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Moi idéal et Idéal du moi

Nicolas Koreicho – Septembre 2018

Moi idéal et Idéal du moi – Narcissisme primaire, narcissisme secondaire

Vladimir Borovikovski, Maria Lopukhina, 1797 – Galerie Tretiakov, Moscou

Sommaire

  • Un contexte concret
  • Dans la mythologie
  • Narcissisme comme stade de développement
  • Narcissisme primaire, narcissisme secondaire
  • Narcissisme primaire
  • Stade du miroir
  • Narcissisme secondaire
  • Moi idéal
  • Idéal du Moi
  • Fonction paternelle, fonction maternelle
  • Moi idéal et idéal du moi
  • Pulsion scopique, pulsion invocante
  • Intra-subjectivité et intersubjectivité

Un contexte concret

Les différences à admettre pour comprendre les notions de Moi idéal et d’Idéal du moi et les articulations à réaliser avec le narcissisme primaire et le narcissisme secondaire sont difficiles à appréhender a priori. C’est la raison pour laquelle nous nous appuierons sur un contexte concret.
Ainsi, cet article se décline sur la relation qui se tisse entre un « écoutant » et un « appelant », dans les associations de bénévoles qui travaillent par téléphone autour de la demande d’amitié, de l’écoute au suicide, de l’accompagnement à la détresse. A l’occasion de cette interaction temporaire mais concrète, les échanges permettent de saisir avec exactitude la nature des notions de Moi idéal et d’Idéal du moi, et de comprendre, à partir du narcissisme de l’écoutant et de celui de l’appelant, en quoi les concepts de narcissisme primaire et de narcissisme secondaire délimitent ces notions.
Le présupposé théorico-clinique de cet article facilitera ainsi l’appréhension de ces thèmes psychanalytiques tant ces notions et ces concepts sont liés, complexes et singuliers.

La fonction d’écoutant place en apparence la personne qui appelle au premier plan. Pourtant, celui qui écoute, l’écoutant, se trouve investi d’un rôle qui fait de lui le pilier de la relation. C’est de lui, l’écoutant, que va dépendre la parole de l’autre, et c’est de lui dont dépend le bon vouloir de celui qui appelle. L’écoutant est aussi l’objet du transfert de l’appelant, c’est donc celui à qui l’appelant s’adresse, l’écoutant, qui va proposer implicitement à l’appelant de lui raconter (de lui refaire) sa vie.

Au passage, dans le terme « appeler », il y a quelque chose d’une urgence, urgence à toucher l’autre dans son identité, ainsi qu’en atteste l’étymologie. Appeler c’est « s’adresser à quelqu’un », c’est donc le viser spécifiquement, c’est « l’invoquer », c’est « l’appeler par son nom ».
C’est ce que j’ai appelé « pulsion d’appel« , pulsion à l’origine de l’invocation par le sujet pour que l’ « autre » l’entende*.
Comment t’appelles-tu ? Je m’appelle Narcisse. Narcisse, parce que c’est lui, l’écoutant, qui est investi. Et quel enjeu ! Question de vie et de mort, n’être qu’un écho ou bien partager un discours, même silencieux.

Dans la mythologie

Dans la mythologie grecque, Écho (du grec Ἠχώ, « bruit répercuté », « rumeur qui se répand ») était une oréade, une nymphe des montagnes, qui vivait sur le mont Cithéron. Pour avoir aidé Zeus à tromper la jalousie d’Héra sa femme, elle encourut la colère de celle-ci et fut condamnée à ne plus pouvoir parler, sauf pour répéter les derniers mots qu’elle avait entendus.
Tombée amoureuse de Narcisse et incapable de lui faire part de ses sentiments, elle mourut de chagrin.

On appelle quelqu’un. Posons que lorsque quelqu’un vous appelle, il va modifier votre destin. Quelqu’un va faire de vous la cible de ses tourments. En effet, ce n’est pas l’écoute en général qui fait l’intérêt de ce métier d’écoutant ; c’est plus précisément qu’il est question d’une écoute, de cette écoute-là, de ce discours et de cette situation d’interlocution.

Vous vous souvenez peut-être qu’il existe plusieurs acceptions du terme « narcissisme ».
Couramment, c’est une sorte d’amour propre un peu poussé, un nombrilisme exagéré, une tendance à l’égocentrisme.

Narcissisme comme stade de développement

Précisément cette fois, en psychopathologie, outre le concept générique de narcissisme, le narcissisme constitue un stade de développement de la personnalité, au même titre que le stade oral, anal, phallique, latent, génital. Ce stade se situe entre le 6ème et le 18ème mois, entre l’auto-érotisme et le choix d’objet, c’est-à-dire entre la pulsion du moi et le choix de l’autre. C’est le stade où littéralement nous découvrons qu’il y a un autre et, par conséquent, qu’il y a un moi. C’est dire à quel point ce stade intermédiaire est un des fondements de la personnalité.

Narcissisme primaire, narcissisme secondaire

Au-delà de cette détermination en tant que stade, on discerne un narcissisme primaire et un narcissisme secondaire. Le premier marque la prévalence, dans l’histoire de l’individu, de l’amour de soi sur l’amour des autres. Le second revient pour la personne à aimer l’autre, mais par détournement, secondairement, à s’aimer soi, dans la mesure où, si on aime l’autre, c’est par identification, c’est parce que l’autre nous aime ou parce qu’il nous ressemble.

Ainsi, de cette façon, on peut dire que l’homosexualité représente un aspect d’identification du narcissisme dans la mesure où l’homosexuel fait en sorte que son objet amoureux soit semblable, c’est-à-dire ayant le même sexe, à lui-même, étant donné qu’il va aimer l’autre comme sa mère l’a aimé lui. Cette tendance, que nous traversons tous, deviendra soit une orientation sexuelle, soit le fondement des liens sociaux, d’amitié, d’affect relatif vis-à-vis de nos relations.

Narcissisme primaire

Le narcissisme primaire est un état précoce de l’organisation des pulsions de l’enfant qui investit la totalité de son énergie sur lui-même. Tout ce qu’il fait découle de ses besoins à l’autosatisfaction.

A l’intérieur de ce stade, il n’y a pas de distinction entre le soi et le non-soi, le dedans et le dehors, la personne et le monde. Le nourrisson, sur un plan pulsionnel, se suffit à lui-même. En ce sens, comme la vie intra-utérine, le sommeil, le rêve, la maladie, la dépression sont des sortes de narcissisme primaire retrouvé.
Tout d’abord, les objets (ce qui est différent du sujet) qui sont investis sont des parties du corps, des organes, des objets partiels. Nous appelons ces tendances des pulsions partielles. Les parties du corps qui sont le plus sollicitées sont les orifices. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant, l’orifice étant le lieu de passage par excellence entre soi et le monde, le lieu des premiers échanges, des premières relations à l’autre.
Ensuite, c’est le corps tout entier qui est sollicité et le plaisir corporel s’étend au corporel dans son entier afin que l’on puisse se procurer de la satisfaction dans l’assouvissement de nos besoins vitaux pulsionnels et parallèlement mais à bas bruit, comme si de rien n’était, affectifs.
Enfin, progressivement, c’est le corps de l’autre qui est sollicité, en particulier le corps de la mère, dès lors que celui-ci peut procurer le maximum de satisfactions et qu’il accompagne l’enfant dans la voie d’une unification et d’une construction.

Stade du miroir

C’est alors qu’intervient le fameux stade du miroir, encore dans le narcissisme primaire, mais avec l’affirmation toujours plus prononcée que l’affect s’impose comme partie sine qua non du développement de la personne. Développement de l’affect et développement du corps sont indissociables. Le stade du miroir est cette période où l’identité de la personne prend corps et âme. C’est l’image de son corps qui donnera à l’enfant l’idée d’une unité de sa personne, également sur le plan psychique.
1. La personne que l’enfant voit dans le miroir est une personne différente de lui-même.
2. Le reflet de lui-même n’est pas une personne. C’est seulement un reflet.
3. Ce qu’il voit dans le miroir c’est bel et bien lui-même.
C’est ce stade que Henri Wallon va inventer et, après lui, Donald Winnicott, puis, enfin, Jacques Lacan qui décrira le concept comme « formateur de la fonction du Je », c’est-à-dire formateur de la fonction d’identification du sujet à lui-même. C’est la fonction sujet qui prend corps ici.
Cela se passe avant que le petit d’homme ne puisse s’identifier à un autre.

C’est en effet une identification à un autre qui permettra à la personne de parfaire son unité corporelle. C’est parce que quelqu’un le regarde en train de se regarder et approuve cette image que l’idée de l’autre comme pouvant parfaire l’idée de soi s’impose.
C’est un peu cela que la relation d’appelant à écoutant propose. Un regard, une écoute, une approbation.
Celle qui regarde le nourrisson en train de se regarder, c’est d’abord la mère qui l’assure qu’il est beau, qu’il est aimé. C’est aussi le moment où la possibilité de l’abandon peut s’exercer. C’est l’angoisse du 8ème mois, l’angoisse de séparation, prélude à la névrose d’abandon. L’enfant comprend qu’il ne fait pas vraiment partie de sa mère, mais qu’elle est importante en ce qu’elle permet le renvoi d’une image, et une bonne image de soi, c’est-à-dire une image juste.

Narcissisme secondaire

Le narcissisme secondaire parachève ce processus de subjectivation et d’identification, après la découverte d’une réalité extérieure, de manière affective sous les traits de la mère, puis du père, puis de la fratrie, naturelle ou reconstituée, et des autres, de l’autre, dirons-nous. Les besoins, vitaux et affectifs, se répartissent dans le plaisir qui passe, qui s’échange dans ces allers et venues d’une projection, vers l’autre, à l’introjection, vers soi.
Cela se passe d’autant mieux que l’image de soi, dans ces diverses opérations de partage du bon regard, est valorisée.
L’énergie corporelle et affective se dispense en soi et en l’autre, ce qui offre un cadre propice au développement simultané des deux dimensions de la personne, le corporel et l’affectif, ce qui propose à son tour la possibilité du conceptuel, de l’intellectuel, de l’artistique.

Ce sont les épreuves, les difficultés, les obstacles, qui vont permettre à la libido de s’éloigner de l’objet décevant pour en revenir au sujet, secondairement, donc. Si l’autre est déceptif, la personne peut en revenir au moi pour puiser de l’énergie positive et se recharger en image satisfaisante de soi. Le moi peut ainsi intérioriser les bonnes relations qui l’ont construit et se dire qu’il a en lui tout ce qu’il faut pour mener une vie intérieure, étant donné que sa mère, puis son père, l’ont gratifié d’un bon retour, d’une bonne appréciation, outre par le tactile, le proximal, le geste, par le miroir des yeux et par le miroir de la voix, d’une bonne image de soi. Il peut s’aimer comme ses parents l’ont aimé.
L’important, c’est d’avoir été bien aimé.

Moi idéal

Le narcissisme primaire se construit lui en fonction de ce que l’on veut être pour soi-même. Ce que le sujet attend pour lui-même dépasse ce qu’il veut montrer pour l’autre. C’est un retour au plus ancien de l’imaginaire. Le socle du narcissisme primaire c’est le moi idéal. Le moi idéal représente la perfection narcissique de la toute-puissance, ancienne toute-puissance de « sa majesté le bébé », ainsi que le nommait Freud. J’aimerais être un héros, au moins me voir comme tel, être le bien, me donner à moi-même toutes les qualités que je pense, au fond, être miennes.
C’est ce que propose le moi idéal en ce qu’il permet au sujet de se conformer à une bonne image de lui-même, qu’il a reçue des autres, de l’autre, ou bien, faute de mieux, qu’il s’est construite. Dans ce cas, il a fallu faire jouer le « deviens ce que tu es », c’est-à-dire pour que tu sois ce que tu aurais été si l’autre ne t’avait pas modifié, si l’autre ne t’avait pas amené à ériger des défenses qui te freinent, te ralentissent, te conditionnent.

Idéal du Moi

Le narcissisme secondaire s’édifie également à partir de cet autre qui reconnaît (reconnaître c’est renaitre avec) le sujet qui, à son tour, va tenter de se conformer à l’évaluation de cet autre qui l’apprécie. C’est l’apparition du symbolique. Le sujet peut s’identifier aux idéaux parentaux, altruistes, qui en principe font le bien du sujet, qui font du bien au sujet. C’est l’idéal du moi. Ce que l’on veut être pour faire plaisir à l’autre, pour se montrer à sa hauteur, mais aussi pour être entendu de lui.

Fonction paternelle, fonction maternelle

L’écoutant, est, comme on l’a vu, appelé. Il est amené à représenter la cible d’un destin, a priori différent de celui de l’appelant.
L’écoutant représente pour l’appelant l’idéal du moi. L’idéal du moi, lié au narcissisme secondaire donc, est ce que le moi voudrait être pour être apprécié de l’autre. Cet idéal du moi s’apparente au surmoi, en cela il représente en partie une dimension de la fonction paternelle, avec, en thérapie un très important transfert dans cette direction, mais cependant que le surmoi est contraignant, l’idéal du moi est exaltant. C’est d’ailleurs ce qui fait de l’idéal du moi une instance morale, d’obéissance aux règles sociales, d’admiration de l’autorité, de relation respectueuse. Ainsi, inconsciemment, l’appelant va tenter de se conformer à ce qu’il pense que l’écoutant attend de lui, quitte à le provoquer, le nier, le contredire, le mettre à l’épreuve. Par ailleurs, en même temps qu’il obéit à la règle de la relation humaine à maintenir, au passage fonction que Lacan attribue à l’Idéal du Moi : « L’idéal du moi commande le jeu de relations d’où dépend toute la relation à autrui. », il peut jouer l’enfant rebelle, dissipé, difficile, enfant dont on sait que sa mère le préfère et à partir de quoi le père s’intéresse à lui.

En dehors de cette fonction maternelle première que l’appelant suscite et projette chez l’écoutant, puis de cette fonction paternelle qu’il demande et provoque, que va-t-il lui être, à lui l’écoutant, en échange de sa présence à l’autre, restitué ? Qu’en est-il du narcissisme de l’écoutant ? Que va devenir la place de l’écoutant dans sa propre lignée cependant que l’appelant, au fond, cherche à reconstituer une famille, mère, père, dont il n’a pu qu’imparfaitement bénéficier ?

Moi idéal et idéal du moi

Comme évoqué précédemment :

Le moi idéal est l’héritier du complexe d’Œdipe. C’est ce que nous devrions être pour soi-même. C’est ce que le sujet attend de lui-même pour répondre aux exigences d’une illusion infantile d’omnipotence et d’identification primaire à un parent tout puissant. Il est de l’ordre d’une projection imaginaire.

L’idéal du moi est l’héritier du Narcissisme primaire. C’est ce que nous voudrions être pour l’autre. C’est ce que l’individu doit être pour répondre aux exigences du Surmoi parental. Il correspond à l’idéalisation. Il est de l’ordre d’une introjection symbolique. Il est question pour lui du déplacement de la libido narcissique sur les parents. C’est une étape charnière entre le narcissisme et l’objectalité puisqu’il s’agit d’établir une correspondance entre l’amour de soi et l’amour de l’autre, pour l’enfant la perte de l’amour de l’autre correspondant à une perte de l’amour de soi.

Si nous reprenons notre démonstration concrète, l’écoutant va alors, en tant que moi idéal, lié au narcissisme primaire, cette fois, pouvoir être apprécié, et prendre la place que lui donne l’appelant le plus souvent dans le berceau du silence, autrement dit l’appelant va pouvoir s’adresser à lui, apprécier son silence englobant, offrant l’espace à la parole de l’autre, c’est-à-dire sa présence, comme lorsque sa mère et son père, d’une simple présence rassurante, lui donnaient leur amour.
Grâce à une dialectique d’accord affectif profond, l’idéal du moi, au passage l’écoutant pour l’appelant, va pouvoir conforter son moi idéal, au passage l’écoutant pour lui-même. L’idéal du moi doit pouvoir correspondre au moi idéal. Prestige, gloire, grandeur, en définitive l’écoutant qui fait son métier au mieux, appartiennent au moi idéal. Ce que je crois que l’autre attend de moi, va me revenir sous la forme d’un moi satisfait, idéal, dans la mesure où j’ai rempli ma mission d’écoutant à l’occasion de laquelle je cherche implicitement une reconnaissance.
Et puis, si j’ai bien écouté, et c’est ce qui fait que l’autre m’a bien parlé, je serai l’idéal du moi de l’appelant. Il m’a confié son secret mortifère, j’ai su l’écouter, j’ai tenu sa parole, à la vie, à la mort.

Pulsion scopique, pulsion invocante

Ce sont des fantasmes bien entendu, l’appel et l’écoute ne sont pas des absolus. Cependant, c’est la transformation du regard en voix, transformation de la pulsion scopique en ce que les psychanalystes appellent la pulsion invocante, qui va vers le rétablissement d’un moi archaïque, d’en deçà de l’intellection, ne concernant que l’affection, autant chez l’appelant que chez l’écoutant.

Rappelez-vous que « appeler » c’est étymologiquement invoquer et nommer. L’enjeu de l’interaction est donc bel et bien de faire exister d’abord l’autre puis, ceci fait, de faire exister soi, pour les deux protagonistes. Les deux doivent s’y retrouver. Les deux se cherchant leur propre reflet dans la voix de l’autre.

Le moi idéal porte quant à lui l’image valorisée que l’écoutant doit se faire de lui-même dans l’accord entre deux voix. Dans les deux cas, moi idéal ou idéal du moi, se joue la pulsion invocante, en ce qu’elle est chargée de trouver, même en un simple reflet, un répondant.

L’idéal du moi est chargé d’élaborer les futurs choix d’objet, c’est-à-dire les futures relations à l’autre, de manière intime. L’appelant veut retisser des liens qui sont pour lui plein de nœuds.

Le suicidaire qui appelle veut en appelant reconstituer une relation à l’autre, gravement endommagée et confirmée par l’idée de tenter de contrôler soi-même le réel, sans regard ni entente d’autrui, il invoque et convoque l’oreille de l’autre, à distance, relation qui n’a eu lieu que de manière imparfaitement reconnaissante. On pourrait dire que le suicidaire, celui qui n’appelle pas et qui passe à l’acte, faute de satisfaction ancienne de l’idéal du moi, retourne dans une idée régressive du moi idéal, où sa toute-puissance est rétablie.

Intra-subjectivité et intersubjectivité

Si le développement du moi se fait par les étapes du moi intra-subjectif, la personne par rapport à elle-même, en référence au moi idéal, puis du moi intersubjectif, la personne par rapport à l’autre, en référence à l’idéal du moi, le regard de l’embryon puis du nourrisson se fait, après les relations prototypiques du tactile, de l’olfactif, du gustatif, du vestibulaire, d’abord vocalement, par les oreilles, puis scopiquement, par les yeux, et il se fait lui-même dans un dialogisme corporel et affectif, en miroir. Le regard élaboré le plus lointain, vocal et scopique, se fait à partir du désir du nourrisson, au temps ou désir et besoin ne faisaient qu’un, nourrisson qui s’est d’abord désiré lui-même de manière intra-subjective, au sein du narcissisme primaire.
Dans un passé archaïque, sorte de proto-désir pour autrui, il y a eu ensuite désir du désir de l’objet (la mère), puis désir du désir de l’autre (le père), de manière intersubjective, étant entendu que le désir de soi au mieux représente pour toujours soit un havre de paix, un refuge, un moi idéal, soit une rassurance, une consolation, un idéal du moi.
Tout ceci a commencé par se faire par l’oreille et la voix, puis par le regard. L’oreille et la voix étant les premières structures élaborées en langage, comme cosubstantifs du langage, dans la construction du moi, et, pour l’oreille, en tant qu’orifice de communication qu’on ne peut fermer et qui s’impose à l’embryon.
La différence entre la pulsion vocale du narcissisme primaire, celle du moi idéal et la pulsion invocante du narcissisme secondaire, celle de l’idéal du moi, c’est que dans le premier cas il s’agit d’une décharge de tension, et dans le second cas, il s’agit d’une expression intentionnelle. C’est alors une voix d’appel, d’invocation, qui appelle un retour, un dialogue.
En ce sens, le bon écoutant c’est celui qui transforme l’écoute en entente.

Nicolas Koreicho – septembre 2018 – Institut Français de Psychanalyse©

* Destins psychiques de la souffrance physique

 34RL1H3    Copyright Institut Français de Psychanalyse

Johnny, héros des mal-aimés

Nicolas Koreicho – Janvier 2018

5 décembre 2017. Mort de Johnny, héros des mal-aimés.

Johnny Hallyday 2012 ; Crédit photo AFP

Cette fin d’année aura vu advenir deux événements extraordinaires d’un point de vue psychanalytique et mythologique, au sens de Barthes.

D’une part la mort de Johnny Hallyday, d’autre part ses obsèques.

Nous pensions cet homme invincible, indestructible, lui qui avait survécu au double abandon de ses parents et à son élévation, seul, à travers toutes les épreuves et les couronnements de sa vie, au statut d’étoile.

D’une enfance psychotique ou le jet de déjections lui tenait lieu d’expression jusqu’à l’âge avancé du patriarche rassurant, Johnny s’est vu construire, au fur et à mesure des années et des épisodes de sa vie, une existence de destruction et de construction.

Véritable héros français résilient, adulé des mal-aimés, de ceux qui n’ont pas eu tout l’amour désiré de leurs parents, éducateurs, maîtres, l’homme a représenté au plus juste choix de ses chansons les projections de ceux qui, dans les familles, dans la société, pour les bien-pensants, demeurent les mal-aimés.

D’ailleurs ce sont eux, les mal-aimés, les mauvais élèves, les mal-pensants de la République caviar qui ont porté aux nues religieuses l’un des leurs, en l’exact fantasme de celui qui n’est jamais allé à l’école et qui fut obligé de paraître, dans le paradoxal rôle de la vedette, à la fois simple et éblouissant.

Mauvais exemple mais bonne énergie, sa mort fut saluée par « les petits, les obscurs, les sans-grades », certes, mais par les honnêtes gens, pas par ceux qui font la une des faits divers, et ces mêmes honnêtes gens reconnurent en lui le statut de héros qui fit être moins seul puisqu’il avait la charge de veiller sur nos tourments en « force qui va », en frère devenant le père qui leur avait manqué.

Tel est souvent, d’ailleurs, le rôle de la chanson qui va demeurer la grande consolatrice de nos existences parfois inachevées.

Nicolas Koreicho – Janvier 2018 – Institut Français de Psychanalyse©

34RL1H3 Copyright Institut Français de Psychanalyse

La liste noire des thérapies

Alexandre Santeuil – Décembre 2012 – 2023

Voici une liste de thérapies établie entre autres dans un Guide de 2012 par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires pour lutter contre les dangers d’emprises sectaires de médecines et de psychothérapies non conventionnelles qui sont, compte tenu de leurs insuffisances conceptuelles et de leur manque de scientificité, dans le collimateur de la Miviludes, en raison de leur risque supposé de « dérives sectaires », ou de manipulation de personnes insuffisamment informées. En tant que pratiques, pas forcément sectaires, et pas systématiquement inintéressantes, mais la plupart du temps non réglementées, et, à ce titre, pouvant se révéler potentiellement dangereuses ou inutiles ou mensongères, elles ont pu faire l’objet de plaintes et de procès avec constitution d’associations de victimes et de remontées de signalements aux parlementaires et à la justice, pour atteinte à l’intégrité des personnes, abus de l’état de faiblesse ou d’ignorance, mise en danger de la vie d’autrui, escroquerie, exercice illégal de la médecine, de la psychothérapie*, de la kinésithérapie… Parmi ces quelques méthodes listées, certaines peuvent s’appuyer sur des approches tour à tour « psychologisantes, déviantes, par ingestion de substances, aux fins de prévention, de développement personnel, de rééquilibrage de l’énergie… » :

Amaroli (traitement du cancer par ingestion de sa propre urine)
Analyse transactionnelle
Ayurvédique
Biomagnétisme
Biopsychologie systémique
Breuss (t. du cancer par cure de jus de légumes)
Budwig (t. du cancer par ingestion huile de lin et lait caillé)
Constellation systémique et familiale
Crudivorisme
Décodage biologique
Énergiologie
Ennéagramme
EMDR (eye movment desensitization and repossessing)
Etats de conscience modifiés
Gemmothérapie
Gestalt-thérapie
Hamer (méthode) ou Médecine Nouvelle Germanique
Holistique
Hygiénisme
Instinctothérapie
Iridologie
Kinésiologie
Kryeon (EMF) (enfants « indigo » ou « cristal »)
Lefoll (t. du cancer par ingestion d’un composé de trois acides)
Libération des cuirasses (MLC)
Massage Tui Na
Médecine énergétique
Méthode Hamer
Mythe de l’enfant parfait
Naturopathie
Neo chamanisme
Neuro quantique
Ozonothérapie
PNL (programmation neuro-linguistique)
Psychobiologie
Psychogénéalogie
Psychologie quantique
Psychosomatoanalyse
Médecine quantique
Rebirth
Reiki
Résonance
Respirianisme
Scohy (t. du cancer par ingestion de jus de citron)
SHI (spiritual human yoga)
Simoncini (t. du cancer par ingestion de bicarbonate de soude)
Simonton
Sophrologie
Systémique
Systémique orientée solution
Tabitah’s place
Thérapie(s)
Thérapies du rêve éveillé
Thérapie systémique
Tipi
Vittoz
Yunâni

La Miviludes (cf. les Rapports annuels de la Miviludes) précise qu’un grand nombre d’autres méthodes, non citées ici (il en existerait environ 400 au total, par exemple : […] Astrologie structurale, Bioénergie, Biosynergie, Biodynamique, Biologie totale des êtres vivants, Body Mind Movement, Conscience énergétique des chakras, Féminin sacré, Intégration posturale, Massage bio-dynamique, Méthode Lefoll,  Méthode Scohy, Narratologie, Psycho-bio-thérapie, Psychosynthèse, Somatanalyse, Sophroyoga, Technique du dialogue intérieur […]), ne sont pas non plus exemptes de risques.
De même qu’un grand nombre de thérapies ou de psychothérapies souffrent d’insuffisances conceptuelles, développementales, éthiques, la psychanalyse n’échappe pas à ces dérives sectaires dans la mesure où, d’une part, des associations, des sociétés, des instituts usent d’épithètes ou d’attributs les qualifiant en termes subjectifs tels que « existentielle », « intégrative », « psychodynamique », « relationnelle », « humaniste », « jungienne », « féministe », « interpersonnelle », « queer », « inclusive », « schizo-analyse», «daseinsanalyse », etc. et où, d’autre part, des praticiens d’installation à prise rapide, sans aucun diplôme, sans formation sérieuse et même, parfois, sans avoir jamais fait d’analyse, s’intitulent « psychanalystes », sans droit ni titre.
À présent, des méthodes, des associations, des « thérapeutes », de nombreuses thérapies, des organismes de formation, et surtout des formations, qui font les beaux jours de certains « praticiens », de professionnels peu exigeants sur le plan de la validité scientifique et conceptuelle de leur activité, naissent, se développent, changent de nom au gré des modes, puis, dans le meilleur des cas, s’éteignent. Nous en retrouvons régulièrement les promoteurs, exerçant sous des titres faciles à obtenir, la plupart du temps non reconnus par l’État, s’adjugeant de faux diplômes, de faux titres, et cependant parfois adulés sur les réseaux sociaux.

NB : Mises régulièrement en question, Fasciathérapie, Anthroposophie (Rudolf Steiner), Colibris (Pierre Rahbi), Végétothérapie caractéro-analytique (Wilhelm Reich) ne sont pas considérées officiellement comme relevant de dérive sectaire.
Les organisations religieuses et/ou politiques ne sont pas listées, dans la mesure où elles font l’objet d’un traitement particulier par les services spécialisés des ministères compétents qui exercent une surveillance spécifique sur leurs activités.

*L’article 52 (de la loi sur le titre de psychothérapeute) est venu combler un vide juridique qui permettait à tout un chacun dans notre pays de s’autoproclamer psychothérapeute, de visser sa plaque ou de figurer dans les annuaires et d’être alors en situation de répondre, sans aucune garantie de formation, ni de compétence, ni d’éthique, à des sollicitations de personnes par définition fragiles courant le risque de voir leur détresse ou leur maladie aggravées, et souvent, hélas, d’être abusées par des personnes ou des organisations présentant une vision « particulière » ou mensongère ou obsolète (new age, structuralisme, psychologie des organisations, psychosociologie…) du monde ou de la société, philosophique ou sociologique ou cosmique ou de la conscience ou de l’intelligence émotionnelle ou de l’énergie ou de la joie, etc…
Nous avions pourtant déjà fort à faire avec les professionnels en titre (Cf. Le monde des psys : les reconnaître), cependant qu’à présent, d’autres malins ne pouvant pas usurper le titre de psychothérapeute, utilisent d’autres titres courants, possibles ou imaginables – parfois soi-disant psychanalystes, hélas, car le titre n’est pas réglementé[1] -, afin de s’insinuer dans les méandres d’organisations, d’entreprises, d’organismes de formation, de cabinets de RH, d’institutions de soins, hôpitaux et cliniques, et de pratiquer une psychothérapie ou une psychanalyse sauvages.
En effet, reste à présent aux instances d’éthique et de vigilance, ainsi qu’aux patients et aux clients, de répondre par la loi à l’utilisation et au détournement, par certains professionnels de la psychologie, de la psychanalyse, de la psychosociologie, de la relation d’aide, du développement personnel, du coaching…, soit de titres usurpés (y compris par des « stars » médiatiques) et de discours indûment empruntés, soit de « méthodes », d’ »approches », de « thérapies », psychothérapistes sans solide fondement théorique reconnu et/ou assimilé, ou illégales et parfois dangereuses.
L’exemple de titres empruntés est par exemple attesté par l’emploi, volontairement générique, du vocable « thérapeute », ou « praticien », qui veulent ainsi donner l’idée du soin, en une imposture qui joue sur une ambiguïté lexicale métonymique, et par laquelle l’on ne sait de quel statut, diplôme, formation, ni de quelle « thérapie » le soi-disant thérapeute ou le « quelque chose thérapeute » ou le « thérapeute quelque chose » ou le « quelque chose praticien » ou le « praticien quelque chose » se targue…
Ce même souci éthique et de vigilance, qui devra s’appliquer également à d’anciens étudiants ou à certains professionnels du marketing qui s’avancent à présent masqués derrière un de ces titres, ou qui usent de faux diplômes de coachs, mentors, thérapeutes, psychanalystes, praticiens, consultants…, doit se manifester entre autres dans la dénonciation de discours qui se font jour dans l’emploi erroné de termes (dont celui de « thérapie », ou de « psychothérapie ») empruntés à la psychanalyse, à la psychopathologie, à la psychologie, à la psychiatrie, par des « professionnels » en mal de crédibilité ou de rationalité provenant de cursus superficiels, de formations universitaires médiocres, mal évalués.
Ceux-là utilisent de façon abusive des termes scientifiques propres à ces sciences humaines et médicale, obéissant ainsi à un besoin de consommation : celui de la culture psychanalysante ou psychologisante à prise rapide. Ce psychanalysme, ce psychologisme, ce psychiatrisme de forme sont source d’erreur et de confusion pour la patientèle pour deux raisons :
D’abord parce que de telles utilisations de la terminologie et du lexique de ces disciplines scientifiques sont sans fondement justement scientifique (et par surcroît systématiquement inexactes). Des assertions, fausses dans les termes et sur le fond laissent penser que ces professionnels font par exemple, comme nombre de soi-disant psys, du Lacan sans le savoir dans ce qu’il a produit de plus discutable[2], car de plus éloigné du patient, lorsqu’en utilisant abusivement une connaissance superficielle de certains axiomes mathématiques il en inférait des logiques absurdes ou de la prose, comme superficiellement ces M. Jourdain d’aujourd’hui le professent.
Ensuite, et c’est là que les utilisateurs de disciplines d’accompagnement à la mode, mais qui se cherchent encore, doivent, pour leur propre crédibilité, dénoncer les abus et les abuseurs, car il est nécessaire que soient critiqués ceux qui, pour faire sérieux et professionnel et « psy », utilisent des discours psychologistes ou psychanalytistes ou psychiatristes, et qui profitent ensuite de contrats et de conventions d’accompagnement, de relation d’aide, de suivi personnel et professionnel, de coaching, de mentoring… (liste non exhaustive) pour pratiquer dans un deuxième temps une psychothérapie ou une psychanalyse sauvages (et coûteuse) en entreprise, en institution ou en cabinet, aux dépens de leurs patients/clients, en réalité sans droit ni titre.

NBL’usage, sans droit, d’un titre attaché à une profession réglementée par l’autorité publique ou d’un diplôme officiel ou d’une qualité dont les conditions d’attribution sont fixées par l’autorité publique est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Article 433-17 du Code pénal

Alexandre Santeuil – Décembre 2012 – 2023 – Institut Français de Psychanalyse©

[1] https://institutfrancaisdepsychanalyse.com/activites/travail-analytique-et-psychoterapique/le-titre-de-psychanalyste/

[2]  Un problème pour nombre de lacaniens légué par le « maître » : l’absence d’éthique

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Un point de vue de la psychanalyse sur la corrida

Alexandre Santeuil – 1er décembre 2008

« La corrida, ni un art, ni une culture ; mais la torture d’une victime désignée. »
Émile Zola

« Torturer un taureau pour le plaisir, l’amusement, c’est plus que torturer un animal, c’est torturer une conscience. Tant qu’il y aura des êtres qui paieront pour voir une corrida, il y aura des guerres. »
Victor Hugo

« L’œil animal n’est pas un œil. L’œil esclave non plus n’est pas un œil, et le tyran n’aime pas le voir »
Alain

Historiquement, même si la corrida pouvait s’apparenter aux jeux du cirque de l’ancienne Rome, au moment où ces spectacles de tuerie, de combat entre hommes et animaux, sonnaient l’heure de la plongée de la civilisation romaine dans la décadence, la corrida est née dans les abattoirs (Séville – XVIe siècle).
Voici ce qu’il en est de la tradition, voilà ce qu’il en est de la culture.
C’est dans les abattoirs que les bouchers et leurs commis, avant de tuer les taureaux, s’amusaient, et amusaient leurs femmes, puis, moyennant finance, les bourgeoises et les bourgeois à les faire courir, à les piquer, à les poignarder, à les couper, à les saigner vivants, à les tailler en pièces pour distribuer queue, testicules, oreilles aux spectatrices et aux spectateurs fétichistes.
Il est plus que nécessaire de considérer la terreur infligée aux animaux qui satisfait les perversions voyeuristes, fétichistes et sadiques des spectateurs avides de sang, compte tenu de la pulsion d’emprise qui veut considérer l’autre (le faible, l’entravé, l’enfant, la femme, l’animal sans voix : la victime potentielle) comme un objet, en une conjugaison archaïque qui mêle pulsion de destruction et pulsion pornophile.
Une condition acceptable de cet abus de pouvoir aurait été que cela restât dans la fiction d’une littérature ou d’une peinture ou d’une sculpture en une espèce d' »esthétique » du mal. Pourquoi pas ?
Cependant, il est nécessaire également de prendre en compte pour l’analyse, outre la composante perverse de l’exercice, la dimension psychopathique intrinsèque au rejet d’autrui. Et c’est bien ce qui apparaît dans un tel spectacle : l’abject.
La violence tortionnaire proposée en spectacle exhibe une expression sadique brutale, masquée, ambivalente, issue de la pulsion de destruction, et, plus précisément, issue des pulsions de mort sous leur forme perverse et psychopathique.
L’Autre, l’animal, y est pris en otage sous le statut de chose, d’objet réduit à l’impuissance par des corps d’impuissants, les tortionnaires et les voyeurs.
Il est possible de parler d’une certaine complexité, car l’expression sado-tauro-machique se construit sur un anthropocentrisme borné selon lequel c’est le point de vue de l’observateur (de l’archaïque voyeur) qui est privilégié, et ce nonobstant la torture de l’animal réduit à de la chair souffrante.
Certains jadis ont pu se délecter de la contemplation du Crucifié que d’autres persécutaient.
Un cortège d’arguments prétendument artistiques, sur ce qui reste une esthétique de foire, est appelé en renfort. Mais bien évidemment ne peut être qualifié d’Art que ce qui produit une Œuvre. Or, ici, point d’œuvre. Justification complexe de la pulsion scopique sous son aspect voyeuriste, donc. Pour autant, cette esthétique foraine populacière doit-elle prendre le pas sur la douleur et la morale et piétiner la valeur compassionnelle de l’humanité ?
Masque, car l’énergie du taureau peut facilement le faire passer pour un animal agressif par nature, alors que tout est fait, dans son dressage (inculcation violente, incarcération, déportation, contention, brutalité, torture clandestine) pour réduire l’animal à une Chose répondant à l’exigence d’un commerce fondé sur l’abaissement d’une créature unique de vigoureuse beauté au rang de chair à la merci de ce que le peuple a de plus bas, d’un mammifère dont la noblesse, plus que l’homme, en impose. La force déployée par le taureau pour que cesse sa peur et sa souffrance est justifiée ab absurdo par les organisateurs dans son combat contre le torero, c’est-à-dire en inversant le véritable bourreau qu’est l’homme, alors que les coups se portent sur le taureau, ivre de terreur et mu par l’autoconservation, frappé de tous côtés par les picadors qui le détruisent nerveusement à petit feu, coup après coup.
Ambivalence, car la violence impressionnante des scènes qui se succèdent devant la foule avide relève de la double contiguïté de la douleur de la bête et de l’acharnement de l’humain placée au rang d’une énergie vitale orientée à la fois vers une « esthétique » sommaire et bouchère (l’étal, l’énergie mortifère, la gestuelle répétitive, les couleurs criardes) et, en fin de compte, vers une mort abjecte (le sang, les tripes, les excréments, les vomissures des spectateurs, l’odeur) au point de faire oublier au spectateur que la soi-disant esthétique dont il est parfois question pour justifier la tenue des toréadors, des picadors, des opérateurs, tortionnaires excusés parce qu’ils donnent à un public demandeur, les autres, ce public, excusés eux aussi par ce qu’ils ne commettent pas directement, en une ritualité qui ne devrait jamais s’appliquer au crime sur un condamné.
Enfin, la question que pose l’exhibition du spectacle mortifère n’est pas due seulement au développement répétitif d’une danse ridicule (« olé ! ») menée par une lâcheté satisfaite, s’il n’était question d’épuiser – nerveusement et physiquement – de saigner et de tuer un animal qui ne veut que faire cesser son calvaire et qui lutte pour conserver sa vie et sa raison, exhibition trop faussement valorisée par les costumes clinquants d’une mise en scène grossière, camouflage du côté obscur et honteux de la référence à la peur de la mort soulignée par la tuerie facile.
C’est aussi dans cette manifestation d’un autre âge, l’âge de cette pulsion parmi les premières, de la bête qu’on craint et que des bêtes humaines torturent et regardent pour repousser l’angoisse d’être par elle blessées, dans la nuit d’une jouissance primaire des temps des hommes d’avant l’histoire, que l’on sacrifie aux peurs les plus immédiates, peurs d’être blessé par les crises, l’inculture, la décadence, dans cette manifestation proposée en un spectacle atroce mais admis, toléré, légal.
C’est spécialement là que le bât blesse. L’exemple qui tente de faire admettre l’abjection, l’une des plus démentes qui soit : torturer l’autre pour le blesser, le forcer à lutter, contre l’assaillant et contre la folie, celle de l’animal et celle des hommes, conséquente d’une curée incompréhensible.
Il existe dans ce spectacle de torture une contradiction dans les faits. Ce qui est encore légalement accepté représente d’une part le règne du plus fort et, paradoxalement, de l’irresponsable – quel exemple dans une démocratie que ce totalitarisme toléré du spectacle de la peine de mort après torture, et pour quelle faute ? -, ainsi que le règne de ceux qui, contre l’animal seul luttant contre tous, ont la force harcelante et lâche du plus grand nombre, des chevaux, des épées, des pointes, des mauvais coups, et ne laissent aucune chance à la bête nue jetée dans l’arène.
Cependant, d’autre part, la poursuite de ce rituel qu’on caractérisera un jour comme l’un des plus ignobles derniers crimes autorisés de ce siècle, implique philosophiquement que l’absence d’empathie, l’impossibilité de se mettre à la place de l’autre souffrant, est une amoralité à l’origine des pathologies narcissiques qui ouvre la possibilité de tous les crimes.
« Tant qu’il y aura des êtres qui paieront pour voir une corrida, il y aura des guerres. »
Or, on l’a vu, la conjonction d’un autre âge de la pulsion sadique avec le légal n’est rien moins, d’une part, qu’une condition sine qua non du versant mortifère de la régression narcissique et rien moins, d’autre part, qu’un exercice agréé de la perversité et de la psychopathie, ce qui, encore une fois, ne devrait être possible que dans l’expression littéraire, sculpturale, plastique, artistique
Malheureusement le crime est montré, infligeant ainsi au spectateur convulsé, tortionnaire par procuration, la confusion grotesque du bien de la lumière et du mal de la souffrance.

Alexandre SANTEUIL – 1er décembre 2008 – Institut Français de Psychanalyse©

Sur « No Corrida » en hommage au courage de leurs combats.

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Pour l’évaluation (bis) !

Nicolas Koreicho – Novembre 2011

L’actualité nous permet aujourd’hui de revenir sur cette nécessité de l’évaluation, particulièrement à l’endroit des psys, des magistrats, mais aussi vis à vis des médecins et des professeurs.

Les crimes relatifs à des récidives, qui impliquent en premier lieu les psys et les magistrats, mais également ces événements fâcheux que sont les maladies et le chômage, qui concernent spécialement les médecins et les profs, font dire aux journalistes ou aux politiques, ces frères de toujours, que ce ne sont pas des sciences exactes.
Certes. Aussi, concernant les membres de ces corporations, nous ne pouvons plus nous contenter de leurs titres, de leurs appuis ou des protections dont ils bénéficient.
Toutes raisons pour évaluer au premier chef les psys qui procèdent aux expertises avec précision ou sommairement, les magistrats qui ordonnent des mesures réglementaires ou pas assez contraignantes, mais pareillement les médecins qui sont proches de leurs patients qu’ils comprennent ou n’exercent pas leur métier avec toute la proximité et l’humanité qu’il faudrait, les profs qui connaissent leurs élèves et leurs étudiants comme leurs propres enfants ou ne savent pas qui sont leurs élèves et leurs étudiants tant ils en sont distants.
Il est nécessaire d’évaluer les psys sur leurs résultats – et sur le nombre de leurs patients, tant sont nombreux ceux qui se disent psychanalystes mais n’ont que trois patients – et non sur leur notoriété dans l’édition, ou sur le nombre de leurs livres ou leur poste dans l’université ou dans leurs associations ; les magistrats sur leur apport dans la sécurité des biens et des personnes, et non sur leur autorité personnelle et leur entregent ; les médecins sur le nombre de leurs patients sauvés, guéris, améliorés, et non sur leur train de vie, le prestige de leurs voitures ou de leurs résidences ; les profs sur le nombre de leurs élèves et de leurs étudiants qui trouvent du travail et réussissent, et non sur leur influence dans l’administration, les syndicats et le devenir de leur carrière.

Nicolas Koreicho – Novembre 2011 – Institut Français de Psychanalyse

Pour l’évaluation !

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Pour l’évaluation !

Nicolas Koreicho – Octobre 2011

Pour l’évaluation des psys, des profs, des médecins, des magistrats.
Les patients, les élèves, les clients sont soumis depuis toujours à l’évaluation et, incidemment l’exercent à leur tour, sans que leur avis ne soit pris autrement en compte que par le bouche à oreille, de manière individuelle, artisanale. C’est une anomalie.
En effet, nous avons entendu toute notre vie (de psychothérapeute) les patients qui se plaignaient d’un psy trop silencieux, trop dogmatique, trop jargonnant, voire sadisant, malveillant à force de ne pas s’impliquer ; nous avons subi, écolier, accepté ou ruminé toute notre vie de collégien, de lycéen, d’étudiant, que tel prof était génial, passionné, inspiré et que tel autre était nul, mauvais, conformiste, rabâcheur de ses propres bouquins ; nous avons avalé les prescriptions inutiles, puissantes, nocives des médecins qui travaillent dans l’abattage, n’expliquent pas, ne mesurent pas les conséquences d’ordonnances rédigées à la hâte, par habitude ; nous avons vu et revu les victimes de magistrats abusifs, tout puissants, démiurges, condamner, enfermer, humilier.
Les psys, les profs, les médecins, les magistrats ont l’occasion de se glisser dans les hardes du père, et, nécessairement – c’est la motivation du métier qui parle ici -, du père abusif. Il faut de cet Œdipe-là, en partie, s’il est appréhendé avec discernement et soin de la parole du professionnel et de celle de l’autre, l’autre comme personne, ayant une vie respectable et précieuse. Ils doivent représenter la Loi, chacun dans leur spécialité, mais avec une conscience de ce rôle éminemment transférentiel qu’ils sont amenés à jouer, et prendre une infinie précaution de leurs décisions, et de la manière dont ils évaluent leurs semblables.
Enfin, l’honneur et l’importance de nos fonctions doivent stimuler nos pairs et les inciter à accepter d’être évalués, pour la qualité de nos prestations, de notre présence au monde, de l’amour que l’on porte au vivant.

Nicolas Koreicho – Octobre 2011 – Institut Français de Psychanalyse

Pour l’évaluation (bis) !

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L’engourdissement

Luc Safrani – Décembre 2016

« Un bateau est conçu pour aller sur l’eau, mais l’eau ne doit pas y entrer. De la même façon, nous sommes conçus pour vivre dans le monde, mais le monde ne doit pas nous envahir. »
Sathya Sai Baba

Une année de l’engourdissement

Cette année qui se termine aura vu l’aménagement, par le souci de bien faire de responsables murés de bonnes et dogmatiques intentions et d’ignorance, de salles de shoot, au grand dam de toxicomanes ou de psychotiques encouragés à consolider leur addiction ou à autoriser de graves décompensations ; elle aura vu le bégaiement des responsables dans leur difficulté de donner une origine sociétale aux auteurs des attentats, contre les principes de reconnaissance pacifique ; elle aura vu la bonne conscience des acteurs de certains syndicats et de quelques associations plaider pour des migrants quittant leurs pays et souvent réduits à être de nouveaux allocataires, parfois délinquants, plus rarement activistes en Europe, au détriment des pays et des familles ; elle aura vu les mendiants se coucher dans les rues avec l’affirmation du droit de ces autres nomades haïs, cependant encouragés dans leur déchéance assistée par des administratifs bureaucrates, imposant régulièrement malhonnêteté et parfois maltraitance des enfants et des animaux.

L’engourdissement des responsables et des spectateurs encourage la misère des corps et des âmes à prospérer et la condition de cet engourdissement est l’ignorance et la bien-pensance dogmatique.

Il s’ensuit chez nombre de personnes le sentiment d’une effraction par l’autre, sous la forme d’attentats, de violence contre les biens et les personnes, d’incivilité, et l’angoisse de ne pas en être protégé.

Pour vieillir heureux et profiter de la vie, sans être accablé par les dogmes de la bien-pensance, il nous faudrait des liens humains forts dans de petites contrées non surpeuplées, un équilibre entre le travail et le repos de l’esprit et du corps, des activités physiques trophiques, et des nourritures terrestres et affectives.

Le grand nombre, qui sent tout au fond de son cœur palpiter un espoir faible qu’un sens, une raison, une hiérarchie fasse entendre leur vérité, un souci navré pour que l’image, la posture, la place de ceux qui doivent prendre soin de nous s’imposent à nouveau.
En attendant, tout cela ouvre la place dans les cabinets des psys à ceux qui doivent retrouver un sens, une raison, une hiérarchie dans les choses et dans les personnes, dans les inconscients aussi pour retrouver l’image nourrissante d’une mère, la posture accompagnante d’un psy, la place protectrice d’un père.

Luc Safrani – Décembre 2016 – Institut Français de Psychanalyse©

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Maturation humaine, animale, végétale

Nicolas Stroz – Septembre 2016

Y a-t-il de bonnes raisons de comparer la maturation humaine à la maturation animale ou végétale ?

Nous avons tendance à séparer hermétiquement l’animal et la plante de l’homme, voire à séparer chacun hermétiquement l’un de l’autre, considérant que la plante est inerte ou passive, l’animal actif mais limité, et l’homme, au sommet du vivant, voire étranger au « simple » vivant, disposant de plus de facultés que les autres créatures, de par ses capacités logo-théorique (à parler, raisonner et abstraire) et opératoire (utiliser, créer et perfectionner des outils toujours plus sophistiqués), ainsi que sa capacité à une conscience de soi, à une conscience également morale (différencier le bien du mal, savoir agir avec autrui). D’un autre côté leurs développements biologiques présentent beaucoup de similitudes (certes le règne végétal est moins proche de la biologie humaine que la reproduction et la maturation d’un singe, par exemple), surtout entre mammifères, ce qui n’est pas sans présenter des questions : l’homme est-il si distinct du reste du vivant qu’il le croit ? La maturation du petit d’homme est-elle si distincte de celle de l’animal (a fortiori social) ?

S’il est a priori acquis que l’homme n’est pas un animal ordinaire et que son développement et sa maturation sont uniques dans le règne animal, nous verrons qu’il n’est pas certain que la maturation humaine soit à séparer hermétiquement de la maturation animale, et peut-être juste un peu moins de la maturation végétale.

I/ En quoi l’homme serait-il distinct du reste du vivant ?
D’un point de vue biologique, on peut déterminer des différences entre l’homme et le reste du vivant dans leurs mécaniques de maturation :
Dans le cas de la maturation végétale, l’arbre ou la plante est d’abord une graine, un oignon, voire des spores (les champignons). Elle va s’enraciner dans la terre pour se nourrir, et grâce à la photosynthèse, va se développer d’un bourgeon à sa forme finale (arbre, fleur, etc.). La plante est généralement déterminée, et sa forme globalement certaine (à part certaines fleurs aux couleurs variables et les variétés de fruits et légumes qui peuvent légèrement différer en termes de forme –les pommes de terre par exemple) ; la plante contient toutes ses déterminations actuelles dès les germes.
Dans le cas de la maturation animale, le petit est souvent déjà déterminé, il naît en général déjà prêt à survivre (les faons, poulains, girafons ou cobayes naissent déjà constitués, les yeux ouverts et sont capables de se mouvoir très vite). D’autres petits (oisillons ou rongeurs tels la souris ou le hamster) naissent nus, aveugles et fragiles, mais vont très vite se développer. Le chaton naît aveugle, mais il est déjà pourvu de poils et ses yeux sont ouverts, et nonobstant les dents de lait, il a déjà tout ce qui lui sera nécessaire à exister. L’animal solitaire ou le poisson en bancs n’acquiert pas la manducation (se nourrir) tant qu’elle lui sera instinctive une fois sevrée (pour le mammifère, immédiate pour les autres espèces, les oiseaux qui régurgitent les aliments aux petits, des poissons qui se nourrissent directement, etc.). Le code social est presqu’évident chez l’animal, qui sait identifier le territoire ou la menace très vite.
La maturation humaine est un peu différente : le bébé naît « à moitié » complet (il sait à la naissance se redresser, les garçons peuvent être capables d’éjaculer, les filles ont un semblant de menstruation), mais tout disparaît ensuite et la maturation se clôt hors du ventre de la mère (ce qui explique pourquoi il faut en moyenne une grosse dizaine, voire une quinzaine d’années avant d’atteindre la maturité sexuelle, et pourquoi il lui faut jusqu’à une année pour marcher, là où les animaux en sont capables au bout de quelques semaines au plus –chez le félin par exemple). Là où l’animal (du moins social) et l’homme se rapprochent, c’est dans l’apprentissage des gestes : si l’homme, comme les autres mammifères, une fois assez mûr, « apprend » la manducation, les gestes de mâcher lui sont moins automatiques et l’apprentissage sera plus long. De même la propreté lui est plus lentement acquise (alors que, par exemple, les petits hamsters, nus et aveugles, savent néanmoins se rendre au coin « sanitaire » du nid pour y faire leurs besoins, ou que, comme le mentionne Emmanuel Kant dans l’introduction de ses Propos sur l’éducation, les hirondelles écloses savent déjà faire tomber leurs excréments hors du nid, citons aussi le chaton qui apprend où est la litière par pure imitation de la mère, avant d’en faire son propre savoir), il lui faudra quelques années au plus pour apprendre où et comment faire ses besoins. De même il faut à l’homme beaucoup plus de temps pour développer ses dispositions (ne serait-ce que les plus primaires comme la station, la déambulation,  se repérer dans l’espace, identifier les sons, voire ensuite chasser, se vêtir, s’abriter), sans parler de l’acquisition des codes sociaux, très lente chez l’homme (probablement aussi parce qu’ils peuvent changer assez vite –a fortiori dans nos sociétés contemporaines plus fluides). Le point le plus unique est la complexité théorique de l’homme, qui ne va pas apprendre seulement des pratiques utiles, mais aussi un vaste champ théorique et abstrait qui ne sert pas immédiatement la vie, mais a des implications à long terme (développement technique, scientifique, culturel, spirituel, large champ des représentations), qui échappe au reste du règne animal.
On s’accorde à dire que les représentations de l’animal sont factuelles, instrumentales, elles ne concernent que son confort et sa vie immédiate et son adaptation aux conditions (climat, raréfaction de la nourriture, concurrence, rivalité avec les nouvelles générations). L’exemple des animaux faisant des réserves reste caduque, car il est conditionné à l’imminence de l’hibernation à l’instinct plus qu’à une prévision, et se révèle inutile en captivité (ou chez un animal apprivoisé). L’homme au contraire, se contenterait rarement de la vie telle qu’il « l’a », telle qu’elle est ; là où l’animal « fait avec », l’homme lui rêve, espère, interroge, cherche à changer le cadre au lieu d’agir dedans, et ce travail ne fait que commencer réellement avec l’âge adulte (que l’on se place du point de vue juridique –l’âge légal, ou biologique –puberté et fertilité), l’apprentissage et le perfectionnement des savoir le poussent à sans cesse adapter ses représentations, voire à y adapter le cadre quand sa puissance opératoire est assez développée (pour l’exemple le plus primaire, le bâtiment permet à l’homme d’adapter le milieu à sa représentation d’un abri). En ceci on peut considérer l’homme comme très différencié de l’animal (le nid animal ne transforme que superficiellement le milieu, qu’il s’agisse d’un terrier ou d’un nid ; le barrage du castor est plus particulier car il modifie les cours d’eaux). De même, l’animal adulte limite souvent ses représentations aux moyens d’accéder à l’objet de son appétence (reproductrice ou alimentaire). L’homme en revanche explorera des champs hypothétiques (par exemple dans l’art, la musique, ou la littérature, notamment celle dite « d’anticipation », où l’auteur imagine un monde possible où des règles changent, et en explore les implications par la narration, ou encore la recherche dans les sciences théoriques et appliquées –physiques, mécaniques, mathématiques, sciences humaines…).
En ceci, on peut considérer que le développement de l’homme n’a que peu de points communs avec ceux de l’animal et du végétal, et qu’il serait faux de les comparer. Nous avons néanmoins identifié déjà des similarités qui rendent cette position caduque du point de vue mécanique, notamment en ce qui concerne l’animal social. Ajoutons que certains animaux, les méduses notamment, mélangent reproduction sexuée (fécondation de gamètes) et bourgeonnement de spores sur un sol propice pour produire un individu adulte, et les frontières semblent de plus en plus ténues. Remarquons également que l’homme, comme la grande majorité des mammifères (excluons l’ornithorynque et l’échidné, mammifères ovipares d’Australie pour notre propos) est vivipare, allaite ses petits, et que le petit du kangourou naît quasiment prématuré et termine sa gestation dans la poche marsupiale de sa mère, totalement dépendant durant tout l’allaitement, à l’instar du bébé humain, et nous trouvons de nombreux points biologiques de rapprochement. Plus fondamentalement, le fait que les trois règnes commencent par de petites formes faibles et incomplètes et aient besoin de se nourrir pour croître, forcir, et cherchent tous à se reproduire réduit les distances les séparant. Voyons maintenant en quoi cette porosité des frontières est plus profonde encore qu’il n’y paraît.

II/ La proximité entre l’homme et les autres vivants
Nous avons dit que l’animal et la plante naissaient a priori déjà suffisamment formés en vue de leur fin ((sur)vivre, puis se reproduire), la plante étant le modèle absolu, déjà toute déterminée dans sa forme comme son lieu. Néanmoins on a vu les espèces animales les plus intelligentes (dauphins, corbeaux, grands singes, perroquets) apprendre et transmettre des jeux, des outils, ce qui n’est pas si éloigné des hommes s’échangeant ou inventant des règles de jeux, ou se transmettre ce que l’on appelle vulgairement « les bons tuyaux » ou « le système D » (les petits trucs et astuces pour se débrouiller au quotidien). On sait également que l’animal sait, à son échelle, mentir (le renard qui fait le mort, le rat qui sait simuler, le perroquet ou le corbeau qui savent imiter). D’ailleurs la plante n’est pas vraiment une monade, elle a besoin de l’eau du sol, de la lumière du Soleil, et enfin des insectes pollinisateurs pour se reproduire.
La séparation entre l’homme et l’animal pas un universel philosophique. Rappelons qu’Aristote comme Saint Thomas considèrent l’homme comme un animal (Aristote parle de ζωον πολιτικον, et Saint Thomas, dans sa Somme théologique, secunda pars, dit que l’animalité fait partie de l’homme) et que les Grecs anciens accordaient une âme aux plantes, aux animaux et à l’homme (triplicité de l’âme –du moins dans ses catégories de fonctions, reprise dans la philosophie médiévale, avec l’âme végétative pour les fonction vitales de base, sensitive pour la perception du dehors qui permet de se mouvoir dans un contexte, et intellective pour la capacité abstraite et théorique qui caractérise l’homme). Ce schéma assume une continuité entre la plante, l’animal et l’homme, qui partagent donc tous un fond commun.
Emmanuel Kant emploie souvent des comparaisons avec les végétaux et les animaux. Dans ses Propos sur l’éducation, il pense que l’enseignement du chant par les oiseaux aux petits est assez proche de l’apprentissage de la parole humaine, et compare l’éducation à la culture des oreilles d’ours (une variété de fleurs) : si l’on replante la fleur (ou qu’on la dédouble par marcottage par exemple), la couleur des pétales sera identique. En revanche, si l’on en sème les graines, les couleurs obtenues varieront. Il en conclut que l’homme, de même, a en lui des germes qu’il devra faire fructifier par lui-même, et que si l’animal tire de lui-même sa destination, l’homme a d’abord besoin d’une représentation de celle-ci, il faudra donc se placer à l’échelle de l’espèce, d’où la difficulté de trouver une éducation et des éducateurs adaptés. Dans son Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, Proposition V, il emploie également une analogie botanique pour illustrer l’insociable sociabilité, le principe selon lequel la concurrence des hommes entre eux dans la société les pousse à tirer le meilleur d’eux-mêmes en se disciplinant : un arbre seul dans une clairière poussera tordu et rabougri, tandis que dans une forêt, confronté aux autres arbres pour jouir de la lumière, il poussera droit, grand et solide.
Philippa Foot, dans Le Bien naturel, considère que l’adjectif « bon » appliqué aux plantes ou aux animaux est comparable à son acception dans le champ humain, car il s’agit à chaque fois d’un jugement téléologique (lié aux fins de la vie). Ainsi parle-t-on de bonnes racines quand elles accrochent solidement le chêne en terre, d’un bon poulain quand il se tient debout dans l’heure suivant sa naissance et d’une bonne personne quand ses qualités bénéficient à autrui.
Il existe néanmoins un hiatus entre ces acceptions, qu’il faut remarquer, et qui ne lui échappe pas : le terme « bon » appliqué aux plantes ou animaux se réfère en général à des dispositions mécaniques et factuelles, alors qu’un homme frappé des mêmes défauts ne peut être simplement classifié ainsi. Un « mauvais » arbre sera grêle, aux racines faibles. Un « mauvais » poulain serait un petit incapable de marcher dans l’heure suivant sa naissance, donc condamné à mort dans la nature. En revanche, un « mauvais homme » mécaniquement peut être « bon » (par exemple un brillant scientifique comme Stephen Hawking) ou « mauvais » (comme l’Homme-crabe, monstre de foire né mal formé, aux mains et pieds comme des pinces, alcoolique notoire et connu pour battre régulièrement sa femme et ses enfants). La notion de « bon » ou « mauvais » a donc deux dimensions, de même qu’un « bon » cheval (fort, endurant et alerte) peut avoir un « mauvais » caractère qui le rend impropre à l’emploi domestique. Cette différence amène Philippa Foot à parler d’excellences « primaire » (liée à la téléologie propre de l’espèce) et « secondaire » (liée à l’usage qu’autrui peut faire des dispositions d’une espèce).1
Les frontières étaient déjà poreuses du point de vue biologique, nous voyons que l’injection du langage rend les différences encore plus ténues. Avec l’animal social, nous avons un élément supplémentaire –les applications pratiques (comprendre morales), pour montrer que les maturations végétale, animale et humaines ne sont peut-être pas si éloignées.

III/ Les applications pratiques
L’animal social a, comme l’homme, un enseignement du bien et du mal : les singes apprennent les attitudes acceptables dans leur société, les éléphantes et les lionnes se partagent le soin des petits, les colonies de rats laissent les aînés se risquer à goûter les aliments douteux ou repérer le terrain pour épargner les jeunes (comparons cela aux ouvriers japonais âgés qui désiraient se sacrifier pour examiner et travailler sur les réacteurs endommagés à Fukushima en 2011, arguant qu’il serait injuste de condamner les jeunes alors qu’eux sont déjà très avancés dans la vie), les dholes (chiens sauvages d’Asie, de l’Inde à la Corée) privilégient toujours les chiots et les mères lors des repas. À partir de ces considérations, nous pouvons revenir sur les propos de Philippa Foot, qui dans Le Bien naturel, explique que l’homme, comme l’animal, a des rôles à jouer dans le cadre social, et que l’on peut parler de défaut s’il y faillit.2 L’homme va un pas plus loin que l’animal avec les principes moraux de la promesse par exemple. Ainsi chez Philippa Foot de l’exemple de Maklaï,3 un photographe russe en voyage en Malaisie, qui aurait pu très bien prendre une photographie de son guide pendant son sommeil sans aucune conséquence négative –celui-ci, par croyance, avait peur de perdre son âme une fois pris sur le cliché, mais Maklaï s’y est refusé. En termes kantiens, il s’est donné pour fin le pur devoir de tenir sa promesse.
Philippa Foot suggère d’ailleurs qu’un homme privé du langage serait certes capable de survivre et de se reproduire, mais serait « en état de privation  »4, incapable d’accéder à la dimension sociale qui fait de l’homme un homme. Bien que Kant considère l’homme comme unique, en ceci qu’il doive s’éduquer pour devenir homme alors que l’animal est déterminé, il assure dans ses Propos sur l’éducation qu’il est possible de « simplement » dresser un petit d’homme, tout en affirmant ensuite que cela serait une mauvaise entreprise car elle le laisserait incomplet.
Les concepts de cadre, rôles, moyens et éducation rendent possible de voir ici une proximité car l’animal social, comme l’homme, ne dresse pas ses petits. Nous en avons donné des exemples, il leur fait acquérir des gestes et attitudes qui servent une communauté, un contexte dans lequel ils vont s’inscrire. C’est d’ailleurs ce point que vise Philippa Foot quand elle dit qu’un homme privé de langage aurait une « défectuosité humaine possible », et que ceci n’est pas très éloigné des défectuosités naturelles de l’animal et de la plante. Dans le cas de l’homme comme de l’animal social, cette éducation permet d’avoir confiance dans le groupe et de survivre par et pour lui, avec lui. Sans possibilité de confiance, et surtout de conscience de cette confiance, il n’est pas de possibilité de promesse ni de survie. En un sens, quand mon chat miaule parce que j’ai oublié l’heure de son repas, il me rappelle que je lui ai promis de lui fournir sa nourriture, de prendre soin de lui pour que nous puissions jouir de la compagnie de l’un et de l’autre, que je dois garder en tête la conscience de sa confiance en moi.
Par le langage, nous accédons à un point crucial qui nous permet de rapprocher étroitement animal, plante et homme : le contexte. La plante a besoin de s’enraciner dans le sol (ou de s’accrocher à un hôte dans le cas de champignons ou d’orchidées arboricoles, mais le fond reste le même), d’être accrochée quelque part pour se développer. L’animal a besoin d’un territoire ou d’un groupe (troupeau, meute, clan, banc), ou des deux. Et de même manière, l’homme a besoin d’un enracinement dans un groupe, une culture, une société, une nation, un État, appelez-cela comme bon vous semble. Les trois créatures ont besoin d’un endroit à habiter pour développer leurs déterminations et leurs potentiels. Ce qui nous permet de relier ici Kant, Foot et Heidegger, qui avait beaucoup insisté sur l’importance de l’habiter comme médiation de l’authentique pour le Dasein. Sans un habiter, un lieu d’enracinement et de contextualisation, il n’y a pas moyen de s’ancrer pour être au monde, autrement dit pleinement présent, et tirer du sens de ses expériences pour sa vie. Or Kant, empruntant à Rousseau, considère que sans État, l’homme est condamné à ne pas être libre, car l’état de nature est un état de perpétuelle angoisse et de conflit.5 Or la liberté ne peut s’exercer que si on a défini au préalable des limites, ce que fait l’entrée dans l’état de culture (autrement dit la société). Il a donc besoin d’être enraciné dans un contexte où pourront se développer des valeurs, qui elles-mêmes serviront de condition de possibilité au développement de ses germes. Philippa Foot suit une ligne similaire quand elle parle des « nécessités aristotéliciennes » (dont notre mode de vie dépend) ; sans contexte dans lequel s’inscrire et sans fins en vue desquelles agir (le groupe social et le bénéfice que tous en retirent), il n’y a en effet ni bien ni mal mais la seule urgence de la survie.
Notre anthropologie « postmoderne » semble pousser à l’extrême les opinions des Lumières anglaises (Locke, Hume, Mandeville, Smith, notamment), qui voient la société comme une coagulation forcée d’individus par un État toujours trop présent pour laisser chacun faire ce qu’il désire. Si chez Locke, comme chez Hobbes, cette coagulation est nécessaire pour éviter la guerre civile et de s’entretuer, chez Hume et Smith elle n’est qu’une série de conventions servant au confort, toujours trop présente vis-à-vis des aspirations de l’individu (ceci est plus marqué chez Adam Smith, qui prône un gouvernement laxiste, à la suite de Mandeville et de sa Fable des abeilles, où la transformation des vices privés en marché assure l’opulence et le bonheur de la Cité). Le bien et le mal ne sont que relatifs et la société n’est pas un projet commun, mais un simple état de fait lié à des frontières et des accords (plus ou moins unilatéraux) suite aux conflits. Nous en venons à considérer l’État comme toujours mal venu (combien en entendons-nous se plaindre en payant leurs impôts qu’il est le plus grand pillard ?), nous prenons les transports en commun comme acquis, voire comme une gêne à notre circulation individuelle en voiture ou en deux-roues, nous en venons à espérer la privatisation de tous les services par souci d’efficacité (comprendre que j’aurai ce que je cherche plus vite, et non qu’à long terme cela profitera à tous). Notre propos ici n’est pas de nous lancer dans l’analyse au peigne fin des théories de philosophie politique, ou de départager l’exagération et la justesse des reproches faits à l’État contemporain, mais de présenter sommairement une vision qui fait fi de l’enracinement mentionné précédemment.
Or pour Philippa Foot, Kant et Aristote, le bien fait partie intégrante du projet de vie commune constituant l’existence humaine. Aristote, comme Platon, cherche et le bon gouvernement et comment bien gouverner. Kant leur emboîte le pas dans son Projet de paix perpétuelle et dans Théorie et pratique. Il faut d’abord un gouvernement adapté, qui assure que chacun n’ait plus à craindre autrui, avant que de pouvoir bien gouverner (cette idée se rencontre en croisant en plus l’Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique). Sans aller jusqu’à la philosophie politique, Philippa Foot s’appuie au moins sur la même recherche des conditions de possibilité dans Le Bien naturel, et en arrive à la conclusion que le Bien contient une dimension naturelle en ceci qu’il est indispensable à la vie commune. Chez ces trois auteurs il y a donc téléologie, articulation autour d’une fin. Il y a donc un Bien naturel pour l’animal, un Bien naturel pour l’homme et l’animal et le végétal ensemble, et un Bien pour les hommes, et il n’est pas impossible qu’il soit le même car le τελος qui s’y rattache semble chaque fois être de réussir à vivre ensemble (remarquons qu’en broutant et en foulant le sol, les herbivores aident à désherber et aérer la terre, et qu’en les chassant les carnivores empêchent leur surpopulation qui nuirait au sol qui les nourrit ; toute cette mécanique peut être vue comme obéissant à une téléologie qui vise comme fin que la vie puisse continuer à se perpétuer).

Conclusion
Nous avons pu voir que, même au niveau le plus mécanique, les maturations végétale, animale et humaine ne sont pas forcément très éloignées. Nous avons remarqué ensuite en quoi les animaux comme les hommes dépendent d’une téléologie liant les moyens dont ils disposent aux fins de leurs espèces, et en quoi ils sont d’autant plus proches de nous, car animal, végétal et humain sont en constante interaction, qui leur bénéficie à tous. Avec l’introduction du langage, nous avons même pu donner des formes aux moyens en vue de ces fins, voire de cette fin, notamment avec le terme d’enracinement. Il n’apparaît pas certain qu’il faille séparer l’animal, la plante et l’homme. Au contraire, il nous semble qu’en examinant de plus près les trois espèces, nous en apprendrons beaucoup plus sur l’homme en réalisant ce qui était évident jusqu’à la Scolastique, et que la phénoménologie a redécouvert : que toutes les espèces vivantes ont besoin les unes des autres. L’homme n’est pas une exception, il en a peut-être même plus besoin encore de par l’immense quantité de potentialités qu’il peut déployer à l’échelle de son espèce.

Nicolas Stroz – Septembre 2016 – Institut Français de Psychanalyse©

1 Le Bien naturel, trad. Jean-Marc Tétaz, Labor et Fides, Paris, 2014, chapitre 2, p.69

2 Le Bien naturel, op.cit., chapitre 1, pp.52-53

3 Cette anecdote est racontée et analysée au chapitre 3 du Bien naturel, op.cit., pp.101-106

4 Le Bien naturel, op.cit., p.95

5 Notamment dans La religion dans les limites de la simple raison, section consacrée à « l’état de nature éthique ».

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2015 : annus horribilis

Alexandre Santeuil – Décembre 2015

« On commence par céder sur les mots et on finit par céder sur les choses »
Sigmund Freud, Psychologie collective et analyse du Moi, 1921

 

Plus jamais on ne pourra parler d’amalgame ou de stigmatisation sans risquer d’être dans la dissimulation ou l’hypocrisie, car les liens sont patents. Malgré ce que disent beaucoup de journalistes officiels et certains politiciens, le silence du monde ne peut plus taire pour les témoins que nous sommes les relations que les événements éclairent entre immigration non régulée et délinquance, délinquance tolérée et criminalité, criminalité insuffisamment punie et angoisse des personnes.
A vivre sans frontière, sans limite, sans loi symbolique, dans un laxisme dogmatique et peut-être trop humain, le pire du mal reprend son écheveau national-socialiste, fasciste, communiste, islamiste, et en tricote à nouveau les mailles du malheur.
Le temps est à la haine, cette haine, indissociable de l’amour, qui évite de tomber dans la régression masochiste, et sans laquelle aucun deuil n’est possible.
Le temps aussi est à la peine, au renoncement, au deuil complet, qui pourra restaurer un narcissisme blessé, pour ceux qui ont perdu un morceau de leur vie.
Pour les enfants qui découvrent le voile du mal et de la discrimination, les jeunes gens qui apprennent leurs différences et leur relégation, les adultes qui, écrasés par l’enrichissement des politiques privilégiés, des artistes d’état et des journalistes officiels, voient leurs étudiants trahis et laissés dans la précarité, les vieilles personnes qui précipitent leur oubli dans le mal retrouvé.
Je souhaite aux mots de pouvoir se dire, aux images de pouvoir pleurer, aux musiques de pouvoir sonner.

Alexandre Santeuil – Décembre 2015 – Institut Français de Psychanalyse©

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Chronique de France

Alexandre Santeuil – Décembre 2014

« (…) s’efforcer au langage clair pour ne pas épaissir le mensonge universel ».
Albert Camus

 

De notre beau pays pas si loin d’un régime de discrète dictature politique et médiatique où on ne nomme pas les criminels, où on élimine les notes pour ne pas baisser le niveau, où on dénomme la viande pour que le clampin puisse l’acheter, où des instances ministérielles vous disent quoi dire aux repas de fin d’année, nous devons affirmer qu’appeler un islamiste un terroriste est une manière de ne pas nommer l’origine du crime, que ne pas donner de nom aux délinquants est une façon de complicité, que ne pas donner de note est une démission du bien devant le mal, que dicter aux journalistes et aux quidams leurs propos est un mensonge différé, que perdre du vocabulaire n’est qu’une réduction de la culture par le bas de la tolérance, tout ceci aboutissant à détourner le regard des problèmes à régler.
D’ailleurs, nier ou camoufler l’origine des choses et des personnes, c’est une lâcheté ou une incompétence. Cela pourrait devenir aussi nocif qu’une trahison. Cacher l’inculture (des quartiers), le no-limit (des « racailles »), le laxisme (des politiques), vouloir dire l’éducation sans évoquer l’intégration, c’est favoriser la chaleur sous l’œuf du serpent.
Origine des terroristes, inculture des préceptes, acceptation des vêtures discriminantes sont autant de motifs de ressentiment et de perdition.
Les gens ne sauraient ravaler indéfiniment leur inquiétude et leur ressentiment et garder ces motifs de dépression et d’anxiété à l’égard de ceux qui détournent, qui déguisent, qui rabaissent.

Alexandre Santeuil – Décembre 2014 – Institut Français de Psychanalyse©

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