Norme – Loi – Image spéculaire en psychanalyse

Nicolas Koreicho – mai 2017

Compte tenu de l’influence qu’exercent sur eux-mêmes directement et réciproquement sujets et objets, la norme pourrait représenter une sorte d’éthique dans laquelle ces sujets et ces objets disposeraient de repères communs  protégeant des pathologies narcissiques, des états-limites, des clivages de la personnalité.

La norme devrait alors de quelque manière instituer a minima une Loi symbolique, qui trouve sa raison d’être dans l’idée de pallier une carence paternelle, elle-même consécutive à l’absence du Père, réelle ou conséquente, la faillite du Père conduisant à l’idée de le retrouver dans un autre rassurant, c’est-à-dire susceptible de poser des limites, ce qui explique meurtres, crimes, délits caractéristiques des pathologies perverses, psychopathiques, toxicomaniaques, limites et de certaines psychoses paranoïaques et schizophréniques, puisque, immanquablement, l’image du père sera retrouvée en le policier, le commissaire, le juge, l’éducateur.

  1. Compte tenu de l’influence qu’exercent sur eux-mêmes sujets et objets

Les neurosciences ont mis en évidence une qualité spécifique du cerveau humain et des autres mammifères à produire de la relation, à un moindre degré, c’est-à-dire une capacité sociale des sujets et des objets à partager pensées, sentiments, intentions, actes.
Cette qualité sociale spécifique se traduit par des mécanismes neuronaux qui régissent nos pensées, nos sentiments, nos intentions, nos actes dans leurs relations avec les autres.
Certains de ces neurones sociaux, appelés neurones-miroirs, nous permettent de percevoir l’influence des pensées, des sentiments, des intentions, des actes des autres, et nous influençons, de la même manière, les autres par nos propres pensées, sentiments, intentions, actes.
Cela représente une déclinaison neuroscientifique du concept psychanalytique d’intersubjectivité.
Ces neurones sociaux sont de deux ordres. Ceux d’une part qui nous permettent de transmettre et de comprendre les sentiments, et qui proviennent de l’amygdale[1]. Ceux d’autre part qui nous permettent de transmettre et de comprendre les idées, et qui se situent au niveau des yeux. Parmi ces derniers, les neurones atractoïdes, très rapides, déterminent en permanence, y compris pendant la période embryonnaire, nos relations aux autres. Leur multiplication, leur efficience, dépendent de la qualité des soins, de la tendresse, de l’amour[2], tandis que l’anxiété, la colère, la peur y font obstacle.
Ces neurones sociaux sont la condition sine qua non de notre intégration et de la faculté d’aimer, d’être aimé, de la santé, du bonheur, ils sont la condition de notre survie en société et de notre épanouissement.
Les neurones-miroirs, sont, à l’instar d’autres neurones et neurotransmetteurs, ceux qui se transmettent de génération en génération dans le système que l’on appelle de l’épigénétique.

C’est ainsi que s’il existe une qualité qui régit notre relation à l’autre, l’influence mutuelle, il n’en est pas qui régule notre relation à l’autre.

  1. La norme pourrait représenter une éthique prototypique dans laquelle ces sujets et ces objets disposeraient de repères

Cette éthique prototypique pourrait être représentée par ce que l’on appelle la Loi symbolique.
Ce concept provient de l’idée d’un ordre symbolique qui, selon C. Lévi-Strauss, est fondateur de la sociabilité[3]. Fonction sans laquelle les groupes sociaux déclinent (décadence) puis disparaissent (explosion du pulsionnel, de la violence, puis implosion personnelle). Cette loi est non écrite, universelle, immuable et s’inscrit au-dessus des lois édictées, juridiques, religieuses, idéologiques.
La Loi symbolique en tant que telle n’est pas consciente, mais répond à des universaux d’intégration du corps humain et des grands termes de l’inconscient dans le corps social. Elle est susceptible d’assimiler les grandes étapes d’évolution de la personnalité et dépasse les fantasmes originaires[4] qui doivent, pour garantir l’équilibre de la personne, ne se rencontrer qu’une fois.
La Loi symbolique s’actualise des sèmes suivants :

  • Proscription : meurtre, inceste. (Retour au sein maternel)
  • Verbalisation : nomination de la parenté, dès lors, proscription du crime et respect de la différence des générations. (Séduction)
  • Prohibition : amoralité du vol, du viol, de l’abus de pouvoir. (Scène primitive)
  • Prescription : différence des sexes. (Castration)

C’est alors que le sujet est autorisé à intégrer cette loi surmoïque ou à régresser à l’homéostasie psychique du narcissisme primaire dans ses élaborations sadomasochiques, pathologiques, psychotiques.

         3. Norme comme protection du clivage de la personnalité

Cette Loi permet donc à une norme intrapsychique et sociétale de s’établir, dès lors qu’elle protège le sujet du clivage du moi.
La norme serait une manière de pallier la culpabilité qui résulte du premier meurtre[5], le meurtre du père, qui était pour la horde primitive une façon immédiate (non médiée par un autre, justement) de répondre à sa polygamie exclusive, et non d’instituer un ordre, encore moins une loi, la faillite du Nom-du-Père conduisant à l’inexistence de l’Autre[6] ou à sa négation.
Le clivage du moi abordé par Janet en 1889 puis par Freud et Breuer en 1895, représente une action mentale de séparation, de division du sujet ou de l’objet, par deux mouvements simultanés et opposés (l’une désirant la satisfaction, l’autre souhaitant s’adapter à la réalité), en faisant coexister sous la menace de l’angoisse, les deux mouvements.
C’est ainsi que le clivage du moi représente dans sa forme acceptable (possiblement refoulée) un mécanisme de défense. Dans sa forme extrême, érigée en système, le clivage du moi autorise tous les excès dans la relation à l’autre.
Deux pensées, deux sentiments, deux intentions, deux actions contradictoires, conflictuelles, peuvent se concevoir dès lors que l’une des deux pensées, intentions, sentiments, actions, est médiée par le refoulement, le raisonnement, l’émotion, la possibilité de différer. L’angoisse peut ainsi être apprivoisée.
Le clivage permet d’organiser alors la vie en société, puisqu’il permet d’intégrer les règles sociétales régulant notre relation à l’autre, la Loi symbolique. Le clivage diffère les tendances aux réponses spontanées, irréfléchies, immédiates.
A l’inverse, le clivage peut représenter un danger de déstructuration, de déshumanisation. Les passages à l’acte des personnalités limites, des pervers, des toxicomanes, des psychopathes, de certains psychotiques, réalisent l’idée d’un bon objet, idéal, et d’un mauvais objet, qu’il est nécessaire de détruire. Ici, destruction de soi et destruction de l’autre sont la règle.
Cependant, lorsqu’il est contenu dans une norme, qui elle-même provient d’une Loi symbolique, le clivage permet de faire coexister deux motions, l’Eros de l’amour par exemple, avec le Thanatos de la castration par exemple, dans l’éprouvé qui évite de blesser l’autre. Faire attention, prendre soin, accueillir permet de se faire à l’autre et à ses besoins tout en développant une reconnaissance de soi dans la considération mutuelle.

A l’inverse, dans son versant pathologique, le clivage systématique empêche l’harmonie, en soi et avec l’autre, et ouvre sur l’insensibilité, à l’autre, à sa posture, à sa souffrance, et impose la désintégration de la relation dans la famille et dans la société.

Nicolas Koreicho – mai 2017 – Institut Français de Psychanalyse©

Voir aussi :

Stade du miroir et narcissisme

I De Narcisse au narcissisme

II De Narcisse au narcissisme

[1] Impliquée dans les circuits de l’émotion, et en particulier dans ceux de la peur, de l’anxiété, du sentiment de danger. Son activité est réduite au contact de l’ocytocine (un peptide du plaisir)

[2] Cf. Winnicott : holding, handling, object presenting
Cf. Lacan : le stade du miroir

[3] Fonction symbolique, selon cet auteur

[4] Retour au sein et au ventre maternel, séduction incestuelle, castration effective, scène primitive réitérée

[5] Freud. Totem et tabou

[6] Isabelle Morin. La traversée de la loi

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