Modèles en psychopathologie

Nicolas Koreicho – mars 2017

Modèles en psychopathologie : biomédical, psychanalytique, béhavioriste, cognitiviste, systémique, humaniste

Les différentes approches en psychothérapie

Pierre-Auguste Cot, La Tempête (1880) – Metropolitan Museum of Art – New-York

– Le modèle biomédical
Il concerne la mise en relation de troubles psychiques et de perturbations biologiques. L’archétype initial en neurobiologie en est l’infection syphilitique. Le développement de ce modèle concerne les neurosciences et la génétique. Les nouvelles techniques d’imagerie cérébrale mettent en corrélation des déficits cognitifs avec des atrophies cortico-neuronales comme dans la maladie d’Alzheimer. Selon ce modèle, les comportements « déviants », les troubles de la pensée, seraient liés à des altérations chimiques ou électriques du cerveau. Des traitements médicamenteux et, parfois, dans certaines conditions,  l’électro-convulsivothérapie (l’ancienne psycho-chirurgie, avec le triste exemple de la lobotomie, a été en grande partie abandonnée) seraient aptes à réguler le fonctionnement du système nerveux et par là à normaliser les émotions, les conduites, les comportements. si en effet le système nerveux contrôle les conduites cognitives, émotionnelles et motrices, les avancées neurologiques ont affiné notablement le modèle. Au plan neuro-anatomique, l’accent est mis sur l’implication du système nerveux central dans les perturbations comportementales. Au plan neurochimique, les perturbations de la communication neuronale génèrent les troubles psychiques. Au plan génétique, les anomalies d’un gène augmentent la vulnérabilité à telle ou telle maladie mentale.
Ce modèle met en valeur un fonctionnement du cerveau plus complexe et interconnecté, ce qui est une bonne chose, en particulier dans l’idée de l’interaction de divers neurotransmetteurs, les conditions psychologiques et environnementales modifiant l’activité neurochimique, voire l’immunité générale, activant ou neutralisant l’expression d’un gène, favorisant ou non des mécanismes de connectivité et de plasticité cérébrale, et permettant ou non l’éclosion d’un trouble psychique. L’influence des composantes émotionnelles, motivationnelles, socioculturelles demeurent pour ce modèle agissantes sans être déterminantes.
Le modèle biologique des affections psychiatriques a permis la découverte des neuroleptiques et des psychotropes.
La neuropsychopharmacologie a mis en place et décris en particulier les systèmes noradrénergique, dopaminergique, cholinergique, glutamatergique, sérotoninergique du cerveau.
Auteur : Engel
Dérivés : Neuro-psychiatrie

Le modèle psychanalytique

Il concerne l’approche des phénomènes et des troubles mentaux en s’attaquant à leurs causes et à leurs racines les plus profondes. Ceux-là sont placés sous la lecture principale des conséquences de la mémoire inconsciente, à partir de l’organisation de l’appareil psychique telle que l’a développée Sigmund Freud (particulièrement selon la notion des points de vue : point de vue topique avec les systèmes inconscientpréconscientconscient puis avec les instances çamoisurmoi, point de vue économique avec les processus énergétiques primaire et secondairel’affect, la représentationl’objet, point de vue dynamique avec la pulsion, le refoulement, le symptôme, le transfert), dans le bien fondé parfaitement argumenté des concepts majeurs constitutifs de la personnalité (Œdipe, Narcissisme, Pulsions, Principes de constance, de plaisir-déplaisir, de réalité). L’archétype psychanalytique en est, au début de ses travaux, l’hystérie (Freud et Breuer – Anna O.) d’abord traitée par l’hypnose. Ensuite, selon la méthode de l’association libre, la psychanalyse a été éprouvée pour mettre en correspondance des représentations et des affects qui avaient été déliés pour abréagir (voir ce terme et les autres termes techniques) des souvenirs refoulés et actifs. L’appareil psychique se construit progressivement au cours des stades de développement de la personnalité, lesquels se caractérisent par un mode prévalent de la relation du Sujet à l’Objet (stades foetal, oral, anal, narcissique, phallique, génital, adulte). L’organisation psychique de la personne met en relation systèmes, instances, concepts, affects et percepts dans une Métapsychologie étayée par une clinique rigoureuse étayée jusqu’aujourd’hui. La personnalité est ainsi le résultat de la constitution de la personnalité en relation avec le comportement lié singulièrement aux environnements familial et symbolique. Les auteurs originels en sont Adler (complexe d’infériorité), Horney, Sullivan (contexte social et parental), Fairbarn, Winnicott, Ferenczi, Mahler (relations objectales, séparation/individuation), Hartmann, Bowlby (attachement), et surtout Sigmund Freud (métapsychologie générale et appliquée) dont l’étude permet d’ouvrir et de développer des pistes d’approfondissement toujours plus abondantes.
Auteurs : Freud ; Ferenczi ; Winnicott
Extensions :
La psychothérapie analytique
La psychosomatique
Le psychodrame psychanalytique
La psychothérapie de relaxation
La psychanalyse de l’adolescent
La psychanalyse groupale et familiale

– Le modèle béhavioriste

Ce modèle se fonde sur une psychologie du comportement manifeste (Pavlov, Watson), et s’inscrit en faux contre l’étude des émotions, des cognitions, de la subjectivité. A ce titre, il rejette l’introspection. Le modèle postule que les comportements sont appris à partir des expériences, donc de l’environnement, et qu’ils peuvent dès lors être corrigés directement. Le comportement s’améliore s’il est récompensé, se dégrade si il est pénalisé (Skinner). Ce modèle, plutôt simple et enfermé dans l’idée d’immédiateté, s’intéresse aux symptômes (l’expérience psychique est une « boîte noire ») et est utilisé principalement en milieu carcéral, par l’intermédiaire de jeux de rôles, de thérapie de groupe, de relaxation musculaire, de techniques de visualisation, complétées par la confrontation et le soutien. Les principes de la gestalt-thérapie, de l’analyse transactionnelle, de la programmation neuro-linguistique, du cognitivisme dérivent en partie du modèle béhavioriste.
Auteurs : Pavlov ; Watson
Dérivés : Gestalt-thérapie ; Thérapie de groupe ; Analyse transactionnelle ; Programmation neuro-linguistique, cognitivisme

– Le modèle cognitiviste

Le promoteur de ce modèle, axé avant tout sur le symptôme – c’est-à-dire la surface plutôt que la profondeur – est Piaget. Il fonde l’étude du développement des processus intellectuels chez l’enfant, dans l’optique d’une continuité entre les actions motrices et la pensée sous la forme d’une action intériorisée. Ce modèle représente une suite dérivée du béhaviorisme. Il est aujourd’hui théorisé selon les thérapies comportementales et cognitives (TCC). Le conditionnement y joue un rôle princeps, et les processus médiateurs (pensées, conceptions, souvenirs, croyances, perceptions, attributions, évaluations, attitudes, auto-affirmations, émotions) peuvent modifier les effets des stimuli à l’origine des dissonances cognitives ou patterns des pensées inappropriées et déformées, sources de troubles psychologiques.
Pour Beck, les schémas cognitifs (façons de se percevoir et d’interpréter le monde) appris dès le plus jeune âge et guidant le traitement de l’information, influencent nos réactions émotionnelles. Ainsi, les schémas inadaptés (les expériences d’apprentissage défavorables) infléchissent la vision de soi et génèrent des déformations de la pensée provoquant dépression, anxiété et troubles de la personnalité.
Pour Ellis, ce sont des croyances irrationnelles concernant les expériences qui génèrent les difficultés psychologiques (obligations, attentes pessimistes ou irréalistes) en faisant envisager les conséquences déplaisantes des situations, ce qui génère un sentiment d’impuissance.
Auteurs : Piaget ; Beck ; Ellis
Dérivés : Thérapies cognitivo-comportementales (TCC 3ème vague, méditation de pleine conscience, biofeedback…)

– Le modèle systémique

L’archétype de ce modèle provient de l’école de Palo Alto (Bateson – Watzlawick). Il inclut des données de la cybernétique et de la théorie des systèmes généraux. Sont considérés dans ce modèle des aspects phénoménologiques de l’interaction dans la cellule familiale avec des observations d’entrées (input) – ex. les symptômes – et de sorties (output) d’information. Y sont observés les mécanismes de la distorsion familiale : double lien, schisme, déviance parentale, pseudo-mutualité et barrière de caoutchouc, masse de moi indifférenciée, mystification, défaut d’individualité intégrée, famille à transaction schizophrénique, triangulation rigide.
Auteurs : Bateson ; Watzlawick
Dérivés : thérapies familiales et groupales

– Le modèle humaniste

Les représentants de ce modèle sont Rogers, Maslow, Perls, et une partie des développeurs de la gestalt-thérapie. Il postule que le comportement est déterminé par la perception que la personne a d’elle-même et du monde, et s’appuie sur son libre arbitre. Ce modèle consiste en un point de vue candide de l’humain qui aurait en lui, grâce à l’écoute et à l’empathie, les ressources nécessaires à son mieux-être. Chacun pourrait ainsi développer des valeurs fondées sur ses propres expériences et en modifier le devenir. Le modèle développe par exemple l’idée de fausses suppositions ou d’un désir exagéré de satisfaire les attentes des autres, ce qui cause des dysfonctionnements. Les perturbations psychiques seraient liées à des influences sociales néfastes ou à des obstacles concrets. Anxiété, dépression ou autres troubles seraient des modes d’adaptation à de mauvaises structures culturelles et sociales qui entravent l’expression de la personnalité. Chacun aurait la responsabilité dans ces contextes de reconnaître et d’accepter ses besoins et sentiments.
Auteurs : Jung ; Rogers ; Maslow ; Perls
Dérivés : Dasein-analyse ; Psychothérapie existentielle ; P. bio-énergétique ; P. intégrative ; P. relationnelle ; P. éclectique ; Approche centrée sur la personne (ACP) ; psychosynthèse

La pluralité des modèles thérapeutiques et la multiplicité des pratiques dérivées remplacent la plupart du temps l’appréhension rationnelle (scientifique : en référence à la métapsychologie) des symptômes par des croyances philosophiques ou sociales ou défensives ou parapsychologiques ou morales, grâce à des partis pris laissant la place au dogme ou à des postulats non vérifiés par la clinique. Cette pluraliité est utile, dans la mesure où elle peut permettre à un patient (peu) souffrant de tel trouble psychique relatif de choisir l’accompagnement adapté. Utile aussi la prise en compte d’une approche multidisciplinaire pour la bonne intégration d’une pathologie, y compris avec les données de la médecine et des neurosciences, pour tendre vers un diagnostic différentiel.

Ces modèles sont, dans leurs développements les moins nocifs (voir a contrario la Liste noire des thérapies), des simplifications plus ou moins heureuses de théories psychologiques. Or, l’appréhension la plus approfondie logiquement et aboutie rationnellement des symptômes est la métapsychologie psychanalytique dans la mesure où elle est bien étayée d’abord par la clinique psychiatrique et par la psychopathologie scientifique, y compris par les neurosciences, d’une part, et qu’elle est non dogmatique et a-principielle, d’autre part, puisque l’on sait à présent que l’organisation et le fonctionnement de l’appareil psychique ne peuvent être dissociés du système de la pensée et, particulièrement, de la pensée inconsciente. Nous disposons donc d’une référence générique, c’est la métapsychologie psychanalytique. Ici, les autres modèles (cognitivisme, systémique, béhaviorisme, humanisme, biomédical au sens strict…)  ne nous sont pas vraiment utiles, même si nous pouvons piocher parfois ici et là quelques idées, voire quelques concepts. Ainsi, la psychosomatique est une extension de la psychanalyse qui peut quelquefois et sous certaines conditions nous aider, comme le psychodrame analytique, la psychanalyse groupale, etc.). Par contre certaines disciplines (psychopathologie, psychologie, psychiatrie) nous sont indispensables pour le développement raisonné et étayé de la psychothérapie psychanalytique. C’est à cela qu’il est nécessaire de prêter attention afin de ne pas perdre de temps et pour ne pas s’égarer dans l’approximation de ces paradigmes (ou modèles), insuffisamment développés et approuvés scientifiquement. Ainsi, les connexions synaptiques et les embranchements dendritiques se font et se défont en fonction de l’exercice perceptif, intellectuel, expérientiel, représentatif et affectif de la personne. Le modèle analytique est naturellement scientifiquement consolidé par la compréhension de la période de développement de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte ainsi que le démontrent les conjonctions de la psychanalyse, de la psychiatrie et de la psychopathologie. Outre qu’elle est une métapsychologie, comme la linguistique pour le langage, et qu’elle est le fondement de la psychologie, de la psychiatrie et de la psychothérapie, c’est-à-dire ce sur quoi les professionnels de ces trois disciplines sont d’accord, elle est sans doute la méthode la plus approfondie d’accession au sujet et à l’objet de notre vie et à son mieux-être.

Nicolas Koreicho – mars 2017 – Institut Français de Psychanalyse©

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