Archives mensuelles : janvier 2017

Le Serpent qui danse

Le serpent qui danse – Baudelaire

dunouy

Jean Lecomte du Noüy – L’esclave blanche – 1888

Que j’aime voir, chère indolente,
De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau !

Sur ta chevelure profonde
Aux âcres parfums,
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns,

Comme un navire qui s’éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain

Tes yeux, où rien ne se révèle
De doux ni d’amer,
Sont deux bijoux froids où se mêle
L’or avec le fer.

A te voir marcher en cadence,
Belle d’abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d’un bâton.

Sous le fardeau de ta paresse
Ta tête d’enfant
Se balance avec la mollesse
D’un jeune éléphant,

Et ton corps se penche et s’allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord et plonge
Ses vergues dans l’eau.

Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l’eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,

Je crois boire un vin de Bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D’étoiles mon cœur !

Charles Baudelaire

 34RL1H3         Copyright Institut Français de Psychanalyse

Les Ecoliers

Les Ecoliers – Maurice Fombeure

meeting

Marie Bashkitseff – The Meeting – 1884

Sur la route couleur de sable,
En capuchon noir et pointu,
Le ‘moyen’, le ‘bon’, le ‘passable’
Vont à galoches que veux-tu
Vers leur école intarissable.

Ils ont dans leurs plumiers des gommes
Et des hannetons du matin,
Dans leurs poches du pain, des pommes,
Des billes, ô précieux butin
Gagné sur d’autres petits hommes.

Ils ont la ruse et la paresse
Mais l’innocence et la fraîcheur
Près d’eux les filles ont des tresses
Et des yeux bleus couleur de fleur,
Et des vraies fleurs pour leur maîtresse.

Puis les voilà tous à s’asseoir.
Dans l’école crépie de lune
On les enferme jusqu’au soir,
Jusqu’à ce qu’il leur pousse plume
Pour s’envoler. Après, bonsoir !

Maurice Fombeure (1906 – 1981)

 34RL1H3         Copyright Institut Français de Psychanalyse

Les Chats

Les Chats – Baudelaire

Les amoureux fervents et les savants austères                      les-chats-baudelaire
Aiment également, dans leur mûre saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.

Amis de la science et de la volupté,
Ils cherchent le silence et l’horreur des ténèbres ;
L’Érèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,
S’ils pouvaient au servage incliner leur fierté.

Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s’endormir dans un rêve sans fin ;

Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques
Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,
Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques.

Charles Baudelaire – Les Fleurs du mal

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Le Long du quai

Le Long du quai – Sully Prudhomme

Le long du quai les grands vaisseaux,  lelongduquai
Que la houle incline en silence,
Ne prennent pas garde aux berceaux
Que la main des femmes balance.

Mais viendra le jour des adieux ;
Car il faut que les femmes pleurent
Et que les hommes curieux
Tentent les horizons qui leurrent.

Et ce jour-là les grands vaisseaux,
Fuyant le port qui diminue,
sentent leur masse retenue
Par l’âme des lointains berceaux.

Sully Prudhomme (1839-1907) – (Stances et Poemes)

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Pour l’évaluation (bis) !

Nicolas Koreicho – Novembre 2011

L’actualité nous permet aujourd’hui de revenir sur cette nécessité de l’évaluation, particulièrement à l’endroit des psys, des magistrats, mais aussi vis à vis des médecins et des professeurs.

Les crimes relatifs à des récidives, qui impliquent en premier lieu les psys et les magistrats, mais également ces événements fâcheux que sont les maladies et le chômage, qui concernent spécialement les médecins et les profs, font dire aux journalistes ou aux politiques, ces frères de toujours, que ce ne sont pas des sciences exactes.
Certes. Aussi, concernant les membres de ces corporations, nous ne pouvons plus nous contenter de leurs titres, de leurs appuis ou des protections dont ils bénéficient.
Toutes raisons pour évaluer au premier chef les psys qui procèdent aux expertises avec précision ou sommairement, les magistrats qui ordonnent des mesures réglementaires ou pas assez contraignantes, mais pareillement les médecins qui sont proches de leurs patients qu’ils comprennent ou n’exercent pas leur métier avec toute la proximité et l’humanité qu’il faudrait, les profs qui connaissent leurs élèves et leurs étudiants comme leurs propres enfants ou ne savent pas qui sont leurs élèves et leurs étudiants tant ils en sont distants.
Il est nécessaire d’évaluer les psys sur leurs résultats – et sur le nombre de leurs patients, tant sont nombreux ceux qui se disent psychanalystes mais n’ont que trois patients – et non sur leur notoriété dans l’édition, ou sur le nombre de leurs livres ou leur poste dans l’université ou dans leurs associations ; les magistrats sur leur apport dans la sécurité des biens et des personnes, et non sur leur autorité personnelle et leur entregent ; les médecins sur le nombre de leurs patients sauvés, guéris, améliorés, et non sur leur train de vie, le prestige de leurs voitures ou de leurs résidences ; les profs sur le nombre de leurs élèves et de leurs étudiants qui trouvent du travail et réussissent, et non sur leur influence dans l’administration, les syndicats et le devenir de leur carrière.

Nicolas Koreicho – Novembre 2011 – Institut Français de Psychanalyse

Pour l’évaluation !

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Pour l’évaluation !

Nicolas Koreicho – Octobre 2011

Pour l’évaluation des psys, des profs, des médecins, des magistrats.
Les patients, les élèves, les clients sont soumis depuis toujours à l’évaluation et, incidemment l’exercent à leur tour, sans que leur avis ne soit pris autrement en compte que par le bouche à oreille, de manière individuelle, artisanale. C’est une anomalie.
En effet, nous avons entendu toute notre vie (de psychothérapeute) les patients qui se plaignaient d’un psy trop silencieux, trop dogmatique, trop jargonnant, voire sadisant, malveillant à force de ne pas s’impliquer ; nous avons subi, écolier, accepté ou ruminé toute notre vie de collégien, de lycéen, d’étudiant, que tel prof était génial, passionné, inspiré et que tel autre était nul, mauvais, conformiste, rabâcheur de ses propres bouquins ; nous avons avalé les prescriptions inutiles, puissantes, nocives des médecins qui travaillent dans l’abattage, n’expliquent pas, ne mesurent pas les conséquences d’ordonnances rédigées à la hâte, par habitude ; nous avons vu et revu les victimes de magistrats abusifs, tout puissants, démiurges, condamner, enfermer, humilier.
Les psys, les profs, les médecins, les magistrats ont l’occasion de se glisser dans les hardes du père, et, nécessairement – c’est la motivation du métier qui parle ici -, du père abusif. Il faut de cet Œdipe-là, en partie, s’il est appréhendé avec discernement et soin de la parole du professionnel et de celle de l’autre, l’autre comme personne, ayant une vie respectable et précieuse. Ils doivent représenter la Loi, chacun dans leur spécialité, mais avec une conscience de ce rôle éminemment transférentiel qu’ils sont amenés à jouer, et prendre une infinie précaution de leurs décisions, et de la manière dont ils évaluent leurs semblables.
Enfin, l’honneur et l’importance de nos fonctions doivent stimuler nos pairs et les inciter à accepter d’être évalués, pour la qualité de nos prestations, de notre présence au monde, de l’amour que l’on porte au vivant.

Nicolas Koreicho – Octobre 2011 – Institut Français de Psychanalyse

Pour l’évaluation (bis) !

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Peinture et psychanalyse : l’art est-il un symptôme ?

Sylvain Brassart – Avril 2015

I) La peinture regardée, questionnée par la psychanalyse.

– Théorie freudienne de la sublimation.

L’art est devenu un objet de la psychanalyse, un symptôme, l’outil possible d’un diagnostic et d’une thérapie.

Pour mémoire, Freud a écrit « Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci » en 1910, puis « Le Moïse de Michel-Ange » en 1914 et ses textes font souvent référence aux arts.

Dans l’approche freudienne de la psychanalyse, l’art est directement lié à la question de la sublimation. L’art est l’exercice de la sexualité, mais déviée de ses objectifs de reproduction. Une sexualité qui emploie le langage pour faire présent ce qui se montre au-delà de la création : le fantasme.
C’est par l’articulation du fantasme que l’artiste, ainsi que le sujet qui le hante, peut s’appuyer sur son désir.
L’art a pour but de représenter un réel non représentable d’un objet qui échappe, qui manque. A la place du vide, de la béance laissée par ce manque dans l’œuvre, vient paraître l’objet imaginaire du fantasme. Entre ce qui se présente et ce qui reste à représenter, l’artiste (mais aussi les regardants, l’Autre) signale ce qui fait jouir de l’œuvre.
Sublimer c’est cela, c’est offrir une représentation esthétique. La “relation” sexuelle espérée dans l’exercice phallique, l’artiste la transmute en passion du signifiant.
L’artiste c’est quelqu’un qui peut témoigner d’une autre manière de jouir. Autrement dit, l’artiste commémore, dans sa production artistique, la coupure effectuée sur le corps par l’intervention du langage.  L’artiste produit une écriture qui met en évidence le chemin d’une autre érotique que celle de l’approche des corps.
L’artiste écrit, peint, dessine le fantasme, l’artiste prend comme son symptôme ce qui agence le manque dans son oeuvre.
De plus, un autre sujet est créé, un  objet substitut qu’est le regard sur l’œuvre (l‘objet-regard). Par le trait qui distingue son style, l’artiste nous permet de lire cet effet de langage qui se projette sur un espace. Il s’agit là de la manière de faire qui est propre à chaque artiste, celle qui perdurera après lui. C’est la fameuse oeuvre qui recouvre son créateur.
Cela permet de faire du tableau un symptôme pour quelqu’un. Autrement dit, cela permet que le tableau capture par le regard celui qui le regarde et qui lui signifie quelque chose qui lui était jusqu’alors invisible.
Pour Freud, par la “monstration” du beau, on évite le mal radical qu’est le champ de destruction, le champ du désir. L’esthétique fonctionne ainsi comme une barrière face au champ innommable du désir.

En somme, selon Freud, l’art permet aux pulsions les plus intenses (les plus profondes, les moins « acceptables ») de se réaliser en un « objet » placé plus haut sur l’échelle des valeurs sociales. Au fond, il y a un défi que seule l’œuvre peut relever : ce qui est irréalisable dans sa vie, l’artiste l’accomplit dans ce « monde parallèle » qu’est l’art.

– Peinture et psychanalyse ont un même sujet : l’image.

La psychanalyse a dû, dès son départ, tenir compte des effets de l’image sur les sujets. Ces effets ont interrogé Freud. Ils relèvent souvent de l’énigme et engendrent la perplexité.

L’art – et la peinture tout spécialement – s’en empare dans ses créations pour atteindre le spectateur dans son intimité ; la psychanalyse, quant à elle, cherche à les éclairer. Dans les deux cas, l’une allant vers l’autre, et réciproquement, elles se croisent au sein de que l’on peut appeler une ouverture à l’Autre.

La psychanalyse  y est notamment conduite lorsqu’il apparaît que l’image est une source de souffrance : le névrosé ordinaire ou le psychotique peuvent souffrir, dans des circonstances précises, de l’image qui le fascine ou le persécute.

Dans « La Science des rêves », Freud élabore la théorie et la clinique d’un sujet humain clivé (que Lacan appellera divisé) : dans son sommeil, le dormeur est soumis à une véritable passion des images – passion voulant dire ici « joie » mais aussi « souffrance », voire « torture » et « persécution » – dont son inconscient et son préconscient sont pourtant bien les organisateurs.

La rédaction de ce livre inaugural de Freud, véritable acte de naissance de la psychanalyse, qu’il aura voulu faire paraître en 1900, n’est-elle pas contemporaine, au tournant du siècle, de l’invention du cinéma par les frères Lumière ? Contemporaine aussi d’une révolution dans la peinture, l’expressionnisme (qui privilégie la subjectivité et l’intensité de l’expression, la libération pulsionnelle des émotions, l’exacerbation de la couleur, l’écriture libre, le rejet des tabous, le refus du réalisme objectif, l’expression de l’élan vital en tant qu’énergie,…), dont Edvard Munch, le peintre de l’angoisse et de la mort est un précurseur, ne s’impose-t-elle pas  jusqu’à l’art abstrait (l’abstraction géométrique ou conceptuelle ; l’abstraction lyrique ou gestuelle), la peinture non figurative, ou encore le cubisme d’un Picasso, d’un Braque, etc. ?

L’interprétation du rêve (mais aussi du tableau) est censée permettre de remonter dans les méandres et les rouages de sa production. Le travail du psychanalyste vise à soumettre l’image à l’écriture retrouvée des pensées du rêve que cette image représente. C’est l’écriture qui intéresse le psychanalyste, afin de lire ces « pensées » avec son analysant et ainsi lui permettre de se les réapproprier.

– Lacan

Mais l’image n’est pas une  représentation immuable. Re-présenter, c’est présenter à nouveau, tel le sujet dont Lacan dit qu’il est représenté par un autre signifiant.

Lacan construira un autre modèle, un autre paradigme pour la psychanalyse que Inconscient – Préconscient – Conscient (1ère Topique freudienne) ou Moi – Ça – Surmoi (2ème Topique). Il introduit dans la psychanalyse un paradigme ternaire : RSI – Réel, Symbolique et Imaginaire.
– Le Symbolique c’est le champ de la parole et du langage.
– Le Réel c’est l’impossible, impossible à imaginer, impossible à symboliser, à attraper avec le signifiant, le langage.
– Enfin, l’Imaginaire, c’est le domaine de l’image et de sa puissance aujourd’hui dominante, c’est-à-dire du moi et de son renforcement, du narcissisme, de la présentation de soi et de la représentation aussi, quand on dit que l’on est « en représentation ».

Le signifiant, c’est la matière sonore d’un mot : si je vous dis « lai » qu’allez-vous entendre ? Quelle image acoustique allez-vous retenir ? S’agit-il, pour vous, de « laid » de la laideur ? De «lai» comme on dit frère de lai ? De lait, le lait de vache ou de chèvre ? Vous entendrez ce que vous voudrez, selon vos préoccupations personnelles plus ou moins inconscientes.

Ainsi, le sujet court d’un signifiant à l’autre. Les mots et la parole sont alors utilisés pour dé-fixer l’image. Alors que l’image est plutôt du côté de la fixité, de la permanence.

II) L’art fait de la psychanalyse un  symptôme :
(ce qui est symptomatique, c’est la psychanalyse).

La peinture questionne la psychanalyse.
On vient de le voir, la psychanalyse (discipline de la parole, du sujet et du désir) n’est cependant pas sans questionner, à travers la peinture (et son peintre), le regard.
En retour la psychanalyse se laisse interroger à partir du regard, au moyen de l’image, du tableau qui, en somme, lui aussi… la regarde.
Les peintres parlent à la psychanalyse et lui répondent.

– Les surréalistes s’en inspirent et la transforment.

Ce mouvement littéraire, dont on peut dater les activités entre 1924 et 1939, représente un développement majeur dans la création et l’esthétique contemporaines. Le mouvement surréaliste n’a peut-être pas changé la face du monde et de la société, comme ses membres le voulaient, mais il a marqué le monde de l’art de manière définitive et radicale, en créant un espace pour une création artistique libérée de toute contrainte.

Le surréalisme est avant tout une réaction contre la société et ses contraintes qui conditionnent l’existence. La guerre de 1914-18 est vue comme une faillite de la civilisation occidentale.

En 1924, André Breton définit dans un Manifeste du surréalisme la nature du surréalisme. Ouverte à l’expérience du rêve, de l’inconscient et du désir, la création poétique doit répondre aux pulsions fondamentales par l’intermédiaire de « l’écriture automatique », nommée aussi « pensée parlée » ou « écriture de pensée ». Sans souci de logique ni de censure (grammaticale, morale, esthétique), les phrases « qui cognent à la vitre » s’expriment librement. Le poète se place dans un abandon volontaire et une totale passivité, il n’est plus « qu’un modeste appareil enregistreur du phénomène ».

Breton définit ainsi le surréalisme : « Automatisme psychique par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique et morale« .

Le Manifeste du surréalisme (1924) qu’André Breton écrit pendant qu’il est « occupé de Freud », projette d’abord l’application du « monologue mécanique » ou « automatique » à la poésie, ensuite l’élargit au domaine des Beaux-Arts, comme le montre la première exposition surréaliste de 1925 accompagnée du traité de Breton Le surréalisme et la peinture (1928 ; augmenté en 1965). Les cinéastes ont poursuivi ce mouvement.
L’application des techniques du « monologue automatique » a pour but de provoquer le Surréel, nouvelle catégorie qui rende tangible l’inconscient du poète, peintre, cinéaste. La création du « Surréel », intensification d’une expérience onirique de la réalité, qui met en relation féconde avec l’Inconscient, serait ainsi comparable à l’Immaculée Conception.

Les surréalistes expérimentent de manière collective ces relations inspirées par la psychanalyse de Freud, sans négliger de les théoriser.

Les surréalistes pour Freud ? Ces derniers, cherchant à tous crins à convoquer l’inconscient et piochant sans scrupule dans le champ lexical de la psychanalyse, le laissent perplexe : « J’ai été tenté de tenir les surréalistes, qui apparemment m’ont choisi comme leur saint patron, pour des fous intégraux (disons à 95 %, comme l’alcool absolu).  »

– Duchamp provoque Freud : les mots dans l’art.

Pour Freud, parler de l’œuvre, c’est surtout produire du verbe autour des couches successives de mots qui la drapent. En somme, c’est le mot qui chez Freud résout la relation à l’œuvre d’art. Freud regarde les œuvres avec des mots. Il les analyse comme des rêves à décrypter.

N’ayant que peu d’attention pour la dimension plastique de l’art, Freud s’intéresse avant tout au sujet, ce qui intéresse Freud dans l’art, ce n’est pas l’œuvre. C’est l’identité de l’artiste (sa vie, ses écrits, son passé, jusqu’aux récits de ses rêves) qui fait que son œuvre est œuvre. Plus encore, c’est sa capacité de sublimation.

– Ce serait donc l’artiste qui ferait l’œuvre… ce qui n’est pas sans poser problème, aux alentours de 1917. Prenons un urinoir : ce n’est qu’un urinoir. Il deviendra un Duchamp grâce à Marcel. L’objet se transforme en œuvre par l’artiste présent au monde.
Soigneusement notée par Marcel Duchamp sous une reproduction d’une drôle de Joconde, l’inscription L.H.O.O.Q. qui nous renvoie au mot d’esprit est également la preuve des premières répercussions des recherches de Freud sur l’art.
L’oeuvre parvient toutefois à toucher l’œil, à condition de savoir lire sous LHOOQ cette impérative injonction : LOOK !

Ce sont les mots qui permettent à Freud de regarder les œuvres, mais c’est aussi le « regardeur qui fait l’œuvre » selon les mots de Duchamp. Ainsi il y aurait une dimension projective dans les considérations de Freud en tant que « regardeur ». Duchamp s’en amuse.

– Magritte s’en méfie.

Psychanalyse et peinture ont ainsi bien des liens, et la seconde a de multiples raisons de se méfier de la première qui lit (du verbe lire) en elle, c’est-à-dire interprète, mais lie aussi (du verbe lier) à travers elle deux ouvertures à l’Autre.

Comme on l’a vu, dans la psychanalyse, c’est la pensée et finalement le langage (la lettre), qui dépassent l’image et vont la dominer.

Les peintres se méfient donc tout naturellement de la psychanalyse… C’est ce que fait, entre mille autres artistes, un Magritte…

Lorsque l’on demanda à René Magritte « Pourquoi une telle méfiance envers la psychanalyse ? », il répondit : «Elle ne permet d’interpréter que ce qui est susceptible d’interprétation. L’art fantastique et l’art symbolique lui offrent de nombreuses occasions d’intervenir : il y est beaucoup question de délires plus ou moins évidents. L’art tel que je le conçois est réfractaire à la psychanalyse. Il évoque le mystère sans lequel le monde n’existerait pas, c’est-à-dire le mystère qu’il ne faut pas confondre avec une sorte de problème, aussi difficile qu’il soit. Je veille à ne peindre que des images qui évoquent le mystère du monde. Pour que ce soit possible, je dois être bien éveillé, ce qui signifie cesser de m’identifier entièrement à des idées, des sentiments, des sensations. Le rêve et la folie sont, au contraire, propices à une identification absolue… Elle n’a rien à dire, non plus, des œuvres d’art qui évoquent le mystère du monde.
Peut-être la psychanalyse est-elle le meilleur sujet à traiter par la psychanalyse.»

– Enfin, on peut observer que la notion de sublimation et plus généralement la théorie freudienne en art reste très discutée.

On l’a vu, Freud considère le refoulement (ou la satisfaction pulsionnelle détournée) comme des concepts fondamentaux de la psychanalyse. La sublimation serait dans ce cas l’effort de l’artiste pour engendrer une satisfaction ne passant pas par l’acte, sinon celui de créer. Cette approche tenterait donc de réduire la qualité d’une œuvre d’art à son contenu latent, sa signification inconsciente.

Or elle a bien d’autres qualités : elle s’inscrit dans une époque, utilise d’une certaine manière des matériaux, évoque de telle ou telle manière la lumière, les volumes, oriente le regard…


Sylvain Brassart
– Avril 2015 – Institut Français de Psychanalyse©

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Marylin Mortensen, morte en scène

Nicolas Koreicho – Octobre 2012

 » Je crois que tout arrive pour une raison. Les gens changent pour que tu puisses apprendre à partir, les choses vont mal pour que tu puisses apprécier quand elles vont bien. Tu as cru à des mensonges donc tu apprends à ne faire confiance qu’à toi même. Et parfois les bonnes choses tombent en morceaux afin que de meilleures choses puissent arriver par la suite. »
Marylin MONROE

      » La chaleur humide de ce vendredi torride l’enveloppait d’angoisse. Elle voulait déchirer quelque chose. Un voile, une peau, une histoire qui la séparait d’elle-même. »
Michel SCHNEIDER – Marilyn, dernières séances

Marilyn Mortensen, morte en scène

Marilyn était trop belle. Vraiment.  marilyn
Marilyn, de son vrai nom Mortensen, est morte dans sa vie, et en scène. Mise en scène par elle, pour elle, et pour l’autre toujours absent.
La particularité du désir, au passage, est qu’il ne fonctionne que dans l’absence de l’objet désiré. De-siderare : l’étoile qui manque. Mais quel était la nature de son désir à elle ?
Elle était trop belle, mais ce n’est pas le trop que l’on entend aujourd’hui. Elle était trop belle car son œuvre et son art existaient d’abord dans et par sa beauté. Trop, car c’était pour elle une question de survie que de se faire un narcissisme original, et que celui-ci soit reconnu, puisque ses parents (père parti quelque temps après sa naissance, mère partie dans sa folie. Elle : abandonnée) n’ont fait que détruire son Moi, et le cœur de celui-ci, c’est-à-dire son narcissisme.
Trop également car cette quête d’un Moi allait demeurer inassouvi et la mener en enfer. La façon dont les hommes ont abusé d’elle sans cesse est à proprement parler infernale puisqu’ils ne lui ont pas permis qu’elle se retrouve. Elle finira par prendre ce courant de l’abus d’elle-même et en mourra. C’est comme si sa quête du bien, et du bien qu’elle était et qu’elle voulait trouver, reconnaître, s’annulait par la violence des hommes qui avaient croisé sa route. Il s’agissait pour eux de jouir, un peu, au passage, de cette quête absolu de bien dans l’image étourdissante que Marilyn montrait de ce désir, qu’à tort ils croyaient à eux destiné.
Il s’agissait pour elle non seulement de se faire reconnaître, mais, plus encore, de se faire renaître, avec les autres. Co-renaître. Re-co-naître.
Plus qu’une blessure, elle est partie de rien, puisqu’elle ne fut pas aimée, pour se faire elle-même. Il s’agit donc, complètement, d’une construction narcissique singulière qu’elle ne doit qu’à elle-même.
Elle disait : « l’enfance dure toute la vie ».
Un père qui ne la reconnaît pas, une mère qui ne l’aime pas. Seule au monde, avec le monde comme enjeu. Une douzaine de familles d’accueil. C’est-à-dire un abandon répété dont la puissance traumatique fut renouvelée durant toute son enfance. Consolidé donc. Le seul re-père fut pour elle sa propre image qu’elle devait ré-investir indéfiniment non pas pour  plaire aux hommes, mais pour se maintenir dans le miroir que le regard des hommes lui tendaient. De la même manière, du côté du manque maternel cette fois, elle a ré-investi compulsivement une génitalité (sexualisation par défaut) non comblée par l’objet pri-mère.
Dans l’absence de ce regard du père et de la mère, la seule issue pour elle fut de construire sa propre image suffisamment explosive (la beauté et la provocation, toutes deux peaufinées avec une intelligence pragmatique peu commune) pour qu’elle puisse masquer sa détresse intérieure et archaïque provenant de ces deux manques intitiaux. C’est comme si Marilyn avait désinvestie l’intellection (à commencer par le langage : elle bégayait), malgré une vive intelligence qui la fit se rapprocher de bons intellectuels et entreprendre une analyse, malheureusement pour elle, avec un analyste médiocre qui se montra incapable d’analyser son contre-transfert. Marilyn, aspirée qu’elle était par l’absence d’amour en sa simple personne physique.
Eléments dissociés (narcissisme et environnement déceptif, quête de l’amour propre et amour de la sexualité salissante, image abîmée dans la vie et confiance en sa séduction en scène, intelligence brillante et absence de reconnaissance, urgences de montrer ses talents et retards devant la demande de l’autre) dans une construction exaltée, les constituants de sa personnalité n’ont été approchés que par objets (intellectuels, livres, pensées) interposés. Morte en scène de n’avoir pu être aimée vivante…

Nicolas Koreicho – Octobre 2012 – Institut Français de Psychanalyse©

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La migraine, une maladie psychique ?

Interview de Nicolas Koreicho – Psychanalyse Magazine N° 8 – Juin 1997

Vincent Van Gogh – La Nuit étoilée, 1891. Musée d’Art Moderne, New York City

La migraine a toujours été considérée comme une maladie honteuse tant elle met à mal les relations du migraineux avec son entourage personnel. Un patient sur deux, sur les quelques sept millions de personnes concernées par la migraine, ne consulte pas. Cette constatation repose, a priori, sur le fait que, majoritairement, la migraine est pensée non guérissable par ceux qui la subissent.
Le docteur Nicolas A. Koreicho, psychanalyste et psychothérapeute à Paris, a établi un questionnaire s’adressant à ce type de malades ; il l’a proposé au centre anti-migraineux de l’hôpital Pitié-Salpêtrière et a obtenu ainsi des témoignages utiles quant à la nécessité de prendre en compte ces patients qui souffrent, de toute façon, à aujourd’hui, du fait que la cause de la migraine reste mystérieuse.

La migraine dérange, parce qu’elle est difficile à soigner, difficile à évaluer puisqu’elle dépend de la parole du patient. Elle s’accompagne souvent de symptômes peu ragoûtants (nausées, vomissements, diarrhées). Elle peut aussi faire référence à une sexualité inaccomplie (« Non chéri, pas ce soir, j’ai la migraine »). La migraine n’est pas considérée comme une pathologie pouvant avoir une cause et, a fortiori, une origine psychique mais comme l’expression d’une série de symptômes qui existent par la douleur qu’ils suscitent. En général, au grand dam du patient pour qui les migraines sont une véritable torture, parfois un enfer de solitude et de dépression, elles durent, s’estompent parfois, mais ne guérissent pas dans la plupart des cas. Sept millions de personnes, concernées par cette pathologie, pensent que la cause de leur maladie est profonde, signe d’un dysfonctionnement ancien, quasiment impossible à résoudre. Cependant, il existe des solutions, à la fois médicamenteuse et psychothérapeutique, à condition que l’on considère la migraine comme une véritable maladie, plus proche de la dépression, une dépression temporaire, avec un choix de symptôme isolant, que d’un mal bénin que l’on peut faire taire avec des médicaments souvent efficaces par ailleurs.

Personne n’a trouvé la cause de la migraine, la raison de son apparition, de son développement, de sa fréquence ; aucun gène de la migraine n’a, à ce jour, été identifié. Mon hypothèse est que, si l’on ne trouve pas de cause à la migraine, c’est qu’il en existe plusieurs et qu’il y a autant de raisons à la migraine, qu’il y a de personnes souffrant de migraines. Je prétends que la cause de la migraine est lisible dans l’histoire personnelle de chaque patient.

Il existe des relations directes et différenciées entre le cerveau et les activités humaines. Les troubles occasionnés par certains dysfonctionnements des systèmes nerveux, cardio-vasculaires et hormonaux se traduisent au niveau de ce qu’on peut aujourd’hui appeler les maladies migraineuses. Les moyens d’examens auxquels sont soumis les patients souffrant de cette affection, une fois éliminés les risques tumoraux ou structurels détectables par les examens de scanner ou d’imagerie à résonance magnétique, ne permettent pas de déterminer les causes de la migraine. Ainsi, c’est le dialogue avec le patient qui va amener le praticien à identifier un faisceau symptomatologique. Les associations et représentations des patients sont fondamentales pour comprendre ces maladies, particulièrement sous les aspects de la symbolique, de la mémoire et de l’imaginaire intégrés dans le discours.
Durant l’année 1999 au Centre antimigraineux de l’hôpital Pitié-Salpêtrière, j’ai mis au point un questionnaire destiné aux patients migraineux et établi un certain nombre de faits à partir des réponses qui m’ont été données…

Depuis quand avez-vous des migraines et à quelle fréquence ?
– Pour plus de la moitié des cas, elles se sont manifestées avant l’âge de dix-sept ans. L’affection migraineuse représente une souffrance qui veut être ignorée par le patient. La migraine est un mal difficilement accepté par l’entourage parental ; les parents ne sont pas prêts à faire examiner un enfant pour un mal de tête, craignant d’être plus ou moins tenus pour responsables de cette migraine. On perçoit déjà ici que cette pathologie peut être investie par un sentiment de culpabilité latent.

Associez-vous la migraine à une circonstance particulière, une période, une situation dans votre vie ?
– Si un quart des personnes interrogées répondent à cette question par la négative, toutes finissent par associer à leur migraine, une circonstance, une période, une situation. Le refoulé ici règne d’emblée. Soixante-dix pour cents des patients la relient à un stress, une contrariété, un changement. Trente-cinq pour cent de ces personnages associent leur migraine à une situation négative (anxiété, activité professionnelle, entourage…). Ainsi, la majorité des patients rattachent leur migraine à des éléments de stress, de trouble émotionnel, de contrariété.

Qu’est-ce qui, d’après vous, déclenche une migraine ?
– La grande diversité de ce que l’on appelle les facteurs déclenchants ne peut, à mon sens, s’expliquer autrement que par la résonance que ces éléments suscitent en chacune des personnes victimes de crises de migraine. On peut supposer que l’absorption de tel aliment, l’inhalation de telle odeur, la survenue de tel facteur climatique ou la réalisation de telle activité, fait référence à un moment de l’enfance du patient, pendant lequel cette situation chimique et corporelle sera intervenue à l’occasion d’une circonstance défavorable (dysphorique).

Que ressentez-vous pendant une migraine ?
– L’implication des yeux dans la relation de la personne met directement en question le regard et son rôle dans la constitution de la personnalité affective, déterminant la façon dont l’enfant a été aimé, accepté, rejeté, toléré. C’est par le regard qu’il jauge, apprécie ce qu’on lui donne, ce qu’on lui transmet, ce qu’on lui refuse : la nourriture, l’impatience, l’amour… Le cerveau a gardé la trace des évènements les plus défavorables de cette période et la douleur morale ressentie alors est prête à être réactivée. Le découragement, la fuite, voire le suicide sont évoqués par soixante-dix pour cent des personnes interrogées. On pourrait parler à propos de la migraine, d’un véritable épisode psychotique temporaire, tant sont importants les déséquilibres psychiques qui menacent tout à coup le migraineux.

Qu’est-ce qui se passe lorsque vous avez une migraine ?
– Ce sont toujours des syntagmes d’une grande violence qui sont utilisés par les patients pour décrire leurs douleurs ; des éléments sadiques et masochiques font surface pendant les crises de migraine (quelque chose s’enfonce, pointes, coups d’aiguille…).

Comment pourriez-vous qualifier votre douleur, vos crises ?
– Pour qualifier leur douleur, les personnes interrogées nomment le lieu du mal : la tête, bien sûr, mais aussi les yeux. Cependant, ce qui est atteint c’est bien le siège de la pensée. Autrement dit, on peut faire le lien entre le siège de la douleur et la mémoire. L’inconscient choisit donc le symptôme le plus proche de la réalité pour s’exprimer. L’adulte ne peut toujours pas comprendre ce qui lui arrive comme il n’a pu comprendre ce qui lui est arrivé jadis. Le petit d’homme s’en tient la plupart du temps responsable, comme tous les malheurs qui arrivent à l’enfant ; ainsi le suicide est-il fréquemment évoqué, directement ou non (« Je me taperais la tête contre les murs »).

Y a-t-il des symptômes qui accompagnent votre migraine ?
– La moitié des personnes interrogées souffrent de nausées ce qui renvoie (si j’ose dire), au premier mode de communication vital de l’enfant, c’est-à-dire la nourriture et l’alimentation. Il s’agit d’un mode de communication archaïque qui conditionne une multitude d’attitudes relationnelles futures. Chez un quart des personnes interrogées, se produisent des vomissements associés à des diarrhées, comme s’il s’agissait d’expulser des éléments fondateurs d’une personnalité non acceptée. Après la tête et le ventre, que manque-t-il au tableau pour être complet ? Et bien le cœur. Les symptômes évoqués sont à tonalité dépressive, neutralisant les défenses intellectuelles et replaçant la personne dans un contexte de grande vulnérabilité, d’où le repli sur soi, dans sa chambre, le noir, le silence…

Avez-vous eu d’autres problèmes de santé ?
– Il existe, pour les migraineux, une prédominance des allergies et des maladies graves, durant l’enfance. Elles représentent, selon moi, des modes de communication archaïques qu’on ne saurait réduire à une érotisation de l’organe. Un certain nombre de femmes mettent en avant des circonstances qui concernent leur vie hormonale ; il s’agit d’évènements psychoaffectifs et psychosexuels et non d’un facteur hormonal déclenchant.

Qu’est-ce qui vous soulage : médicaments, obscurité, silence… ?
– La moitié des personnes interrogées se disent soulagées par une association médicaments plus autre chose (silence, obscurité, position allongée, absence de l’autre, chaleur…). Ces attitudes représentent une régression narcissique.

Voyez-vous autre chose par rapport à votre entourage, votre famille, votre alimentation, votre sommeil ?
– La moitié des personnes interrogées considèrent comme déterminant le fait que des membres de la famille soient également migraineux. C’est ce qui a pu faire penser que la migraine ne pouvait avoir quelque chose d’héréditaire ; il n’en est rien. La migraine se transmet mais de manière intersubjective. Viennent ensuite les problèmes de sommeil et les difficultés avec l’entourage. Sur soixante-dix-huit personnes interrogées, l’enfer c’est l’autre !
La double consultation (médecin et psychanalyste ou psychothérapeute) apporte un soulagement immédiat, la souffrance des patients étant au premier plan des préoccupations des soignants par le biais de la parole, du discours du patient. Le médicament agit vite, la psychothérapie agit en profondeur.
La migraine ne doit plus être considérée comme une maladie honteuse ou imaginaire qui doit la plupart du temps être camouflée, suscitant rejet, incompréhension ou agressivité ; elle peut-être traitée efficacement et durablement.

NB : la dimension psychique de la migraine a fait l’objet de mon mémoire de DEA (Master 2) :
Associations et représentations des patients migraineux en psychanalyse et en neurologie


Nicolas Koreicho
– Juin 1997 – Institut Français de Psychanalyse©

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La Rose et le réséda

La Rose et le réséda – Aragon

Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas  rosereseda
Tous deux adoraient la belle prisonnière des soldats
Lequel montait à l’échelle et lequel guettait en bas

Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
Qu’importe comment s’appelle cette clarté sur leur pas
Que l’un fut de la chapelle et l’autre s’y dérobât

Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles des lèvres du cœur des bras
Et tous les deux disaient qu’elle vive et qui vivra verra

Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles au cœur du commun combat

Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
Du haut de la citadelle la sentinelle tira
Par deux fois et l’un chancelle l’autre tombe qui mourra

Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
Ils sont en prison Lequel a le plus triste grabat
Lequel plus que l’autre gèle lequel préfère les rats

Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
Un rebelle est un rebelle deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l’aube cruelle passent de vie à trépas

Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
Répétant le nom de celle qu’aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle même couleur même éclat

Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
Il coule, il coule, il se mêle à la terre qu’il aima
Pour qu’à la saison nouvelle mûrisse un raisin muscat

Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
L’un court et l’autre a des ailes de Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle le double amour qui brûla
L’alouette et l’hirondelle la rose et le réséda

Louis Aragon

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