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Distanciation, isolement, solitude

Nicolas Koreicho – Septembre 2020

Ecoute, parole, dialogue. Un éclairage de la psychanalyse et de la psychopathologie.

« Souffrir de la solitude est mauvais signe ; je n’ai jamais souffert que de la multitude. »
Friedrich Nietzsche

Edward Hopper – Western Motel, 1957

À l’occasion de la crise sanitaire que nous traversons, nous sommes projetés dans une étrange époque de remise en question du sens des mots, de la signification des discours, du positionnement des personnes, bref, de la subjectivité des valeurs.
Dès lors, pour s’y retrouver, il importe plus que jamais de tenter d’y voir plus clair dans trois situations qui placent d’ordinaire la personne dans des moments de détresse, de repli ou de crise, tous phénomènes pouvant être à l’origine de maladies physiques, de pathologies psychiques, de passages à l’acte, mais qui proposent aussi des espaces de vérité pertinente susceptible de créativité, d’intégrité, de joie : la distanciation, l’isolement, la solitude.
Ces concepts peuvent être considérés et discutés dans leurs différentes acceptions afin de ne pas favoriser de contre-sens préjudiciables à la prise en compte des personnes et de la singularité de leurs ressentis.
Il n’y a pas d’écoute sans dialogue. Si nous ne parlons pas, nous n’écoutons pas.

Distanciation

Outre les maladresses, pour le moins, des autorités politiques, médiatiques, sanitaires, le syntagme « distanciation sociale » n’est pas approprié.
Au moment où le covid bouleverse à la fois les personnes physiquement et des personnes vis-à-vis de leur environnement, la société et ses valeurs de responsabilité individuelle, il fallut parler de « distance physique ». En effet, « distanciation » implique prise de distance psychologique, voire affective. L’adjectif « social(e) » en rajoute une couche supplémentaire dans l’injonction de s’éloigner de nos semblables socialisés.
Ceci provient de la confusion entre distancer et distancier, verbes formés à partir de distance, et qui n’ont pas le même sens.
Distancer signifie « dépasser », lorsque l’on parle de choses ou de personnes en mouvement, au figuré distancer signifie « faire mieux que ».
Distancier signifie « prendre du recul », c’est l’acception freudienne, par rapport à quelque chose, souvent pour tenter de considérer les choses de manière objective. C’est de ce verbe que provient le nom « distanciation » qui a été utilisé au théâtre par Bertolt Brecht pour désigner une pratique théâtrale qui consiste, pour le comédien, à jouer son personnage de manière détachée, afin que le spectateur ne puisse s’y identifier et qu’il se concentre sur le message délivré par la pièce dans son entier afin de développer son esprit critique. Le synonyme serait « prendre du recul ».
Le message implicite contenu dans « distanciation sociale » peut hélas être équivalent, du point de vue sémantique, à « distinction », « différenciation », mais aussi, et c’était le cas au 19ème siècle, « ségrégation » (Zola : « discrimination » de classe), ce qui peut impliquer, pour des personnes fragiles, l’idée de se défier, se méfier, voire ignorer l’autre.
A ce titre, le covid est devenu une maladie honteuse. L’absence de remise en question des termes et des slogans inappropriés, encore aujourd’hui, est préjudiciable.
Alors que la période que nous traversons devrait nous inciter au contraire à se rapprocher de nos proches, de nos collègues, de nos relations, de nos appelants, de nos patients, l’idée de « distanciation » est particulièrement mal venue. Au passage, en cours de psychopathologie, on apprend en 1ère année que la distanciation est nécessaire, mutatis mutandis, dans des acceptions de formes de distanciation très différentes, vis-à-vis d’un parent à tendance incestueuse, d’un psychothérapeute vis-à-vis de son patient, d’un juge vis-à-vis du délinquant, d’un témoin vis-à-vis de l’avocat, d’un avocat vis-à-vis de la victime… Autrement dit, la distanciation est pertinente dans des situations où la trop grande proximité affective est contre indiquée, voire nocive. C’est précisément l’inverse que nous devons respecter dans les périodes de crise, et spécifiquement dans nos activités d’écoutant ou de psychothérapeute. Nous devons laisser le transfert se déployer, quitte bien entendu à l’analyser. Il s’agit pour nous avant tout de rétablir ou d’établir du lien pour favoriser rapprochement social, dialogue, compréhension.

Liaison – déliaison

En effet, ces temps-ci, chacun aura pu mesurer dans ses relations avec les autres, famille, amis, rencontres, certaines modifications dans le lien. La difficulté n’est pourtant pas d’établir des liens avec les autres. C’est d’une part de rétablir ou, et c’est le cas la plupart du temps, d’établir le lien avec sa propre biographie, et de revisiter particulièrement les moments de dépendance que nous avons tous eu, par rapport à l’autre, la mère, le père, la fratrie, dans un trop d’amour ou dans un trop de haine et, dans le meilleur des cas, de rétablir ou d’établir le lien avec ne serait-ce qu’une seule personne – un seul animal ? – ne serait-ce qu’un instant, que l’espace d’un regard, avec qui on pourra échanger ou, simplement, communiquer, sur la vérité de notre vie, de l’instant, du regard. Cependant, nous sommes à nous-même notre propre référence.
Il s’agit de retrouver, ou de trouver, l’équilibre avec soi, d’abord, « être en accord avec soi-même » (mais qui est ce soi-même ? Un moi altéré par des relations excessives, en passion, en haine ou en indifférence ? Ou un moi retrouvé, ou trouvé, identifié comme notre véritable moi ?) et il s’agit de retrouver ou de trouver, l’équilibre avec l’autre.
Ce double équilibre, qui consiste à exercer une pulsion de vie répartie entre deux forces qui ne sont pas forcément compatibles, se construit par ce que l’on appelle en psychologie l’individuation, elle-même sous-tendue par l’intra-subjectivité et l’intersubjectivité du sujet.
Une individuation rendue réalisable par la prise en compte du développement d’un premier concept l’intra-subjectivité, concept socle de la personnalité, en ce qu’il est le garant d’une individuation, qui s’établit dans le rapport à soi, à ses besoins, par le truchement de la pulsion d’auto-conservation, dans la considération de sa priorité personnelle, de sa sécurité, de son intégrité, sans le basculement dans les formes des psychoses que l’on connaît, et une individuation rendue réalisable par la prise en compte d’un second concept tout aussi important que le concept d’intra-subjectivité, savoir le concept d’intersubjectivité, qui se développe dans l’idée de la satisfaction de ses besoins, autre condition de la construction de la personnalité, en ce qu’il est lui le garant d’une individuation dans le rapport à l’autre, dans la pulsion, sexuelle à l’origine, dans l’évolution de notre relation aux autres, dans l’espoir, l’empathie, le soin, idéalement sans dépendance, et sans emprise.
A ce titre, nous pourrions avoir le choix entre une empathie obligée, imposée par des systèmes de soumission à l’autre, selon des formes d’autorité ancienne, inadaptée à l’adulte, et une empathie spécifique agissant en conformité avec notre désir et nos besoins réels.
En effet, nous devrions être en mesure d’affirmer une distanciation de sauvegarde, en particulier lorsque l’autre, perçu cette fois sous le jour de la responsabilité et non plus en fonction d’une empathie qui nous fait le dédouaner d’emblée de toute intentionnalité. L’empathie ne doit pas faire le lit de l’hostilité. La question de la responsabilité de l’autre doit advenir et à sa suite la possibilité d’une distanciation par rapport à lui et par rapport à cette empathie obligée nonobstant la nécessité du lien dans la construction de la personnalité.

Isolement et solitude

Ces deux termes sont souvent confondus. Il est de première importance de les distinguer précisément.
L’isolement est une donnée sociale qui peut être mortifère. En particulier lorsqu’il est imposé par les circonstances, car il peut être alors assimilé à une punition. Et qui dit punition dit culpabilité ou à tout le moins, sentiment de culpabilité, ce qui renvoie à des temps d’individuation archaïques (enfance, adolescence).
L’isolement peut affaiblir considérablement le système immunitaire physique (on parle d’« immunodépression »). Le stress, continu, à bas bruit, est sans doute un des principaux vecteurs de maladies particulièrement sévères : pathologies cardio-vasculaires, troubles de l’anxiété (angoisse…), troubles de l’humeur (dépressions…), troubles du comportement (addictions…), pathologies neurologiques (maladie d’Alzheimer…), démences (confusions…) ou en tout cas d’un affaiblissent immunitaire physiologique (le rôle du cortisol, l’hormone du stress, dans cet affaiblissement physique est démontrée).
Pour ne pas être malade, il vaut mieux être en bonne santé physique.
Cependant, ce n’est pas l’isolement qui est directement responsable des maladies psychiques. L’isolement agit plutôt comme un révélateur, ou un précipitant comme disent les chimistes, de pathologies psychiques préexistantes qui à leur tour entraînent des pathologies physiques (cf. l’hormone du stress).
L’isolement qui concerne spécifiquement les personnes qui souffrent de psychopathologies est donc une résultante secondaire aux psychopathologies proprement dites. Autrement dit, ce sont les psychopathologies qui tendent à isoler les personnes, et non pas l’isolement qui crée les pathologies. La pathologie isole, dans la mesure où la souffrance n’est pas partagée, d’abord formulée, explicitée en discours, puis dans la mesure où la souffrance n’est pas comprise, prise avec soi (étymologiquement, comprendre c’est « prendre avec ») par l’autre.
L’absence de formulation relègue les causes de la souffrance dans les tréfonds de l’inconscient et du sentiment de culpabilité, et l’absence de compréhension relègue la possibilité d’attribuer une logique à ce que nous sommes devenu dans la privation d’un autre attentif, l’isolement (le sentiment de solitude) ne proposant plus d’espace de socialité (de parole, de proximité) à la personne.
C’est précisément cet isolement, social, pas physique, qui peut entraîner des moments de crise, des moments « hors-limites », ce que l’on appelle des décompensations. En effet, le discours de soi et le discours de soi dans la présence de l’autre instaurent des frontières pouvant constituer un territoire psychique, d’abord dicible, puis compréhensible.
Ce n’est donc pas l’isolement physique qui crée la maladie psychique mais l’isolement par rapport à la compréhension de soi, par soi, et par quelqu’un d’autre. L’isolement met simplement au jour des maladies psychiques latentes, lesquelles ont précipité l’isolement.
L’absence de solutions profondes pouvant être données par l’entourage – et pour cause : nous sommes ontologiquement seuls, et seuls à pouvoir changer – et cette absence de solutions données par l’autre, l’objet, confirme bien évidemment que les solutions ne sont qu’en nous en tant que nous sommes sujet (la subjectivité, intra- et inter- dont j’ai parlé tout-à-l’heure), sujet de notre propre vie, sujet que nous sommes de nous-même, de notre propre partition, peut faire la personne se renfermer sur un sentiment de solitude, tandis que, par conséquent, peu à peu, l’isolement pourrait suivre.
C’est cet isolement qui risque d’exposer à une solitude non assumée comme étant notre lot d’être vivant, du début jusqu’à la fin, la solitude étant, entre autres, la faculté de se considérer, avec ses qualités et ses travers comme sujet de soi. C’est la fameuse « capacité d’être seul » développée par le psychanalyste Donald Winnicott.
Le professionnel, l’écoutant, le psy, est là très utile, dans la mesure où c’est un objet qui ne se substitue pas au sujet que vous êtes mais qui peut néanmoins restaurer, grâce au partage distancié et, paradoxalement, à sa faculté de consolation et de réagencement, dans la profondeur de l’intime prenant place en un cadre de qualité, pour un temps ou plus durablement, le narcissisme détérioré de la personne, c’est-à-dire le regard que la personne pose sur elle-même, comme l’ont détérioré l’excès et les blessures causées par la haine, la négligence, l’insécurité.
A l’inverse, un isolement trophique, bénéfique, nécessaire peut advenir en tant que période de reconstitution personnelle, intime, apaisante, qui peut correspondre à une introspection positive et possiblement re-narcissisante de retour sur soi, surtout si l’on découvre en l’autre une hostilité, prolégomènes à l’observation de son axe propre comme priorité, en cet isolement qui forge ou qui consolide une intégrité, un quant-à-soi revigorant.
Ces processus d’élaboration supposent que la considération de l’autre soit prise en tant qu’environnement, humain, et non comme une donnée intrinsèque à nous.
L’équilibre de la personne dépend de l’équilibre, de la cohérence entre la relation intra-subjective, celle que l’on développe avec soi-même, dans l’acceptation de toutes nos composantes, selon une homéostasie psychique, et de la relation intersubjective, celle que l’on construit avec les autres, en se défiant de toute dépendance, dans une juste proxémie : ni dépendance, ni retrait. Un partage distancié. Une reconnaissance de la place du sujet et de l’objet.
La solitude est une donnée ontologique à laquelle nous ne pouvons nous soustraire. C’est une condition humaine et biologique. Le sentiment de solitude est tout autre chose et s’apparente à un isolement psychique. Ce sentiment correspond la plupart du temps à la réminiscence d’un trop d’affect, d’amour, ou plutôt de passion, de haine, pouvant se manifester en haine de soi, ce qui équivaut à une saturation, qui envahit l’espace affectif, d’une absence, qui, au passage, engage le rôle de l’autre, ou d’une privation, qui engage la responsabilité de l’autre. Il existe ainsi trois écueils à la bonne construction de l’intersubjectivité, en lien avec le narcissisme du sujet, l’autre se plaçant dans ces moments de partage, comme un miroir, mais déformant, de soi. Ceci peut donner naissance à un moi déformé qui, pour se reconstituer (de manière erronée : le système de l’addiction est un faux ami : un faux autre) fera appel aux « ressources » des pathologies narcissiques addictives.
La solitude est un principe de la condition humaine en tant que la « plus originaire et plus constante expérience » (Grimaldi).
Il y a une différence entre la solitude, acceptable donc, et le sentiment de solitude. La solitude est un thème hyper investi par l’art, par l’histoire, par la fiction, par les mouvements littéraires. Le sentiment de solitude, par contre, est un ressenti durable qui concerne une réalité pragmatique, personnelle, intime, en particulier dans la clinique, clinique analysable dans le monde du soin (thérapeutique : étymologiquement « besoin ») et dans l’idée du soin (attention : étymologiquement « souci »).
Si la personne naît dans une parfaite dépendance par rapport à son environnement, dépendance qui correspond à la nécessité de nous adapter au monde, d’advenir au monde, un processus d’individuation acceptable, sécure, devra cependant s’instaurer pour que d’objet, de l’autre, de soin, d’amour, ou de haine, de négligence, la personne puisse devenir sujet, d’elle-même, de son histoire, de son discours.
A ce titre, il faut que la personne comprenne qu’il y a autre chose à décliner que la plainte, nécessaire mais pas suffisante, et que tout ne peut pas être dépendant ou investi en l’autre. Il n’y a pas que la voix, de l’objet, il y a la voie, du sujet.
Ceci se fait au cours d’un apprentissage idéalement étayé par l’autre, mais souvent, pour la personne qui s’isole, un apprentissage construit de bric et de broc, c’est-à-dire de ses expériences et, surtout, dans ce qu’elle peut faire de ses expériences, selon qu’elle a été suffisamment aimée ou détestée, ou négligée. En psychanalyse cet apprentissage est un des domaines investis par le préconscient.
De ces premiers affects reçus, la personne pourra investir à la fois son narcissisme et le monde de l’autre au travers d’un sentiment de sécurité qui va déterminer ses rencontres, acceptables, avec la distance, l’isolement, la solitude.
Si ce premier environnement humain, de la mère, du père, a été insuffisamment sécure, ou même partiellement défaillant, l’enfant n’aura pas un objet de projection fiable, sur lequel il pourrait facilement s’appuyer pour se construire en tant que sujet (toujours cette intersubjectivité décrite par les philosophes du langage). Il devra désormais trouver la possibilité de cet objet en lui-même et par lui-même.
Le sujet doit être distancié affectivement parce qu’il aura eu un amour nécessaire et suffisant, il pourra donc se trouver sécure d’abord par lui-même et indépendant de l’excès d’amour, de haine, de négligence de la part de l’autre. Sinon, il devra faire la balance entre la possibilité de puiser dans les ressources proposées par l’autre et les ressources, à trouver, en devenir de soi.
Secondairement, si la haine ou la négligence n’ont pas investi trop profondément, souvent grâce à l’amour donné par l’autre parent suffisamment aimant, ses images intrapsychiques de soi et de l’autre, la relation à l’autre sera elle-même sécure, c’est-à-dire proximale si la confiance est au rendez-vous, ou distale si l’autre est hostile. Dans tous les cas, la relation est, peut être, doit être, distanciée.
A l’inverse, si la personne a été privée de soin, de compréhension, d’empathie dans son enfance et dans son adolescence, elle gardera une vulnérabilité longtemps, jusqu’à ce que sa propre maturité psychique, à condition qu’elle se développe dans une ou deux relations de qualité, marquée par des limites, des cadres, des valeurs, lui permette d’accéder à une solitude non dépressive, non angoissante : une solitude acceptable.
Le sentiment de solitude, quant à lui, renvoie à l’angoisse, qui elle-même, renvoie à la séparation, à la privation, affects mortifères et de souffrance différents de la solitude qui renvoie au manque, moins douloureux, qui lui-même, grâce à la dynamique vitale qu’il présuppose, renvoie au désir.
Le sentiment de solitude, plus que la solitude, donc, implique une privation ancienne qui étayera en strates successives un narcissisme défaillant, lequel sera faussement comblé (là aussi saturé) par les faux amis des pathologies addictives, perverses, sociopathiques, limites, ou par les troubles de l’humeur, dépression, manie, mélancolie.
Incidemment, le sentiment de solitude pour les personnes âgées en particulier peut se compliquer d’un mécanisme d’étrangeté, étrangeté fondée sur la distance qui se crée entre elles et un monde qui, trop construit sur les liens sociaux et les contraintes de rôle et pas suffisamment sur la conscience de ressources internes au sujet ou externes eu égard à des relations défaillantes, les fait glisser vers l’indifférence, à l’autre, de l’autre et, plus mortifère encore, à soi-même.
Ici, nous pouvons parler à nouveau de la distanciation, dans la mesure où il est possible d’établir une distance avec ses propres habitudes de souffrance pour faire de la solitude une alliée, en exploitant et en aimant sa solitude.
Cette solitude remplie, plus que d’une capacité à être seul, d’un travail sur soi et d’amour de soi, amour ponctué par la toujours possible rencontre de l’autre de qualité, solitude consolidée d’activités artistiques, manuelles, intellectuelles, de pensées identitaires toujours possiblement actuelles et en devenir, de relâchements récupérateurs aussi, peut être la condition d’existence d’un univers intérieur constitutif d’une vie personnelle indépendante assumée.

Nicolas Koreicho – Septembre 2020 – Institut Français de Psychanalyse©

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Transhumanisme et psychanalyse : un nouveau désordre

Guy DecroixSylvain Brassart – Mai 2020

Transhumanisme, désir de maîtrise et coronavirus

Guy Decroix

L’Homme de Vitruve « augmenté » (1490) – D’après Léonard de Vinci

Le projet post humaniste s’adosse à la réflexion post cartésienne de l’homme « comme maître et possesseur de la nature » et Heideggérienne où « le projet de la technique est d’arraisonner le monde ». Il désire mettre l’homme en « trans »… en transgressant les limites, le symbole étant l’homme H+. En évacuant le symbolique,  en tentant d’éradiquer la castration, le corps, la sexualité, la mort, en réduisant l’homme à ses organes, il s’autorise de toutes les transgressions. Deux fantasmes délirants mégalomaniaques émergent de cette pensée magique déguisée en science : La toute maîtrise de la mort, où il s’agit d’abolir le tabou anthropologique de « tuer la mort », et la reproduction d’un homme parfait.
Le monde postindustriel se colore de ce désir de maîtrise, depuis la gestion des risques où tout se veut encadré,  ressources humaines comprises, jusqu’au principe  de précaution inscrit désormais dans la Constitution…

Depuis 2004, Jean-Pierre Dupuy, philosophe des sciences et disciple d’Ivan Illich, penseur de l’écologie, conduit une réflexion sur le destin apocalyptique de l’humanité dans son ouvrage  «  Pour un catastrophisme éclairé » sous-titré « Quand l’impossible est certain ». Il avance que les théories du risque ne suffisent plus, que c’est à l’inévitable de la catastrophe et non à sa simple possibilité que nous devons désormais nous confronter. Plutôt que de s’abriter sous un pseudo principe de précaution que l’on n’applique jamais,  mieux vaut inscrire cette catastrophe dans notre quotidien. Seul ce scénario conduit à la prudence !
La société postindustrielle tend à rejeter l’idée de catastrophe.. Or l’événement actuel du coronavirus illustre l’imprévisible !

Les transhumanistes apparaissent plus prolixes sur les banques de données (Big DATA) que sur l’attaque d’un virus venu de nulle part.. Il est vrai que « la pensée » du transhumanisme est quasi inexistante, faute de concepts et qu’elle est paradoxalement obsédée par le changement. Comme chez beaucoup de sujets psychotiques, l’imprévu est inenvisagé… 
Il apparaît de fait que ce fantasme de toute maîtrise avancé par les transhumanistes puisse être annihilé par la pandémie imprévisible de la Covid 19 ; ce fantasme aurait déjà pu être démenti par l’événement mondial du SIDA.

Cynthia Fleury dans son journal du confinement repère un certain nombre d’impacts liés à cette situation.
Je retiendrais trois rappels qui infligent à cette « théorie » une quasi blessure narcissique liée au virus.
Cette catastrophe actuelle imprévisible et non « maîtrisée » vient rappeler en premier lieu notre vulnérabilité ontologique : nous sommes mortels et potentiellement malades. Rappelons Lacan pour qui « La mort est du domaine de la foi. Vous avez bien raison de croire que vous allez mourir bien sûr ; ça vous soutient. Si vous n’y croyez pas, est-ce que vous pourriez supporter la vie que vous avez ? Si on n’était pas solidement appuyé sur cette certitude que ça finira, est-ce que vous pourriez supporter cette histoire ? Néanmoins ce n’est qu’un acte de foi ; le comble du comble c’est que vous n’en êtes pas sûr. ».
Et Woody Allen pour qui avec un brin d’humour « L’éternité c’est long, surtout vers la fin. ».
En d’autres termes, à la différence du transhumanisme, les Lumières avançaient un avenir mais limité par une fin. Accéder à cette finitude nous permet de vivre… Bien sûr, accepter le retour du risque dans le quotidien reste source d’angoisse… 

En un second rappel, l’événement signe l’interdépendance entre les hommes et entre l’homme et l’animal. Freud avait pointé  ce second démenti  infligé à l’humanité «… en réduisant à rien les prétentions de l’homme à une place privilégiée dans l’ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal et en montrant l’indestructibilité de sa nature animale. ». Il pourrait s’agir désormais de changer nos comportements égocratiques adossés à une hypertrophie du moi et, selon Foucault, pour  » penser ensemble et ajuster nos règles « .

Enfin en un troisième rappel, il s’agit de notre corps, qui se définit par l’oubli selon Leriche pour lequel « La santé c’est la vie dans le silence des organes… » et dont nous n’avons plus conscience, lequel se signale désormais à chacun, voire nous permet d’en jouir dès lors que l’on recouvre sa santé.. Notre corps est entravé à ce jour par l’injonction du « Pas touche » comme si l’ennemi invisible dans une visée animiste était au cœur du désir de la tendresse et de l’amour qui deviennent dangereux. Est-il pour autant entravé pour chacun ?  Pour Jean Baudrillard, après Mai 68, où l’impératif était de se toucher, de « jouir sans entrave »,  nous serions entrés dans « Le temps d’après l’orgie » où le toucher est insupportable hors règle, où l’asepsie est reine, où la phobie de la chair s’est exprimée hier dans le minitel rose, aujourd’hui dans les sites pornographiques qui n’auront jamais été tant visités que pendant cette période de confinement…

L’embryon, le génome et la mort 

Depuis 30 ans nous assistons à une explosion incontrôlée des technologies dans le monde de la procréation.
Cette dérive avait été pointée par Jean-Claude Guillebaud dans son ouvrage sur « La refondation du monde ». Cette technoscience, et non la science qui s’investit dans la recherche du comment, autorise le passage à l’acte.. Il s’agit en réalité de la réalisation de fantasmes inconscients infantiles tels que la quête de l’immortalité ou la maîtrise de son origine…
Ce déchainement épistémophilique, ou désir de savoir, est de nature à créer un véritable malaise dans la procréation au point où Jean Baudrillard fait remarquer que nous accédons à un monde fait de « cadavres chauds », de morts au cœur battant  et « d’embryons froids congelés » dans des cercueils de verre, à l’image des vampires…
Ce monde traduit un brouillage temporel des générations, « un froid entre les sexes », selon l’expression de Monette Vaquin.

Jusqu’alors, à la question « Qu’est-ce qu’un homme ? », l’anthropologie, la philosophie, la littérature, la religion étaient convoquées pour tenter de circonscrire une réponse, tandis que la biomédecine visait à soulager la souffrance… Désormais  la technoscience est destinataire de cette question pour « guérir » de la condition humaine à renfort de clonage de génome…Mais quelle réponse peut-on attendre de la science sur la difficulté de vivre, sur le malentendu amoureux, sur le « non rapport sexuel » selon l’expression de Lacan ?….

Ces nouvelles biotechnologies génèrent une véritable mutation anthropologique

Nous sommes passés d’un engendrement à la fabrication d’un enfant à l’aide de matériaux de laboratoire.
La loi universelle et immuable pour engendrer un enfant nécessitait un homme et une femme et cet enfant « maturait » dans l’utérus de sa mère. Aujourd’hui cette procréation peut être médicalement assistée (PMA) par un médecin en place de tiers… à telle enseigne que Testard et Frydman ont pu être nommés « Pères des enfants… ». Les interventions s’opèrent hors processus naturel pour les « bébés éprouvettes », les FIV, les transferts d’embryons..
L’utérus peut devenir artificiel (ectogénése..) et l’enfant peut être porté par une autre mère (mère porteuse : GPA) rémunérée dans certains pays du tiers monde. Il existe déjà des contrats de location aux Etats-Unis !.. 

Nous sommes en présence de la mise en acte de quelques grands mythes cristallisant certains fantasmes tels le mythe de Dionysos (le « deux fois né ») incubé dans la cuisse de Jupiter.
Le principe du droit romain irréfragable « mater semper certa est » ne s’applique plus depuis 1978, puisqu’un enfant peut avoir à la fois une mère génétique, et une mère de naissance (la mère devient incertaine…) est-elle désormais la donneuse d’ovule ou la porteuse de l’enfant ?.. 
Quelle est la mère de Dionysos ? Est-ce Zeus portant son enfant dans sa cuisse ou Sémélé (C’est mêlé…) ? Le père qui était incertain « pater est semper incertus » devient certain avec les tests génétiques… 
Paradoxalement tout se passe comme si simultanément on exaltait et liquidait la maternité. 

Les fantasmes qui sous-tendent ces pratiques

Tous les fantasmes stimulent la culture, la science.. et permettent de naviguer entre le possible et l’impossible. Ils expriment des désirs non réalisables. 
Daniel Sibony resitue le cas d’une femme qui demande une FIV et exprime le fantasme de faire un enfant seule sans homme, telle autre femme demande une césarienne dans le fantasme de rester vierge… (Situation déjà jouée il y a 2000 ans..).
Pour Françoise Héritier deux types de  grands fantasmes émergent dans la création scientifique : le tout autre sous la figure du monstre et le même sous celle du clone.  Ces fantasmes se cristallisent ainsi dans des mythes constituant une mise en mémoire d’objets culturels. Ils ne sont pas troublants en soi tant qu’ils ne sont pas passages à l’acte !
Dans les « Trois essais sur la théorie sexuelle », Freud nous éclaire sur la pulsion épistémophilique : Toute recherche, toute création chez l’adulte repose sur le désir de l’enfant de répondre aux questions des origines… ce qui fait énigme pour lui. Sur le chemin du désir de savoir ( » voir ça « ) il rencontre la Loi, l’Interdit de l’inceste, paradigme de toute interdiction : Désormais il ne peut pas tout faire et ne peut occuper toutes les places.

Alors que rechercheraient aujourd’hui les scientifiques dans ce domaine de la génétique ? 
Le bien de l’humanité sans doute… Nous connaissons tous cette belle dénomination légitime et respectable de « bienfaiteurs de l’humanité ». Ne s’agit-il pas là d’une rationalisation, alors que les motivations inconscientes portent respectivement sur l’origine, avec la procréation artificielle et sur la maitrise de la mort, avec la question des greffes d’organes, qui retarderaient la mort, enfin sur la mémoire, avec les manipulations génétiques ?…  

Les fantasmes d’enfants tout puissants sont à l’œuvre et  la pulsion épistémophilique conduit à transformer l’autre en objet expérimental. Les fantasmes d’auto engendrement ont déjà été réalisés dans le Golem et dans  la créature de Frankenstein.
Le Golem, être inachevé fait d’argile, élaboré par le Rabbin de Prague (ville des marionnettes..), échappera à l’homme dans certaines versions pour incarner la figure du monstre incontrôlable. Pour d’autres il sera protecteur de la communauté juive, et c’est ainsi que le premier ordinateur israélien sera nommé « Golem aleph »… 
La créature du Docteur Frankenstein n’aura pas de nom comme innommable non inscrite dans le symbolique, à telle enseigne que chacun confond créateur et créature comme si l’un était le double de l’autre. C’est une créature artificielle faite par un homme qui signe au passage la domination masculine de la science. La créature sans femme sera née de la mort ainsi que de la maitrise et non de l’amour.

Marie Shelley exprimait déjà le danger de l’utilisation du savoir médical et dénonçait le positivisme rationaliste du 19° siècle et son culte de l’utilité.
Aujourd’hui l’humain est réalisé sans sexualité avec la PMA.
Daniel Cohen, responsable de recherche du génome humain, intitule « On va bien s’amuser » le premier chapitre de son ouvrage « Les gènes de l’espérance ». Comment mieux signer l’activité infantile et le plaisir de la transgression.. ?
Jacques Testard avait écrit sur la porte de son laboratoire « éprouveur-inventreur », nomination qui n’est pas anodine quand on se prénomme Jacques !.. La pulsion de mort serait-elle ici à l’œuvre ?

Ces interventions ne sont pas sans évoquer l’ubris du transhumanisme : désir de maitrise de la reproduction…
Il s’agit moins d’une problématique prométhéenne, dans l’ambition de recréer la vie avec le don d’organes, qu’œdipienne, où la jouissance est à l’œuvre : ce que l’homme  peut faire, il le fera les yeux fermés… Jacques Testard arrêtera ses recherches devant cette jouissance inattendue qui envahit la science, réalisant que le féminin devenait objet de science, que les réponses aux questions « Qui sommes nous ? » et « D’où venons-nous ? »  cessaient d’être une métaphore pour s’accomplir en laboratoire et que l’établissement du code génétique ouvrait à la fabrication de l’homme à sa convenance.

Autour de quelques fantasmes

Des fantasmes infantiles archaïques touchant à l’origine sont réalisés dans la FIV (« ma mère est vierge », « Je ne suis pas né d’un rapport sexuel », « mes parents ne sont pas mes parents ») et le « bébé éprouvette » dissocie l’origine de son ancrage sexuel.
L’enfant de la PMA (Assistance Médicale à la Procréation) est programmé avec des adultes en l’espèce désexualisés, à l’aide d’un tiers.. 

Déjà Baudrillard, dans « la transparence du mal » en 1990, notait cette évolution très particulière de la société « Du temps de la libération sexuelle, [où] le mot d’ordre fut celui du maximum de sexualité, avec le minimum de reproduction. Aujourd’hui, le rêve d’une société clonique serait plutôt l’inverse, le maximum de reproduction avec le moins de sexe possible. »
Michel Soulé s’interrogeait sur l’impact de l’irruption prématurée du regard intra-utérin avec l’arrivée de l’échotomographie ce qu’il nommait IVF (Interruption Volontaire de Fantasmes).
Il s’avère au fil du temps que la puissance du fantasme l’emporte sur l’image médicale qui demeure floue et toujours à interpréter. Les projections de certaines mères demeurent permanentes (effet de paréidolie) qui peuvent toujours voir un fœtus malformé en fonction de l’ enfance de la mère…

Un « malaise dans la procréation » émerge avec l’abolition des tabous dans deux domaines

 Celui de la manipulation du génome en vue de correction d’anomalies, de prévention d’handicaps dans l’attente du bébé « quasi parfait », faute de quoi le narcissisme des parents ne serait pas assuré, la grossesse gémellaire où la malformation  d’un jumeau peut conduire à une injection létale. Comment alors vivre cette grossesse en chosifiant l’un pour le deuil et investir l’autre comme humain, la transformation de cellules somatiques en gamètes permettant de « fabriquer » des enfants sans sexualité, enfin la transgénèse y introduisant un gêne étranger ? 

Celui du clonage : il nous faut distinguer deux types de clonage :
– Le clonage procréatif où un enfant est destiné à naitre et le clonage thérapeutique, réservoir de tissus cellulaires et permettant des autogreffes.
– Le clonage procréatif qui permet de « fabriquer » du même et d’abolir toute différence est à prohiber pour deux raisons :
Premièrement, il s’agirait d’une véritable régression phylogénétique : L’évolution du vivant procède de l’asexualité, du clone à la sexualité.
Les formes primitives du vivant indifférenciées ignorent le sexe et donc la mort. La vie infinie repose sur la reproduction à l’identique, sur la répétition et non sur la transmission.
L’émergence de la sexualité, « sexus » signifiant sexe du latin « escarre », qui coupe, divise, différencie les individus. C’est la naissance de l’altérité et de la mort. La vie meurt en chacun mais se transmet à d’autres par générations via un rapport sexuel et un désir. La procréation est le passage par l’autre partenaire sexuel. 
Deuxièmement, l’identité serait altérée par brouillage de l’ordre symbolique et des générations. Ainsi mon clone serait en même temps mon frère, mon fils (figure d’inceste avec soi-même..), sans plus de conflictualité œdipienne où chacun est amené à se situer par rapport à ses deux géniteurs.
Chacun serait le reflet narcissique de l’autre dans un déni d’altérité.
Remarquons que la créature vivante du docteur Frankenstein élaborée avec de la mort, sans sexualité, ne sera pas nommée, innommable et sans identité… 
En réalité,  n’avons-nous pas affaire à un fantasme, car étant peu déterminé chacun peut jouer dans un entre deux, entre chaos et ordre ? Même quand on croit faire du semblable le champ du désir fait du différent par le parlêtre que nous sommes.

 Le clonage non reproductif thérapeutique reste ouvert à la discussion..  Il s’agit d’un enfant médicament ou sauveur… déjà anticipé comme organisation défensive sous la figure métaphorique du « nourrisson savant » de Ferenczi… Pour autant n’aurions-nous pas ici une inversion de l’ordre du don et de la dette ? En principe il en est de la place du père de donner son sang ou autre… Comment rembourser une telle dette dans cette situation du clonage ?

Quelques ébauches de réflexion à déployer en guise d’épilogue       

Les comités d’éthique essentiellement composés de médecins et de biologistes donc juges et parties… opèrent telles des instances surmoïques qui rationnellement énoncent l’injonction « Stop !», mais transmettent inconsciemment « Jouis !», car les questions posées actuellement  à la science portent moins sur la curiosité que sur la  jouissance et la logique de la science dans ce domaine qui est d’aller à son terme les yeux fermés…

  Une crise de la transmission se fait jour, crise des interdits protecteurs de nous-même, crise des repères symboliques… Monette Vaquin voit dans ces investigations sur le génome humain une recherche dans le corps d’un message codé de nos pères et de la Loi. Cependant  seul le génome singulier existe et non un génome humain « générique »… 
Il apparaît enfin paradoxal de rechercher la Loi tout en la bafouant par instrumentalisation de l’embryon pour en corriger certains défauts.

Ces travaux signent le désir d’évacuer la question de la castration et de la sexualité… où l’homme et la femme seraient virtuellement désaliénés l’un à l’autre, travaux qui ne sont pas sans écho avec l’idéologie transhumaniste…

Enfin à l’instar de Rabelais pour qui « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », science sans objectivité ne serait plus une science, mais en revanche, vouloir porter un regard objectif sur l’homme ne serait pas une science mais une perversion. Paolo Lévi dans « Si c’est un homme » rapporte ce propos lors de sa convocation comme chimiste par le chef de camp nazi : « Son regard ne fut pas celui d’homme à homme. Il me contempla à travers la vitre d’un aquarium. »
Pour Levinas le visage n’éveille rien chez le pervers !…

Guy Decroix – Mai 2020 – Institut Français de Psychanalyse©

Actualité du transhumanisme et psychanalyse

Sylvain Brassart

L’homme amélioré, fantasme de toujours, devient aujourd’hui réalité : l’Homme est en mesure de prendre le contrôle de l’évolution pour proposer au grand public d’ici à 2030 des possibilités d’implants Homme-Technologies.

Dans l’histoire de l’humanité, plusieurs changements de paradigme ont été opérés du fait des évolutions techniques : sédentarisation, avènement de la conscience, ère industrielle, ère de l’information. D’ores et déjà en cours, l’homme amélioré (transhumanisme) est une authentique révolution. Le questionnement éthique généré semble surréaliste : « Comment allons-nous rester humain ? ». La science fiction d’hier devient l’actualité ontologique.

il ne s’agit plus de prothèses et autres opérations réparant l’homme, d’ordinateurs de poches connectant chacun en permanence mais de prothèses intégrées au corps (implants dans le cerveau, organes modifiés, …) et de programmation génétique. Une professeure de médecine chinoise a aussi développé un utérus artificiel. L’homme mâle pourra être enceint. Des sociétés américaines commercialisent déjà des embryons sélectionnés pour leurs caractéristiques génétiques. Les pratiques américaines d’eugénisme (appliquées par 33 états américains entre 1930 et 1950 via la stérilisation forcée des handicapés, des alcooliques, …) sont et seront décuplées.

A l’horizon des 10-15 ans, l’homme normal de demain sera amélioré (Google développe ses implants neuronaux : la recherche actuelle finalise leur positionnement au sein du cerveau ). L’homme normal d’aujourd’hui sera handicapé.
Le vieillissement sera un choix, une maladie réversible, une option commerciale. Jusqu’alors l’homme se concevait comme supérieur à la nature, aujourd’hui il se distancie de sa naturalité.

Le hasard de la création s’élimine progressivement (il ne s’agit plus seulement de choisir le sexe du nourrisson mais aussi ses caractéristiques génétiques). La procréation devient rationnelle, déterminée.
Jusqu’alors la vie humaine avait une fin et était tissée de hasard. Ces deux conditions disparaissent progressivement, entrainant avec elles la fin du sens de la vie et de la mort, sens qui sera donc questionné.

Sylvain Brassart – Mai 2020 – Institut Français de Psychanalyse©

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Le père, de la mythologie à la psychanalyse

Guy Decroix – Avril 2020

                        « En coupant la tête à Louis XVI, la Révolution a coupé la tête de tous les pères de famille »
Honoré de Balzac – La comédie humaine

Le Caravage – Le sacrifice d’Isaac, 1603, Musée des Offices, Florence

A des fins d’illustration de la figure du père, nous revisiterons deux figures légendaires ancestrales incarnant malgré leur similitude de parcours deux positions extrêmes de la paternité. Nous emprunterons ces deux personnages analysés à Simone et Moussa Nabati dans leur ouvrage Le père, à quoi ça sert : Abraham dans la mythologie hébraïque et Laïos dans la mythologie grecque.
Ces auteurs font remarquer un certain nombre de convergences : une paternité entravée, deux fils annoncés par prédiction et destinés à être tués, et de divergences. Des générations à venir, avortée chez Œdipe et prospérante chez Isaac, « Je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel et comme le sable du rivage de la mer », une nomination prévue chez Isaac, « Ton fils tu l’appelleras Isaac » et absente pour Œdipe, enfin deux positionnements d’acceptation ou de fuite au regard du destin humain.

Revenons sur ces positionnements extrêmes et opposés de la paternité au regard de la place dans la lignée.

– Premier positionnement : La puissance mortifère paternelle et l’absence de renoncement.
Laïos qui refuse son destin pour protéger sa personne, qui ne peut céder sa place à sa progéniture vécue comme rivale est conduit à sacrifier son fils innocent pour ne pas renoncer à sa toute-puissance mortifère. Œdipe sera alors interdit d’inscription dans la triangulation en raison d’un père immature qui refuse le manque et pour qui la paternité est un drame. Laïos en niant la différence des générations provoque un destin funeste à Œdipe le non nommé mais surnommé pieds enflés par le Roi adoptif et interrompra le temps par son parricide, la transmission et la suite des générations. De surcroit Laïos niera la différence des sexes en violant son protégé Chrysippos, fils adolescent de son hôte Pélops. De honte, Chrysippos se suicidera et Pélops maudira Laïos et son lignage. Ainsi s’originera la malédiction des Labdacides. On peut s’interroger sur un possible fantasme originaire où, pour le psychisme, la séduction du père s’exercerait tant pour la fille que pour le garçon.
Alfred Tomatis propose une interprétation originale du mythe sophocléen. Il retrace à travers ses noms les grandes étapes que chacun doit traverser pour accéder au langage. C’est un processus psychologique qui fait passer du stade digestif, celui de « prendre », comme le fait le petit enfant à celui de « donner » en grandissant, faute de quoi certains restent bloqués affectivement à l’âge de quatre ans.
Ainsi Œdipe non nommé et héritier d’une lignée de « pères boiteux » du langage (Labdacos « celui qui tête », Laïos « le bègue ») sera sans descendance.
Notons que ce scénario d’infanticide se rencontrera chez les grecs avec Iphigénie, mais qui est une fille, sacrifiée par son père afin de recueillir la faveur des vents propices à la navigation.

– Second positionnement : Le père vivifiant et le renoncement.
Abraham, en tant que figure paternelle fondatrice d’une grande tradition, constituerait l’antidote de cette paternité destructrice.
Le patriarche sur une injonction divine se résigne à sacrifier son fils Isaac, mais un messager vient l’en empêcher en retenant son bras armé et lui désigne en substitution un jeune bélier prisonnier dans les buissons derrière lui : « Je sais que tu crains Dieu, tu n’as pas refusé ton fils unique. » Genèse 22-12
Les interprétations hébraïque, anthropologique, psychanalytique sont multiples. Quoi qu’il en soit, on peut observer que ce pseudo-sacrifice d’Isaac, ou « ligature d’Isaac », conduit d’une part à l’interdiction absolue de tout sacrifice humain (ce Dieu interdit que les hommes tuent pour lui et en son nom), et d’autre part à une succession de générations par ce fils épargné. La violence paternelle infanticide est résolu symboliquement. La lame du couteau d’Abraham en castrant cette jouissance ouvre une béance entre la jouissance et le désir et renouvelle l’alliance. En laissant la vie sauve à Isaac, le patriarche accepte d’être dépassé par le fils et de laisser la place à la génération suivante. Chacun est à sa place et filiations et engendrements se poursuivront ; ainsi Agar donne à Abraham un premier fils Ismaël, « Dieu qui a entendu ma demande », qui sera à l’origine du lignage du peuple Arabe puis un second fils Isaac, « il rira », avec Sarah, reconnu comme l’ancêtre des Israélites dont le peuple juif est le descendant.
Abraham exprimera en d’autres lieux sa capacité à la séparation non violente pour que chacun n’occupe que sa place. Dans une dispute relative à l’occupation du territoire entre les bergers d’Abraham et ceux de Loth son neveu, Abraham dit à Loth :
« Surtout qu’il n’y ait pas de querelle entre toi et moi, entre tes bergers et les miens, car nous sommes frères ! N’as-tu pas tout le pays devant toi ? Sépare-toi donc de moi. Si tu vas à gauche, j’irai à droite, et si tu vas à droite, j’irai à gauche. » Genèse 13,7-12.
C’est ainsi que chacun occupa sa place paisiblement.
Pour reprendre l’hypothèse d’Alfred Tomatis évoquée à propos d’Œdipe on peut remarquer l’opposition magistrale de destin des deux fils. Jacob, fils cadet d’Isaac et de Rebecca, est vainqueur d’une bataille avec l’ange de Dieu. De ce combat Jacob restera boiteux mais intégrera le langage, changera de nom : « Ton nom ne sera plus Jacob mais Israël parce que tu as lutté avec Dieu et avec les hommes et que tu l’as emporté. » Genèse 32, 25-29, pour devenir Israël « celui qui a gagné » et deviendra le père de douze fils fondateurs des douze tribus d’Israël.
Ainsi s’opposent ces deux pères ancestraux dans le rapport à la toute-puissance : un père mortifère sacrifiant son fils innocent pour ne pas renoncer à sa toute puissance et un père vivifiant acceptant de se laisser dépasser par son fils. D’une certaine façon, une bonne image du père pourrait être le père juif car soumis à tant de commandements (613 mitzvot) qu’il ne peut se prendre pour un père dans l’obligation de suivre tant d’injonctions.
Également, cette illustration serait en écho au « devenir femme » par renoncement à une position phallique exprimée dans le jugement de Salomon où deux femmes réclament leur fils. Le Roi reconnaît la véritable mère à celle qui préfère donner le bébé vivant à l’autre femme à l’opposé de celle qui s’apprête au partage. La « vraie mère » serait celle qui renonce. Par ailleurs peut-on avancer l’hypothèse qu’un non-renoncement de la mère pourrait expliquer la stérilité non physiologique de certaines femmes en s’identifiant à une mère archaïque omnipotente et complète à qui il ne manque rien ? La question de la stérilité se pose dès l’origine avec Sarah, femme d’Abraham.

Ici la fonction paternelle se déclinerait ainsi dans trois dimensions :

– Le père est désigné à l’enfant par la mère qui croit dès lors en cette désignation : « Cet homme-là est ton père ».
Ainsi le père peut reconnaître et nommer l’enfant (fonction de nomination du père) qui donne son nom propre bien qu’impropre en tant qu’il ne lui appartient pas. Dans cet acte de foi, cet acte de naissance, l’enfant ne peut « combler » la mère qui désire ailleurs, qui pourrait dire « j’attends de ton père le phallus manquant ». Il y a de l’autre (le nom du Père), chacun n’est pas « tout » pour l’autre. Le père occupe la place de « l’homme de la mère » et introduit à l’altérité. Cet enfant in-fans, c’est à dire non parlant est désormais pris dans le langage abstrait (métaphore paternelle pour Lacan qui est une fonction symbolique, clef de voute sur laquelle repose tous les autres signifiants, faute de quoi la psychose guette par absence de « je » et de « semblant »). Cette entrée dans le langage est relativement violente en tant que « le mot est le meurtre de la chose ». Cet aphorisme de Michel Foucault sera repris par Lacan pour exprimer la représentation d’un objet en son absence. Cette violence pourrait être atténuée par la voix chantante adressée à l’enfant par tout adulte. Face à une mère qui se vit souvent dans l’éprouvé de donner et non de transmettre la vie, cette fonction paternelle libère l’enfant de la toute-puissance maternelle et « aliène » suffisamment la mère pour que l’enfant la perçoive plus fragile et moins puissante. L’enfant pourra alors élaborer le père même si la mère peut être aussi élaborée, mais cette construction demeurera toujours sur un support « mater-iel » charnel. Il pourra l’idéaliser dans un premier temps en qualité de père symbolique protecteur l’ouvrant vers l’extérieur, à la fois comme « père-missif » ou perversion – version du père pour Lacan, qui le fait sortir vers l’extérieur sans peur de grandir, pour devenir à terme parent de lui-même, « père-cutant » qui rompt la relation fusionnelle psychotique infantile avec la mère (la folie maternelle de Winnicott) et « père-spective » qui l’accompagne de la promesse de sa présence pour vaincre des obstacles et lui transmettre la conviction d’un futur intéressant. Chacun désormais accède à sa place dans la triangulation.

– Le père réalise une double négation, édicte deux inter-dits au sens de « ce qui est dit entre ».
Un premier interdit tiers en direction de la mère sous l’injonction protectrice du non retour dans le corps de celle-ci (la mort dans l’inconscient), « Tu ne réincorporeras pas ton enfant », et de l’enfant sous la forme « Tu ne désireras pas l’objet de mon désir », puis un second interdit tiers en direction de la Loi afin de l’épargner d’un surmoi trop puissant, celui de parents « pro-créateurs » par délégation du créateur divin occupant une place théâtrale à l’instar du père du Président Schreber, de Kafka, de Masoch, d’Hitler ou celui d’une loi écrasante, d’un Dieu surpuissant, à savoir d’un système symbolique tyrannique. Alors ces interdits déclenchent « la pulsion épistémophilique ». La castration permet d’accéder à la « gaie quête » du savoir.

– Le père engage la différenciation des sexes qui contraint à renoncer au fantasme de la bisexualité, ou de l’androgynie, en accomplissant le deuil d’un sexe, le manque faisant partie de son identité. Le père est différent et marque ainsi la fonction paternelle, différent en tant que porteur du phallus, « il n’est pas sans l’avoir », précise Lacan, et par son incapacité d’engendrement (Françoise Héritier) quel que soit de surcroit le sexe de l’enfant.  Cette différenciation des sexes étaye la pensée en substituant à l’état de corps à corps, sans besoin, sans désir, de l’enfant, une obligation de l’usage de la langue et de sa grammaire. Cette différenciation structure la pensée par imposition de ces deux concepts cardinaux « l’identique et le diffèrent » à la base des systèmes qui opposent des valeurs concrètes (chaud, froid…) et abstraites (masculin, féminin).

Enfin le père engage la différence des générations en poussant au renoncement endogamique, en inscrivant l’enfant dans la filiation ancestrale, et non de la chair, comme mémoire de tous les pères précédents, avec leurs histoires et leurs positions singulières dans la famille. Le père (comme la mère) advient dans une transmission et non ex nihilo, en tant qu’aboutissement des pères précédents. Pour Pierre Legendre, l’homme est un « animal généalogique » et la filiation concept universel doit être traitée en principe politique devant assurer l’assemblage de trois éléments : le biologique, le social et la subjectivation. A la différence de l’animal l’homme exprime la nécessité de savoir qui est son père, son arrière-grand-mère… Tout trou dans le passé s’avérerait source de pathologies.
Ces questions de différenciations demeurent fondamentales et majeures au vu des « petites différences narcissiques » repérées par Freud.
On sait depuis Freud que la fonction paternelle est l’une de ces trois fonctions avec celle de chef d’état et d’analyste où l’on est sûr d’échouer mais avec Jean-Pierre Winter on peut constater que l’on assiste aujourd’hui à un symptôme sociétal qui tend à rendre superfétatoire la fonction paternelle. En effet les techniques de la PMA (Procréation Médicalement Assistée) autorisent la réalisation du vœu œdipien du garçon « Papa me dérange dans ma relation avec maman » et contrecarrent quelque chose qui fonde l’ordre de la civilisation du 5° commandement « Tu honoreras ton père et ta mère ». L’affadissement de la figure du père ouvrirait la voie aux frères sur le mode fraternel par collage des frères dans une identification mimétique et fratricide avec recherche de boucs émissaires. Alors cette carence de la fonction paternelle dans nos sociétés occidentales pourrait être à la source de pathologies plus floues (Phénomène « Tanguy », borderline, délinquance, voire psychose…).
Jean-Pierre Lebrun corrobore cette vision en pointant que dans les années 1980 le terme de parentalité, qui peut estomper la différence des sexes, s’est substitué à celui de parenté, qui suppose un rapport d’alliance entre deux sexes différents.
A l’opposé, on a pu témoigner qu’un récit symbolique héroïque, tenu pendant la guerre à propos d’un père mort ou absent physiquement, poussait le fils, alors sujet de la filiation, à faire aussi bien voire mieux que ce père, illustration du poème de Victor Hugo, « Mon père ce héros au sourire si doux… », Après la bataille.

Guy Decroix – Avril 2020 – Institut Français de Psychanalyse©

Bibliographie :
Bernard This, Le père acte de naissance, Points, 1991
Simone et Moussa Nabati, Le père à quoi ça sert ?, Dervy, 2015
Didier Dumas, Sans père et sans parole, Fayard, 1990
Françoise Héritier, Masculin/Féminin, Odile Jacob, 1996
Jean Pierre Lebrun, Fonction maternelle, fonction paternelle, yapaka.be, 2011
Jean-Pierre Winter, L’avenir du père, Albin Michel, 2019
Pierre Legendre et Alexandra Papageorgiou-Legendre, Leçon IV filiation, Fayard, 1990

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Sapho se précipitant du rocher de Leucade

Serge-Henri Saint-Michel – Mai 2020

Antoine-Jean Gros – Sapho se précipitant du rocher de Leucade (1801)

Sapho s’élance, s’appuie sur sa jambe gauche, le pied assuré et nu ; elle semble s’être hâtée, son étole caressant le rocher sous l’effet du vent, celui qui fait vaciller la flamme du phare, qui crée le clapotis au pied de la falaise et brosse les nuages, qui anime la scène, lui apporte un souffle de gauche à droite (qui vient étonnamment du sud), avant que le vent de l’inspiration de Sapho ne soit emporté dans un mouvement inverse.

Le pied dans l’oeuvre

Paradoxalement, un seul élément est peint figé, dans un entre-deux temporel : Sapho, figurée à l’instant où tout devient irréversible, sans que rien ne soit encore accompli ; Sapho dans son Kaïros, similaire à celui de Bonaparte au pont d’Arcole. Et le temps s’arrête, mêlant équilibre et déséquilibre, posant la question de l’après, bien que nous en connaissions déjà l’issue.

Dans ces mouvements et cet arrêt, Sapho est le point d’équilibre, de concentration du regard, mais aussi de tensions et de paradoxes….

Tension entre le soleil de la vie qui se couche et le phare, feu de la vie que l’on entretient, accrue par le sens de lecture inversé dans lequel le passé est à droite. Antoine-Jean Gros nous inviterait-il à réfléchir au sens de la vie ? Ou au personnage a-normal qu’est Sapho ?

Tension entre les deux feux, à équidistance de son sexe, mais qui la placent sur une pente qui bascule.

Tension encore entre la beauté de la servante de l’amour idéal, qui tient une lyre en hommage à Apollon, révélée par une robe diaphane, et la mort. Et si cette robe était déjà un linceul ?

Tension enfin entre Eros et Thanatos… rappelée par une atmosphère sombre, des teintes funèbres, une palette réduite, dans laquelle le blanc, le Leukos, domine finalement. Comme la falaise vertigineuse de Leukade d’où Sapho, musicienne aux moeurs qualifiées de dissolues et en même temps vestale accomplie des lettres, se précipite.

Ses yeux sont déjà fermés pour l’éternité ; sa résolution a été prise en femme libre, autonome, en droite ligne de la vie qu’elle a menée, au gré de ses envies, de ses désirs. Sapho, en se suicidant, reste libre. Libre de choisir de mourir et de choisir le lieu et le moment, hic et nunc, en toute cohérence.

Le saut dans le temps

En 1801, Antoine-Jean Gros présente Sapho se précipitant du rocher de Leucade, une commande du général Dessolles. Il a trente ans et sa toile est une prémonition. Cette oeuvre a 20 ans d’avance sur les romantiques, classant Antoine-Jean Gros dans les pré-romantiques, comme Chateaubriand, car elle propose une originalité de style et de personnalité, s’appuie sur la poésie qui détient une

place-clé dans la philosophie romantique, parce qu’elle affiche une réelle sensibilité, et réhabilite les passions et le Moi.

Sapho se précipitant du rocher de Leucade a aussi un siècle d’avance sur Freud. Le suicide Sapho s’explique-t-il par sa sexualité ? Par un amour déçu ? Par un amour contraire aux relations qu’on lui prêtait alors ? Par des injonctions sociales ? Comme si Sapho, ne pouvant vivre avec sa double facette, était « victime » de son destin, si cher aux Grecs depuis Jason et OEdipe, permettant ainsi à la morale d’être sauve : l’homosexualité est mortifère et les dieux sont là pour rappeler la nécessaire vertu, par la mobilisation de symboles.

Vertu… Diomède de Thrace, connu pour nourrir ses chevaux avec la chair de ses hôtes, sert d’illustration à ces interdits mythologiques. Il sera demandé à Hercule de dérober ses chevaux pour son huitième travail et de les ramener à Argos. Antoine-Jean Gros envoie au Salon Hercule écrasant Diomède. Ce sera sa dernière contribution.

Le 25 juin 1835, il se suicidera en se jetant dans la Seine aux environs de Meudon. On retrouvera dans son chapeau les lignes suivantes : « las de la vie, et trahi par les dernières facultés qui me la rendaient supportable, j’ai résolu de m’en défaire ».

Le promontoire de Leucate, prémonitoire de Meudon ?

Serge-Henri Saint-Michel – Mai 2020 – Psychiart©

*Psychiart© illustre les grands concepts de la psychanalyse, les principales pathologies en s’appuyant sur une œuvre d’art. Psychiart, interprétation personnelle d’oeuvres d’art inspirantes dans ma pratique de la psychanalyse, livre une approche curieuse, anglée, personnelle, transversale, motivée par mon goût pour la mythologie, les arts, la philosophie, la communication et la sociologie et, bien entendu, pour la psychanalyse, qui trouvent ici un point de cristallisation.
Les articles à la fois destinés au grand public et aux professionnels invitent le lecteur à prendre à son tour posture, à élaborer sa propre vision de l’oeuvre.
En somme, ces billets ouvrent et proposent des voies plus qu’ils n’en bouclent, suscitent l’interrogation, pour amener le lecteur à se positionner face à l’oeuvre. Un peu comme en analyse…

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Covid et psychanalyse

Nicolas Koreicho – Avril 2020

Le covid, résultat d’une conjonction mortifère : maltraitance animale, porosité des frontières, inconséquence des discours

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde.»
Albert Camus

« Qui sait si le coup de vent qui abat un toit ne dilate pas toute une forêt ? Pourquoi le volcan qui bouleverse une ville ne féconderait-il pas une province ? Voilà encore de notre orgueil : nous nous faisons le centre de la nature, le but de la création et sa raison suprême. Tout ce que nous voyons ne pas s’y conformer nous étonne, tout ce qui nous est opposé nous exaspère. »
Gustave Flaubert – Pensées

« Ave Cesar. Morituri te salutant »
Suétone –  
Phrase prononcée en l’an 52 par des soldats renégats que l’empereur Claude avait forcé à combattre, et qui furent condamnés à mourir.

Le covid est le résultat de la maltraitance animale (Wuhan, Chine : l’épouvantable marché aux animaux), du no-limit, de l’ignorance de la sensibilité de l’Autre, humain, non-humain, de la porosité des Frontières, de l’inconséquence des discours.
En ces temps d’épidémie, causée par l’invraisemblable stupidité d’humains abrutis de croyance et/ou d’immédiateté qui séquestrent, torturent, chassent, déportent, dévorent tout ce qui a des plumes, des poils, des écailles, civettes, chauve-souris, pangolins, singes, chiens, chats, serpents, louveteaux, avec la responsabilité de ceux aussi qui tolèrent l’abominable exemplarité des spectacles de taureaux, la férocité inouïe de la chasse aux requins, des fermes à ours, le commerce des cornes de rhinocéros, des défenses d’éléphant… sans une once de compréhension pour la beauté du sauvage, l’écologie du monde, la souffrance, la fragilité de la vie – destruction des écosystèmes, nouveaux pathogènes qui franchissent la barrière des espèces, surpopulation irresponsable -, nous sommes confrontés à trois discours habituels dans les grands événements et qui se révèlent dans toute leur précarité :
Le discours politique, détaché, insincère, amusé parfois, appris, surjoué, dont on attendait qu’il eût une épaisseur paternelle.
Le discours médiatique, stéréotypé, complaisant, interrogatif parfois, conformiste, compassé, dont on attendait la neutralité du tiers.
Le discours médical, contradictoire, approximatif, exigeant parfois, révolté, captivant, dont on attendait a minima une justesse, sinon une justice.
Les trois se rejoignent donc en cette sinistre aubaine dans la valorisation de leurs intérêts.
La question embarrassante des masques est à cet égard révélatrice. Le masque c’est à la lettre, paradoxalement, ce qui gomme le sujet, et en même temps, ce qui représente son théâtre (la persona), la personnalité, ou personne. Le masque est une négation, comme l’indique son étymologie (les notions de « noir », cf. mascara, et de «sorcier, démon» sont étroitement associées dans l’imagination populaire).
Le masque est ce qui fait de l’humain des individus anonymes, dociles, consommateurs : maudits en tant que sujets. C ’est aussi la « mascarade », ce qui cache, camoufle, protège, l’esquive (l’embrouille) par excellence. Ainsi, chacun peut s’y retrouver, s’abstraire et, faute de compréhension, absoudre la défaillance de l’Etat et des institutions.
Les trois discours, et leurs représentants les plus satisfaits, nous ont tout d’abord affirmé d’une seule voix que le virus se transmettait par la toux et les éternuements. Dans un second temps qu’il se transmettait également par les postillons. Dans un troisième temps qu’il se transmettait par la proximité et la parole. Or, depuis le début de l’épidémie, et ce n’est qu’aujourd’hui que les trois corps partagent timidement ce fait que tout le monde avait intégré simplement en regardant les images du monde, que le coronavirus est aérodispersible, et dès lors qu’il se propage par le souffle, la vapeur de la respiration, qu’il est dans l’air, selon des modalités et des conditions variables en fonction de la densité virale ou de la promiscuité propre à tel ou tel environnement.
Les trois discours se rejoignent sur cette caractéristique : l’inconséquence.

Du côté du peuple, tour à tour inquiet, aveuglé, rassuré, désolé, trompé, excédé, le suivisme est partagé, dénotant une population délaissée, privée de masques, car selon les trois corps, il y a encore quelques heures, «réservés aux soignants et aux malades, car inutiles pour les autres», de tests, de soins (abandon des anciens chez eux ou en institution) et de traitements, qui existent pourtant et qui éviteraient que l’on pût se retrouver en réanimation à l’hôpital, et qui sont adaptés aux personnes en début de maladie, dénotant une population infantilisée par les explications qui lui sont données, confrontée au système D, au chacun pour soi et/ou à une certaine solidarité afin de se protéger a minima de l’isolement, des fautes, des arrogances, des malhonnêtetés.
Il est possible de déceler trois types de comportement généraux à l’œuvre chez une grande partie des personnes, confrontées à cette étrange «pause» dans la destructivité explosive de la démographie irresponsable et du mondialisme, placées soudain dans l’interrogation de paradigmes existentiels remis en question :

– Une régression généralisée, s’adjoignant le rappel du souvenir d’une Mère, et pour celui-ci le confinement tombe à pic, qui offre le confort contenant et maternant de l’amnios, et conduisant selon les tempéraments à l’infantile, au gnangnan des réseaux sociaux (le pire : qui édulcore), au papier toilette pour satisfaire au stade anal, aux coquillettes pour complaire au stade oral, à la servilité de l’infans, pour désobéir à l’accession au stade phallique, qui tente en vain d’être considéré, avec, comme ressort primaire face à la sidération, à la détresse, à l’angoisse, la pulsion d’autoconservation.

– La peur, empruntant le recours transférentiel au refuge substitutif vers le Père dans l’admiration de tel politique, éditorialiste, scientifique ; peur éprouvée par la jeunesse dont témoignent les applaudissements au personnel soignant ou l’humiliant et insupportable «si vous êtes malade, restez chez vous» (les médecins apprécieront), sauf si vous êtes dans un état quasi désespéré, alors allez mourir à l’hôpital (et puis quid de l’oubli de ceux qui vont travailler, et des éboueurs, gens de ménage, livreurs, employés de caisse, artisans, commerçants, indépendants, policiers, chauffeurs, pompiers… ?) ; peur ressentie par des «jeunes» et des «marges» qui profitent d’une délinquance commune protégée et à présent ouvertement tolérée ; peur de l’hôpital qui peine à exercer son rôle, réduit à l’article de la mort ; peur envisagée par les enfants, qui retrouvent leurs devoirs et leurs histoires de famille, étonnés des spasmes du monde de l’humain expansif et délirant dont ils sont en train d’hériter.

– Le renouveau de la personne, tout en réagencement vers le libre adulte responsable, honnête et respectueux, dans la créativité, le lien retrouvé, les réseaux sociaux (le meilleur : qui éveille), en un retour nostalgique et attendrissant (défis des photos d’enfance, des livres, des films), en la découverte du bien-fondé de notre culture, et, paradoxalement, de la nature dévoilée soudain, de l’ouverture à l’autre, reconnu et reconnaissant, en le courage du retour sur soi et de l’introspection, un des possibles de la dépressivité, le travail intellectuel et artistique, la beauté, une certaine spiritualité, toutes manières de déjouer la pulsion de mort en des productions éphémères, durables, sublimatoires.

Baignés dans la pléthore des discours anxiogènes (insincères donc manipulatoires), les professionnels de la santé mentale, les malades, leurs proches, sont amenés à observer une nécessaire vigilance vis-à-vis des décompensations psychiques des personnes âgées, outre les classiques confusions, chutes, désorientations, ainsi que vis-à-vis des très jeunes touchés par l’autisme, le TDAH, les TOC, compte tenu des risques d’aggravation de ces troubles, sans oublier les problématiques iatrogènes des interactions possibles de la maladie et des psychotropes.
Cependant, avec en arrière plan psychique la reviviscence soudaine de la pulsion d’auto-conservation, des comportements particuliers se font jour à l’occasion de phénomènes dus à la réalisation de cette angoisse que la peur d’un objet bien contenu eût suffi à juguler, angoisse d’abord consécutive aux névroses, qui proviennent d’un conflit interne suivi d’un refoulement, ensuite aux psychoses, qui représentent la reconstruction d’une réalité hallucinatoire, enfin aux pathologies narcissiques, qui sont constituées du désir que suppose l’idéal d’un objet inanimé, tous troubles, en l’occurrence réactionnels à la crise épidémique, en décompensation ou en involution :
– La névrose d’angoisse va se trouver régénérée par la proximité de la mort, le risque de la perte d’autonomie, la peur de l’isolement. Troubles de l’alimentation, du sommeil, de la sexualité, hyperactivité du système nerveux végétatif, anxiété idéique sont au programme.
– La névrose phobique qui est finalement une forme de gestion de l’angoisse, va plutôt se stabiliser ou migrer vers des TOC. Malgré tout, pensons au refuge assez providentiel dans le confinement pour les agoraphobiques et ayons une pensée brûlante pour les personnes souffrant du TOC de lavage des mains (!).
– La névrose hystérique verra quant à elle apparaître une avidité affective, relativement épuisante, et des états paroxystiques de conversion, parfois un abattement de ce corps devenu pour l’autre invisible.
– La névrose obsessionnelle serait plutôt celle qui semble le mieux s’accommoder, avec des moments, voire des univers, ritualisés, rationalisés, intellectualisés, et qui correspondraient assez bien à une forme d’adaptation circonstancielle, qui peut tourner à l’autosatisfaction.
– Le trouble hypocondriaque, dont les affres prophylactiques contraignent à la documentation effrénée et à l’examen physique énervé, et qui nourrit à l’envi la conjonction vibrante du mental et du corporel.
– Les stress post-traumatiques, dans les conditions de chocs consécutifs aux mauvaises nouvelles qui ponctuent nos informations, vont provoquer des refus, des dissociations, une agitation, ou, à l’inverse, un syndrome de glissement, une soumission, et, pensons aux soignants, une profonde lassitude.
– Les psychoses, schizophréniques, paranoïaques, maniaco-dépressives, qui sont placées dans une relation à l’autre complexe et systématiquement dysphorique, autre pour elles vecteur de dangerosité, vont davantage se stabiliser et faire faire le gros dos, comme si elles trouvaient dans les événements un environnement adapté, une nourriture environnementale idoine, qui colle (qui contient) à la souffrance psychotique.
– Les pathologies narcissiques, qui sont de faux amis, des solutions superficielles à des problématiques profondes, la perversion, la toxicomanie, la psychopathie, les troubles limites de la personnalité, qui posent l’éminente question de la responsabilité, ne vont pas être modifiées par les événements qui malheureusement, ceci étant dû à une permissivité retrouvée, vont être l’occasion de passages à l’acte, possiblement violents.

Nicolas Koreicho – Avril 2020 – Institut Français de Psychanalyse©

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Emotions, sentiments, affects

Nicolas Koreicho – Mars 2020

« Tout ce qui se manifeste est vision de l’invisible. »
Anaxagore – 4ème s. av. JC

« J’envoie les sentiments dans la gueule des gens, dans leur cerveau, dans leur corps. »

Johnny Hallyday – Paris Match, 2012

 “ Nous ne savons renoncer à rien. Nous ne savons qu’échanger une chose contre une autre.”
Sigmund Freud – Essais de psychanalyse appliquée

Statut du corps et de la mémoire dans les émotions, les sentiments, les affects

Le Monde de Christina – Andrew Wyeth – 1948 – MOMA, NYC

Distinction rapide préalable pulsion – émotion – sentiment – affect, tous éléments constitutifs du développement psychophysique :

Une pulsion est une poussée sans sujet et sans objet. C’est une force organique qui fait tendre le corps vers un but. La source en est biologique. Une émotion est un mouvement, un représentant psychique d’excitation, s’exprimant en un sujet corporel. Un sentiment implique un sujet et un objet réels. C’est déjà l’idée de relation ou de distanciation qui est incluse dans le sentiment. La présence ou l’absence d’une autre, puis d’un autre, sujet et objet, conditionne la transformation de l’émotion en sentiment puis en affect. Un affect suppose un sujet, un objet et une mémoire. L’affect est une des deux formes complexes, avec la représentation, que peut prendre la pulsion. L’affect est l’expression qualitative de l’énergie mise en mouvement par la pulsion. Nous avons avec l’affect la densité du sentiment à laquelle nous devons adjoindre la complexité du souvenir et de son potentiel d’édification. Le devenir de chacun de ces concepts dans la construction psychophysique de la personne ou de l’animal est conditionné par la qualité de leur développement intra et intersubjectif, ainsi que des passages de l’un à l’autre de ces instances.

Les émotions

Les émotions sont des phénomènes internes puis externes (un ressenti, une expression) suite à la modification ou au maintien physiologique ou psychologique (une sensation, une impression) d’un environnement physique ou psychique (un événement, une situation) ressenties par une personne ou un animal. Elles sont généralement brutales, intenses et de courte durée, à l’inverse des sentiments.

Emotion : de « mettre en mouvement ». Etymologie : latin emotionem, de emotum, supin de emovere, émouvoir. Mouvoir (-motion) vers l’extérieur (é-). Historiquement, « mouvement, trouble d’une population ; mouvement, trouble du corps », perceptible par soi ou par l’extérieur. Aujourd’hui, « trouble de la sensation ».

L’expérience émotionnelle est induite par la modification ou le maintien d’un environnement corporel et sensitif actif qui peut, conditionnant ainsi ses effets sur le sujet, être immédiat, instantané, durable, univoque, complexe, multiforme, unique ou répété. Par ailleurs, cet environnement, qui agit sur le fonctionnement neuronal, en fonction du rôle des nocicepteurs en particulier, concerne les régions impliquées dans la pensée complexe (cortex cingulaire antérieur, amygdale). L’environnement corporel, sensitif et actif, tour à tour électrique, chimique, ondulatoire, de la personne ou de l’animal, à partir de la naissance de l’embryon jusqu’à la fin de la vie, transmet au cerveau, qui l’enregistre, la nature, la localisation, la durée et l’intensité de l’expérience en question.
Les émotions sont aussi précoces que les véhicules de la sensorialité. En effet, l’embryon, puis le fœtus, réagissent positivement ou négativement aux stimuli et aux informations qui lui parviennent de l’intérieur du corps et du corps de la mère (accordage affectif et simultanée d’une dyade mère-enfant co-investie) ou de l’extérieur, à travers, dans l’ordre de développement des fonctions physiologiques, les sensibilités cutanée et vestibulaire, toucher et spatialisation, les sensibilités chimiques, goût et odorat, la sensibilité auditive, ouïe, la sensibilité visuelle, vue, ainsi que toutes les sensorialités pouvant être composées par la conjonction de plusieurs de ces fonctions.
Par ailleurs, pour être complet, et afin de situer les émotions dans la physiologie embryonnaire, les émotions se constituent en rapport aux sensations initialement attachées aux trois feuillets primaires – endoderme, mésoderme, ectoderme – à partir desquels se développent tous les tissus et les organes du corps : la sensibilité intéroceptive (liée aux appareils digestif, respiratoire, génital, endocrinien..), issue de l’endoderme, feuillet interne de l’embryon ; la sensibilité proprioceptive (le squelette, les muscles, le sang, les reins..), issue du mésoderme, feuillet intermédiaire de l’embryon ; la sensibilité extéroceptive (dépendant des cinq sens), issue de l’ectoderme, feuillet externe de l’embryon (la peau, les yeux, le système nerveux..).
Les émotions primaires, décelables dans les expressions de la sensorialité (activité faciale, corporelle, organique qui s’adresse aux cinq sens d’un supposé témoin) chez l’homme et chez l’animal sont dites primaires car elles permettent de construire des émotions composées, et parce qu’elles sont universelles : surprise, dégoût, peur, colère, tristesse, joie.

Les émotions correspondent à l’origine organique des sentiments concernant la personne et l’animal. Elles prédisposent et incitent le sujet à établir, à maintenir, à distendre et à interrompre la relation à soi et/ou à l’autre, ce qui sera réalisé en fonction des sentiments du sujet.

Les sentiments 

Les sentiments sont des perceptions intellectuelles et affectives actuelles qui, contrairement aux émotions, supposent un processus (une résonnance), une certaine durée et une intensité marquée.

Sentiment : de « sentir ». Successivement dans l’histoire du mot (du XIIème siècle à aujourd’hui) : « perception d’une sensation ; connaissance ; intelligence ; opinion ; science ; idée ; jugement ; faculté de sentir un ordre des choses, de valeurs ; manière de penser ; dévouement ; intérêt ; passion ; qualité artistique de sensibilité ; état affectif complexe composé d’éléments de perception, d’intellection, d’émotion ». Etymologie : bas latin, sentiments de sentire, sentir. Senti-, et le suffixe -ment  (fait de sentir) ; XIIème s. sentement. Provençal sentiment  ; espagnol sentimiento  ; italien sentimento. Aujourd’hui : composante de la sensibilité affective.

L’expérience sentimentale est produite par une émotion unique ou composée qui a, dans le système neuronal, grâce à des modifications chimiques, électriques, ondulatoires, particulièrement selon le rôle des neurotransmetteurs, une intensité, une durée et une résonnance entretenues par les conséquences physiques et psychiques induites par l’émotion ou par une composition d’émotions.
Le rôle de l’amygdale est prépondérant dans le développement, la construction et la modification des sentiments. 
Dans sa fonction d’input : elle reçoit des faisceaux de neurones qui acheminent des stimulations extérieures en provenance des régions sensorielles du thalamus et du cortex. La mémoire mise ainsi en branle est contextuelle. Elle permet de situer la stimulation en fonction des expériences antérieures et des souvenirs constitués.
Dans sa fonction d’output : les informations reçues sont réacheminées vers d’autres structures (locus cœruleus et hypothalamus).
L’amygdale active la production d’hormones (noradrénaline, adrénaline). Elle est naturellement impliquée dans les circuits de l’émotion, et en particulier dans ceux de la peur, de l’anxiété, du sentiment de danger. Son activité est réduite au contact de l’ocytocine (un peptide du plaisir). Elle est également impliquée dans les mécanismes des neurones-miroirs qui concernent le partage des sentiments d’un sujet à un autre.
L’intérêt de cette parenthèse neuro-psychologique dans la physiologie de l’émotion est que celle-ci précise que le sentiment qui va découler d’une émotion ou d’un composé de plusieurs émotions est paradoxal. C’est le tremblement vital – et mortifère – induit par l’émotionnel, dysphorique et euphorique, qui colore le sentiment d’une nature profondément ambivalente.
Le sentiment se développe à la manière d’une forme d’imaginaire alimenté par l’émotion et entretenu par ses résonnances passées, présentes et anticipatoires en trois types de processus :
Un processus aversif, comme dans les sentiments de culpabilité, de honte, d’envie, d’antipathie, de jalousie, de frustration, de rivalité, de méfiance, de désespoir, d’abandon, de rage, de mélancolie, de supériorité, d’infériorité, de haine.
Un processus expectatif, comme dans les sentiments de peur, d’angoisse, d’envie, de frustration, d’imposture, de nostalgie, de mépris, d’humiliation, de tentation, érotique, artistique, religieux, de correspondance.
Un processus attractif, comme dans les sentiments d’appartenance, de confiance, océanique, de toute puissance, d’empathie, de tranquillité, de triomphe, de plénitude, d’amour.
Les sentiments, comme indiqué précédemment, sont des processus constitués d’une durée, d’une intensité et d’une résonnance, auxquels sont associés des contextes, des circonstances, des modalités de sensibilité, ceux-ci étant fonction de l’histoire du sujet et de sa position dans sa propre histoire, ainsi que dans sa possibilité de confier, de relier, de relire, de relater et de dépasser cette histoire, consciente et/ou inconsciente.

Les sentiments correspondent à la transformation des émotions dans le devenir psychique et physique du sujet, animal ou humain, et sont destinés à alimenter les composantes d’une mémoire affective, incrustée au cœur des circuits aversif, expectatif et attractif liés au plaisir, au déplaisir, au désir et au manque, les affects.

Les affects

Les affects, contrairement aux sentiments, qui eux sont qualifiés dans la majorité des cas par un complément de nom (sentiment de culpabilité…), sont la plupart du temps employés sans prédicat, comme par exemple le désir, hormis dans les expressions affect de plaisir ou affect de déplaisir [1], et sont issus de l’impact et de l’empreinte des sentiments renforcés par leur potentiel de modification ou d’édification de la personnalité. Les affects sont une des composantes de l’énergie provenant du ça où elle circule librement (processus primaire). Pour accéder au système préconscient-conscient, cette énergie (affect) doit être liée à une représentation (processus secondaire). 
Cependant que les émotions sont relativement « pures » et que les sentiments sont des composés de diverses émotions, l’affect, de son côté, est un concept limite entre le psychique et le somatique, entre l’idée et la chose. 

Affect : du latin affectus, « état affectif, disposition de l’âme ». En ancien français, affecte(e), « sentiment, passion » (1180, Cantique des cantiques). Jusqu’au XVIème s. « état, disposition ». En français, dans son sens actuel : à partir de 1942, « état affectif élémentaire ». Freud, à partir de la terminologie psychologique allemande Affect « mouvement ou état affectif impétueux », fait la distinction entre l’aspect subjectif de l’affect et sa dimension énergétique. Ainsi, selon lui (Etudes sur l’hystérie, 1895), l’affect ne se comprend que par l’intermédiaire de la pulsion, laquelle s’exprime sous deux formes : la représentation (l’image, la situation, l’idée) et l’affect (l’énergie, le mouvement, la force), puis dans son aspect économique dit quantum d’affect Affektbetrag.

Les affects, éprouvés affectifs, états d’esprit, émotions ré-agencées, constituent les aspects subjectifs, qualitatifs, touchant au sujet, donc, des émotions puis des sentiments. Les affects sont construits sur les relations intra et intersubjectives des sujets, et, par conséquent, à la manière des aménagements psychiques entretenus avec les arts (« Comme toute conversion, la découverte de l’art est la rupture d’une relation entre un homme et le monde. Elle connaît l’intensité profonde de ce que les psychanalystes nomment les affects. » A. Malraux – Les voix du silence), les affects retracent « l’attention et l’exploration » (Piéron – 1969), « l’expansion et la recherche » (Ibid.), « le retrait et la fuite » (Ibid.), tous syntagmes que l’on pourrait enrichir à l’envi et que, pour ma part, je résumerais dans l’idée d’attitude inconsciente par rapport aux épreuves de la vie, à un moment donné, selon les trois modalités positionnelles de l’esquive, du combat et de la fuite.
Ainsi, et à ce moment de notre développement, nous pouvons résumer l’affect selon sa valeur – aversive, expectative, attractive –, son intentionnalité – esquive, combat, fuite -, sa potentialité – plaisir, déplaisir, manque, désir -.
Le devenir des affects peut s’exprimer en terme de développement régressif, défensif ou expansif.
Sur le plan de la régression, l’alexithymie représente une incapacité à exprimer verbalement ses affects, une pauvreté de l’imagination et de l’intellection, une tendance à ne vouloir recourir qu’à l’action pour résoudre ses difficultés, une imperméabilité à l’aspect subjectif des événements, des situations, des relations au profit de leur dimension objective.
Sur le plan de la défense, les mécanismes de défense sont construits par l’inconscient du sujet pour pallier la rigueur du refoulé institué malgré soi, en le coupant de ses représentations. Ainsi, le déni, la dénégation, le déplacement, le clivage, la projection, l’idéalisation, l’introjection, l’idéalisation projective, la rationalisation, l’inhibition…, permettent au sujet d’éviter le désagrément de se voir confronté à des représentations inacceptables ou douloureuses.
Sur le plan de l’expansion, l’abréaction est la possibilité offerte à chacun d’accueillir le refoulé, malgré ses liens avec le souvenir d’une expérience de déplaisir. Compte tenu de la potentialité douloureuse de ces liens, affect et souvenir de déplaisir étant maintenus dans le refoulé et liés dans l’inconscient, la possibilité expansive consiste à déjouer cette inscription dysphorique grâce à la verbalisation, parfois difficile, du souvenir et de l’affect y associé. De la sorte, l’abréaction réalise l’expression, dans le champ de la conscience, de la coïncidence affective entre souvenir et affect et autorise ainsi la compréhension et la neutralisation des conséquences de l’inscription dysphorique.
Ainsi, les affects sont aptes à être reconnus, compris et modifiés par le sujet souffrant, offerts par le travail sur soi à la représentation.

Nicolas Koreicho – Mars 2020 – Institut Français de Psychanalyse©


[1]Plaisir – déplaisir : l’ensemble de l’activité mentale a pour but d’éviter le déplaisir et de procurer du plaisir. Ce principe rend compte de l’axe trophique fondamental nécessaire à toute élaboration cognitive des événements et des situations. 

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L’Inquiétant singulier

Vincent Caplier – Février 2020

L’angoissante étrangeté de l’objet Désir

« (…) Interrogé sur l’espérance qu’il avait 
D’une longue vieillesse, le devin répondit : “ S’il ne se connaît pas.”« 
Ovide – Les Métamorphoses (Livre III, 346-347)

Le Caravage Narcisse, Huile sur toile (vers 1598-1599) – Galerie nationale d’art ancien, Rome

Le fantasme du Caravage

La parole sibylline de Tirésias résume la dramatique condition de Narcisse. Laconique, l’indication proleptique (l’adresse au lecteur est double, le narrateur anticipant les faits au travers des mots de l’oracle) amorce l’épisode des destins spéculaires du chasseur mythique et de la plus loquace des nymphes. De l’intrigue, Le Caravage résout l’énigme du devin par une ellipse (le peintre par un procédé de raccourci assimilable condense la narration et oblige le récepteur à rétablir mentalement ce que le tableau passe sous silence). Absence de récit, tout au plus l’oreille du personnage tendue dans le vide s’en fait l’écho, prêtant à l’attribut perceptif une pulsion scopique. La source renvoie des mots qui ne parviennent à l’ouïe.

La bouche offerte, le jeune homme embrasse une fata morgana, contemple son double, s’éprend de cet être sans corps qu’est son ombre. Empreint de paraphrénie, seul au monde, l’enfant sidéré, au-delà de scruter son reflet à la surface de l’Érèbe, sonde un puit sans fond. Inconscient, il plonge son regard dans le sien et sombre dans les eaux du Styx. Illusion fatale !

L’amoureux, sujet du désir, investit son propre désir, objet du désir, désire son désir à s’y perdre lui-même, point critique où il admire une image fugace qui lui échappe, mélancolie de l’homme du kairos.

Ce numen pictural » geste silencieux d’un dieu qui donne existence à un destin par une simple inflexion de sa volonté, sans même commenter ou expliciter ce destin  » comme défini par Roland Barthes – noue avec le punctum, instantanéité de l’émotion piquant le sujet, zébrure traversant le champ de la toile. Le peintre lombard, dont le réalisme fit dire à Poussin qu’il était venu pour « détruire la peinture », nous montre un autre, un miroir révélateur, le tableau, lieu d’expérimentation de l’image de soi.

« L’ Histoire est hystérique : elle ne se constitue que si on la regarde – et pour la regarder, il faut en être exclu. »
Roland Barthes – La Chambre claire

René Magritte Le Faux miroir,
huile sur toile, 1928
MOMA, New-York

Le faux miroir

Les conditions de la spectature réunies, le spectator, happé par le tableau, inconsciemment fait face à un faux semblant devant le spectre de Narcisse, la polysémie du mythe s’inscrivant dans le regard de l’interprète.

 » Que voit-il ? Il ne sait ; mais ce qu’il voit le brûle, Et l’erreur qui abuse ses yeux les excite pareillement. Naïf, pourquoi chercher en vain à saisir une image fugace ? Ce que tu cherches n’existe pas ; ce que tu aimes, tourne-toi, tu le perds. L’ombre que tu distingues est celle d’un pur reflet. Elle est sans consistance, est apparue avec toi et demeure de même. « 

OvideLes Métamorphoses

Le tableau du Caravage n’est qu’un oeil baigné de larmes, la ligne de flottaison une pliure, les bras du héros les contours de l’oculus, le genou la pupille focale de la scène. Pétrifiés par l’orbite exacerbée, au vu de l’angoisse d’un seul face à lui-même, nous sommes Écho, tiers esseulé, exclu de l’équation. La question nous consume : que voit-il ? Peut-être le visage du désespoir, du horla ou d’un monstre d’argile… Un étranger à la place de l’aimé dont l’image à peine effleurée s’en est déjà allée. Perte, manque, absence ? Le vide comme état de désêtre.

 » La chose la plus miséricordieuse qui fut jamais accordée à l’homme est son incapacité à faire le rapprochement entre toutes ses connaissances. Nous vivons sur une île d’ignorance placide, au beau milieu de mers noires et infinies sur lesquelles il n’a jamais été prévu que nous naviguions très loin. Les sciences, dont chaque branche avance péniblement et exclusivement dans son domaine propre, ne nous ont pas vraiment fait de tort. Mais, un jour, le puzzle reconstitué de toutes nos connaissances encore dissociées, nous ouvrira de telles perspectives effroyables de la réalité et de notre terrifiante situation que cette révélation nous rendra fous ou nous fera fuir ces lumières mortelles pour replonger dans un âge des ténèbres paisible et sûr.« 

Howard Philips Lovecraft – L’Appel de Cthulhu
Le Désespéré – Gustave Courbet – Huile sur toile
Le Horla – Guy de Maupassant – Couverture Le livre de poche, Edition de 1979

 » Je me dressai en me tournant si vite que je faillis tomber. On y voyait comme en plein jour, et je ne me vis pas dans la glace ! Elle était vide, claire, pleine de lumière. Je n’étais pas dedans, et j’étais en face, cependant. Je la regardais avec des yeux affolés. Je n’osais pas aller vers elle, sentant bien qu’il était entre nous, lui, l’Invisible, et qu’il me cachait.

Oh ! comme j’eus peur ! Et voilà que je commençai à m’apercevoir dans une brume au fond du miroir, dans une brume comme à travers de l’eau ; et il me semblait que cette eau glissait de gauche à droite, lentement, me rendant plus précis de seconde en seconde. C’était comme la fin d’une éclipse. Ce qui me cachait n’avait pas de contours, mais une sorte de transparence opaque s’éclaircissant peu à peu.

Et je pus enfin me distinguer nettement, ainsi que je fais tous les jours en me regardant.

Je l’avais donc vu !

Et je ne l’ai pas revu.

Guy de Maupassant – Journal d’un fou

L’inquiétant singulier

En saisissant l’instant opportun, en l’excluant du continuum, l’artiste nous donne à voir la symbolisation (prise de conscience du manque ou de la perte d’élaboration face à l’inconcevable), le retour du refoulé (condensation de l’ambivalence des sentiments successifs) et la répétition (appropriation itérative du traumatisme et émergence du symbolique) aux prises d’une seule et même stupeur, siège d’un entre-deux, d’un Fort-da. Ce sentiment étrange, « Das Unheimliche », est singulier par son unicité en lien avec le sujet (unité de lieu, de temps et d’acteur), mais également par sa singularité (« Qui attire l’attention par son caractère étonnant, étrange, curieux » – Dictionnaire Larousse) qui renvoie à la situation, au complexe, à l’objet (unité d’action, de péril).

Si « le psychanalyste ne se sent que rarement appelé à faire des recherches d’esthétique« , sans doute du fait que Freud se considère sourd au sentiment océanique, la détresse infantile qui nous concerne ici relève pleinement d’une étude de cas. En représentant la complétude, l’Un, l’indifférenciation originaire sur le point de se scinder, le peintre élude la question qui nous taraude. Il ne propose pas une interprétation du mythe mais une attention flottante. Il donne à penser cette perturbation, ce malaise. Le problème n’est plus tant ce que Narcisse a vu ni ce qu’il va en advenir, puisque la réponse est connue, mais le vacillement de la scène.

De la solitude, du silence, de l’obscurité, nous ne pouvons rien dire, si ce n’est que ce sont là vraiment les éléments auxquels se rattache l’angoisse infantile qui jamais ne disparaît tout entière chez la plupart des hommes.
De ce problème, l’investigation psychanalytique s’est occupée ailleurs

Sigmund Freud – L’inquiétante étrangeté

 » Là où était du ça, doit advenir du moi.« 
Sigmund Freud – Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse

Cet Un-Heim-liche qui ne relève pas de l’inclusif (Moi), mais du hors champ (Ça) contient cette négation qui porte à la connaissance le refoulé, le caché, le secret,  » objet même de la psychanalyse : Das Unheimliche – ce qui n’appartient pas à la maison mais y demeure  » (Jean-Bertrand Pontalis – Avertissement de l’éditeur – L’inquiétante étrangeté et autres textes).

 » Là où c’était, je dois advenir. « 
Jacques Lacan – Le désir et son interprétation

Narcisse est une figure du déni généralement appréhendée négativement par la culture populaire, marquée du sceau du jugement de l’Autre. Le Caravage en isolant le sujet le transfigure, pose sur lui le regard finalement bienveillant d’Écho, à la fois absente et présente, au dedans et en dehors. Sentence, le déni de Narcisse serait de se nier lui même. Son drame, son incapacité à s’approprier sa dimension étrangère, Das Unheimliche.

C’est moi qui suis toi, je le devine ; et mon image ne me leurre point. Je brûle de l’amour de moi, déclencheur de ce feu et foyer à la fois. Que faire ? Attendre les questions, les formuler ? Et qu’ajouter de plus ? Ce que je désire est inséparable de moi, une richesse qui crée le manque. Ah ! si je pouvais me séparer de mon corps !

Ovide – Les Métamorphoses

La métamorphose, le retournement sont à l’oeuvre. Retour du récit en boucle, comme le retour du narcisse au printemps. Cycle du deuil et de la renaissance, figure de la répétition des pulsions et leur destin, entre besoin et satisfaction, plaisir et déplaisir. Ainsi en va-t-il de l’ambivalence du sujet et de l’Heimlich, cet inquiétant familier.

NB : Traduction des Métamorphoses d’Ovide par Danièle Robert aux Éditions Actes Sud, “Thesaurus”, 2001 ; Babel no 1573.

Vincent Caplier – Février 2020 – Institut Français de Psychanalyse

34RL1H3 Copyright Institut Français de Psychanalyse

Fantasmes originaires

Nicolas Koreicho – Janvier 2020

Fantasme ; Fantasmes originaires ; retour au sein maternel, séduction, scène primitive, castration, enfant trouvé

« Au temps où nous avons choisi de commencer le conte, l’univers vit sans maître, tout entier plongé dans l’harmonie de son chaos. Et s’il connaît le mouvement, il ignore toute idée de début et de fin, ignore jusqu’à sa forme et bat, indifférencié, à la seule fréquence de sa vibration fondamentale. » 
« Erda seule veille ou rêve qu’elle veille. » 
(L’anneau du Nibelung, Indications dramatiques pour l’adaptation de l’opéra de Richard Wagner par M. Béjart, E. Cooper, P. Godefroy.)

Les nymphes et le satyre - William-Adolphe Bouguereau
Les Nymphes et le satyre, William-Adolphe Bouguereau – 1873

Le fantasme

Avant de développer et de préciser la nature et l’objet des fantasmes originaires, nous devons rappeler ce qu’est un fantasme et ce qu’il représente. La définition traditionnelle du fantasme se rapporte selon Laplanche et Pontalis dans leur Vocabulaire de la psychanalyse à un « scénario imaginaire où le sujet est présent et qui figure, de façon plus ou moins déformée par les processus défensifs, l’accomplissement d’un désir et, en dernier ressort, d’un désir inconscient ».
La clinique nous apprend que ce « désir » peut figurer lui-même une pulsion, une excitation, une envie, un besoin, une crainte, une déception, un espoir…

Le terme « fantasme », avant d’avoir été popularisé par la psychanalyse, selon un sens que nous allons préciser, provient du grec phantasma qui signifie « fantôme, hallucination visuelle », puis « fantaisie » repris en proximité du grec phantasia signifiant « apparition, vision », puis « imagination », jusqu’à l’actuel« fantasme » de la famille de phainein « apparaître ». 
Le mot « fantasme », ayant signifié d’abord « fantôme », s’est déplacé vers le sens d’« illusion » au XIVème siècle jusqu’au XIXème siècle où il est devenu un terme médical, avec le sens d’« image hallucinatoire ». Puis, d’après Le Robert historique, son emploi s’est restreint au sens de « production de l’imaginaire qui permet au moi d’échapper à la réalité » (1866).
Une définition du mot « fantasme » dans le Nouveau Larousse illustré de 1906 nous intéresse dans la mesure où elle fait intervenir une production mentale ayant un double sens, au passage tout comme le symptôme, d’un contenu latent et d’une forme manifeste : « Chimère qu’on se forme dans l’esprit ». Une forme, une origine en lien avec cette forme, donc.
Par ailleurs, le fantasma latin, un peu postérieur, signifiant « image extraordinaire » et relié à phantasia, au sens d’« opération mentale », confirme la double acception précédente vers le sens ultérieur de « fantôme, ombre » avec le français fantosme du XIIème siècle.
En allemand, et dans l’emploi qu’en fait Freud, die Phantasie, signifie « l’imagination » avec ce double sème d’un monde imaginaire et d’une activité de création qui lui donne vie, inclus dans das Phantasieren, verbe substantivé de fantasieren, qui traduit à la fois ce monde extraordinaire, et l’activité onirique, imaginative, créatrice de scénarios ou d’images, cependant qu’en français, au Moyen-Âge, les deux mots fantasme et fantaisie sont distincts, l’un représentant la vision extraordinaire et l’autre la capacité d’imaginer.
Notons qu’aucun de ces deux termes ne présuppose l’idée de la psychanalyse, curieusement insuffisamment développée, selon laquelle il y a une origine psychique personnelle à l’image et à sa réalisation.

« Couvrez ce sein que je ne saurais voir : – Par de pareils objets les âmes sont blessées, – Et cela fait venir de coupables pensées. »
Molière – Tartuffe ou l’imposteur

D’après A.-J. Coudert dans le Manuel alphabétique de psychiatrie clinique et thérapeutique d’Antoine Porot, précisant simplement la pensée freudienne, les fantasmes « transcendent le vécu individuel et ont un certain caractère d’universalité. En ce sens, ils sont à rapprocher des mythes collectifs. Ils « mettent en scène » ce qui aurait pu dans la préhistoire de l’humanité participer à la réalité de fait et à ce titre ils entrent dans le cadre de la réalité psychique ».
Freud développera cette acception toute particulière avec l’emploi de ce terme Phantasie, polysémique : un monde, images, scénarios, et une activité, à partir de laquelle lui sera conféré le sens de « fantasme » tel que nous lui connaissons aujourd’hui.
Il en propose tout d’abord une explication phylogénétique (phylogenèse : histoire évolutive de l’espèce à laquelle appartient un individu) et, dans la même note, ontogénétique (ontogenèse : concerne le développement d’un individu, depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte), aspect toujours insuffisamment développé, ce que curieusement n’ont pas repéré les exégètes. Comme si le fait de ne pas aborder une question s’agissant des fantasmes concernait avant tout dans le présent l’histoire personnelle des commentateurs de laquelle peut-être ils souhaiteraient se préserver. Et pourtant, la « vérité individuelle » relève bien de l’ontogénétique.

« Il est possible que tous les fantasmes qu’on nous raconte aujourd’hui dans l’analyse aient été jadis, au temps originaire de la famille humaine, réalité, et qu’en créant des fantasmes l’enfant comble seulement, à l’aide de la vérité préhistorique, les lacunes de la vérité individuelle. »

Freud – Introduction à la psychanalyse

Les fantasmes originaires

Les fantasmes originaires sont constitués par des scénarios, sous la forme de scènes, de saynètes, d’images dramatisées le plus souvent visuellement, et dans lesquelles le sujet joue un rôle, comme participant ou comme spectateur, place qui prend tout son sens dans la relation, écrite ou orale, du fantasme. La dimension interdite, inter-dite dirait le lacanien de service, du fantasme originaire, tient sa spécificité dans la dialectique même du désir et de sa répression surmoïque vis-à-vis d’un Ça toujours agissant et apte à prendre de multiples formes.
Nous pouvons poser que pour Freud les fantasmes sont originaires en ce qu’ils découlent d’un héritage préhistorique, qu’ils sont par là conséquents à une phylogénétique, mais qu’ils s’étayent d’un enracinement personnel, psychobiologique, et ainsi, donc, qu’ils naissent d’une constitution historique, proprement ontogénétique.
Scènes essentielles ou scénarios typiques, les fantasmes originaires constituent « ce trésor de fantasmes inconscients que l’analyse peut découvrir chez tous les névrosés et probablement chez tous les enfants des hommes », écrivait Freud en 1915. Certains de ses commentateurs poursuivront : « Ces fantasmes fondamentaux représentent l’ensemble des solutions que l’homme peut inventer face aux énigmes du monde. » (Faure, Pragier – Complétude des fantasmes originaires). Dans leur simplicité, ils sont des matrices qui permettent une infinité de représentations « comme les couleurs fondamentales suffisent à toute la peinture ».
Dès lors, mis en valeur par Laplanche et Pontalis, chacun des quatre fantasmes originaires retenus d’abord par ces deux auteurs comporterait trois aspects : 
il est en rapport avec la situation originaire ; – mais laquelle ?
il constitue le fantasme des origines ; – mais lesquelles ?
il est schéma fondateur, organisateur d’autres schémas de fonctionnement intrapsychiques mais aussi culturels ; – mais lesquels ?

En effet on ne reconnaît le plus souvent que quatre fantasmes originaires : retour au sein maternel, séduction, scène primitive, castration. Tous les quatre sont susceptibles de représenter des possibilités essentielles de relation en référence aux origines du sujet : 
– Fantasme de retour au sein maternel ou de retour in utero, « Je ne veux pas de ce monde, des autres ».
– Fantasme de séduction, « Il ou elle ou ce couple m’aime trop ».
– Fantasme de scène primitive, « Il et elle s’aiment l’un l’autre dans le conflit » : ici, des partenaires accomplissent un acte de plaisir, peut-être de jouissance, vécue par l’enfant comme un combat, une lutte.
– Fantasme de castration, « Il ou elle, ou les deux veulent me réduire, me figer ».

« Des structures fantasmatiques typiques (vie intra utérine, scène originaire, castration, séduction) que la psychanalyse retrouve comme organisant la vie fantasmatique, quelles que soient les expériences personnelles des sujets ; l’universalité de ces fantasmes s’explique, selon Freud, par le fait qu’ils constitueraient un patrimoine transmis phylogénétiquement. »

Laplanche et Pontalis – Vocabulaire de la psychanalyse

Encore une fois, l’aspect ontogénétique du fantasme est quelque peu relégué au profit de sa dimension phylogénétique. Mais revenons-en à Freud.
Il utilise donc le terme d’« Urphantasie », de Ur, origine et phantasie, fantasme, en 1915 en proposant une première mise en place du fantasme de scène primitive, occasion en laquelle il fait allusion aux autres fantasmes originaires, sans beaucoup plus de précision, ce qui sera d’ailleurs le cas dans le reste de son œuvre :

« L’observation du commerce amoureux entre les parents est une pièce rarement manquante dans le trésor des fantasmes inconscients qu’on peut découvrir par l’analyse chez tous les névrosés, et vraisemblablement chez tous les enfants des hommes. Ces formations fantasmatiques, celle de l’observation du commerce sexuel des parents, celle de la séduction, de la castration et d’autres, je les appelle fantasmes originaires…»

Freud – « Un cas de paranoïa en contradiction avec la théorie « 

Cependant, il précise qu’il est nécessaire de considérer dans cette première acception de l’idée de fantasme originaire, en note ajoutée en 1920 aux Trois essais sur la théorie sexuelle, les fantasmes concernant « le ventre de la mère, le séjour et les événements vécus dans le ventre de la mère » ; cette note donne également sa place au fantasme de « roman familial, parmi les fantasmes sexuels de la puberté universellement répandus ». (Freud – Trois essais sur la théorie de la sexualité – 1920).
Voilà donc, avec le « ventre de la mère » et le « roman familial », les cinq fantasmes originaires.

En fait, les fantasmes originaires sont subsumés ontologiquement, comme c’est le cas dans le complexe d’Œdipe. Nous avons l’intuition qu’ils sont également subsomption dans le mythe de Narcisse. En effet, les Urphantasien sont, dit Freud, « les fantasmes communs à tous les êtres humains, fantasmes inconscients que l’analyse révèle ».  Si après 1920 Freud n’utilise plus cette expression de fantasmes originaires, c’est qu’il parle directement des concepts psychanalytiques auxquels renvoient les fantasmes originaires. Il en est ainsi par exemple de l’Œdipe construit sur le socle des fantasmes originaires de la « scène primitive », de la « séduction » et de la « castration ». Qu’en est-il des deux autres fantasmes de « retour in utero » et de « roman familial » ? A quoi renverraient-ils ?

 « D’où viennent le besoin de ces fantasmes et leur matériel ? Il ne peut y avoir de doutes que les sources de ces fantasmes originaires se trouvent dans les pulsions. Mais il faut encore expliquer pourquoi les mêmes fantasmes avec le même contenu, sont créés en chaque occasion. J’ai une réponse prête dont je sais qu’elle vous paraîtra audacieuse. Je crois que ces fantasmes primitifs, ces trajectoires ne sont pas linéaires, elles décrivent des boucles paradoxales, et les fantasmes de scène primitive, de séduction et de castration sont les produits tardifs d’une auto-symbolisation qui fonde les symbolisations originaires qui l’ont pourtant rendue possible. et sans doute quelques autres, sont une possession phylogénétique. En eux l’individu atteint, au-delà de son expérience propre, à l’expérience de la nuit des temps. »

Freud – Introduction à la psychanalyse

Nous postulerons que le « retour in utero » et le « roman familial », outre qu’ils ramènent également le sujet à une constante de l’humain dans « la nuit des temps », renvoient aux socles mythiques de la personne, c’est à dire au narcissisme (un drame), un des deux grands mythes organisateurs de la constitution de la personnalité avec l’Œdipe (une tragédie). Cette proposition du bien-fondé d’un lien structurel entre l’histoire de l’humanité et l’histoire du sujet met un terme à l’opposition de l’ontogenèse et de la phylogenèse que l’on ne peut plus guère, en psychanalyse, dissocier.

Selon Laplanche et Pontalis, les quatre fantasmes, puisqu’ils n’en ont retenu que quatre, sur les cinq mentionnés par Freud, il est vrai sans développement ultérieur de la part de Sigmund, se rapportent aux origines.
Précisons d’emblée, et pour respecter la logique de l’ordre des fantasmes originaires, que dans le retour in utero, c’est l’origine du monde pour le petit d’homme qui est représenté.
« Dans la scène primitive, c’est l’origine de l’individu qui se voit figurée, dans les fantasmes de séduction c’est l’origine, le surgissement, de la sexualité ; dans les fantasmes de castration, c’est l’origine de la différence des sexes. » (Laplanche et Pontalis – Vocabulaire de la psychanalyse).
Complétons pour finir que pour le roman des origines, c’est l’origine de l’accession à la génitalité et à l’indépendance qui se manifeste.

Freud avait repéré ce qu’il baptise fantasmes originaires car communs à l’histoire de tous les humains et à l’histoire du sujet : retour in utero, séduction, scène primitive, castration, roman familial.
L’opuscule de Laplanche et Pontalis, (Fantasme originaire, fantasmes des origines, origine du fantasme), reprend la généalogie de la découverte par Freud du fantasme, puis des fantasmes originaires. Ceci peut évoquer un lien qui existerait entre les représentations des grottes ornées (premières illustrations des fantasmes dans la grotte de Cussac, – 22 000 ans, dans la culture gravettienne) et les fantasmes de l’homme moderne, ainsi que présenté dans le résumé de l’opuscule proposé par ASCODOC Psy (https://santepsy.ascodocpsy.org/index.php?lvl=notice_display&id=57093).
Les mêmes fantasmes chez tous les hommes, depuis l’origine, illustrent ce que notre pensée doit à l’ordre symbolique pour se développer. 
Le fantasme serait l’insertion du symbolique dans le corps. On pourrait compléter cette proposition en ajoutant à l’insertion du symbolique dans la relation (entre les corps ?). La naissance de l’activité fantasmatique, chez l’enfant, est contemporaine de l’auto-érotisme : arrêter de sucer, mais suçoter pour le plaisir, tout en rêvassant au charme de la mère. Les soins maternels seraient la première rencontre avec les fantasmes originaires. 

 Les fantasmes originaires représentent la matière psychique à partir de laquelle peut s’élaborer une table de proscriptions et de prescriptions. Nous renvoyons les correspondances en termes d’interdits et d’obligations à mon article sur la Loi symbolique.

. Le premier, Retour au sein maternel, ou retour in utero, ou retour au ventre maternel, renvoie à la toute-puissance absolue (puisqu’illimitée) de l’embryon puis du fœtus. On peut aussi considérer que ce fantasme renvoie à la plus extrême des faiblesses, reposant sur une illusion, un sentiment océanique. Par conséquent, ce fantasme est bien imaginé comme une position de l’au-delà et de l’en-deçà des choses, sans puissance et sans faiblesse, une totale neutralité pulsionnelle. Si le fantasme renvoie au « paradis perdu » (la vie intra utérine est d’abord comprise comme « paradis perdu ». Ferenczi théorise plusieurs stades de toute-puissance dont celui de la vie fœtale) on doit admettre que l’état représenté, est une totale indifférence, terme pris au sens de l’être magique, de l’être en soi.
Ce fantasme renvoie à l’idée d’un état sans limite, ni et si corporel, ni et si psychique, ni et si moral, et introduit à la possibilité et à la proscription du meurtre et de l’inceste. En effet, on ne saurait tuer ni copuler avec celle qui nous a mis au monde, ce qui représenterait une réalisation inouïe de la pulsion de mort.

. Le second, Séduction, renvoie à la séduction dont aurait été victime l’enfant de la part de l’adulte. Ce fantasme originaire renvoie ici à la proscription de passages à l’acte pédocriminels. De l’abus du fort envers le faible.
La scène de séduction, élaborée par Freud dans sa compréhension de l’hystérie, est l’explication imaginaire de l’origine de la sexualité. 
Dans un premier temps, et compte tenu de l’influence qu’exerce sur certains une telle scène, Freud voit dans un premier temps l’origine de ce fantasme imaginaire dans la scène réelle d’un viol subi dans l’enfance, ce qui l’amène à considérer le viol comme fréquent. Il revient plus tard sur la pertinence d’une telle idée. Ferenczi s’interroge sur ce renoncement, pensant que cette scène peut bien, dans certains cas, avoir pour origine une expérience apparentée réelle. Freud renonce à l’idée d’une agression authentique, mais explique cette idée comme étant l’expression du complexe d’Œdipe. Freud renoncera à la théorie de la réalité des événements développée dans sa Neurotica (lettre à Fliess du 21/09/1897) parce que la recherche d’un événement premier (la perversion du parent) est selon lui une impasse, et que tous les pères ne peuvent être pervers ; si la réalité se dérobe, reste la fiction, l’imaginaire, le mythe. Dans la réalité, la parenté doit être verbalisée.

. Le troisième, Scène primitive, renvoie à la scène de copulation réalisée par les parents dont aurait été témoin l’enfant, interprétée comme un combat, une lutte entre eux deux dont il pourrait bien être la cause, ouvrant la possibilité du développement du fameux sentiment de culpabilité de l’enfant. Nous avons déjà là une possible résolution de la jalousie chez l’enfant suscitée par les amours parentaux et la rivalité des parents vis-à-vis de l’enfant qui pourrait faire mieux que ses parents, sur tous les plans. S’il y a combat, la chose est moins difficile à accepter pour le petit d’homme qu’un amour tendre. C’est la différence des générations qui doit être affirmée et l’impertinence d’une quelconque rivalité entre elles.

. Le quatrième, Castration, renvoie à l’idée selon laquelle originellement tout individu serait pourvu d’un pénis, la fille ayant été castrée. Ordinairement, chez le garçon, ce fantasme laisse la place à la crainte de pouvoir être castré, avec le désir de consolider un manque toujours d’actualité, tandis que chez la fille, il laisse la place au désir de récupérer le pénis coupé, avec la crainte de ne pouvoir combler le manque. Cependant, il ne faut évidemment pas prendre cette idée de la castration à la lettre. On doit considérer à présent la castration comme étant éminemment symbolique et s’appliquer au phallus, et à ce titre concerner autant les filles que les garçons, et non plus au pénis. L’origine de ce fantasme est l’observation chez l’enfant de la différence des sexes, de la différence anatomique et ontologique des sexes, le phallus étant commun aux deux sexes, sans naturellement exclure ce qui fait mystère dans cette différence.

. Le cinquième, Enfant trouvé, renvoie à l’idée d’auto-engendrement, et s’établit selon l’idée de l’enfant qu’il mérite mieux que de vivre au milieu du couple au sein duquel et par lequel il est venu au monde.

C’est l’idée du fantasme nommé par Freud « roman familial ». On y retrouve l’idée de totipotentialité, terme emprunté à la biologie végétale et qui caractérise la capacité d’une cellule de reproduire à elle seule tout l’organisme. C’est un peu comme dans le mythe de Protée, ce dieu de la mythologie capable de prendre toutes les formes possibles pour échapper à ses mortels questionneurs, et portant l’autoérotisme à son apogée.
Ce fantasme représente pour l’enfant les idées consistant à imaginer avoir été kidnappé ou adopté à son insu et mériter de pouvoir retrouver, en s’inventant, éventuellement, des parents plus aimables et aimants, plus méritants, plus prestigieux. Le fantasme de l’enfant trouvé est une révolte contre le vol, le viol, l’abus de pouvoir réels ou supposés, s’opposant au développement harmonieux de l’adolescent possiblement contrecarré par une imposition aléatoire à son devenir ou une déprivation.

Enfin, du point de vue un peu daté, mais pouvant éclairer synthétiquement, de la structure, les fantasmes originaires prennent pour objets problématiques avec les pulsions y afférentes : le sein, dans ses différentes acceptions (Retour in utero) avec l’oralité ; l’excrément, au sens d’objet par excellence des primo-relations (Séduction) avec l’analité ; le regard, sur l’autre, sur soi, sur le regard (Scène primitive) avec le scopique ; la voix, comme objet performatif (Castration) avec l’invocation ; le phallus, en tant que réalisation, conquête toujours et partout possible (Enfant trouvé) avec l’autoérotisme.

Nicolas Koreicho – Janvier 2020 – Institut Français de Psychanalyse©

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Agressivité – Violence – Ambivalence ; pulsion de vie, pulsion de mort

Nicolas Koreicho – Novembre 2019

Gabriel Ferrier - Petit chaperon rouge
Gabriel Ferrier – Petit chaperon rouge

« C’est précisément l’accent mis sur le commandement « Tu ne tueras point » qui nous donne la certitude que nous descendons d’une lignée infiniment longue de meurtriers qui avaient dans le sang le plaisir au meurtre, comme peut-être nous-mêmes encore. » (S. Freud, Actuelles sur la guerre et la mort)

L’expression originaire de la violence – étymologiquement « violentia : abus de la force » -, dans sa polysémie, peut s’analyser en termes scientifiques et métapsychologiques. Elle est d’abord l’expression, issue d’une haine primaire, d’une action naturelle, l’agressivité, devant être orientée, voire élaborée, maîtrisée, voire interdite. Elle est en cela principe de déliaison. Le besoin et le droit à la sécurité de chacun est prééminent. Principe de liaison.
La source de la violence est inscrite aux tout premiers temps de la vie et particulièrement dans la très petite enfance, à partir de l’agressivité, comme transformation de la haine primaire – étymologiquement « haïne : malveillance profonde, aversion » -, elle-même provenant de la pulsion de mort. 
Cette agressivité n’est pas forcément intentionnelle, mais elle est, en tant qu’agressivité non maîtrisée, la part haineuse de parents (parentèle, fratrie) qui vous ont trop (amour-haine sont les deux faces d’un même affect) (dés-)aimé, et surtout si vous avez eu la particularité de la grâce, de la beauté, de l’intelligence, parents qui demeurent responsables de cette haine-amour (ils sont responsables de ce qu’ils ont fait de ce qu’on leur a fait) : violence, naturelle et acceptable si elle est limitée au sursaut vite réprimé par une maturation bien comprise, transgressive et régressive et si elle s’affirme dans la violence des gestes, des mots, des regards, des rivalités, de la déloyauté, du silence, de l’absence. Passion ou indifférence, c’est tout comme.
Cette agressivité – étymologiquement « ad-gressere : aller vers » – peut se manifester par une violence du sujet lui-même, envers lui-même en dernière analyse, excédé par un oedipe trop aimant, trop détestant, du parent qui, à force de harcèlement ou d’indifférence, a enfermé le sujet dans une lutte sans cesse répétée.
Cette agressivité peut se réaliser de la part de la mère vis-à-vis du fœtus et du nourrisson, si elle n’est pas suffisamment bonne, c’est-à-dire préoccupée premièrement (Cf. La Préoccupation maternelle primaire de Winnicott) par le narcissisme duel qu’elle doit constituer avec son petit, cependant que l’agressivité du père se traduira elle par une propension à négliger de préserver cette symbiose narcissique en n’assurant pas la protection et la préservation d’un environnement apaisé du couple mère-enfant.
Cette agressivité peut se manifester par une violence directe contre soi, ainsi qu’en attestent les traces laissées par le puissant sentiment de culpabilité de l’enfance. Psychose, mélancolie suicidaire, démence, mutilation, dysmorphophobie, addiction. Elle peut se dissoudre dans la violence contre l’autre, elle rencontre alors la loi et l’irrésolution : violence corporelle et aporétique, crime psychotique, perversion, toxicomanie, psychopathie, états limites.
Cette agressivité peut donner lieu à des passages à l’acte, étrangement socialement tolérés, de la part de personnes frustes ou ignorant la place de l’autre : violence relationnelle, incivilité, malveillance, maltraitance, harcèlement, abus de pouvoir ou de faiblesse, négligence, délaissement, abandon envers l’animal (superstition, négationnisme de la part de peuples entiers), l’enfant, le vieillard, le dissemblable. Cette délinquance généralisée a l’absence de père, réel ou symbolique, pour cause.
Cette agressivité peut s’exercer et se répandre à partir de communautés dominées par des dogmes obscurantistes, sectaires et/ou religieux et/ou politiques, trop peu sanctionnées : violence contra-civilisationnelle, collectivisme, procréation irresponsable, profits malhonnêtes, tenues discriminantes, exclusions du sexe (et du sexuel) différent, de l’infidèle, du bien commun, de la culture, du beau langage*.
Toutes ces occasions offertes à l’agressivité pour se développer, dès lors qu’elles sont le résultat d’une haine primaire non élaborée, non seulement peuvent se transformer en violence, mais de surcroit proviennent d’autant de transferts, issus de l’enfance des humains, de la part de personnes inconscientes de l’attribution erronée de leurs propres haines, à travers la délinquance ordinaire, le militantisme inculte, la conviction arrogante, la critique de principe (critique de la psychanalyse en particulier : et pour cause).

Que ce soit dans le domaine anthropologique, dans le domaine socio-historique, dans le domaine politique, la violence a été considérée d’abord dans les relations entre les personnes comme étant le résultat logique de l’opposition d’un groupe à un autre, en contrepartie duquel ont été développées les conditions qui seront chargées d’établir des règles juridiques et des structurations politiques.
Par contre, il n’a pas encore été établi de lien stable entre la violence collective et la violence intersubjective, qui concerne la violence d’une personne avec un autre, d’une part, et la violence intra-subjective, qui concerne le conflit d’une personne envers elle-même, d’autre part.
Nous postulons que la violence sociale, au sens le plus large des termes, est une métaphore de la violence personnelle. Il en est ainsi du militantisme forcené.
De la sorte, nous pouvons considérer que la violence personnelle, intersubjective et intra-subjective, est une des conséquences de cette motion plus brute, organique, biologique, partie du roc d’origine (Freud), de la haine primaire, donc, agissant par le biais de l’agressivité, mais à laquelle il n’a pas été donné de cadre, de limites, de frontières.
Ces deux acceptions d’un sème commun, agressivité et violence, constituent une dialectique obligée de transformation de la relation à l’autre dont la seconde, explosive, unidirectionnelle, malveillante est directement issue du ça et spécialement de l’instance issue de la pulsion de mort, la haine primaire, cependant que l’agressivité, plus expansive, moins directement dirigée vers les corps, moins délibérée se révèle plus souple, multidirectionnelle, plastique. Dans les deux cas, violence et agressivité, l’élaboration de l’ambivalence, nécessaire dans l’affect partagé avec l’autre, et permettant d’éviter les phénomènes de dépendance, ne s’est pas encore faite, et demeure encore dénuée de la structuration proposée d’une part, par les pulsions du moi, telle l’autoconservation, d’autre part, par des éléments du surmoi, telles la loi, la règle, la limite, la différence. 
Par suite, dans la relation aux autres, étant entendu que la violence est l’action que se donne l’agressivité non délimitée pour s’assouvir, se justifient et doivent s’imposer la réalité et la pertinence d’une métamorale, précisément d’une Loi symbolique, susceptible de donner une limite à la pulsion de mort et aux pulsions secondaires à la pulsion de mort, savoir la pulsion d’emprise et la pulsion de destructivité.
Cette limite, et par conséquent cette liberté, que peuvent (re)prendre les personnes soumises à de telles forces négatives, adoptera la forme d’une imposition de soi, personnelle et discursive, sans violence. Elle s’exprimera à partir de la négociation avec des interdictions, des proscriptions, et avec des résolutions, des prescriptions, laquelle imposition de soi, négociée donc, offrira les possibilités de sublimation de la violence qui à leur tour permettront à la personne de se libérer de la contrainte exercée dans l’immédiateté par ces deux pulsions, emprise et destructivité, et d’en faire quelque chose. Liaison, élaboration, déploiement. Ce quelque chose est en tout premier lieu la possibilité de patienter, ainsi qu’en atteste l’étymologie de souffrir, de différer, de résoudre, d’expérimenter, et d’élaborer un quelque chose à partir même de cette souffrance, apprivoisée et comprise (liée) par le truchement du jeu, de l’effort, de la sexualité, de la sublimation, enfin de la circulation (lier encore : ne pas garder pour soi, contre soi) et de la réattribution, afin de reprendre les rênes de la responsabilité et d’annihiler, tant que faire se peut, le sentiment puissant, et souverain pour l’enfant, de culpabilité.

« La souffrance nous menace de trois côtés : dans notre propre corps qui, destiné à la déchéance et à la dissolution, ne peut même se passer de ces signaux d’alarme que constituent la douleur et l’angoisse ; du côté du monde extérieur, lequel dispose de forces invincibles et inexorables pour s’acharner contre nous et nous anéantir ; la troisième menace enfin provient de nos rapports avec les autres êtres humains. La souffrance issue de cette source nous est plus dure peut-être que tout autre ; nous sommes enclins à la considérer comme un accessoire en quelque sorte superflu, bien qu’elle n’appartienne pas moins à notre sort et soit aussi inévitable que celle dont l’origine est autre. » (Freud – Malaise dans la culture.)

La violence représente ainsi en tout premier lieu non pas une résolution de la souffrance, mais, étant intrinsèque de la relation au monde, à l’autre, à soi, une solution, immédiate, inélaborée, grossière, mortifère, morcelante (déliaison) car ainsi que nous l’avons suggéré, la haine est non seulement première comme le posait Freud, mais primaire.

« La haine, en tant que relation à l’objet, est plus ancienne que l’amour ; elle prend source dans la récusation, aux primes origines, du monde extérieur dispensateur de stimulus, récusation émanant du Moi narcissique. En tant que manifestation de la réaction de déplaisir suscitée par ces objets, elle demeure toujours en relation intime avec les pulsions de conservation du Moi, de sorte que pulsions du Moi et pulsions sexuelles peuvent facilement en venir à une opposition qui répète celle de haïr et aimer. Quand les pulsions du Moi dominent la fonction sexuelle, comme au stade de l’organisation sadique-anale, elles confèrent au but pulsionnel lui aussi les caractères de la haine » (S. Freud. Pulsion et destin des pulsions).

Ce nonobstant, la haine peut, et doit, se transformer. La pulsion de mort, projetée ainsi vers l’extérieur et à qui il est offert une possible décharge, et pouvant dès lors laisser toute sa place à la pulsion de vie, ne va pas tarder à se transformer en agressivité. Elle est le premier affect, logiquement d’ailleurs, qui découle du fait que l’on doive affronter un autre environnement, se séparer de l’autre, et d’abord des premiers objets, pour venir au monde et pour exister.
Ainsi l’enfant doit se séparer, en partie, se distancier éventuellement d’un amour-haine excessif, qui pourrait le faire n’être que le désir, la pensée, le fruit de ses parents, et en partie il doit se séparer du monde et de l’instinct de conservation y afférent, pour pouvoir transformer un être fondu dans la masse de l’existence (corps, monde, autre) afin de se forger un moi, c’est-à-dire un moi issu de son propre corps et de sa propre pensée, lesquels pourront, dans une combinatoire vitale, la pulsion du moi, construire un lieu symbolique, un topos, une maison qui, à la suite de cette conjonction corps-esprit, deviendra une personne sujet. L’idéal est que cette combinatoire vitale ait lieu dans un environnement sécure, sans haine, sans violence, sans agressivité autre que celle qu’il pourra, là encore, comprendre et apprivoiser.
Cependant, cette séparation, comme toute séparation, sera d’abord productrice d’angoisse, naturelle dans la rencontre de l’inconnu, du monde, de l’autre, du corps, puis devra devenir distanciation, dans cette acception du lien créé (liaison contre déliaison) avec l’accès intellectuel et cognitif à l’ambivalence, permissive d’une sexualité, de l’indispensable succession des stades de développement de la personnalité, d’un amour-haine apaisé résolutoire, en provenance de ce fameux principe de plaisir, lui-même issu de la pulsion de vie.

Nous pouvons dire alors que la haine est chargée de produire une action dans le cadre de la pulsion d’autoconservation, action qui projette hors du moi la pulsion de mort, le moi se protégeant ainsi des pulsions d’emprise et de destructivité qui peuvent se retourner vers soi, en les attribuant au monde, à l’autre, aux objets, afin de relativiser leur potentiel d’annihilation. Si les termes de cette projection-protection-circulation ne sont pas précisément relativisés, grâce à la prise en compte d’une heureuse ambivalence, exactement dans ce qui peut être aménagé d’une homéostasie du moi pouvant s’enrichir d’une relation équilibrée, le narcissisme, primaire encore à ce moment, devra se porter garant de la possibilité pour la personne confrontée à la déceptivité d’une haine réfrénée mais agissante, de revenir vers un moi dénué de culpabilité. La pulsion de mort s’en trouvera neutralisée.
L’agressivité séparatrice (processus d’individuation), réconciliatrice (colère, revendication : pulsion d’appel) et créatrice (sexuel ou séduction, sexualité ou sublimation) peut alors trouver sa place dans l’intrapsychique et construire pour le sujet un devenir civilisationnel. De la déliaison vers la liaison.
C’est au passage dans un premier temps le cadeau de la mère à son enfant de faire en sorte que l’objet perde son potentiel de haine, en favorisant l’amour (la nourriture affective) dans la relation filiale, pour à la fois faire du moi de l’enfant un moi narcissiquement aimable et, par conséquent, dans un second temps, faire de l’autre, le père, un objet ambivalent, acceptable, qui consolide ce narcissisme et le relativise, en lui donnant la possibilité de se confronter au monde et à l’autre, sous sa protection, ce qui ouvre sur un troisième temps offrant alors l’idée d’une mère également ambivalente, pouvant à son tour imposer des limites. 
Par suite, l’ambivalence, qui découle du renoncement à la haine primaire, pourra qualifier la relation œdipienne, ainsi que chacun des parents, puis le monde, l’autre, les autres, en faveur du développement intersubjectif de l’enfant, pour peu qu’aucune des trois options du devenir affectif de l’enfant, amour, haine, retrait, ne s’exerce exclusivement. Sans cette condition, c’est la passion ou la dépendance ainsi que leur cortège de souffrances qui marqueront les choix inconscients développés lors de l’apparition du symptôme : néant en lieu et place du désir et de sa condition préalable le manque, silence en lieu et place de la distanciation et de son antécédent la séparation.

« Quand dans un être humain, le ça élève une revendication pulsionnelle de nature érotique ou agressive, le plus simple et le plus naturel est que le moi se tienne à la disposition de l’appareil de pensée et de muscles, qu’il le satisfasse par une action. » (Freud – L’Homme-Moïse et la religion monothéiste). 

Nicolas Koreicho – Novembre 2019 – Institut Français de Psychanalyse©

*L’ensauvagement des mots préfigure l’ensauvagement des actes.

34RL1H3 Copyright Institut Français de Psychanalyse

Notre-Dame et Quasimodo. Suite : Nos Dames

Vincent Caplier – Avril 2019

Prolongement dans l’espace et dans le symbole.

Dans la description du lieu, je réalise à quel point les élévations dédiées à notre Dame sont multiples. Nous devons sans doute y trouver la quête de l’unité dans le masculin alors que nous nous rassemblons dans le féminin. Le parcours de Notre Dame de Paris diffère, en cela, de celui de Notre Dame d’Amiens. Point intéressant, la flèche d’Amiens est d’origine et a servi de modèle à Viollet Le Duc pour ériger celle de Paris. L’incendie corrigerait-il une incongruité phallique ? Ne pas recoiffer la cathédrale de cette forme élancée redonnerait un caractère de basilique, sanctuaire de notre mère à tous. Les mots de Gérard de Nerval rejoignent ma pensée en contemplant la première photographie connue de l’édifice (1839). Étrange lapsus, alors, cette volonté journalistique de qualifier les tours de beffrois par synecdoque.


J’ai pris plaisir à lire Proust et je retiens de sa Madeleine la valve rainurée de la coquille Saint-Jacques qui pourrait lui avoir servie de moule. Symbole de fécondité, d’amour, de purification spirituelle, de renaissance et de résurrection, elle est l’objet du pèlerinage accompli, celui que l’on accomplit symboliquement sur le tracé du labyrinthe d’Amiens. Tel est le lien qui relie les deux Dames, un même désir de cheminer, à la différence qu’à Amiens la condition humaine se cantonne à la présence d’un petit ange pleureur du XVIIème, la main gauche posée sur un sablier, et le coude du bras soutenant la tête du chérubin reposant sur un crâne.

Autre relique, autre rédemption, le trésor de Notre Dame d’Amiens recèle le crâne de Saint Jean-Baptiste, prédicateur apocalyptique, message que véhicule ce livre de pierre que John Ruskin nomma la bible d’Amiens. Initiatique par la profusion de symboles, elle agit comme un palais de mémoire à l’image d’un tarot, recension d’une révélation. Par ses dimensions, elle peut contenir deux fois Notre Dame de Paris, l’immense vaisseau écrase le vacuité du visiteur et l’invite à s’élever dans cette nef démesurée. En deçà du désir, reside la jouissance et l’angoisse, tryptique du vagabond qui contient en son sein la nef des fous.

L’image n’est pas sans rappeler « Le Chariot de foin » du même Jérôme Bosch, ce chariot du tarot qui nous invite à prendre un départ triomphant et à dompter nos impulsions et nos craintes pour enfin marcher dans une direction choisie avec discernement, sagesse, enthousiasme et optimisme. L’arcane le Chariot symbolise le cocher, la faculté mentale des humains, apprenant à prendre soin de son véhicule (son corps), notamment en maîtrisant ses pulsions et émotions (les chevaux).

Je retiens alors ce passage dans « Le Moi et le Ça » de Freud :
« L’importance fonctionnelle du Moi s’exprime en ceci qu’il lui est concédé normalement la maîtrise des passages à la motilité. Il est semblable ainsi, par rapport au Ça, au cavalier censé tenir en bride la force supérieure du cheval, à ceci près que le cavalier tente la chose avec des forces propres, tandis que le Moi le fait avec des forces empruntées. Cette comparaison nous emmène un peu plus loin. De la même façon qu’il ne reste souvent pas d’autre solution au cavalier, s’il ne veut pas se séparer du cheval, que de le conduire là où il veut aller, le Moi a coutume lui aussi de convertir la volonté du Ça en action, comme si cette volonté était la sienne propre. »

Vincent Caplier – Avril 2019 – Institut Français de Psychanalyse©