, de contenus issus de leur propre inconscient et provenant d’expériences archaïques, sur l’autre personne de l’interaction, qui apparaît dotée de qualités, d’intentions, d’affects différents de la réalité tout en y ayant des liens obligés.
Le transfert et le contre-transfert donnent au coach, mais aussi au psychanalyste, l’occasion de confronter son travail avec celui du psychothérapeute, en cela qu’il va se saisir de ce petit morceau de valorisation presque psychanalytique justement afin d’apprécier sa finesse d’esprit clinique pour étayer le métier chez son interlocuteur. Pourtant transfert et contre-transfert constituent autant de chances de mieux faire, pour peu qu’il se remette à sa place lui-même : transfert et contre-transfert vont rarement, pour ne pas dire jamais, l’un sans l’autre.
En effet, comme par hasard, les chances du coach, du psychothérapeute, du psychanalyste sont ces moments où il va s’apercevoir que les échecs de l’autre sont répétitifs. Le harcelé est toujours un déjà harcelé, un qui se plaint du ratage est toujours un qui se plaint du retour du ratage, un déphasé du changement a déjà été déphasé du changement, etc.
Postulons que ce qui se répète dans le besoin du coaché, de l’analysé d’obtenir la solution et le besoin du coach, de l’analyste de la lui procurer s’est déjà réalisé. Le coaché, l’analysant a déjà été confronté au manque, dans l’espoir de la main tendue, le coach, l’analysant a déjà été confronté au désir, dans la gratification attendue.
Il faut d’ailleurs être bien immodeste pour imaginer que ce qui se dit entre deux personnes est tout ce qui se dit. Il existe de multiples combinaisons, descriptibles scientifiquement, du transfert et du contre-transfert. J’en prends une simple :
Un coach me disait « ça ne marche pas ». « Avec celui-là, ça ne marche pas. » « Ah bon. » dis-je, « ça ne marche pas, ça n’avance pas ? » « Oui. Je suis bloqué. » « Même pas un petit pas ? », comme on dit, « Non, rien. Ça ne marche pas. » « Et que faites-vous ? » « Je ne le force pas, je l’incite à avancer. » « Et vous, ça vous fait quoi quand on vous incite ? » « Je me méfie » dit-il. « Ah bon ? Pourquoi ça ? » « Parce que mon père en m’apprenant à marcher voulait aussi m’apprendre à nager et m’a poussé dans l’eau. » Bon voilà.
François-Xavier Fabre – La mort de Narcisse – 1814, National gallery of Australia
Les grandes tendances du narcissisme
Compte tenu, d’une part, de l’acception commune et courante du narcissisme qui le discerne comme une sorte d’amour propre un peu poussé, un nombrilisme exagéré, une tendance marquée à l’égocentrisme ou plus littérairement déjà comme un égotisme, et, d’autre part, de l’extrême diversité des conceptions recouvrant le concept de narcissisme, laquelle révèle à la fois sa complexité, sa richesse et le grand nombre de phénomènes psychanalytiques dans lesquels il a sa part, il convient de poser, en préalable à la compréhension directe de ses axes, de ses lignes de force et de ses mouvements plus subtils, les définitions qui mettent, après Freud, les spécialistes d’accord[1], à partir desquelles il sera possible d’en proposer un certain nombre de règles d’interprétation.
Ainsi, les auteurs s’accordent pour reconnaître l’existence d’un narcissisme primaire et d’un narcissisme secondaire, le premier étant la preuve de la prévalence, temporelle et structurale, de l’amour de soi sur l’amour des autres, le second marquant le retour effectif de l’amour des autres vers soi-même par introjection de l’objet et identification à celui-ci. Le narcissisme primaire et le principe de liaison sont également reconnus, dans leur étroite association corrélative, comme déterminants dans la cohésion de la personnalité, tandis que le narcissisme secondaire et la régression d’une part et le narcissisme secondaire et l’introjection d’autre part sont inséparables dans leur acception générique. De la même façon, il est admis que le narcissisme se développe selon des formes qui varient en fonction des conflits régissant la vie et le psychisme des personnes, c’est-à-dire ceux des pulsions et de leur décharge, du conscient et de l’inconscient, du plaisir et de la réalité, des instances (Moi, Ça, Surmoi), des pulsions (particulièrement celles de vie et de mort lesquelles du reste englobent les autres pulsions), de la sexualité, de l’Œdipe. Par ailleurs, les éléments cliniques concordent pour affirmer le caractère originaire du narcissisme dans la constitution de la libido, l’aspect objectal ne se révélant que dans un second temps, constitution elle-même instable mais dont la nature tend cependant à l’unité et à l’union, forçant les expériences anciennes à se répéter de manière compulsive sous différents aspects ou formations de compromis, délires, symptômes, lapsus, rêves, actes créatifs ou non. En outre, si le concept de narcissisme recouvre des phénomènes multiples, ce qui est dû à l’organisation dont il est le seuil dans la genèse du moi[2], il est reconnu comme étant spécifié pour une vaste part selon une perspective dialectique, non seulement à cause de ce qu’il procède des caractères primaire et secondaire, mais également, et selon les auteurs, en raison de ses principes de vie et de mort, en cela positif ou négatif, de sa dynamique centripète ou centrifuge (Grunberger), du rôle, gardien de la vie (Nacht) ou anti-narcissisme (Pasche), qu’il joue dans la régulation des énergies psychiques, de la place, normale ou pathologique, qu’il occupe dans l’équilibre de la personne, de l’association ou de la dissociation qu’il établit avec la composante pulsionnelle (Grunberger), de l’identification ou de la différence, de la reconnaissance ou du rejet qui découlent de ses relations avec l’objet, moi considéré comme objet ou l’objet autre (Tausk). Il est également classiquement admis que l’autoérotisme représente en dernière analyse, à partir du morcellement initial du corps selon les zones érogènes, objets partiels qui correspondent eux-mêmes aux pulsions partielles, l’activité sexuelle privilégiée du narcissisme. Il est d’ailleurs à noter que cette activité s’exerce régulièrement dans les différents stades prégénitaux, ce qui donne lieu aux différents plaisirs d’organe. Il est à relever également la permanence du rôle joué par une partie du narcissisme, non dévolue aux objets, par rapport à l’idéal du moi, modèle vers lequel cette partie se tourne, sous l’influence des relations objectales et corrélativement à la projection du narcissisme sur l’instance parentale ou éducatrice, à quoi il faut ajouter l’importance de l’investissement obtenu par le bon équilibre des stimulations frustrantes et satisfaisantes, nécessaire à une bonne estime de soi, estime de soi découlant directement du narcissisme primaire. Il est également admis que l’objet, dès lors qu’il est idéalisé par projection narcissique, prend une dimension proportionnelle au remplacement de l’idéal voulu par le moi. De leur côté, le moi idéal, issu de l’identification primitive à la mère, et le phénomène d’idéalisation, au sens freudien, y afférent, entretiennent avec le narcissisme des relations privilégiées. Ainsi, le narcissisme est un concept à la fois concevable selon une perspective phénoménale, en tant que du point de vue clinique il s’est édifié empiriquement, et pensable en fonction d’une acception transcendantale, comme pouvant être appréhendé en dehors de l’expérience, ce qui lui donne alors une envergure capitale pour la compréhension de la personnalité dans ses composantes sexuelle et affective. De la sorte, pour Béla Grunberger, le narcissisme est à considérer comme une instance psychique à part entière, à l’instar du Moi, du Surmoi et du Ça.
Evolution du narcissisme chez Freud
Si autrefois, ainsi que cela est confirmé dans les textes de Näcke ou de Ellis, le narcissisme était considéré comme une perversion, les définitions qui prévalent aujourd’hui sont moins normatives que descriptives. Dès 1914, Freud développe le concept psychanalytique, dans ce qu’il faut considérer comme les prolégomènes du sujet abordé respectivement et en plusieurs temps dans L’Interprétation des rêves (1900), les Trois essais sur la théorie sexuelle (1905), L’Homme aux rats (1909), Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci (1910), Cinq psychanalyses, « Le président Schreber : une paranoïa. » (1911) et Totem et tabou (1912), puis de façon synthétique dans « Pour introduire le narcissisme » in La Vie sexuelle (1914). En un premier temps, dans L’Interprétation des rêves, le narcissisme est spécifié de manière indirecte, puisqu’il y est fait allusion comme synonyme d’un amour-propre démesuré chez l’enfant, lequel est capable de souhaiter la mort d’une personne qui le dérangerait. En un second temps, dans le point portant sur l’inversion, situé dans le paragraphe des déviations par rapport à l’objet sexuel et dans la partie des Trois essais consacrée aux aberrations sexuelles, Freud rapproche le narcissisme de l’homosexualité mais en le considérant sous l’angle d’un compromis provenant de la coexistence des deux caractères sexuels, masculin et féminin, au sein d’un même individu, qui a la forme d’un « hermaphrodisme psychique ». En un troisième temps, dans le chapitre sur la théorie de la libio, situé dans la partie concernant les métamorphoses de la puberté, Freud, distinguant la libido d’objet et la libido du moi ou libido narcissique, considère cette dernière comme provenant d’un état originel de la prime enfance qui persiste toute la vie. En un quatrième temps, Freud, dans la relation de l’analyse du Dr Langer (l’« homme aux rats »), décèle dans la névrose obsessionnelle de son patient la part prépondérante tenue par le narcissisme du personnage en rapport avec la figure du père et la problématique du miroir. En un cinquième temps, dans une note ajoutée en 1910 et complétant le point sur l’inversion, situé dans le paragraphe des déviations par rapport à l’objet sexuel et dans la partie des Trois essais consacrée aux aberrations sexuelles, Freud précise sa conception de l’homosexualité et la caractérise comme étant non seulement issue de la quête chez la même personne d’objets des deux sexes, ce que Freud éclairera en 1915 par le biais synthétique du reflet de la nature bisexuelle de l’individu, mais également comme reproduisant l’amour porté par la mère dans la recherche d’objets sexuels identiques à soi : « Nous avons établi dans tous les cas examinés que les futurs invertis traversent, au cours des premières années de leur enfance, une phase de fixation très intense et cependant éphémère à la femme (le plus souvent à la mère) et qu’après avoir surmonté cette phase, ils s’identifient à la femme et se prennent eux-mêmes comme objets sexuels, autrement dit que, partant du narcissisme, ils recherchent de jeunes hommes semblables à leur propre personne, qu’ils veulent aimer comme leur mère les a aimés eux-mêmes. » Cette dernière caractérisation du narcissisme dans son versant homosexuel implique que le présent est une reproduction mutatis mutandis du passé et qu’il s’y produit un triple déplacement métonymique. En effet, si, au présent, l’affect Y du sujet A envers l’objet C (l’individu envers un semblable) est similaire à l’affect X, au passé, du sujet B envers l’objet A (la mère envers l’individu), il s’ensuit que l’objet C étant assimilable au sujet A (C comme image de l’ancien A) et l’objet A étant assimilable au sujet B (A comme image de l’ancien B), l’affect Y (de A vers C) est la métaphore de l’affect X (de B vers A). Ce mouvement, dans lequel A est tour à tour (ou à la fois) objet et sujet, produit le triple déplacement métonymique de B vers A (sujets), de A vers C (objets) et de X vers Y (affects). Ainsi, la complexité relationnelle inaugurée par cette introduction au narcissisme tel qu’il apparaît dans son acception contemporaine se trouve dès l’abord dans la première ébauche du concept, lequel met ici en conjonction trois personnes, trois dimensions, l’amour, une recherche et un système de ressemblance, une triple relation d’analogie et une modalité temporelle. En un sixième temps, dans le chapitre III de Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, Freud reprend sans la modifier l’hypothèse, en l’occurrence certainement hâtive[3], d’une homosexualité du créateur comme résultant de la fixation à l’image de la mère observée dans les Trois essais. En un septième temps, Freud, après avoir évoqué l’homosexualité en relation avec la problématique du miroir, dans le chapitre consacré au mécanisme de la paranoïa dans la psychanalyse relatée du président Schreber, considère le narcissisme comme un véritable stade obligé et transitoire prenant place entre l’autoérotisme et l’objectalité, indispensable à une première unification des pulsions partielles, qui autorise le passage de l’intérêt sexuel au corps propre et qui permet l’édification de la sexualité. Enfin, et en un huitième temps, Freud, dans le chapitre consacré à l’animisme, la magie et la toute-puissance des idées de son Totem et tabou, confirme le narcissisme dans sa valeur de stade normal demeurant en la personne toute la vie, et le rapproche de l’autoérotisme, en décomposant celui-ci en autoérotisme proprement dit et en narcissisme, unifié et dirigé vers un moi déjà constitué. S’ajoutent à cela dans ce chapitre l’hypothèse de la transposition d’une pensée encore très sexualisée chez le primitif à une croyance en la toute-puissance des idées et de l’individu sur le monde, ainsi que le postulat de l’art comme étant le seul maintien contemporain de cette toute-puissance intellectuelle. Dans « Pour introduire le narcissisme » le concept, en une synthèse générale, prend toute sa dimension de stade normal complémentaire à la libido objectale et de phénomène permanent du développement sexuel de la personne. Le narcissisme est analysé selon diverses perspectives dont la schizophrénie, la paranoïa, l’état de sommeil qui permet d’étudier l’axe du retrait narcissique, la maladie organique, l’hypocondrie, la vie amoureuse, la neurasthénie, la névrose d’angoisse qui dépendent de la libido du moi, cependant que l’hystérie et la névrose obsessionnelle dépendent elles de la libido d’objet. Le phénomène est alors subdivisé en deux catégories, le narcissisme primaire et le narcissisme secondaire. Le premier, en faveur duquel deux arguments sont développés (absence de génération spontanée et surestimation des parents vis-à-vis de l’enfant), renvoyant la personne à ses objets sexuels originaires, lui-même et sa mère, le second caractérisant le retour en le moi de la libido ôtée aux objets. L’investissement libidinal est assimilé à un balancement de l’énergie sexuelle, tantôt dévolue au moi, et se retirant alors des objets, tantôt dévolue aux objets et les investissant. C’est le moment de la métaphore du corps protoplasmique et de ses pseudopodes : « Nous nous formons ainsi la représentation d’un investissement libidinal originaire du moi ; plus tard une partie en est cédée aux objets, mais, fondamentalement, l’investissement du moi persiste et se comporte envers les investissements d’objet comme le corps d’un animalcule protoplasmique envers les pseudopodes qu’il a émis. » Outre la différenciation que Freud établit alors entre les deux types de choix d’objet, choix d’objet par étayage et choix d’objet narcissique, il met en évidence le complexe de castration comme étant la plus importante perturbation du narcissisme originaire de l’enfant, cependant qu’il explicite la formation d’un idéal du moi, déplacement narcissique de la mégalomanie primaire de l’enfant pouvant avoir des prolongements dans la vie sociale, et du sentiment d’estime de soi, legs direct du narcissisme infantile.
Le narcissisme chez Lacan, Green, Grumberger
L’importance du narcissisme primaire est relevée d’abord par Freud puis par Lacan, dont le narcissisme est la partie principale de la théorie, celui-ci donnant la primauté à l’aspect symbolique et imaginaire du discours et à la prévalence du désir de la mère, tandis que les relations entretenues par cet aspect du concept avec la liaison sont équivalentes pour les deux auteurs. Mais alors que pour le premier la liaison englobe des opérations se situant à des niveaux différents du fonctionnement de l’appareil psychique et est chargée par leur cohésion de l’équilibre du moi, pour le second cette liaison s’établit en fonction du discours et de lui-seul[4]. En ce sens, pour cet auteur, le narcissisme primaire se différencie de celui développé par Freud par le fait qu’il réside dans la faculté d’intégration du désir de la mère par le discours de l’enfant. Ainsi, le narcissisme primaire freudien correspond chez Lacan à la naissance du moi (du je). L’enfant pour Freud est narcissique d’emblée, intériorisé, tandis que pour Lacan il le devient, étant au départ tourné vers l’extérieur, à partir de la phase du miroir. Enfin, en une dernière distinction, lorsque Freud explique le choix d’objet narcissique par une conversion du facteur agressif en sentiment d’amour, Lacan, lui, postule la coexistence d’emblée de l’amour et de l’agressivité. André Green propose, pour sa part, une définition dialectique du narcissisme primaire : c’est pour cet auteur à la fois l’organisation des pulsions partielles du moi en investissement unitaire de celui-ci et l’expression de la tendance à la réduction des investissements au niveau zéro : « Dans ces deux cas, le Moi trouve en lui-même sa propre satisfaction, se donne l’illusion d’auto-suffisance, se délivre des vicissitudes et de la dépendance à un objet éminemment variable dans ce qu’il donne ou refuse à son gré. » André Green a développé, dans son ouvrage consacré au narcissisme[5], des hypothèses sur la prégnance des phénomènes narcissiques pour l’ensemble des concepts de la théorie freudienne et a inauguré des développements narcissiques inédits. Ainsi, il réalise dans les articles qui composent son livre la conjonction entre la théorie du narcissisme et la dernière théorie des pulsions, en établissant la différence entre un narcissisme de vie, dont la vocation est l’accomplissement de l’unité du moi, et un narcissisme de mort, dont le but est au contraire l’abolition du moi. Il resitue également la notion de désir et sa possible réalisation par l’identification, repense la question de l’idéalisation, repose le problème de l’unification et de ses opérations constitutives, dans leurs correspondances avec le narcissisme, ce qui permet à cet auteur de reformuler le concept en fonction d’éléments qu’il introduit tels le double, l’un, le zéro. Il insiste, à la suite de Freud, sur l’importance du regard dans les problématiques narcissiques et explicite les rapports existant entre le narcissisme et la réalité, rétablit le rôle, abandonné par Freud après la dernière théorie des pulsions, joué par l’idéal du moi. L’auteur reprend également la composition du narcissisme primaire afin de la confronter aux instances générales de la psychanalyse telles que les pulsions et le refoulement. Il élabore ainsi une véritable théorie de l’angoisse dans sa relation avec le narcissisme et décompose le concept en narcissisme corporel, intellectuel et moral. Finalement, cet auteur met à jour le complexe de la mère morte, directement dérivé du phénomène narcissique, pour, en tout dernier lieu et en bonne logique, conclure sur la constitution du moi. Egalement dans la lignée de Freud, Béla Grunberger a donné au narcissisme une envergure considérable jusque là inédite, et développe le concept dans une série de directions recouvrant un ensemble quasiment exhaustif de faits cliniques qui mettent en évidence les questions narcissiques personnelles et relationnelles, normales et pathologiques. Cet auteur fait du narcissisme un concept qui régit la totalité du développement de la personnalité en fonction d’une visée de complétude narcissique, et un phénomène à la fois présent dès l’origine et se qui se réfère constamment à la personne, tant pour ce qui concerne le rétablissement toujours à effectuer de son narcissisme originaire que pour la valorisation, par la confirmation narcissique, de chacune des étapes de son évolution. Débordant les conceptions freudiennes dans la valeur de puissance du narcissisme primaire chez la personne, Grunberger considère que l’état d’élation prénatale demeure un pôle déterminant toutes les variantes du narcissisme. Il met en outre en valeur le phallus comme étant l’image primordiale de la complétude narcissique et de ses épisodes conséquents de satisfaction, de gratification, d’intégration ou au contraire d’absence, d’échec et de castration. Modestement dans la titulation des chapitres de son ouvrage princeps consacré exclusivement au narcissisme (essai, préliminaires, considérations, note, étude…), l’auteur élargit considérablement les perspectives proposées jusque là par l’étude des champs d’influence du concept. Partant, après une mise en relief du narcissisme dans la théorie freudienne des pulsions, des aspects narcissiques de la cure, lesquels lui permettent d’envisager les problématiques liées aux pulsions, aux complexes et aux instances selon ce concept, il dégage les relations entretenues par le narcissisme avec les stades oral, anal et phallique, pour les organiser autour de la seule image phallique. Les éléments ainsi obtenus sont ensuite utilisés pour une compréhension nouvelle de la dépression, de la mélancolie et de l’Œdipe. Le narcissisme secondaire, mis en évidence également par Freud, qui se caractérise par le repli sur le sujet lui-même de la libido investie auparavant dans les objets desquels elle s’est détachée, est considéré dans la théorie comme un mouvement de balancement, régressif lorsqu’il revient vers le moi du sujet, à l’occasion duquel la libido prend le moi pour objet. Cette seconde composante du narcissisme, censée restaurer le narcissisme primaire, s’oppose à celui-ci, dont le schéma est la vie fœtale, en ce qu’il est contemporain de la formation du Moi. Pour Lacan, la narcissisme secondaire est à considérer en fonction de la perspective de l’image spéculaire du sujet dans son ravissement par cette image, dès lors que celle-ci est coordonnée avec l’image du désir de la mère. Pour d’autres auteurs, le Moi se construit par projection identificatoire en l’image de soi que constitue le regard des autres, ce qui n’établit pas de contradiction avec les acceptions précédentes, spécialement en la mère et en sa parole dont la voix est l’écho du désir de celle-là : « Selon cette perspective le narcissisme secondaire consisterait en l’intériorisation d’une relation, particulièrement celle que l’enfant entretient avec sa mère. Cette relation, médiatisée par la parole paternelle gratuite, participe aussi du désir de la mère. Ce qui importe dans cette parole, c’est plus la voix entendue par l’enfant une fois sa satisfaction pulsionnelle apaisée, que ce qui est dit. Les mots qui viennent en plus de la satisfaction pulsionnelle participent d’expériences privilégiées qui, pour certains analystes, seraient les organisateurs les plus fondamentaux du narcissisme.[6] » Le narcissisme secondaire, qui s’accompagne d’un certain nombre de mécanismes de défense (refoulement, déni, dénégation, forclusion) contre les investissements d’objet, autorise un certain nombre d’opérations compatibles avec sa vocation premièrement régressive et introjective. Parmi celles-là figure au premier chef l’identification, identification narcissique à l’objet, qui permet d’en sauvegarder une partie lorsque par exemple l’objet disparaît, et des opérations telles que l’incorporation orale et les phénomènes de projection.
Le narcissisme pour Rosolato
Freud a développé la thématique conceptuelle narcissique à partir de phénomènes de différentes natures, telles les psychoses, certaines maladies physiques, en particulier les troubles psychogéniques de la vision[7], la période du sommeil, la vie amoureuse. Lacan, quant à lui, a fondé sa théorie sur la narcissisme avec les apports fondamentaux constitués par la découverte du stade du miroir. Green et Grunberger ont permis d’élargir le concept de narcissisme à un certain nombre de phénomènes non reliés logiquement jusque là. Un des auteurs ayant insufflé avec le plus de force une partie de l’avancée de cette recherche, Guy Rosolato, a analysé le concept de narcissisme avec la rigueur du scientifique, mais sans rejeter l’imagination du créateur. Il a mis en valeur non seulement les aspects classiquement relevés par les théoriciens de la psychanalyse, comme le retrait libidinal, le développement de questions ayant particulièrement trait à son versant secondaire ou la place de la pulsion de mort dans le narcissisme, mais également des composantes structurelles du concept non encore identifiées en tant que telles et qui étaient déjà présentes en gestation au cœur du mythe de Narcisse, en les considérant toujours selon les modes pathogène et bénéfique. Cet auteur a ainsi déterminé ce qu’il considère comme la composition même de la structure du narcissisme en examinant dans le détail la matière de ce qu’il a isolé dans sa démonstration comme étant les axes du concept : « Surtout il importera de bien préciser les cinq courants qui sont à la base de sa structure : le retrait libidinal, l’idéalisation, le dédoublement, la double entrave et l’oscillation métaphoro-métonymique, en sachant que chacun étaie les autres, enrichit leur compréhension dans la réciprocité de leurs articulations. » Comme Grunberger, l’auteur considère que le narcissisme conditionne l’intégralité de la vie psychique et ses étapes, à la fois dans leurs expressions vitale, mortifère et artistique, observables en chacun de ces cinq piliers du narcissisme : « Toute théorie du narcissisme en est nécessairement imprégnée à son apparition par reflet spéculaire de la réalité qu’elle représente, à tout le moins psychique[8]. »
Notes : [1]Il ne s’avère naturellement pas pertinent de considérer les conceptions des auteurs qui nient l’existence du narcissisme, qui l’ignorent ou qui le réduisent de façon drastique dans la théorie (Klein, Winnicott, Bion, Balint). [2] Et, peut-être, à ce que du moi et au moi de chacun il dit. [3] Ainsi que le montre Jean Bellemin-Noël dans son Psychanalyse et Littérature. [4] Sauf si, ainsi que le postule Pierre Dessuant dans son Le Narcissisme, Paris, P.U.F., Que sais-je ?, 1994 « […] l’on admet que le discours déborde la seule parole pour s’étendre aux mouvements impliquant aussi le corps dans ses expressions et ses mimiques. » [5] A. Green, Narcissisme de vie, narcissisme de mort. [6] P. Dessuant, Le Narcissisme. [7] Conforme à la toute première importance, dans la théorie du narcissisme, du regard et de la pulsion scopique. [8] G. Rosolato, « Le Narcissisme », in Narcisses, Paris, Gallimard, Nouvelle Revue de Psychanalyse, N° 13, Printemps 1976.
D’après une légende qui nous vient de la province grecque de la Béotie, Narcisse, né à Thespies, possède une ascendance dont les éléments vont être déterminants pour la prospérité du mythe. En effet, le père de Narcisse, Céphise, dieu-fleuve de Béotie, possède à la fois la féminité et la masculinité de l’eau, complexes symboliques antithétiques mais indissociables dans toutes les cosmogonies, qui engendrent dans la légende et tour à tour la vie et la mort. C’est dans l’eau que Narcisse s’aimera et dans l’eau qu’il succombera, cette eau qui, plus tard, étanchera et nourrira la fleur de Narcisse. Sa mère, par sa nature également à la fois masculine et féminine, la nymphe-rivière bleu azuré Liriopé, qui signifie « voix qui a la douceur du lis », outre la qualité sensuelle de cette voix suave dont elle se trouve dotée, est comparée à une fleur virginale. Elle est également d’une grande beauté et est, notons-le, douée de parole. C’est la mère de Narcisse qui, à sa naissance, demanda au devin Tirésias, également conseiller d’Œdipe, ce qu’il adviendrait de son fils. De manière énigmatique il lui fut répondu qu’il vivrait longtemps « s’il ne se connaît pas[1] ». D’emblée, les circonstances de sa naissance prédisposent Narcisse à un destin hors du commun. La grande beauté de Narcisse suscitait l’amour des jeunes garçons et filles qui l’approchaient. Cependant il restait insensible aux sentiments amoureux dont il était l’objet. Il ignorait les avances des uns et les charmes des autres. C’est à ce moment qu’intervient la nymphe qui fut punie, suite à la trop grande habileté de son discours, lequel avait pour but de distraire Héra, sa mère, afin que celle-ci ne puisse surprendre Zeus qui filait des amours adultères avec d’autres nymphes, et condamnée à ne plus prononcer que la dernière syllabe des propos qu’elle entendait, et qui conçut pour Narcisse une immense passion qui ne provoqua chez le jeune éphèbe qu’indifférence. Dès lors, elle ne pouvait que répéter inlassablement à quiconque lui parlait la dernière syllabe du dernier mot entendu. Narcisse, ne pouvant ainsi obtenir d’Echo autre chose qu’une sorte de reflet sonore de ses propres mots, ne trouvant en elle littéralement aucun répondant, l’ignora. L’indifférence de Narcisse la transforma en rocher ; c’est sa voix seule qui, désincarnée, subsista, jusque dans nos échos d’aujourd’hui. Les soeurs d’Echo se firent ensuite les représentants des éconduits, autant jeunes gens que jeunes filles, et prirent leur défense. L’une d’entre elles se plaignit à Némésis, déesse de la vengeance, de l’indifférence de Narcisse, laquelle décida alors de le punir. Une autre version de la légende, racontée par Pausanias, indique que Narcisse était en réalité amoureux de sa sœur jumelle et qu’à la mort de celle-ci, étant véritablement halluciné de chagrin, il crut voir le reflet dans l’eau de sa sœur qu’il contempla jusqu’à en mourir. Une autre version béotienne homosexualisée suggère encore que son dédain pour un amoureux provoqua le suicide de son amant Ameinias et qu’il fut lui-même contraint par les dieux au suicide et à la noyade. Pour en revenir à la légende béotienne, qui s’est imposée à travers les siècles, la déesse Némésis, dont le rôle (« celle qui distribue le partage ») fut toujours de châtier la démesure (que l’on appelait le péché d’hybris), décida de punir le jeune homme, dans sa seizième année, à aimer, mais comme Echo l’aima, sans qu’il pût jamais posséder l’objet de son amour : elle le poussa à se désaltérer à une « source argentée » du mont Hélicon. C’est alors que Narcisse, fasciné par l’image que lui renvoyait la surface de l’eau, ne put se détacher de sa propre vue qu’il aima sans retour jusqu’à la mort et prit racine sous le nom de la fleur blanche, le narcisse. Depuis lors, la fleur de narcisse, selon un cycle immuable, vit au bord de l’eau pendant la belle saison et se fane à l’automne[2]. Il n’y a pas de violence physique dans la légende et le sang n’est pas versé : c’est une histoire de passion impossible qui est dessinée ici. Les responsabilités du drame qui illustre ce mythe en sont infiniment diluées, jusqu’à notre siècle. A l’impossible de l’amour, autant physique qu’affectif, est proposé l’impossible châtiment. Il demeure toujours l’écho d’une femme et la fleur d’un homme, deux instances curieusement hermaphrodites et déshumanisées. Malgré le caractère irrémédiable que représente la dépossession corporelle des situations d’Echo et de Narcisse, il se dégage de la conclusion tragique de ces deux propos d’amour, et ce malgré la douleur créée par le non-retour des sentences qui sont infligées aux deux jeunes beautés, la douceur énigmatique de ce qui demeure de pourtant bien étranges punitions. Dès lors, l’espace dans lequel se tracent ces desseins inouïs laisse libre court à la transformation. Ce sera pour les maints artistes et intellectuels qui s’en inspirèrent un paysage, une statuaire, une plastique, une couleur, une création, un symptôme, un rêve, un fantasme. Il faut dire que cette histoire est lourde de conséquences : telle la naissance puis la mort de Narcisse, grâce mais aussi à cause de l’eau, être exceptionnel tant par sa beauté que par sa jeunesse, qui fascinent, semble-t-il, de toute éternité, telle sa métamorphose, avec ce que les métamorphoses impliquent du point de vue du concept de narcissisme comme du point de vue du concept de la castration. Cette histoire incite bien entendu à des interrogations sur la valeur narcissique des transformations de tous ordres.
La fleur
Il semble que la fleur, probablement à l’origine du mythe lui-même, malgré un premier mouvement de l’esprit qui incite, comme dans le mythe, à considérer le jeune homme comme préalable à la naissance de la fleur, soit d’emblée en relation avec une instance mortifère, d’abord du fait de la relation établie du narcisse avec les rites funéraires grecs, ensuite à cause de son pouvoir soporifique : « L’association de la fleur et de la mort dans ce mythe est corroborée par l’utilisation dans la tradition funéraire grecque de la fleur.» Elle témoigne également de sa parenté avec le mythe en raison de son affinité directe avec la mort : « Dans l’antiquité le nom de la fleur en grec véhicule sa propriété physique et son association symbolique avec la mort. » Outre le caractère rituellement funèbre de la fleur, les propriétés narcotiques du narcisse sont avérées. D’après Knoespel, il a été décelé une correspondance entre les mots grecs narcisse et narcotique : « Une relation étymologique entre les mots grecs narcisse et narcotique a été observée tôt par Pline.[3]» Plutarque fit d’ailleurs la même observation : « […] et le narcisse [“ fut ainsi nommé ”], parce qu’il engourdit les nerfs et provoque une pesante torpeur (narkodeis ¹), ce qui lui a valu de la part de Sophocle l’appellation “ couronne antique des grandes déesses ² ”, c’est-à-dire des déesses infernales. Notes : ¹ Etymologie donnée également par Pline, H. N. XXI, 128 et par Eustathe, Ad Il. 87, 25, peut-être exacte. ² O. C. 683 (où le complément est au duel). Parce que cette fleur enivrante avait permis l’enlèvement de Perséphone par Hadès, elle fut étroitement associée au culte de cette déesse et de sa mère Déméter[4]. » La beauté de Narcisse ne se peut rendre que par l’étrange et simple beauté qui émane de la fleur et de ses attributs médicinaux. C’est ainsi d’ailleurs que Narcisse est directement mis en relation avec Dionysos[5]. Cependant, au delà des caractéristiques létales du narcisse, la valeur prise par l’élément aquatique avec lequel la fleur est constamment associée sous différentes formes (miroir, source, fontaine, surface, puits…), est clairement une référence au liquide amniotique, ce qui permet à cette analyse de la légende de proposer en esquisse la notion de retour ou de retrait, de mouvement, et, finalement, de renaissance, elle-même étant conditionnée par les éléments d’un moi nouveau. En définitive, la légende de Narcisse et les avatars du narcissisme ont effectué, à l’instar du bel éphèbe, un voyage difficile à travers le temps des hommes, identique dans ses méandres au mouvement relatif à l’évolution de la personne. Quoi qu’il en soit, l’amour dénié de l’autre, qu’il soit Echo, Ameinias ou la sœur jumelle de Narcisse, est toujours l’amour impossible du semblable de l’autre sexe dans le sien même, ce qui au passage place le concept de narcissisme au cœur du système de l’Œdipe : de celle ici qui souffre de l’étrangeté inouïe de ne pouvoir aimer et de n’être plus ensuite qu’un reflet sonore, de l’autre (et même) jeune homme délaissé ou de la sœur jumelle identique faite femme.
La guerre du mot
C’est à partir de l’autoérotisme que Havelock Ellis invente le narcissisme, sans que le terme lui-même puisse lui être imputé, malgré l’avis qui prévaut partout : bien que lui-même ne l’admette que difficilement, étant en quelque sorte le père d’une esquisse du concept, c’est Paul Näcke qui le premier, mais seulement après la parution d’un article de Ellis sur l’autoérotisme[6] parlant d’une tendance qui s’apparente à celle de Narcisse, et ce malgré l’avis contraire de Freud (cf. plus loin : son ajout de 1920 dans les Trois essais) , emploiera le mot « narcissisme » dans une acception psychologique, à l’occasion d’une étude consacrée à la comparaison des sexualités normale et pathologique : « Il existe deux autres comportements sexuels particuliers qui sont inconnus : le rêve éveillé et le narcissisme. H. Ellis a écrit en détail sur le premier [appel de note se référant à l’article paru en 1898 sur l’autoérotisme]. Selon lui, la même chose a été étudiée dans la forme principale de “ l’histoire continuée ” (continued story) à travers l’étude de l’américaine Mabel Learoyd. » Puis, plus loin : « Dans tous les cas le narcissisme, l’amour de soi, est beaucoup plus rare que le rêve diurne. Il faut établir ici une marge avec la vanité pure et simple, et c’est seulement lorsque la contemplation de soi ou de parties de soi est accompagnée de signes clairs de l’orgasme qu’on peut parler à juste titre de narcissisme. Cela serait alors le cas classique d’“ auto-érotisme ” dans le sens de H. Ellis. Selon lui, le narcissisme se trouve surtout chez les femmes, peut-être à cause de la symbolique du miroir[7]. » Où l’on constate que Näcke, qui donc avait eu connaissance de l’article d’Ellis, ne souhaite pas citer son confrère comme ayant déjà parlé d’une tendance s’apparentant à la légende de Narcisse. La question de la paternité du terme était à ce point importante à l’époque de l’invention de quelques uns des concepts principaux de la psychanalyse que Ellis, dans l’étude qu’il consacrera plus tard au narcissisme[8], compose trois pleines pages sur le mot lui-même, par lesquelles il explique non seulement les conditions de lecture et de réécriture dont son article avait été l’objet, mais également, de manière critique et afin de jeter le discrédit sur son confrère, les circonstances familiales, matérielles et psychologiques qui amenèrent Näcke à utiliser son propre travail : « C’est alors qu’apparaît Näcke. J’avais eu des relations […] qui fit d’excellents travaux […] bien que rarement originaux […] les idées émises par d’autres travailleurs […][9] » Puis, plus loin : « Donc mon premier article lui parvint […] » Enfin, il conclut : « Il semble donc que je sois responsable de la première description généralisée de cette attitude psychique et de l’invention du Narcissisme ; » Avec, cependant, cette ultime concession : « […] l’ “ isme ” fut adjoint par Näcke […] » Sigmund Freud, quant à lui, utilisera le terme pour la première fois à l’occasion d’un ajout de 1910 dans le chapitre consacré aux aberrations sexuelles des Trois essais de 1905: « -Ajouté en 1910 : […] ils [“ les futurs invertis ”] s’identifient à la femme et se prennent eux-mêmes comme objets sexuels, autrement dit que, partant du narcissisme, ils recherchent de jeunes hommes semblables à leur propre personne […] » Il faut considérer comme une autre marque significative de la (décidément) difficile paternité du terme un ajout que Freud fait en 1920 et qui se rapporte au paragraphe concernant la vocation de la psychanalyse elle-même : « Le but d’une théorie libidinale des troubles névrotiques et psychotiques devrait être d’exprimer tous les phénomènes observés et les processus inférés en termes d’économie libidinale. Il est facile à deviner que les destins de la libido du moi se verront attribuer à cette occasion une importance majeure, surtout lorsqu’il s’agira d’expliquer les troubles psychotiques plus profonds. La difficulté de cette tâche réside dans le fait que l’instrument de notre investigation, la psychanalyse, ne nous fournit des informations sûres que sur les transformations intéressant la libido d’objet, mais est incapable de différencier sans problèmes la libido des autres énergies qui agissent dans le moi […] » Et l’ajout, qui nous donne une indication précieuse sur les éléments théoriques auxquels la notion se rapporte ainsi que sur la décidément difficile appropriation du terme, s’énonce ainsi : « [Ajouté en 1915 : ] Voir “ pour introduire le narcissisme ” (1914) c). [Ajouté en 1920 : ] Le terme de “ narcissisme ” n’a pas été créé, comme je l’ai indiqué par erreur dans ce texte par Näcke, mais par H. Ellis[10]. » De toute manière, H. Ellis, même s’il n’a pas créé le terme, et ce malgré la correction erronée apportée par Freud, est le premier à avoir parlé de cette tendance comparable au thème de la légende de Narcisse et à avoir inauguré le concept à partir de la notion d’autoérotisme : « J’entends par auto-érotisme les phénomènes d’émotion sexuelle spontanée produits dans l’absence de tout stimulus externe soit direct, soit indirect. Au sens large, dont nous ne pouvons faire complètement abstraction ici, l’auto-érotisme comprend celles d’entre les transformations d’activité sexuelle réprimée qui sont parmi les facteurs de certaines conditions morbides aussi bien que des manifestations normales de l’art et de la poésie, et qui même colorent plus ou moins la vie tout entière. » Dans cette édition des Etudes de psychologie sexuelle, Ellis lie cette esquisse de définition du narcissisme, dans la deuxième partie du paragraphe, à l’autoérotisme « au sens large », pour apporter un nouvel élément en faveur de sa propre paternité du concept. Ce passage s’agrémente d’une note de l’éditeur qui émet un jugement défavorable sur les assertions de l’auteur, pour mieux ensuite répondre à l’interrogation sur la création du terme, et pour tenter de réhabiliter une paternité compromise, comme il sera aisé de le constater, en éludant cette question même : « Depuis les recherches d’Ellis, le problème de l’auto-érotisme a été envisagé d’une manière plus précise : cette définition a été restreinte aux dépens de la notion et du terme de narcissisme, qu’Ellis n’a évoqué et analysé qu’ultérieurement (tome 7 de notre édit.) et en prenant partie contre cette notion freudienne pourtant essentielle et fondamentale. Tous les psychanalystes et sexologues s’accordent aujourd’hui pour définir l’auto-érotisme par le caractère infantile, sous-développé de la sexualité dans ses phases premières. Il en résulte que, s’il existe de l’auto-érotisme dans une foule d’états morbides de la sexualité (perversions, masturbation, etc.), on ne parle plus à l’heure actuelle d’auto-érotisme dans l’Art et la Poésie, mais de narcissisme du religieux et de l’artiste. » Il est alors procédé à une différenciation, à l’origine de l’apparition du terme, entre autoérotisme et narcissisme, ce dernier représentant en quelque sorte le versant noble d’une même origine sémantique. H. Ellis revient pourtant sur le terme de narcissisme, qu’il emploie directement sans préciser qu’il n’en est pas le créateur en modifiant radicalement les mots de son article de 1898, ceci dès la première traduction française ainsi que dans toutes celles, françaises et américaines, qui suivront, pour insister sur sa paternité de la notion et du terme, paternité qu’il entend assumer seul, pleinement et, ajoutons-le, malhonnêtement : « La forme extrême de l’auto-érotisme est la tendance, que possède quelquefois l’émotion sexuelle surtout chez les femmes, de s’absorber plus ou moins complètement dans l’admiration de soi-même. Cette tendance, que j’appelle narcissisme et dont la forme normale est chez la femme symbolisée par le miroir, est plus rare chez l’homme. » Puis, plus loin : « Dans la forme extrême à laquelle on peut donner le nom de narcissisme, on constate de l’indifférence pour le plaisir sexuel[11]. » Malheureusement pour cet auteur, la (géniale) invention du terme psychologique lui-même est définitivement de Paul Näcke, ainsi que le montre l’article original des Studies in the Psychology of sex, dans lequel, le sujet étant abordé pour la première fois, Ellis ne parlait pas encore de narcissisme : « Cette tendance, qui ressemble à celle de Narcisse, dont le germe normal chez les femmes est symbolisé par le miroir […] ». De là provient sans doute son insistance ultérieure à expliciter le terme ainsi que les circonstances de sa genèse. D’autant que compte tenu de la façon, pour le moins anecdotique, dont est traité le sujet, Ellis lui-même ne s’attendait certes pas à la fortune de sa comparaison : « Pour compléter ce résumé des principaux phénomènes de l’auto-érotisme, je signalerai brièvement la tendance, qu’on rencontre parfois, plus spécialement peut-être chez les femmes, pour les émotions sexuelles d’être absorbées, et souvent entièrement perdues, dans l’admiration de soi-même. Cette tendance, qui ressemble à celle de Narcisse, dont le germe normal chez les femmes est symbolisé par le miroir, se rencontre à un moindre degré chez quelques hommes ayant un penchant féminin, mais se trouve très rarement chez les hommes et sans qu’elle fasse disparaître, toutefois, l’hétérosexualité, à laquelle elle est, bien entendu, normalement subordonnée. Mais elle apparaît parfois comme un caractère exclusif chez les femmes[12]. »
La difficile paternité
Toujours est-il que, dans l’édition de 1964, l’auteur et l’éditeur sont d’accord pour considérer que : « Le narcissisme est un auto-érotisme élargi et qui prend corps dans la personnalité entière. Il est toute sexualité qui n’a pas un autre comme objet et spécialement un autre de l’autre sexe (allo-érotisme). C’est toute forme de l’auto-sexualité, au sens large, de la “ libido narcissique ”, très longuement étudiée par Freud, qui s’oppose à la “ libido d’objet ”. » L’appui de données freudiennes pour conforter le propos n’empêche pas la maladroite tentative de réhabilitation de la paternité de H. Ellis sur le concept, lequel auteur, aidé en cela par son éditeur, voudrait faire montre de l’existence de la spoliation d’un objet pourtant esquissé tout d’abord et de façon notable par Näcke, même de manière partielle. Pour eux, il s’agit tout de même d’insister là-dessus en invoquant au besoin le témoignage de confrères : « Le Dr C. Hughes m’écrit qu’il connaît des cas d’hommes absorbés dans l’admiration de leur corps, et surtout de leurs organes sexuels, et de femmes dans celles de leurs proportions physiques et de leurs seins : “ C’est là, ajoute-t-il, un chapitre particulier de la psychologie, mais non de psychologie morbide. Ce sentiment s’apparente de très près au sentiment esthétique, et à l’admiration du nu dans l’art[13]. ” » Où il est loisible de constater, dès l’abord de la notion de narcissisme et à ses origines même, que l’auteur et son éditeur dissertent beaucoup dans le but de faire reconnaître Ellis comme étant le seul père du terme. Et c’est presque secondairement, qu’ils en viennent à dégager la notion d’un contenu purement sexuel, d’une part, et lui (re)donner ses lettres de noblesse, d’autre part. Ainsi, malgré le caractère sommaire d’environnements phrastiques se rapportant au narcissisme, il apparaît que l’auteur souhaite instaurer une distance entre l’essence du concept et des catégories proprement sexuelles, et faire échapper pour partie la notion, en ses débuts officiels, à une conception simple et classique de la sexualité, puisqu’elle est dite se rapporter à de «l’auto-érotisme élargi», de « l’art » et de « l’artiste », du « sentiment esthétique », voire du « religieux ». C’est aussi une remarque ponctuelle similaire à laquelle Alfred Binet, à la fin du XIXème siècle, fait allusion, à l’occasion de son étude sur le fétichisme dans une note se rapportant au fétichisme du tablier blanc : « Dans ce dernier cas, le fétichisme a atteint son développement complet; il paraît même impossible d’aller au-delà : l’adoration s’adresse uniquement à un objet matériel. A aucun moment, la femme n’est intervenue ¹. ¹· Chez ce malade, l’association de sentiments est engendrée par un plaisir personnel, égoïste. Il y a sans doute des sujets chez lesquels le fétichisme a pour objet leur propre personne. La fable du beau Narcisse est une image poétique de ces tristes perversions. Partout d’ailleurs dans ce sujet, nous trouvons la poésie recouvrant et déguisant le fait pathologique[14]. »
Enfin, il est nécessaire de signaler que décidément le terme de narcissisme se joue[15] de tous les auteurs qui s’y intéressent, probablement à cause de son oscillation, suivant les époques, d’un domaine (mythologie, poétique, littérature, psychologie) à l’autre (psychanalyse). En effet, le rédacteur de l’article narcissisme, dans le tout récent Dictionnaire de la psychanalyse[16], en écrivant que le terme a été « […] employé pour la première fois en 1887 par le psychologue français Alfred Binet (1857-1911) pour décrire une forme de fétichisme consistant à prendre sa personne comme objet sexuel. », comment également une erreur d’attribution du mot (le rédacteur confond le terme narcissisme avec la comparaison établie par Binet entre la fable de Narcisse et le concept) qui, il est utile de le réaffirmer, a été créé dans son acception psychologique par Paul Näcke[17].
Notes : [1] Ovide, Les Métamorphoses, Paris, Les Belles Lettres, 1988. Se connaître a ici le sens de se voir. [2]D’après : Joël Schmidt, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, Larousse, 1965 ; Michael Grant, John Hazel, Le Who’s who de la mythologie, Paris, Seghers, 1975 ; Pierre Brunel, Dictionnaire des mythes littéraires, Paris, Editions du Rocher, 1988 ; Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, P.U.F., 1994. [3] Kenneth, J. Knoespel, Narcissus and the invention of personal history, New-York, Garland, 1985. En effet, narkè signifie engourdissement. [4] Plutarque (Historien, moraliste), Œuvres morales, « Propos de table », trad. F. Fuhrmann, Paris, Les Belles Lettres, 1972. [5] Cf. Sophocle : Œdipe à Colone, Traduction de Bernard Chartreux, Paris, Ecritures théâtrales, 1989 et Nonnos : Dionysiaca. Cités par K. Knoespel. Cf. également les parallèles et les analogies établis entre Narcisse et Dionysos Zagreus dans le chapitre II de l’ouvrage de Graziella et Nicos Nicolaïdis, Mythologie grecque et psychanalyse, Neuchâtel, Paris, Delachaux et Niestlé, 1994, et dans le chapitre « Un, deux, trois : Eros » de l’ouvrage de l’helléniste Jean-Pierre Vernant, L’individu, la mort, l’amour, Paris, Gallimard, 1989. [6] H. Ellis : « Auto-Erotism, a Psychological Study », in The Alienist and Neurologist, Saint-Louis (Etats-Unis), Garland, avril 1898. [7] P, Näcke, « Kritisches zum Kapitel der normalen und pathologischen Sexualität », Berlin, Archiv für Psychiatrie und nervenkrankleiten, Verlag Von August Hirschwald, 1899. [8] H. Ellis, « The conception of Narcissism », in Studies in the Psychology of Sex, New-York, (Etats Unis), 1927. [9] H. Ellis, « Le Narcissisme » in « Le Mécanisme des déviations sexuelles », Etudes de Psychologie sexuelle, Paris, Mercure de France, 1932. [10] S. Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle. [11] H. Ellis : Etudes de psychologie sexuelle, tome I : La pudeur. La Périodicité sexuelle. L’Auto-érotisme., Paris, Mercure de France, 1908. [12] H. Ellis, « Auto-Erotism, a Psychological Study », in The Alienist and Neurologist, Saint-Louis (Etats-Unis), Garland, t. XIX, avril 1898. [13] H. Ellis, Etudes de psychologie sexuelle, 1964. [14] A. Binet, « Le fétichisme dans l’amour », in Revue philosophique de la France et de l’Etranger, t. 24, Paris, 1887, p. 264. [15] Il y a sous le caractère amusé de cette remarque une vraie question concernant le pouvoir de séduction (maternelle ?) et la puissance d’attraction (paternelle ?) des mots qui caractérisent certains concepts, certaines professions, certaines disciplines (à laquelle la psychanalyse n’échappe pas d’ailleurs). [16] E. Roudinesco et M. Plon, Dictionnaire de la psychanalyse, Paris, Fayard, 1997. [17] L’auteur du Que sais-je ? sur Le Narcissisme, Paris, P.U.F., commet également, comme tout le monde, une erreur d’attribution et confère l’invention du terme à Ellis.
« La corrida, ni un art, ni une culture ; mais la torture d’une victime désignée. » Émile Zola
« Torturer un taureau pour le plaisir, l’amusement, c’est plus que torturer un animal, c’est torturer une conscience. Tant qu’il y aura des êtres qui paieront pour voir une corrida, il y aura des guerres. » Victor Hugo
« L’œil animal n’est pas un œil. L’œil esclave non plus n’est pas un œil, et le tyran n’aime pas le voir » Alain
Historiquement, même si la corrida pouvait s’apparenter aux jeux du cirque de l’ancienne Rome, au moment où ces spectacles de tuerie, de combat entre hommes et animaux, sonnaient l’heure de la plongée de la civilisation romaine dans la décadence, la corrida est née dans les abattoirs (Séville – XVIe siècle). Voici ce qu’il en est de la tradition, voilà ce qu’il en est de la culture. C’est dans les abattoirs que les bouchers et leurs commis, avant de tuer les taureaux, s’amusaient, et amusaient leurs femmes, puis, moyennant finance, les bourgeoises et les bourgeois à les faire courir, à les piquer, à les poignarder, à les couper, à les saigner vivants, à les tailler en pièces pour distribuer queue, testicules, oreilles aux spectatrices et aux spectateurs fétichistes. Il est plus que nécessaire de considérer la terreur infligée aux animaux qui satisfait les perversions voyeuristes, fétichistes et sadiques des spectateurs avides de sang, compte tenu de la pulsion d’emprise qui veut considérer l’autre (le faible, l’entravé, l’enfant, la femme, l’animal sans voix : la victime potentielle) comme un objet, en une conjugaison archaïque qui mêle pulsion de destruction et pulsion pornophile. Une condition acceptable de cet abus de pouvoir aurait été que cela restât dans la fiction d’une littérature ou d’une peinture ou d’une sculpture en une espèce d' »esthétique » du mal. Pourquoi pas ? Cependant, il est nécessaire également de prendre en compte pour l’analyse, outre la composante perverse de l’exercice, la dimension psychopathique intrinsèque au rejet d’autrui. Et c’est bien ce qui apparaît dans un tel spectacle : l’abject. La violence tortionnaire proposée en spectacle exhibe une expression sadique brutale, masquée, ambivalente, issue de la pulsion de destruction, et, plus précisément, issue des pulsions de mort sous leur forme perverse et psychopathique. L’Autre, l’animal, y est pris en otage sous le statut de chose, d’objet réduit à l’impuissance par des corps d’impuissants, les tortionnaires et les voyeurs. Il est possible de parler d’une certaine complexité, car l’expression sado-tauro-machique se construit sur un anthropocentrisme borné selon lequel c’est le point de vue de l’observateur (de l’archaïque voyeur) qui est privilégié, et ce nonobstant la torture de l’animal réduit à de la chair souffrante. Certains jadis ont pu se délecter de la contemplation du Crucifié que d’autres persécutaient. Un cortège d’arguments prétendument artistiques, sur ce qui reste une esthétique de foire, est appelé en renfort. Mais bien évidemment ne peut être qualifié d’Art que ce qui produit une Œuvre. Or, ici, point d’œuvre. Justification complexe de la pulsion scopique sous son aspect voyeuriste, donc. Pour autant, cette esthétique foraine populacière doit-elle prendre le pas sur la douleur et la morale et piétiner la valeur compassionnelle de l’humanité ? Masque, car l’énergie du taureau peut facilement le faire passer pour un animal agressif par nature, alors que tout est fait, dans son dressage (inculcation violente, incarcération, déportation, contention, brutalité, torture clandestine) pour réduire l’animal à une Chose répondant à l’exigence d’un commerce fondé sur l’abaissement d’une créature unique de vigoureuse beauté au rang de chair à la merci de ce que le peuple a de plus bas, d’un mammifère dont la noblesse, plus que l’homme, en impose. La force déployée par le taureau pour que cesse sa peur et sa souffrance est justifiée ab absurdo par les organisateurs dans son combat contre le torero, c’est-à-dire en inversant le véritable bourreau qu’est l’homme, alors que les coups se portent sur le taureau, ivre de terreur et mu par l’autoconservation, frappé de tous côtés par les picadors qui le détruisent nerveusement à petit feu, coup après coup. Ambivalence, car la violence impressionnante des scènes qui se succèdent devant la foule avide relève de la double contiguïté de la douleur de la bête et de l’acharnement de l’humain placée au rang d’une énergie vitale orientée à la fois vers une « esthétique » sommaire et bouchère (l’étal, l’énergie mortifère, la gestuelle répétitive, les couleurs criardes) et, en fin de compte, vers une mort abjecte (le sang, les tripes, les excréments, les vomissures des spectateurs, l’odeur) au point de faire oublier au spectateur que la soi-disant esthétique dont il est parfois question pour justifier la tenue des toréadors, des picadors, des opérateurs, tortionnaires excusés parce qu’ils donnent à un public demandeur, les autres, ce public, excusés eux aussi par ce qu’ils ne commettent pas directement, en une ritualité qui ne devrait jamais s’appliquer au crime sur un condamné. Enfin, la question que pose l’exhibition du spectacle mortifère n’est pas due seulement au développement répétitif d’une danse ridicule (« olé ! ») menée par une lâcheté satisfaite, s’il n’était question d’épuiser – nerveusement et physiquement – de saigner et de tuer un animal qui ne veut que faire cesser son calvaire et qui lutte pour conserver sa vie et sa raison, exhibition trop faussement valorisée par les costumes clinquants d’une mise en scène grossière, camouflage du côté obscur et honteux de la référence à la peur de la mort soulignée par la tuerie facile. C’est aussi dans cette manifestation d’un autre âge, l’âge de cette pulsion parmi les premières, de la bête qu’on craint et que des bêtes humaines torturent et regardent pour repousser l’angoisse d’être par elle blessées, dans la nuit d’une jouissance primaire des temps des hommes d’avant l’histoire, que l’on sacrifie aux peurs les plus immédiates, peurs d’être blessé par les crises, l’inculture, la décadence, dans cette manifestation proposée en un spectacle atroce mais admis, toléré, légal. C’est spécialement là que le bât blesse. L’exemple qui tente de faire admettre l’abjection, l’une des plus démentes qui soit : torturer l’autre pour le blesser, le forcer à lutter, contre l’assaillant et contre la folie, celle de l’animal et celle des hommes, conséquente d’une curée incompréhensible. Il existe dans ce spectacle de torture une contradiction dans les faits. Ce qui est encore légalement accepté représente d’une part le règne du plus fort et, paradoxalement, de l’irresponsable – quel exemple dans une démocratie que ce totalitarisme toléré du spectacle de la peine de mort après torture, et pour quelle faute ? -, ainsi que le règne de ceux qui, contre l’animal seul luttant contre tous, ont la force harcelante et lâche du plus grand nombre, des chevaux, des épées, des pointes, des mauvais coups, et ne laissent aucune chance à la bête nue jetée dans l’arène. Cependant, d’autre part, la poursuite de ce rituel qu’on caractérisera un jour comme l’un des plus ignobles derniers crimes autorisés de ce siècle, implique philosophiquement que l’absence d’empathie, l’impossibilité de se mettre à la place de l’autre souffrant, est une amoralité à l’origine des pathologies narcissiques qui ouvre la possibilité de tous les crimes. « Tant qu’il y aura des êtres qui paieront pour voir une corrida, il y aura des guerres. » Or, on l’a vu, la conjonction d’un autre âge de la pulsion sadique avec le légal n’est rien moins, d’une part, qu’une condition sine qua non du versant mortifère de la régression narcissique et rien moins, d’autre part, qu’un exercice agréé de la perversité et de la psychopathie, ce qui, encore une fois, ne devrait être possible que dans l’expression littéraire, sculpturale, plastique, artistique Malheureusement le crime est montré, infligeant ainsi au spectateur convulsé, tortionnaire par procuration, la confusion grotesque du bien de la lumière et du mal de la souffrance.
I) La peinture regardée, questionnée par la psychanalyse.
– Théorie freudienne de la sublimation.
L’art est devenu un objet de la psychanalyse, un symptôme, l’outil possible d’un diagnostic et d’une thérapie.
Pour mémoire, Freud a écrit « Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci » en 1910, puis « Le Moïse de Michel-Ange » en 1914 et ses textes font souvent référence aux arts.
Dans l’approche freudienne de la psychanalyse, l’art est directement lié à la question de la sublimation. L’art est l’exercice de la sexualité, mais déviée de ses objectifs de reproduction. Une sexualité qui emploie le langage pour faire présent ce qui se montre au-delà de la création : le fantasme.
C’est par l’articulation du fantasme que l’artiste, ainsi que le sujet qui le hante, peut s’appuyer sur son désir.
L’art a pour but de représenter un réel non représentable d’un objet qui échappe, qui manque. A la place du vide, de la béance laissée par ce manque dans l’œuvre, vient paraître l’objet imaginaire du fantasme. Entre ce qui se présente et ce qui reste à représenter, l’artiste (mais aussi les regardants, l’Autre) signale ce qui fait jouir de l’œuvre.
Sublimer c’est cela, c’est offrir une représentation esthétique. La “relation” sexuelle espérée dans l’exercice phallique, l’artiste la transmute en passion du signifiant.
L’artiste c’est quelqu’un qui peut témoigner d’une autre manière de jouir. Autrement dit, l’artiste commémore, dans sa production artistique, la coupure effectuée sur le corps par l’intervention du langage. L’artiste produit une écriture qui met en évidence le chemin d’une autre érotique que celle de l’approche des corps.
L’artiste écrit, peint, dessine le fantasme, l’artiste prend comme son symptôme ce qui agence le manque dans son oeuvre.
De plus, un autre sujet est créé, un objet substitut qu’est le regard sur l’œuvre (l‘objet-regard). Par le trait qui distingue son style, l’artiste nous permet de lire cet effet de langage qui se projette sur un espace. Il s’agit là de la manière de faire qui est propre à chaque artiste, celle qui perdurera après lui. C’est la fameuse oeuvre qui recouvre son créateur.
Cela permet de faire du tableau un symptôme pour quelqu’un. Autrement dit, cela permet que le tableau capture par le regard celui qui le regarde et qui lui signifie quelque chose qui lui était jusqu’alors invisible.
Pour Freud, par la “monstration” du beau, on évite le mal radical qu’est le champ de destruction, le champ du désir. L’esthétique fonctionne ainsi comme une barrière face au champ innommable du désir.
En somme, selon Freud, l’art permet aux pulsions les plus intenses (les plus profondes, les moins « acceptables ») de se réaliser en un « objet » placé plus haut sur l’échelle des valeurs sociales. Au fond, il y a un défi que seule l’œuvre peut relever : ce qui est irréalisable dans sa vie, l’artiste l’accomplit dans ce « monde parallèle » qu’est l’art.
– Peinture et psychanalyse ont un même sujet : l’image.
La psychanalyse a dû, dès son départ, tenir compte des effets de l’image sur les sujets. Ces effets ont interrogé Freud. Ils relèvent souvent de l’énigme et engendrent la perplexité.
L’art – et la peinture tout spécialement – s’en empare dans ses créations pour atteindre le spectateur dans son intimité ; la psychanalyse, quant à elle, cherche à les éclairer. Dans les deux cas, l’une allant vers l’autre, et réciproquement, elles se croisent au sein de que l’on peut appeler une ouverture à l’Autre.
La psychanalyse y est notamment conduite lorsqu’il apparaît que l’image est une source de souffrance : le névrosé ordinaire ou le psychotique peuvent souffrir, dans des circonstances précises, de l’image qui le fascine ou le persécute.
Dans « La Science des rêves », Freud élabore la théorie et la clinique d’un sujet humain clivé (que Lacan appellera divisé) : dans son sommeil, le dormeur est soumis à une véritable passion des images – passion voulant dire ici « joie » mais aussi « souffrance », voire « torture » et « persécution » – dont son inconscient et son préconscient sont pourtant bien les organisateurs.
La rédaction de ce livre inaugural de Freud, véritable acte de naissance de la psychanalyse, qu’il aura voulu faire paraître en 1900, n’est-elle pas contemporaine, au tournant du siècle, de l’invention du cinéma par les frères Lumière ? Contemporaine aussi d’une révolution dans la peinture, l’expressionnisme (qui privilégie la subjectivité et l’intensité de l’expression, la libération pulsionnelle des émotions, l’exacerbation de la couleur, l’écriture libre, le rejet des tabous, le refus du réalisme objectif, l’expression de l’élan vital en tant qu’énergie,…), dont Edvard Munch, le peintre de l’angoisse et de la mort est un précurseur, ne s’impose-t-elle pas jusqu’à l’art abstrait (l’abstraction géométrique ou conceptuelle ; l’abstraction lyrique ou gestuelle), la peinture non figurative, ou encore le cubisme d’un Picasso, d’un Braque, etc. ?
L’interprétation du rêve (mais aussi du tableau) est censée permettre de remonter dans les méandres et les rouages de sa production. Le travail du psychanalyste vise à soumettre l’image à l’écriture retrouvée des pensées du rêve que cette image représente. C’est l’écriture qui intéresse le psychanalyste, afin de lire ces « pensées » avec son analysant et ainsi lui permettre de se les réapproprier.
– Lacan
Mais l’image n’est pas une représentation immuable. Re-présenter, c’est présenter à nouveau, tel le sujet dont Lacan dit qu’il est représenté par un autre signifiant.
Lacan construira un autre modèle, un autre paradigme pour la psychanalyse que Inconscient – Préconscient – Conscient (1ère Topique freudienne) ou Moi – Ça – Surmoi (2ème Topique). Il introduit dans la psychanalyse un paradigme ternaire : RSI – Réel, Symbolique et Imaginaire.
– Le Symbolique c’est le champ de la parole et du langage.
– Le Réel c’est l’impossible, impossible à imaginer, impossible à symboliser, à attraper avec le signifiant, le langage.
– Enfin, l’Imaginaire, c’est le domaine de l’image et de sa puissance aujourd’hui dominante, c’est-à-dire du moi et de son renforcement, du narcissisme, de la présentation de soi et de la représentation aussi, quand on dit que l’on est « en représentation ».
Le signifiant, c’est la matière sonore d’un mot : si je vous dis « lai » qu’allez-vous entendre ? Quelle image acoustique allez-vous retenir ? S’agit-il, pour vous, de « laid » de la laideur ? De «lai» comme on dit frère de lai ? De lait, le lait de vache ou de chèvre ? Vous entendrez ce que vous voudrez, selon vos préoccupations personnelles plus ou moins inconscientes.
Ainsi, le sujet court d’un signifiant à l’autre. Les mots et la parole sont alors utilisés pour dé-fixer l’image. Alors que l’image est plutôt du côté de la fixité, de la permanence.
II) L’art fait de la psychanalyse un symptôme :
(ce qui est symptomatique, c’est la psychanalyse).
La peinture questionne la psychanalyse.
On vient de le voir, la psychanalyse (discipline de la parole, du sujet et du désir) n’est cependant pas sans questionner, à travers la peinture (et son peintre), le regard.
En retour la psychanalyse se laisse interroger à partir du regard, au moyen de l’image, du tableau qui, en somme, lui aussi… la regarde.
Les peintres parlent à la psychanalyse et lui répondent.
– Les surréalistes s’en inspirent et la transforment.
Ce mouvement littéraire, dont on peut dater les activités entre 1924 et 1939, représente un développement majeur dans la création et l’esthétique contemporaines. Le mouvement surréaliste n’a peut-être pas changé la face du monde et de la société, comme ses membres le voulaient, mais il a marqué le monde de l’art de manière définitive et radicale, en créant un espace pour une création artistique libérée de toute contrainte.
Le surréalisme est avant tout une réaction contre la société et ses contraintes qui conditionnent l’existence. La guerre de 1914-18 est vue comme une faillite de la civilisation occidentale.
En 1924, André Breton définit dans un Manifeste du surréalisme la nature du surréalisme. Ouverte à l’expérience du rêve, de l’inconscient et du désir, la création poétique doit répondre aux pulsions fondamentales par l’intermédiaire de « l’écriture automatique », nommée aussi « pensée parlée » ou « écriture de pensée ». Sans souci de logique ni de censure (grammaticale, morale, esthétique), les phrases « qui cognent à la vitre » s’expriment librement. Le poète se place dans un abandon volontaire et une totale passivité, il n’est plus « qu’un modeste appareil enregistreur du phénomène ».
Breton définit ainsi le surréalisme : « Automatisme psychique par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique et morale« .
Le Manifeste du surréalisme (1924) qu’André Breton écrit pendant qu’il est « occupé de Freud », projette d’abord l’application du « monologue mécanique » ou « automatique » à la poésie, ensuite l’élargit au domaine des Beaux-Arts, comme le montre la première exposition surréaliste de 1925 accompagnée du traité de Breton Le surréalisme et la peinture (1928 ; augmenté en 1965). Les cinéastes ont poursuivi ce mouvement.
L’application des techniques du « monologue automatique » a pour but de provoquer le Surréel, nouvelle catégorie qui rende tangible l’inconscient du poète, peintre, cinéaste. La création du « Surréel », intensification d’une expérience onirique de la réalité, qui met en relation féconde avec l’Inconscient, serait ainsi comparable à l’Immaculée Conception.
Les surréalistes expérimentent de manière collective ces relations inspirées par la psychanalyse de Freud, sans négliger de les théoriser.
Les surréalistes pour Freud ? Ces derniers, cherchant à tous crins à convoquer l’inconscient et piochant sans scrupule dans le champ lexical de la psychanalyse, le laissent perplexe : « J’ai été tenté de tenir les surréalistes, qui apparemment m’ont choisi comme leur saint patron, pour des fous intégraux (disons à 95 %, comme l’alcool absolu). »
– Duchamp provoque Freud : les mots dans l’art.
Pour Freud, parler de l’œuvre, c’est surtout produire du verbe autour des couches successives de mots qui la drapent. En somme, c’est le mot qui chez Freud résout la relation à l’œuvre d’art. Freud regarde les œuvres avec des mots. Il les analyse comme des rêves à décrypter.
N’ayant que peu d’attention pour la dimension plastique de l’art, Freud s’intéresse avant tout au sujet, ce qui intéresse Freud dans l’art, ce n’est pas l’œuvre. C’est l’identité de l’artiste (sa vie, ses écrits, son passé, jusqu’aux récits de ses rêves) qui fait que son œuvre est œuvre. Plus encore, c’est sa capacité de sublimation.
– Ce serait donc l’artiste qui ferait l’œuvre… ce qui n’est pas sans poser problème, aux alentours de 1917. Prenons un urinoir : ce n’est qu’un urinoir. Il deviendra un Duchamp grâce à Marcel. L’objet se transforme en œuvre par l’artiste présent au monde.
Soigneusement notée par Marcel Duchamp sous une reproduction d’une drôle de Joconde, l’inscription L.H.O.O.Q. qui nous renvoie au mot d’esprit est également la preuve des premières répercussions des recherches de Freud sur l’art.
L’oeuvre parvient toutefois à toucher l’œil, à condition de savoir lire sous LHOOQ cette impérative injonction : LOOK !
Ce sont les mots qui permettent à Freud de regarder les œuvres, mais c’est aussi le « regardeur qui fait l’œuvre » selon les mots de Duchamp. Ainsi il y aurait une dimension projective dans les considérations de Freud en tant que « regardeur ». Duchamp s’en amuse.
– Magritte s’en méfie.
Psychanalyse et peinture ont ainsi bien des liens, et la seconde a de multiples raisons de se méfier de la première qui lit (du verbe lire) en elle, c’est-à-dire interprète, mais lie aussi (du verbe lier) à travers elle deux ouvertures à l’Autre.
Comme on l’a vu, dans la psychanalyse, c’est la pensée et finalement le langage (la lettre), qui dépassent l’image et vont la dominer.
Les peintres se méfient donc tout naturellement de la psychanalyse… C’est ce que fait, entre mille autres artistes, un Magritte…
Lorsque l’on demanda à René Magritte « Pourquoi une telle méfiance envers la psychanalyse ? », il répondit : «Elle ne permet d’interpréter que ce qui est susceptible d’interprétation. L’art fantastique et l’art symbolique lui offrent de nombreuses occasions d’intervenir : il y est beaucoup question de délires plus ou moins évidents. L’art tel que je le conçois est réfractaire à la psychanalyse. Il évoque le mystère sans lequel le monde n’existerait pas, c’est-à-dire le mystère qu’il ne faut pas confondre avec une sorte de problème, aussi difficile qu’il soit. Je veille à ne peindre que des images qui évoquent le mystère du monde. Pour que ce soit possible, je dois être bien éveillé, ce qui signifie cesser de m’identifier entièrement à des idées, des sentiments, des sensations. Le rêve et la folie sont, au contraire, propices à une identification absolue… Elle n’a rien à dire, non plus, des œuvres d’art qui évoquent le mystère du monde. Peut-être la psychanalyse est-elle le meilleur sujet à traiter par la psychanalyse.»
– Enfin, on peut observer que la notion de sublimation et plus généralement la théorie freudienne en art reste très discutée.
On l’a vu, Freud considère le refoulement (ou la satisfaction pulsionnelle détournée) comme des concepts fondamentaux de la psychanalyse. La sublimation serait dans ce cas l’effort de l’artiste pour engendrer une satisfaction ne passant pas par l’acte, sinon celui de créer. Cette approche tenterait donc de réduire la qualité d’une œuvre d’art à son contenu latent, sa signification inconsciente.
Or elle a bien d’autres qualités : elle s’inscrit dans une époque, utilise d’une certaine manière des matériaux, évoque de telle ou telle manière la lumière, les volumes, oriente le regard…
» Je crois que tout arrive pour une raison. Les gens changent pour que tu puisses apprendre à partir, les choses vont mal pour que tu puisses apprécier quand elles vont bien. Tu as cru à des mensonges donc tu apprends à ne faire confiance qu’à toi même. Et parfois les bonnes choses tombent en morceaux afin que de meilleures choses puissent arriver par la suite. » Marylin MONROE
» La chaleur humide de ce vendredi torride l’enveloppait d’angoisse. Elle voulait déchirer quelque chose. Un voile, une peau, une histoire qui la séparait d’elle-même. » Michel SCHNEIDER – Marilyn, dernières séances
Marilyn Mortensen, morte en scène
Marilyn était trop belle. Vraiment. Marilyn, de son vrai nom Mortensen, est morte dans sa vie, et en scène. Mise en scène par elle, pour elle, et pour l’autre toujours absent. La particularité du désir, au passage, est qu’il ne fonctionne que dans l’absence de l’objet désiré. De-siderare : l’étoile qui manque. Mais quel était la nature de son désir à elle ? Elle était trop belle, mais ce n’est pas le trop que l’on entend aujourd’hui. Elle était trop belle car son œuvre et son art existaient d’abord dans et par sa beauté. Trop, car c’était pour elle une question de survie que de se faire un narcissisme original, et que celui-ci soit reconnu, puisque ses parents (père parti quelque temps après sa naissance, mère partie dans sa folie. Elle : abandonnée) n’ont fait que détruire son Moi, et le cœur de celui-ci, c’est-à-dire son narcissisme. Trop également car cette quête d’un Moi allait demeurer inassouvi et la mener en enfer. La façon dont les hommes ont abusé d’elle sans cesse est à proprement parler infernale puisqu’ils ne lui ont pas permis qu’elle se retrouve. Elle finira par prendre ce courant de l’abus d’elle-même et en mourra. C’est comme si sa quête du bien, et du bien qu’elle était et qu’elle voulait trouver, reconnaître, s’annulait par la violence des hommes qui avaient croisé sa route. Il s’agissait pour eux de jouir, un peu, au passage, de cette quête absolu de bien dans l’image étourdissante que Marilyn montrait de ce désir, qu’à tort ils croyaient à eux destiné. Il s’agissait pour elle non seulement de se faire reconnaître, mais, plus encore, de se faire renaître, avec les autres. Co-renaître. Re-co-naître. Plus qu’une blessure, elle est partie de rien, puisqu’elle ne fut pas aimée, pour se faire elle-même. Il s’agit donc, complètement, d’une construction narcissique singulière qu’elle ne doit qu’à elle-même. Elle disait : « l’enfance dure toute la vie ». Un père qui ne la reconnaît pas, une mère qui ne l’aime pas. Seule au monde, avec le monde comme enjeu. Une douzaine de familles d’accueil. C’est-à-dire un abandon répété dont la puissance traumatique fut renouvelée durant toute son enfance. Consolidé donc. Le seul re-père fut pour elle sa propre image qu’elle devait ré-investir indéfiniment non pas pour plaire aux hommes, mais pour se maintenir dans le miroir que le regard des hommes lui tendaient. De la même manière, du côté du manque maternel cette fois, elle a ré-investi compulsivement une génitalité (sexualisation par défaut) non comblée par l’objet pri-mère. Dans l’absence de ce regard du père et de la mère, la seule issue pour elle fut de construire sa propre image suffisamment explosive (la beauté et la provocation, toutes deux peaufinées avec une intelligence pragmatique peu commune) pour qu’elle puisse masquer sa détresse intérieure et archaïque provenant de ces deux manques intitiaux. C’est comme si Marilyn avait désinvestie l’intellection (à commencer par le langage : elle bégayait), malgré une vive intelligence qui la fit se rapprocher de bons intellectuels et entreprendre une analyse, malheureusement pour elle, avec un analyste médiocre qui se montra incapable d’analyser son contre-transfert. Marilyn, aspirée qu’elle était par l’absence d’amour en sa simple personne physique. Eléments dissociés (narcissisme et environnement déceptif, quête de l’amour propre et amour de la sexualité salissante, image abîmée dans la vie et confiance en sa séduction en scène, intelligence brillante et absence de reconnaissance, urgences de montrer ses talents et retards devant la demande de l’autre) dans une construction exaltée, les constituants de sa personnalité n’ont été approchés que par objets (intellectuels, livres, pensées) interposés. Morte en scène de n’avoir pu être aimée vivante…