Cette page déroule les 10 dernières publications de l’IFP de façon antéchronologique, les plus récentes étant situées en haut de page. Une autre taxinomie est proposée dans Publications.

Pulsion scopique et cinéma

Nicolas Koreicho – Mai 2022

« Je ne respecte aucune règle. Je suis le courant »
Sharon Stone dans Basic Instinct de Paul Verhoeven, 1992

Basic instinct

Malcom MacDowell – Orange mécanique (A clockwork orange) de Stanley Kubrick, 1971

Suivre ou être le courant[1] ? C’est alors que Sharon Stone décroise et recroise les jambes devant cinq hommes médusés qui n’en croient pas leurs yeux de la voir nue, provocante et inaccessible.

Cependant, et même s’il est ici question de rébellion, de sexe, de sadomasochisme, de drogue, d’exhibition, de voyeurisme, de transgression, de meurtre, la belle assume tout ceci dans une précision clinique remarquable du discours narratif, lequel pourrait être, hors le présupposé fictionnel et sulfureux du personnage, celui du psychanalyste – si tant est que celui-ci serait sommé de répondre aux injonctions de la société, de la morale, de l’autre, à l’occasion d’une contrainte qui n’existe pas en thérapie, et qui évidemment serait annihilante –, lequel incarne la position de celui qui est supposé comprendre les dessous des cartes et des personnes et qui doit pour mener à bien sa mission adopter la posture du funambule-spéléologue, en risquant l’interprétation, qui peut en dire et qui à la fois est enclin à sauvegarder.

Regard à interpréter

La tradition du visuel comme possibilité de transformation d’univers infini en résolution contenante est ancienne : il s’agit de conférer un objet à l’angoisse, de la transformer en peur, excitante et effrayante, par l’intermédiaire de la confrontation, au plus profond de l’existence et de l’ambivalence, à l’origine duquel se trouvent nos pulsions les plus puissantes et, concomitamment, nos défenses les plus archaïques.

Les contes pour enfants en sont l’illustration lointaine, les films d’horreur pour adolescents déplacent là aussi craintes et excitations ambivalentes, les thrillers pour adultes les rendant plus élaborées, sophistiquées, admissibles car habillées de récits narratifs scénarisés et distanciés. Les films pornographiques ont un statut à part et ne donnent pas lieu à histoires, à scénarios. Les commerçants se sont emparé depuis toujours de ce sous-genre cinématographique, purement pratique.

Au cinéma, le spectateur est spectateur de tout ceci, car il doit non seulement voir mais de surcroit entendre, et il suspend pour un temps son action, à tout le moins son action motrice directe. En effet, la situation contemplative qui caractérise sa position de témoin de ce qu’il regarde, écoute, ressent, le placerait plutôt dans une posture s’apparentant à la période du narcissisme primaire, passive et toute puissante de contemplation et ne référant pas directement à une quelconque relation immédiate avec un objet. De la sorte, les voies sensibles aux stimulations ouvrent vers les processus d’identification – rappelons-le, prolégomènes à l’individuation – et au plaisir, autoérotique et complexe, du film.

Mais que montre (et qui ? Et quoi dans ce qui ?) le regard au cinéma ? Pourrait-ce être, selon ce que l’en aurait dit Sainte-Beuve, la personne elle-même ? Son moi social ? Ou bien selon ce qu’en aurait dit Proust, un Moi particulier émanant de l’œuvre, un Moi profond intrinsèquement différent de l’écrivain ?

Bellocchio

Dans Diavolo in corpo (Le Diable au corps), pendant le procès de son fiancé terroriste, une jeune femme tombe amoureuse du fils de son psychanalyste.[2]

La scène qui, à l’époque, a eu un certain retentissement dans la sphère publique et cinématographique fut la fellation prodiguée par Maruschka Detmers à Federico Pitzalis. Pourtant, si la configuration scénaristique du film se décline bien davantage en l’intéressante conjonction entre le militantisme, la sexualité et la psychanalyse, la scène la plus emblématique du point de vue de la pulsion scopique tient dans la scène du tribunal pendant laquelle, de nouveau, nous sommes confrontés à une triple mise en abyme acteurs-spectateurs-cinéaste.

En effet, au moment du procès au tribunal pour juger les terroristes, alors que les criminels se trouvent enfermés et visibles de tous dans une cage au milieu de la salle d’audience, et cependant qu’un couple de terroristes, dans la cage, est en train de faire l’amour, à l’abri des regards, obturés par les complices qui ont déployé des journaux pour les protéger de la certaine répression du public, des magistrats, des policiers du tribunal qui sont présents au procès – pulsion moïque –, l’actrice venu soutenir son ami incarcéré hurle, devant les carabiniers tentant de rétablir l’ordre – instance surmoïque –, « Laissez-les finir ! Laissez-les finir ! », se faisant ainsi incarnation pulsionnelle irrépressible – instance du Ça –.
Le message est contenu en l’idée que le regard ne saurait, en certaines circonstances, que laisser libre court à la pulsion, dans le cadre de la loi (le tribunal), métaphore de la Loi symbolique, dès lors qu’elle n’est pas modifiée, dénaturée, dévoyée par le militantisme ou par la fermeture perverse (cachée), mais qu’elle s’attache à libérer le refoulé, refoulé de la société et du Surmoi, afin de donner toute liberté au Moi de s’exprimer, à condition que le cadre soit respecté et, qu’en définitive, il puisse l’emporter sur l’arbitraire.

« Faites vos jeux »

Enfin, dans l’extrait suivant[3], et d’une manière générale dans le cinéma de Kubrick, nous, spectateurs subjugués, sommes confrontés à une mise en abyme très sophistiquée du regard (du spectateur) sur le regard (du cinéaste) sur le regard (des protagonistes), comme si par ce regard triple nous étions ramenés au plus profond d’une pulsion primaire (orale d’avant les mots, cependant que dans l’extrait quasiment aucun mot n’est prononcé) dans une atmosphère amniotique qui nous fait absorber, manger des yeux ce que nous contemplons, dans une attente absolue de nourriture de vérité, c’est-à-dire les yeux des personnages, génériques de la mère et de l’amour inconditionnel, de l’autre et de l’ambivalence surmoïque, du fils passionné et de son narcissisme unique.

La comtesse de Lyndon – la mère inconditionnelle – (Marisa Berenson) couve des yeux Redmond Barry – le fils attentif et qui attend son heure – (Ryan O’Neal) sous l’œil bienveillant du chevalier de Balibari – le père bienveillant – (Patrick Magee) qui dicte la loi selon les seuls mots (itératifs) de la séquence : « Rien ne va plus – Faites vos jeux » et sous le regard torve du révérend précepteur Samuel Runt – le père jaloux, malveillant – (Murray Melvin).

La scène est à la fois de tendre amour et de tragique, selon ce fait que personne ne paraît pouvoir y avoir prise. Ces personnages vont s’aimer, puis se déchirer, puis se séparer, pour ne jamais s’oublier, y compris dans le regard de l’autre, qui en témoigne.

La scène du jeu expose le mouvement du toucher (de la bouche) vers le regarder, c’est ainsi que Freud expliquait le mouvement de la pulsion scopique, mais en l’inversant. C’est le regard qui va entraîner vers le toucher du baiser, des yeux vers la sensuelle nourriture, le manger des yeux puis des lèvres.

La problématique, scopique donc, est fonction des hypothèses qui répondent aux questions posées par l’articulation du désir, du plaisir, de la jouissance – celle-là qui provoque la rencontre de la vie et de la mort, dans un ultime réflexe – aux différentes strates de la mise en abyme cinématographique, de l’amour et de son cercle le plus éloigné (le spectateur voyeur), vers le point le plus central (le narcissisme pulsionnel), en passant par le cercle mitan du cinéaste regardant le regard des protagonistes, qui en propose une sublimation, c’est-à-dire une œuvre, dans un au-delà de sa sophistication, vers une sorte de pureté (tout le film est en lumière naturelle) esthétique.

Le regard (à la fois le regarder et le voir) est le sujet de la pulsion scopique. Le concept de pulsion scopique a été inventé par Freud[4] puis développé dans sa théorie des pulsions[5], jusqu’au texte sur Le fétichisme[6] et signifie cela qui apporte le plaisir à regarder et la pulsion de voir, en une pulsion sexuelle partielle, ce qui fait sa singularité, indépendante des zones érogènes proprement dites.
Cette idée de la pulsion scopique (regarder, voir, être curieux) sera à l’origine du plaisir de savoir, c’est-à-dire de la pulsion épistémophilique.

Nicolas Koreicho – Mai 2022 – Institut Français de Psychanalyse©


[1] Basic Instinct, Paul Verhoeven, États-Unis, France, Royaume-Uni, 1992, 127 min. Avec Sharon Stone, Michael Douglas.

[2] Le Diable au corps, Marco Bellochio, Italie, France, 1985, 110 min. Avec Maruschka Detmers, Federico Pitzalis.

[3] Barry Lindon, Stanley Kubrick, Royaume-Uni, États-Unis, 1975, 185 min. Avec Ryan O’Neal, Marisa Berenson.

[4] S. Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle, 1905

[5] S. Freud, Pulsions et destins des pulsions, 1915

[6] S. Freud, Le Fétichisme, 1927

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Accompagnement clinique, création artistique : une même démarche ?

Sylvain Brassart – Mai 2022

Sylvain Brassart 2022-05-13

De la même manière que l’analysant fantasme sur l’idée que le psychologue/psychanalyste « sait », « connaît » la solution à ses problèmes dès les premiers entretiens, le grand public peut s’imaginer que les œuvres sont pré-pensées puis simplement mises en forme, en scène ou en couleur.
Il n’en est rien : esquisses, ratés, couches de peintures successives « créent » l’œuvre. C’est pour cela que l’on parle pompeusement de recherche artistique. La création est en évolution permanente, comme l’accompagnement d’un patient dans ses évolutions, ses résolutions.
Le changement, la variation, l’hypothèse, l’audace font partie du voyage, du cheminement.

Voici quelques idées qui me sont venues, tantôt avec le pinceau en main, tantôt avec l’oreille (si possible alerte) en séance :

La composition initiale, le corpus théorique

La forme esquissée est une histoire d’émotions, de sensations, d’amour, de sexe, de possession (de l’image, du contour, une tentative d’appréhender par l’image, la forme).
Les traits simplifiés d’un personnage perdu au milieu d’une abstraction vont attirer l’œil, absorber le sens comme un trou noir dans l’espace. Toute l’œuvre va tourner autour. Les détails d’un rêve raconté peuvent devenir assourdissants. Le marginal devient central, le banalisé devient intolérable puis intoléré.

Une danse avec la matière

Il y a une jubilation à jouer avec les couleurs, les volumes, une liberté à essayer, à se risquer, tout comme les mots peuvent se transformer en billes sur un billard, les associations fuser, se télescoper, éclater le réel, le mettre à jour avec une autre vibration, une lumière surprenante, un éclairage alternatif.
Le langage comme le pigment est un objet que l’on peut accompagner d’un rire, d’une colère d’un sanglot, d’une teinte fluette ou radicale.

L’objet est manipulable, manipulateur, ludique ou dramatique

L
es paroles non-dites, les mots en sous-face, en souffrance, les silences, comme les blancs, les espaces libres laissés sur la toile, le « non finito », tout cela fait sens, souligne, réhausse le propos surchargé, la surabondance de sens orientés vers l’unique, le décrit, le subjectif rassurant de l’analysant.
on saisit tous les sens là où de prime abord il n’y en a aucun.
L’impasse visuelle ou idéelle devient source de création possible grâce au jeux avec les mots, les situations. Un aplat disgracieux vient me bousculer mais pendant que je cherche à le rattraper, je me rends compte qu’il m’indique un autre possible, une perspective différente, une autre association de couleurs.
La souplesse de mon regard, ma capacité à sortir de ma réaction première, ma préconception peuvent me nourrir ou m’empêcher.

Le regard comme outil

L’analyste interroge la réalité décrite : à quoi tient-elle ? Quels sont ses fondements ?
Les pulsions, si abstraites en apparence, prennent corps dans la réalité désirée, le
possible attendu, revendiqué ou détesté : vouloir un enfant, une femme, dormir tranquillement …
Le peintre bouscule, renverse, tâtonne, comme le psychanalyste tente d’écouter, d’entendre l’inconscient.
Le « déplacement-surprise » mis en scène par un rêve, un lapsus fait apparaître une autre réalité, révèle un autre décor, une perspective nouvelle, un champ visuel de possible, un trompe-l’œil.

Et que dire du geste ?

Celui qui surprend la personne allongée sur un divan en apparence bien paisible, le spasme irrépressible, le gargouillis digestif de l’analysant, ou de l’analyste.
La fulgurance créative d’un pinceau trop rapide, d’un balancé de pigments sur la toile comme l’a « inventé » Jackson Pollock.

L’enfant intérieur

L’enfant libre a vocation à prendre les commandes.
Les contresens de certains rêves, les télescopages d’idées saugrenues viennent aussi alimenter les échanges générés par le divan ou la toile. Les rires s’invitent tout autant que les pleurs. L’enfantin est pris au sérieux, l’adulte reviendra sûrement ensuite. L’enfant blessé dans l’adulte, celui qui redécouvre les possibles de la matière, la curiosité, celui qui accepte de sortir du connu rassurant mais enfermant.
S’improvise un langage inventé. Il a ensuite vocation à être décodé, rendu compréhensible.
S’amuser avec ce langage utilisé comme un jouet, pas seulement un jeu de mots mais un jeu de langage en tant que tel.

Le plaisir de la transgression

La transgression c’est l’initiative, l’invention, « la bidouille » avec les circonstances, le lien fait entre des choses improbables, l’hypothèse émise dont l’analysant se saisit dans le meilleur des cas.
La transgression qui invite à réfléchir d’une façon paradoxale aux limites, au danger de l’idée, au risque de penser, de voir, quand se jeter dans le vide de l’inconnu pour en produire du fécond, ou du con.
Une superbe surface d’expression, au potentiel illimité mais de ce fait intimidant, questionnant, potentiellement étouffant.

« Est-ce que je ne passe pas à côté de l’énorme ? »
« Et si je me faisais embarquer dans son discours ? »
Autant de doutes que je cherche à rendre constructifs lorsque je me demande si « cette ombre portée ne raccourcit pas la perspective ? » ou si « la composition de mes volumes choisie au début n’est pas en train d’aspirer ma mise en teinte (ou vice-versa) ? »

La question est la limite, celle qu’on se met, celle de ne pas vouloir, de ne plus pouvoir prendre de risques lorsque l’on se rapproche de l’aboutissement du dessin, de la toile.

Sylvain Brassart – Mai 2022 – Institut Français de Psychanalyse©

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Libres associations réfléchies – Rêveries du promeneur

Jean-Jacques Rousseau – Extrait Les Rêveries du Promeneur solitaire

Préface Nicolas Koreicho

« Nous n’avons guère de mouvement machinal dont nous ne pussions trouver la cause dans notre cœur, si nous savions bien l’y chercher ».
Jean-Jacques Rousseau, Sixième promenade, Les Rêveries du Promeneur solitaire, 1782

Jean-Jacques Rousseau, M. Quentin de la Tour, 1764

La signification de cet énoncé se distingue dans l’idée selon laquelle ce qui se manifeste, au travers de nos différentes inclinations et actions, et qui échappe à la volonté, à la conscience, ce qui est « machinal », existe à l’état latent, et que la cause de ces divers mouvements se trouve dans les profondeurs de « notre cœur », c’est-à-dire dans notre inconscient et dans nos affects les plus marqués.
Freud ne dit rien d’autre lorsque dans ses conférences de 1909[1] il affirme que le Moi, confronté à des désirs inacceptables, les refoule dans les profondeurs de l’inconscient et que ceux-ci, ne s’en laissant pas conter si facilement, expriment de manière ersatique, à travers symptômes et pensées difficiles, les affects les plus puissants, et souvent les plus archaïques, de notre histoire personnelle.

« Si l’on parvient à ramener ce qui est refoulé au plein jour – cela suppose que des résistances considérables ont été surmontées -, alors le conflit psychique né de cette réintégration, et que le malade voulait éviter, peut trouver sous la direction du médecin, une meilleure solution que celle du refoulement. Une telle méthode parvient à faire évanouir conflits et névroses. Tantôt le malade convient qu’il a eu tort de refouler le désir pathogène et il accepte totalement ou partiellement ce désir ; tantôt le désir lui-même est dirigé vers un but plus élevé et, pour cette raison, moins sujet à critique (c’est ce que je nomme la sublimation du désir) ; tantôt on reconnaît qu’il était juste de rejeter le désir, mais on remplace le mécanisme automatique, donc insuffisant, du refoulement, par un jugement de condamnation morale rendu avec l’aide des plus hautes instances spirituelles de l’homme ; c’est en pleine lumière que l’on triomphe du désir.[2]»

C’est entre autres le discours associatif, à travers la libre association, qui permet aux barrières de la censure consciente de tomber, par le truchement du transfert et dans la confiance d’un lecteur ou d’un analyste, et qu’ainsi les énoncés inarticulés jusque-là, formes des affects refoulés ou incompris, trouvent, grâce à la précieuse énonciation analytique, la libération de leurs motions douloureuses et contraignantes sous la forme d’un discours bien entendu.

Jean-Jacques n’en fait pas moins lorsque, au cours de ses rêveries[3], il laisse les pensées s’entresuivre sans logique apparente, cependant que Rousseau s’adonne avec toute la puissance de la précision de son écriture, fondée dans une très large mesure sur la transcription minutieuse de ses émotions, sentiments et affects, à la sublimation.

Il en est ainsi du souci qu’a l’écrivain de prendre toutes les précautions pour que les actions qu’il fait soient guidées non par l’impulsion du moment mais par l’idée de sa motivation profonde.
Ainsi, sa forme bien particulière d’auto-analyse lui permit d’une part d’accepter que sa partie féminine pût se réaliser dans l’au-delà[4], et, d’autre part, que sa résignation quasi mystique fût bien différenciée d’un délire d’interprétation qu’il parvint à maîtriser, dans la dernière partie de sa vie, grâce à la réconciliation avec l’autre, invoqué dans le mouvement même de son écriture.
Nicolas Koreicho

Première promenade
« […] Ces feuilles ne seront proprement qu’un informe journal de mes rêveries. Il y sera beaucoup question de moi parce qu’un solitaire qui réfléchit s’occupe nécessairement beaucoup de luimême. Du reste toutes les idées étrangères qui me passent par la tête en me promenant y trouveront également leur place. Je dirai ce que j’ai pensé tout comme il m’est venu et avec aussi peu de liaison que les idées de la veille en ont d’ordinaire avec celles du lendemain. Mais il en résultera toujours une nouvelle connaissance de mon naturel et de mon humeur par celle des sentiments et des pensées dont mon esprit fait sa pâture journalière dans l’étrange état où je suis. Ces feuilles peuvent donc être regardées comme un appendice de mes Confessions, mais je ne leur en donne plus le titre, ne sentant plus rien à dire qui puisse le mériter. Mon cœur s’est purifié à la coupelle de l’adversité, et j’y trouve à peine en le sondant avec soin quelque reste de penchant répréhensible. Qu’aurais-je encore à confesser quand toutes les affections terrestres en sont arrachées ? Je n’ai pas plus à me louer qu’à me blâmer : je suis nul désormais parmi les hommes, et c’est tout ce que je puis être, n’ayant plus avec eux de relation réelle, de véritable société. Ne pouvant plus faire aucun bien qui ne tourne à mal, ne pouvant plus agir sans nuire à autrui ou à moi-même, m’abstenir est devenu mon unique devoir, et je le remplis autant qu’il est en moi. Mais dans ce désœuvrement du corps mon âme est encore active, elle produit encore des sentiments, des pensées, et sa vie interne et morale semble encore s’être accrue par la mort de tout intérêt terrestre et temporel. Mon corps n’est plus pour moi qu’un embarras, qu’un obstacle, et je m’en dégage d’avance autant que je puis. Une situation si singulière mérite assurément d’être examinée et décrite, et c’est à cet examen que je consacre mes derniers loisirs. Pour le faire avec succès il y faudrait procéder avec ordre et méthode : mais je suis incapable de ce travail et même il m’écarterait de mon but qui est de me rendre compte des modifications de mon âme et de leurs successions. Je ferai sur moi-même à quelque égard les opérations que font les physiciens sur l’air pour en connaître l’état journalier. J’appliquerai le baromètre à mon âme, et ces opérations bien dirigées et longtemps répétées me pourraient fournir des résultats aussi sûrs que les leurs. Mais je n’étends pas jusque-là mon entreprise. Je me contenterai de tenir le registre des opérations sans chercher à les réduire en système. Je fais la même entreprise que Montaigne, mais avec un but tout contraire au sien : car il n’écrivait ses Essais que pour les autres, et je n’écris mes rêveries que pour moi. Si dans mes plus vieux jours aux approches du départ, je reste, comme je l’espère, dans la même disposition où je suis, leur lecture me rappellera la douceur que je goûte à les écrire, et faisant renaître ainsi pour moi le temps passé, doublera pour ainsi dire mon existence. En dépit des hommes je saurai goûter encore le charme de la société et je vivrai décrépit avec moi dans un autre âge, comme je vivrais avec un moins vieux ami. […][5] »

Sixième promenade
« […] Voilà ce que je découvris en y réfléchissant, car rien de tout cela ne s’était offert jusqu’alors distinctement à ma pensée. Cette observation m’en a rappelé successivement des multitudes d’autres qui m’ont bien confirmé que les vrais et premiers motifs de la plupart de mes actions ne me sont pas aussi clairs à moi-même que je me l’étais longtemps figuré. Je sais et je sens que faire du bien est le plus vrai bonheur que le cœur humain puisse goûter ; mais il y a longtemps que ce bonheur a été mis hors de ma portée, et ce n’est pas dans un aussi misérable sort que le mien qu’on peut espérer de placer avec choix et avec fruit une seule action réellement bonne. Le plus grand soin de ceux qui règlent ma destinée ayant été que tout ne fût pour moi que fausse et trompeuse apparence, un motif de vertu n’est jamais qu’un leurre qu’on me présente pour m’attirer dans le piège où l’on veut m’enlacer. Je sais cela ; je sais que le seul bien qui soit désormais en ma puissance est de m’abstenir d’agir de peur de mal faire sans le vouloir et sans le savoir. […]
C’est alors que j’eus lieu de connaître que tous les penchants de la nature sans excepter la bienfaisance elle-même, portés ou suivis dans la société sans prudence et sans choix, changent de nature et deviennent souvent aussi nuisibles qu’ils étaient utiles dans leur première direction. Tant de cruelles expériences changèrent peu à peu mes premières dispositions, ou plutôt les renfermant enfin dans leurs véritables bornes, elles m’apprirent à suivre moins aveuglément mon penchant à bien faire, lorsqu’il ne servait qu’à favoriser la méchanceté d’autrui. Mais je n’ai point regret à ces mêmes expériences, puisqu’elles m’ont procuré par la réflexion de nouvelles lumières sur la connaissance de moi-même et sur les vrais motifs de ma conduite en mille circonstances sur lesquelles je me suis si souvent fait illusion. J’ai vu que pour bien faire avec plaisir il fallait que j’agisse librement, sans contrainte, et que pour m’ôter toute la douceur d’une bonne œuvre il suffisait qu’elle devînt un devoir pour moi. […][6]»

Jean-Jacques Rousseau, Les Rêveries du Promeneur solitaire, 1782

Texte original :
https://fr.wikisource.org/wiki/Les_R%C3%AAveries_du_promeneur_solitaire/Texte_entier

Texte intégral :
https://ebooks-bnr.com/ebooks/pdf4/rousseau_reveries_promeneur_solitaire.pdf


[1] Sigmund Freud, Cinq leçons sur la psychanalyse, 1909, Payot, 1921

[2] Ibid. Deuxième leçon

[3] Jean-Jacques Rousseau, Les Rêveries du Promeneur solitaire, 1782, Garnier-Flammarion, 1964

[4] Paul Sérieux et Joseph Capgras, Les Folies raisonnantes, Alcan, 1909

[5] Op. cit., Première promenade

[6] Ibid. Sixième promenade

A Single Man de Christopher Isherwood

Vincent Caplier – Avril 2022

Fragments d’un discours mélancolique

Incipit

Christopher Isherwood and Don Bachardy (David Hockney, 1968, collection privée)

 » Waking up begins with saying am and now. That which has awoken then lies for a while staring up at the ceiling and down into itself until it has recognized I, and therefrom deduced I am, I am now. Here comes next, and is at least negatively reassuring; because here, this morning, is where it had expected to find itself; what’s called at home.
But now isn’t simply now. Now is also a cold reminder; one whole day later than yesterday, one year later than last year. Every now is labelled with its date, rendering all past nows obsolete, until — later or sooner — perhaps — no, not perhaps — quite certainly: It will come. « 

Christopher Isherwood, A Single Man, 1964

 » Le réveil, c’est d’abord un vague suis et maintenant. Puis ce qui s’est réveillé reste un moment couché en contemplant le plafond et en plongeant à l’intérieur de soi jusqu’à ce qu’il ait reconnu Je, et qu’il en ait déduit Je suis, je suis maintenant. Ici, qui vient ensuite, est rassurant, du moins négativement ; car c’est ici, ce matin, qu’il s’attendait à se trouver ; ce qu’on appelle chez soi.
Mais maintenant, c’est plus que maintenant. Maintenant, ça vous rafraîchit la mémoire : toute une journée de plus qu’hier, un an de plus que l’année dernière. Chaque maintenant se trouve étiqueté avec sa date, ce qui rend périmés tous les maintenant passés, jusqu’à ce que, tôt ou tard, peut-être — non, pas peut-être : à coup sûr —, Cela vienne. « 

Un homme au singulier, traduction Léo Dilé, 1979, Les Cahiers Rouges, Grasset.

Ainsi débute la journée de George. Une levée du corps inaugurale, une incarnation lente du verbe où les gestes entrent en action pour laisser place au langage. Le portrait structural d’un homme rendu à sa personne fondamentale, un Je qui met en scène une énonciation. Unité de temps, le roman est le court récit de vingt-quatre heures dans la vie de George Falconer, comme un flux de conscience, un dialogue intérieur qui se déroule sur le mode d’un monologue dramatique.

Absence de chapitres, le découpage en paragraphes instaure un discours par bouffées de langage comme autant de figures, de voix, d’épisodes, d’arguments et de petits drames. Autant de paquets de phrases qui disent l’affect et laissent en suspension un discours horizontal sans transcendance ni salut. Un non-roman empli de romanesque où règne une certaine incertitude sur la subjectivité du narrateur.

L’usage du présent n’a pas de valeur historique et renvoie à la simple temporalité du narré. Plane alors le paradoxe d’une troisième personne plus riche de subjectivité qui combine le narrateur et le personnage central. Sur le mode de l’autofiction, Christopher Isherwood entraîne le lecteur dans une métaphore océanique et le plonge en immersion dans un autre océan : une expérience de l’autre comme un sentiment de bain empathique.

Cette épreuve de la réalité que le roman met en scène n’est pas le retour d’un refoulé mais le retour incessant de la mort, cet irreprésentable dont l’énigme, l’intime, relève de l’épreuve de vérité. George vit avec le souvenir de son compagnon mort dans un accident de voiture.  Loin de sombrer, il ne s’abîme pas moins pour autant. Pas de suicide en perspective, il ne porte aucune responsabilité de la mort. L’acte ne lui incombe pas, il se confie, il se transfère à tout, au grand Tout, sauf à l’autre.

Il ne vit pas avec un fantôme, il vit l’absence de l’être aimé, confronté à des bouffées d’abîme et « cette sensation de se trouver soudain au bord d’une corniche à pic, brutalement creusée, aux arêtes vives ». Il n’est pas à moitié mort mais mi-vivant, se laisse porter, emporter, par les vagues successives pour mieux se laisser dissoudre, diluer, s’évanouir sans se tuer dans une mort ouverte et éthérée.

Mais cette solitude n’est pas seulement la marque de la perte d’un objet tant désiré, devenu inaccessible, mais celui d’un manque plus vaste. De celui qui se scrute dans le miroir et où l’absence fait l’objet d’une manipulation, d’une pratique active, d’un affairement qui permet de produire un rythme dans un grand va-et-vient. Face à lui, « ce qu’il voit, c’est moins un visage que l’incarnation des embêtements » et « l’œil fixé au miroir, il aperçoit bien d’autres visages à l’intérieur de son visage – celui de l’enfant, du jeune garçon, du jeune homme, de l’homme moins jeune ; tous restent là, conservés comme des fossiles, morts ».

George est un homme nostalgique de « la déchirante insécurité des plaisirs douillets de la nursery », « bien à l’abri » de ce « petit univers condamné ». Au-delà des plaisirs régressifs des œufs pochés, il est en mesure de se nourrir et de manger seul, comme un acte de courage, même s’il le confronte à l’accablante fatigue de la tristesse de son existence. Malgré ce regard d’homme traqué, chaque matin George met en place une mémoire, une présence corporelle en lutte avec le désarroi. « Obéissant, le corps se hisse hors du lit […] non par héroïsme. Il ne voit pas d’autre solution ». Pourtant cette nouvelle journée est à l’image d’une odyssée humaine.

Discourir sans fin sur l’absence de l’autre, Jim, ne lui sert à rien. C’est « maintenant qu’il doit aimer. Maintenant qu’il doit vivre ». Se laisser aller à la mélancolie ferait de lui un homme qui attend et qui en souffre. L’abandon le féminiserait et le refus du féminin est l’expression de sa résistance. La femme c’est celle qui revendique « ses droits biologiques », cette « garce de Mère Nature », cette mère castratrice et alcoolique qu’est Charley ; c’est Doris, la rivale qui lui réclamait Jim ; ce sont « l’Église, les Lois, l’État », là pour la soutenir. Les femmes sont ces épouses qui exposent dans les termes les plus formels que la procréation et la bohème font deux : « La procréation nécessite un job fixe, une hypothèque, un crédit, une assurance. Et ne va pas non plus t’aviser de mourir avant d’avoir assuré l’avenir de la famille. »

George n’appartient pas à cette race d’hommes dont la voix ressemble « à celle des jeunes garçons qui s’interpellent entre eux tandis qu’ils explorent une sombre caverne inconnue » qui, bien que fiers de leur règne, « ont peur de ce qu’ils savent trouver quelque part dans les ténèbres qui les entourent ». George est « l’ennemi qui ne colle pas à leurs statistiques, […] la bête nauséabonde […], l’innommable qui tient, malgré toutes leurs tentatives pour le faire taire, à se nommer » : le « pédé ». Quand bien même serait-il, malgré ça, un génie, ses chefs-d’œuvre en seraient « invariablement pervertis ».

Non, George se compte « dans les rangs de cette minorité merveilleuse : les vivants ». Il se reconnaît dans les voyous, « les jouvenceaux à l’œil mauvais aux coins des rues » et prétend une parenté lointaine avec la force de ces garçons. Il est de ces surhommes pourvus « de sang chaud, de vivante semence, de moelle riche et de chair saine […] Il veut jouir de son propre corps : le robuste vieux corps triomphant d’un survivant ». Tous les autres ne sont que de la « vermine » qu’il rend responsable de la mort de Jim, une annihilation irréversible et totale par « leurs paroles, leurs pensée, la totalité de leur mode de vie ».

George fustige la société américaine du post-maccarthysme et de la répression des mœurs qu’il épingle et évoque non sans humour, par la pornographie, au détour d’un fantasme sadien. Plus que tout, il appréhende le fossé qui sépare sa clairière, leur nid douillet de ce meilleur des mondes. En homme de culture, il ne se considère « ni plus noble, ni meilleur, ni vraiment plus sage ». Il entretient des relations symboliques au travers de lectures et de dialogues qui unissent par une relation particulière. Il fait l’effort, chaque matin, de devenir lui, celui « qu’ils exigent et sont disposés à reconnaître ». Il mesure la distance et la fragilité du lien qui le relie à cette culture, cette société d’une autre moralité. Assis sur le siège des cabinets, c’est de ce trône qu’il observe ce pont fragile et symbolise une partie de son mépris.

Mais George ne hait pas véritablement ces gens, ils ne sont qu’une excuse à sa haine, « fureur, ressentiment, bile ». Tout cela n’est qu’une opportunité pour haïr les trois quarts de la population américaine. La haine comme stimulant, rien de plus. Il considère ses sentiments avec franchise, comme une soupape de sécurité, un autre type d’agressivité. « Parce que la majorité persécutrice est abominable », la minorité persécutée ne devrait pas être « nécessairement d’une pureté sans tache ». Rien ne s’oppose à ce que « les mauvais soient persécuté par les pires ».

À « l’immortalité repoussante » de Tithonos, George ravit le destin délectable de Ganymède. Celui du désir qui fait goûter au plaisir à l’égal de Zeus. L’hétérosexualité est pour lui d’un « mortel ennui » et un « brin répugnant ». Les auteurs modernes devraient « s’en tenir aux vieux thèmes simples et sains – les garçons ». L’homosexualité n’est pas le sujet du roman mais en reste un thème central appelant à l’affranchissement moral et sexuel. On peut y voir le palimpseste des Faux monnayeurs, du Corydon etde Si le grain ne meurt d’André Gide. L’autofiction insuffle l’esprit du nouveau roman au sein d’une littérature anglo-américaine moins novatrice à cette époque. Elle offre la création d’un espace transitionnel qui porte en germe toute la modernité et l’émancipation de la littérature gay à venir : une subversion subtile comme faire-valoir de la relation homosexuelle.

Une littérature de pouvoir (libido dominandi[1]) en opposition à la pureté des doctrines, comme un tribut à payer pour se réconcilier avec soi. Une transmission subtile qui rend accessible un indicible et innommable plaisir et s’empare de la jouissance pour en exposer la place et l’énergie du sujet. Une approche psychologique sans métalangage où le langage premier distille une ambiance, un environnement et où le personnage ne peut être réduit à un simple sujet symptomal. Un leurre sublime qui s’empare d’un savoir sans le fétichiser pour opérer un travail de culture au profit d’une sincérité générale[2] en matière de sexualité.

Mais l’énoncé, grégaire, ne peut se fixer que par l’absence de l’énonciateur, par son éradication, mis à mort par l’entremise du narrateur. Aussi, ce qui est véritablement à l’œuvre réside dans l’énonciation et l’infinité de combats singuliers qui se jouent au sein de l’intrication pulsionnelle. L’expression d’une complainte où l’automartyrisation satisfait aux tendances haineuses et sadiques. Une contrition mélancolique qui participe d’un autre travail à l’endroit limite où les choses se nouent. Un nœud psychique durable qui ne se ferait qu’au prix d’une régression narcissique et la prise en charge archaïque d’un masochisme primaire, gardien de la vie. Un remaniement identificatoire qui remet en jeu, la vie, la mort, le temps, la morale, l’interdit, la loi d’un bout à l’autre d’une expérience vécue au travers du corps.

Vincent Caplier – Avril 2022 – Institut Français de Psychanalyse©


[1] Roland Barthes, Leçon inaugurale prononcée le 7 janvier 1977 au Collège de France

[2] Sigmund Freud, La sexualité dans l’étiologie des névroses, 1898.

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Quand Eros se confronte aux architectures psychiques, physiques et ses limites

Olivier Fourquet – Avril 2022

Cinéma

L’art du cinéma nous présente la variété de ses œuvres avec un mouvement émergeant d’artistes ainsi que d’autres auteurs extérieurs au septième art en prenant celui-ci dans une dynamique de légitimation culturelle. L’expérience cinématographique offre une dynamique d’éducation de soi. Ainsi, les différents champs d’exploration de nos humanités sont filmés sur le chemin de ses crises, de ses diversités voire de son étrangeté. Elle nous projette en dehors de nous-mêmes comme pour nous permettre d’approcher la  » vérité sur soi « , une forme révélatrice de notre condition. L’œuvre vidéo de l’artiste Anita Witeck[1] pose la problématique du contrôle et autre surveillance sous l’angle de Big Brother. Elle nous renvoie à cette réflexion « que ce qui nous regarde ne nous voit pas toujours ». L’expérience de sa création nous amène à évoquer la différence entre l’œil et l’acte de voir, une divergence entre voir et regarder. Lorsque le spectateur est en face d’un écran ou se passe la projection d’un film que voit-il ou que regarde-t-il ?

La réalisatrice Carine Tardieu avec le duo Fanny Ardant – Melvil Poupaud propose de nous raconter une histoire d’amour nommée Les jeunes amants. Un premier pari contre l’idée reçue que l’homme chercherait des partenaires féminines plus jeunes que lui. L’actrice joue son rôle de femme éprise à 70 ans de l’acteur qui doit avoir 50 ans. Une gageure scénographique des corps en limitant des séquences de sexe trop explicites afin d’éviter l’embarras scopique ! Au-delà des images romanesques de cette fusion projetée sur l’écran d’une sensation amoureuse palpable, ce couple cinématographique nous offre des interrogations sur la mise en scène du corps et de sa pulsionnalité narcissique ainsi que de ses limites. Suivant Freud la pulsion est un concept limite entre la frontière du psychisme et du somatique quand Pierre Marty, lui, parle d’instincts de vie et de mort comme une volonté d’être au plus proche du biologique… Ce qui tourbillonne autour d’Éros relèverait-il de la pulsion ou du désir ?

Si « l’amour » n’a pas d’âge, une telle différence de maturité peut-elle être partagée avec un rapport au temps analogue ? Comment sous-estimer la temporalité qui s’inscrit de manière inflexible dans le corps ? Entre désir et réalité, c’est probablement le « temps » qui semble jouer son rôle d’objet avec cette difficulté du deuil qui affectera l’économie érotique du sujet et cela tout au long de sa vie ! Une course contre la montre, celle-ci qui symbolise inexorablement la fuite du temps et qui conduit les êtres mortels à leur finitude.

Du corps, Baudoin Tiberghien exprime : « Ce qui est beau est bien, ce qui est laid est maléfique entraîne répulsion et crainte ». Selon Guy Debord, le corps peut d’abord être vu comme une chose dans une société dite “de spectacle ». Une mise en scène du corps tel une image, un concept qui laisserait un espace exponentiel au paraître, une image écran ou selon Winnicott la vision d’un faux self davantage qu’à la place de l’être… Max Horkheimer et Theodor Adorno[2] expriment que le corps pourrait être pensé comme un outil de motivation qui pourrait influencer nos attitudes et nos comportements : “Le corps est raillé et rejeté comme la part inférieure et asservie de l’homme, et en même temps objet de désir comme ce qui est défendu, réifié, aliéné”. Françoise Dolto dira que l’image du corps est le support du narcissisme. Il s’élabore et se construit pour l’histoire du sujet en se remaniant tout au long du développement de celui-ci.

La réalisatrice nous expose l’expérience de Shauna, 70 ans. Elle semble ne plus se faire d’illusions sur son pouvoir de séduction et sur l’objectif de retrouver l’amour. Le hasard fait qu’elle renoue avec Pierre, un médecin croisé 15 ans auparavant. Il lui exprimera qu’il ne l’avait jamais oubliée. Pour Pierre l’écart d’âge n’entre pas en considération pour le regard qu’il porte sur cette femme qui lui apparaît désirable. Il est marié et père de famille…

Le temps et la pulsionnalité de Pierre semblent vouloir se dire à travers l’inconscient d’un certain Éros ! Spinoza et son concept conatus dit : “ce qui pousse l’homme à persévérer dans son être” ou autrement dit celui qui ressent le fait d’être ce qu’il est peut se mettre sur le chemin en se posant la question : “Qui suis-je ?”

Selon Françoise Dolto, se différencier, c’est reconnaître, percevoir les caractéristiques et les limites de l’objet d’abord vécu comme mêmes, rencontrées dans une “mêmeté d’être”. Le mécanisme de différenciation, articulé à celui de la croissance doit trouver un appui stable et fiable. La mise en théâtre de cette différenciation générationnelle nous pose déjà la question de la représentation de l’image du corps que pourrait avoir le sujet ? : “une perception, une hallucination visuelle, voire mentale de quelque chose ? » L’homme serait-il resté fixé sur l’image de cette femme rencontrée 15 ans auparavant ? L’intimité d’une libido narcissique encryptée qui n’aurait pu établir dans la réalité un lien de séduction ? Séduire, repris par Paul-Claude Racamier c’est tirer quelqu’un à soi, hors de son propre chemin.

Le mot employé intimité nous amène à la notion de l’intime qui permettrait d’aborder le sujet dans son propre rapport à se sentir exister. « L’intime n’est ni un concept ni une notion théorique, c’est un mot chargé d’affect, de vécu », selon Jean Baudrillard[3].

L’intimité pensée du côté d’Anzieu nous renvoie au Moi-peau. Il exprime que c’est dans la relation à la mère que se construit une fonction de maintenance psychique de pare-excitation, qui soutient et qui organise une sexualisation première. Un corps pour penser les pensées « une peau » suivant l’auteur. L’enveloppe assurerait le rôle d’appui de l’excitation sexuelle et une continuité entre les différents plaisirs auto-érotiques, narcissiques du Moi et intellectuels du penser. Le rapport au monde pour le sujet co-existe avec une relation sur laquelle il s’appuie pour dire ses émotions et ses intentions. Quelle pourrait être la représentation symptomatique de cette histoire « amoureuse » ? L’étymologie latine de symptôme nous renvoie à « tomber en se heurtant contre, se jeter dans, se rencontrer » ! Qui retrouve qui au sein de cette narration ?

L’intimité cachée de Pierre ne nous renverrait-elle pas à une problématique œdipienne, être à la recherche d’un objet maternel  ? Si l’on pense que le narcissisme à deux est un narcissisme vital mère/enfant, alors chacun des deux procède à la création de l’autre. C’est le JE de l’enfant qui est en JEU. Pierre va remettre tout en jeu (enjeux) pour « l’amour » de cette femme. Lacan parle de la pulsion qui part de sa zone érogène, vise son objet, le rate et retourne vers sa source. Toujours selon l’auteur, le désir s’origine de l’autre, une dialectique entre désir et demande qui implique l’existence de l’autre. Cet après coup ne re-présenterait-il pas de vivre l’interdit d’un Éros ou une confusion d’amour « adulescent » avec le besoin de sentir l’objet et d’en éprouver les limites, la castration par la vulnérabilité, la fragilité somatique de Shauna ? Pierre nous conduit vers la pensée d’une organisation psychique phallique dans la position du super héros. Et ainsi l’appui d’une jouissance, celle de représenter le sauveur de cette femme ?

Et si l’on pense « jouissance » du côté pathologique, cela nous interroge sur la dynamique du désir et de ses empêchements !

Une rencontre « hors temps » pour un hors champ effracté par le réel ? Selon Lacan, le réel est défini comme l’impossible. Il est ce qui ne peut être totalement symbolisé dans la parole ou l’écriture et, par conséquent, n’arrête pas de ne pas s’écrire. La réalisatrice nous montre à voir son imaginaire symbolisé par des images et leurs effets hypnotiques, mais à y regarder de plus près ne nous présenterait-elle pas la réalité d’une histoire « d’amour » impossible ? Une projection qui met en scène la difficulté de la perte confrontée à un corps et ses limites et qui interroge la psyché du côté de la castration.

Ces vingt années entre nos deux protagonistes montrent une temporalité qui nous conduit à observer les frontières physiques, psychiques dans cette problématique de différenciation. La mise en scène filmographique nous offre de penser le temps. Elle nous montre la libido d’une femme « personne âgée ». Un terme courtois où Jack Messy[4] exprime que « la personne âgée n’existe pas », envisagé sur le modèle lacanien « La femme n’existe pas ». Il nous ouvre une réflexion sur le risque qu’il y a à réduire un individu à « son âge ». Dès lors, le « sujet âgé » nous offre l’opportunité d’un rapport subjectif avec nos propres dégénérescences. Le vieillissement intéresse nos sociétés occidentales et le narcissisme continue d’être une piste de réflexion selon ses différentes temporalités.

Shauna est atteinte de la maladie dégénérative Parkinson. Cette affection peut amplifier certains symptômes moteurs ainsi que les émotions (joie, tristesse, etc.). Le symptôme vient à la place d’une parole qui manque. Il apparaît comme un langage, une énigme qui pourrait faire reviviscence d’une problématique archaïque, pensé du côté de la séparation. Lors d’une scène, Shauna va dévoiler sa colère contre l’insistance de Pierre, lui qui semble ne pas vouloir renoncer à cette histoire. Elle le laissera attendre à l’extérieur sous une pluie battante.

Cette colère expressive mise au service de la dramaturgie serait une façon de donner du sens et ainsi provoquer une réaction dans le corps de l’autre. Pierre restera fixé, voire hypnotisé devant cette porte fermée. Symboliquement par « la porte close » il est interdit devant l’infranchissable.

Christophe Dejours[5] exprime « l’agir expressif » comme la façon dont le corps se mobilise au service de la signification, c’est-à-dire au service de l’acte à signifier à autrui ce que vit le « je ». Cet instant cinématographique semble nous dévoiler la dramaturgie interne des « jeunes » entre deuils, réalité et désirs ou lien entre réel, imaginaire et symbolique.

Selon cette histoire l’enveloppe présente sa limite ou ses interdits alors que « l’amour » de l’objet paraît vouloir répondre aux désirs ou (appuis) narcissiques du côté de l’Éros ! Cette désorganisation graduelle du corps de Shauna qui montre une affection grave et qui indique un pronostic létal, ne serait-elle pas un retournement progressif soutenu par les instincts et pulsions de mort de l’histoire du sujet ? Le « moi » n’est pas maître en sa maison selon Freud. Quels auraient été les conflits psychiques du sujet entre l’amour et la haine du moi et/ou de l’objet ?

Dans la dernière scène du film, Pierre rejoint Shauna dans un café. Elle exprime que son état s’empire, qu’elle risque de finir dans un fauteuil roulant. Il lui dit : « l’important c’est de respirer le même air. » ou qui pourrait nous donner à penser « mais mère » ?

Jean-Louis Godard :  » C’est étrange comme les choses prennent du sens lorsqu’elles finissent… C’est là que l’histoire commence ». (film : Éloge de l’amour, 2001)

Olivier Fourquet – Avril 2022 – Institut Français de Psychanalyse©


[1] Darian Leader, Ce que l’art nous empêche de voir, Bibliothèque Payot.

[2] Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, la dialectique de la raison. Fragments philosophiques, trad. Éliane Kaufholz9, Paris, Gallimard.

[3] Jean Baudrillard, « La sphère enchantée de l’intime », l’intime protégé, dévoilé, exhibé, Revue Autrement.

[4] Jean-Marc Talpin, Psychologie clinique du vieillissement normal et pathologique, 2017, Paris, Armand Colin.

[5] Christophe Dejours, Le corps d’abord, 2001, Payot, Paris

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La Sublimation

Nicolas Koreicho – Mars 2022

« Primus in orbe deos fecit timor »
(« C’est d’abord la peur sur terre qui a créé les Dieux »)
Pétrone, 1er siècle

« Me traiter en délirant c’est nier la valeur poétique de la souffrance qui depuis l’âge de quinze ans bout en moi devant les merveilles du monde de l’esprit que l’être de la vie réelle ne peut jamais réaliser ; et c’est de cette souffrance admirable de l’être que j’ai tiré mes poèmes et mes chants. Comment ce que vous aimez dans mon œuvre ne parvenez-vous à l’aimer dans le personnage que je suis ? C’est de mon moi profond que je tire mes poèmes et mes écrits et vous les aimez. Tout poète est un voyant. C’est de son illuminisme que Rimbaud a tiré les illuminations et la Saison en Enfer. Et William Blake avait vu dans le monde mystique de l’Esprit l’objet de toutes les visions merveilleuses transcrites dans le Mariage du Ciel et de l’Enfer. Si je ne croyais pas dans les images mystiques de mon cœur, je ne pourrais pas arriver à leur donner vie. »
Antonin Artaud, Lettre au Docteur Ferdière, 20 mai 1944 in Les Nouveaux Écrits de Rodez, 1977

Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant Jésus jouant avec un agneau, Léonard de Vinci, 1503-1519, Musée du Louvre, Paris

Origine de la sublimation en psychanalyse

Freud distingue quatre « destins » possibles de la pulsion qui est, originellement, sans limite : le renversement du but de la pulsion en son contraire (changement de but : passage de l’amour à la haine…), le retournement de la pulsion sur la personne propre (changement d’objet : passage du sadisme au masochisme…), le refoulement et la sublimation.
Pour ce qui concerne la sublimation, il est question tout d’abord d’une opération individuelle de dérivation assez générale :
« La pulsion sexuelle met à la disposition du travail culturel des quantités de forces extraordinairement grandes et cela par suite de cette capacité spécialement marquée chez elle de pouvoir déplacer son but sans perdre pour l’essentiel de son intensité. On nomme cette capacité d’échanger le but sexuel originaire contre un autre but qui n’est plus sexuel, mais qui lui est psychiquement apparenté, capacité de sublimation.[1] »
Ce n’est que secondairement qu’il confère à la notion une dimension culturelle relativement globale en ajoutant à un changement de but de la pulsion un changement d’objet de la pulsion :
« C’est une certaine espèce de modification du but et de changement de l’objet, dans laquelle notre échelle de valeurs sociales entre en ligne de compte, que nous distinguons sous le nom de “sublimation”.[2] »
Enfin, la perspective d’approfondissement, voire de recouvrement, du Moi auquel aspire la sublimation s’explique dans une large mesure par le réagencement narcissique que permet la pulsion épistémophilique, soutenue en majesté par « L’énergie du plaisir scopique.[3] »

Si Freud n’a jamais développé complètement son concept de sublimation, et que son projet d’un essai sur la sublimation n’a pas abouti à une publication logiquement attendue dans sa Métapsychologie, une cinquantaine d’occurrences portant sur les processus de sublimation jalonnent son œuvre. A sa suite, Un grand nombre d’auteurs ont procédé à de nombreux développements et de prolongements procédant ainsi à une extension exagérée du concept de sublimation, laquelle remet en cause non seulement sa cohérence globale, mais aussi la pertinence de ces (trop) multiples acceptions qui tirent le concept par les cheveux et qui ont souvent pour objet une quête de reconnaissance du supposé sublime, peut-être justificative d’une difficulté ontologique des auteurs eux-mêmes.

Fondations logiques et sémantiques de la sublimation

Revenons-en à ses fondations logico-sémantiques.
La sublimation est la désignation substantivée (latin sublimatio : « action d’élever », « élévation ») de l’idée de passer « au-dessus » (sub) de « limites » (limes, -itis), c’est-à-dire d’un dépassement.
Du XIIIe siècle, avec l’acception rare de victoire guerrière ainsi que celle plus courante de sublimation religieuse, jusqu’au XIXe, avec l’intention contemplative et poétique d’une « action de purifier, de transformer en élevant[4] » (Hölderlin, Hugo, Goethe), la psychanalyse, après l’alchimie (action d’affiner du volatil jusqu’au solide) et la chimie (passage de l’état solide à l’état gazeux), imposera la dimension sémantique d’une transformation radicale, trophique, positive, intellectuellement et moralement – l’alchimiste devait avoir le « cœur pur » pour réaliser l’opération – élevée, ou bien dans certains cas, d’une atténuation prosaïque de la dimension scandaleuse de son impulsion première.

Une sublimation en majesté : Vinci

A cet égard, l’élévation du « Grand Œuvre » (Léonard de Vinci pour qui l’œil est l’organe sublimatoire par excellence place la pulsion scopique au premier plan de sa création épistémophilique) est une essence, également volatile, élevant spirituellement et physiquement, rendant possible – et fondée – l’érection, dans la polysémie (en gloire et en chair) du terme.
Le tableau du peintre, Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant Jésus jouant avec un agneau, analysé par Freud[5], est à cet égard éblouissant. Dans Un Souvenir d’enfance de Léonard de Vinci[6], Freud reprend ce souvenir[7] et l’incorpore dans les fondations de son interprétation – partielle, selon nous – du tableau, la robe bleue de la Vierge figurant un vautour dont la tête est tournée dans son dos vers Sainte Anne et la queue présentée à l’Enfant Jésus.
Quoi qu’il en soit, la conception freudienne du génie du peintre et de la place de la peinture dans l’œuvre de Léonard, et particulièrement dans ce tableau, déroule l’hypothèse selon laquelle la pulsion épistémophilique provient de l’absence de possibilité de l’enfant de satisfaire sa curiosité première, qui concerne la scène primitive, et assigne à cette pulsion de savoir chez le peintre une tendance à l’homosexualité, suscitée par l’absence ou l’hostilité du père.

En effet, Freud, dans Un Souvenir d’enfance[8], insiste à propos de Léonard : « La libido se soustrait au refoulement, elle se sublime dès l’origine en curiosité intellectuelle » et traite de l’opposition pulsionnelle chez le célébrissime artiste entre la recherche scientifique d’une part et l’œuvre du peintre d’autre part, eu égard aux « trois destins de l’investigation sexuelle infantile : inhibition, obsessionnalisation, sublimation ». Il met en regard la relative difficulté de Léonard dans son activité en tant que peintre, laquelle se manifeste par une certaine lenteur de développement, et, au contraire, une prolixité inouïe pour la recherche et le développement scientifiques.

Cependant, le génie du peintre s’exhibe en toute sublimation[9], dans une parfaite résolution œdipienne érotique (entremêlement fusionnel des corps des deux femmes, fellation à peine métaphorisée de l’enfant au vautour[10], figuration[11] féminine du père, envoutante sensualité de cette représentation de la Sainte triade) dont la dimension destructive n’est plus symbolisée que par l’absence manifeste du père – figuré en cette Trinité par Sainte Anne à la fois selon l’allégorie mais aussi s’exposant en excellente paternité, virile dans sa posture et vis-à-vis de la Vierge, et bienveillante envers la Mère et l’Enfant – ainsi que la passivité, si ce n’est l’indifférence de l’Enfant, à l’endroit des parents[12], mère vierge et père féminin, cela par le truchement du jeu innocent et moqueur que l’enfant, avec l’animalité pure de la pulsion sacrifiée, consacre à l’Agneau.

Sublimation et création

 » Le mécanisme de la création littéraire est le même que celui des fantaisies hystériques. Goethe réunit pour son Werther quelque chose qu’il a vécu, son amour pour Lotte Kästner, et quelque chose qu’il a entendu, le destin du jeune Jerusalem qui se suicida. Il joue vraisemblablement avec le projet de se tuer, trouve là le point de contact et s’identifie à Jerusalem, à qui il prête ses propres motifs tirés de son histoire d’amour. Au moyen de cette fantaisie, il se protège contre l’effet de son expérience vécue. Donc Shakespeare a finalement raison d’associer création littéraire et délire (fine frenzy). « 

Sigmund Freud, Manuscrit N dans la lettre à Wilhelm Fliess du 31 mai 1897

Nous pouvons poursuivre la conception de la sublimation selon Freud (Sublimierung) mais en la confirmant comme transformation radicale de la sexualité pulsionnelle – et œdipienne – en une production du sujet, à la fois vers le Beau et vers le Moi, dont le travail consiste à passer d’une sexualité, a fortiori désensualisée et/ou désentimentalisée, où pulsion de vie et de destruction (petite mort) sont intriquées, et, de ce fait, non déliées, non réalisatrices, hormis a minima sur le plan du plaisir, éventuellement, et c’est une aubaine, sur le plan du désir, à une Œuvre au summum de son esthétique.

Sublimation, transformation, construction

Il s’agit dans cette idée du processus de sublimation d’une véritable modification (cf. Butor), au propre (en quantité, en matérialité, de nature) et au figuré (en qualité, en qualifié, en dépassement).
A ce titre, la configuration surmoïque (la Loi) à laquelle s’affronte l’idée de transgression, se transforme, en fonction de l’ambivalence du résultat de la menace de castration (constituant le pathologie ou permettant l’épanouissement), et s’ouvre dans ses acceptions sublimatoires dans ce qui constitue le socle obligé de la production, ou du travail, vers une œuvre, ou vers une activité, élevée et reconnue puis désignée comme telle.
En cela, la sublimation en psychanalyse telle que nous la décrivons confirme l’acception freudienne, complétée dans les dernières élaborations qu’il en fait, de la sublimation comme construction[13] – ou élaboration – narcissique, et qui offre à cet égard un bénéfice de valorisation considérable, particulièrement en ce qu’elle subsume le sujet comme n’étant possiblement pas uniquement le jouet de ses pulsions, d’origine œdipienne en particulier, mais comme celui qui est apte à apprivoiser sa bête, à transformer le creux sexuel et/ou sentimental en recouvrement narcissique, intellectuel, artistique, créateur et développemental, transmissible dans tous les cas.
Cette transformation-modification-déplacement propre au processus de sublimation revient, sur un mode métapsychologique et auto-analytique, à résoudre une partie des problématiques œdipiennes (les saynètes du tableau) grâce aux reconnaissances permises par une forme d’engendrement narcissique à profondeur quasi mystique (le Moi du peintre qui peut se satisfaire d’une telle complétude[14]).

La sublimation à l’opposé de la perversion

Si la sublimation consiste, d’une manière plus ambitieuse qu’en l’adhésion au « normal », à déjouer la répétition, l’emballement (au détriment de la représentation et, donc, en dernière analyse, au détriment de l’affect), sa vocation s’affirme dans la mise à distance du risque de glissement de la névrose (absence ou inadéquation de la satisfaction : son processus moteur versus le désir qui se développe par le manque) vers la psychose (où le conflit entre affect et représentation est indépassable[15]).
Cependant, il n’est pas question de sacrifier la sexualité individuelle au profit de son enfermement au sein d’une culture collective. Il s’agit simplement de ne pas choisir la pente facile (pas de basculement, pas de structure : une tendance) de la destructivité, autrement dit de ne se laisser emporter ni vers un refoulement (névrotique, éteint) ni vers une stérilité (perverse, fermée).
Les perversions, en tant que rejetons de la pulsion de destruction, rappelons-le, représentent soit un arrêt dans l’évolution de la personnalité, et s’exercent alors en tant que telles dans la soumission des corps et leur transformation en objets soumis à la pulsion de mort – elles ont alors « la valeur d’une idéalisation de la pulsion[16] », soit au contraire se manifestent dans un développement de la créativité personnelle, et dans ce cas sont dérivées vers des « buts sexuels supérieurs[17] », c’est-à-dire non effectivement sexualisés, se développant dans les œuvres de sublimation artistique, sociale (affective, spirituelle, politique), scientifique, littéraire, analytique, intellectuelle.
S’il existe un rapport direct entre la sublimation et la perversion, la sublimation serait à l’endroit de la perversion son exact inverse (désexualisation surinvestie vs hypersexualisation dégradée), c’est-à-dire d’abord se dirigeant vers une névrose modifiée voire transformée, qui doit pouvoir s’élaborer en œuvre. En effet, la perversion est par définition le fait de contraindre la réalité (de l’autre) – quelquefois par projection identificatoire ou idéalisation idéologique –, cependant que la sublimation consiste à s’appuyer sur sa réalité narcissique[18] propre, souvent à découvrir, pour prendre en compte la réalité (de l’autre et du monde) : dans le déroulé d’un travail adaptatif de dérivation (sauvegarde de l’analyse, tendresse, amitié, socialisation, professionnalité), et/ou dans l’expansion trophique et transgressive vers une œuvre (construction analytique, intellectuelle, littéraire, scientifique, artistique) auxquels il faut adjoindre la possible – et immense – dimension particulière, pouvant confiner au sublime, d’une incarnation spirituelle.

Nicolas Koreicho – Mars 2022 – Institut Français de Psychanalyse©


[1] S. Freud, La vie sexuelle, 1908

[2] S. Freud, Nouvelles Conférences d’introduction à la psychanalyse, 1933

[3] S. Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle, 1905

[4] V. Hugo, Les Contemplations, 1856

[5] S. Freud, Un Souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, 1910

[6] Le texte préféré de Freud

[7] Le souvenir de Léonard lui-même : « Il semble qu’il m’était déjà assigné auparavant de m’intéresser aussi fondamentalement au vautour, car il me vient à l’esprit comme tout premier souvenir qu’étant encore au berceau, un vautour est descendu jusqu’à moi, m’a ouvert la bouche de sa queue et, à plusieurs reprises, a heurté mes lèvres de cette même queue. » Léonard de Vinci, Carnets, 1487 – 1508

[8] Op. cit.

[9] Une sublimation complète, à l’instar de ce que selon nous le tableau représente : l’Œdipe complet, savoir le désir de destructivité et le désir sexuel à l’égard du père ainsi que le désir sexuel et le désir de destructivité à l’égard de la mère

[10] La forme évidente de la robe bleue qui couvre la Vierge

[11] Pensons à L’Aigle noir de Barbara qui représente pour toujours son propre père incestueux

[12] Ceci n’est pas l’interprétation freudienne, selon laquelle le père est absent ou en opposition au fils, lequel développe à son égard ce qui se transformera selon Freud en orientation homosexuelle

[13] Neutralisant du même coup la pulsion effective de destructivité (cf. Lettre à Marie Bonaparte, 1937)

[14] A son rythme, donc, lent et minutieux, en une sorte d’art scientifique du devenir du Moi

[15] Nous retrouvons ici l’état limite et sa menace comme échec de la sublimation

[16] Sigmund Freud, « Vom Himmel durch die Welt zur Hölle » (Goethe, Faust, Prélude au théâtre) in Trois essais sur la théorie sexuelle, 1905.

[17] Sigmund Freud, « Fragments d’une analyse d’hystérie » in Cinq psychanalyses, 1905

[18] Narcissisme pris au sens du concept constitutif de la personnalité, au même titre que l’Œdipe

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L’art dans tous ses états – Expressions de la « Gestaltung »

Vincent Caplier – Mars 2022

« Quelle dose de vérité un esprit sain sait-il supporter, sait-il risquer ? Voilà qui, de plus en plus, devient pour moi le vrai critère des valeurs. L’erreur (la croyance en l’idéal) n’est pas aveuglément, l’erreur est lâcheté… Chaque acquisition, chaque pas en avant dans la connaissance est la connaissance du courage, de la dureté envers soi, même de la probité envers soi… »
Friedrich Nietzsche, Ecce Homo, 1908

André Breton dans son atelier, Paris, 1955. Photographie de Sabine Weiss

L’Art brut intrigue autant qu’il est indéfinissable. Expression douce d’une matérialité brutale, il est au-delà des œuvres, un esprit, une certaine idée de l’Art, un versant de la création artistique. À distance de la marque déposée de Dubuffet le terme est générique, il est un art polysémique qui englobe des formes multiples, voire toutes les formes en marge, hors norme. Qu’est-il ? Folie, inversion des valeurs, invention ou invitation à repenser l’art ? Est-il le fruit d’un esprit primitif, enfantin, naïf, modeste ou radical ? Et s’il n’était qu’une boîte de Pandore d’univers singuliers et radicalement personnels ? Comme une zone d’ombre du monde de l’Art, son antichambre, qui tient à l’essence et aux principes mêmes de la Chose et de l’Être.

Au commencement, l’obscur

À l’origine il y a un paradoxe. Si l’artiste est un professionnel de la profession[1] l’expression « artiste brut » enferme alors une contradiction. Créateur de l’ombre, il ne cherche pas à accéder au statut social d’artiste. Amateur, autodidacte, ce marginal, par sa façon singulière d’aborder l’activité artistique, interroge la définition même de l’artiste. L’acte, répété par manie dans une habitude irrégulière, signale que l’art est une pratique constitutive de la nature humaine.

Indifférent aux règles de l’art, il s’épanouit dans l’indifférence d’une vocation isolée. Par son isolement, son emprisonnement ou son internement, à la faveur d’une rupture, il « ne reproduit pas le visible ; il rend visible. L’œuvre d’art est à l’image de la création. C’est un symbole[2] ». Peu ou pas de mimétisme dans ces « ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique » qui « tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyen de transposition, rythmes, façons d’écriture, etc.) de leur propre fonds et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode[3] ». De cette définition, la maladie mentale ne serait pas un critère même si le berceau de ce concept, qui tend à penser l’art en général, demeure l’art asilaire.

À l’origine de la fascination pour l’Art brut, il y a la folie, de celle qui fascine l’homme par les images qu’elle fait naître, porteuse d’un étrange paradoxe qui fait émerger du plus singulier délire ce qui « était déjà caché, comme un secret, comme une inaccessible vérité » et « rencontre la sombre nécessité du monde[4] ». Si pour Sénèque « il n’y a pas de grand génie sans mélange de démence », cette expression de la folie est plus le fruit d’un délire que d’une démence. La démence est une dégradation, un déclin, rendant toute production impossible alors que le délire est une exaltation pouvant répondre à la nécessité d’un clivage de qualité.

Si Dubuffet se décidera finalement à partir à la recherche des « hommes du commun à l’ouvrage », l’intention est le début de l’élaboration d’une fin en soi, d’une production d’une œuvre. La spontanéité et la sincérité de cette intuition qui anime les artistes des asiles « passe par tous les essais des premiers âges de l’humanité et fait, sous nos yeux, renaître des atavismes que l’on croyait abolis. » et rappelle « cette flamme intérieure qu’il est si difficile de définir[5] ».

Une intuition de l’essence

L’art asilaire, cette sympathie, cette empathie (Einfühlung[6]) pour la pulsion créatrice[7] de l’enfermement résulte de la reconnaissance de cette puissance motrice, une « obscure poussée pulsionnelle » analogue à « un fluide omniprésent, à la manière de l’éros ». Intuition à l’état pur, aux « combinaisons hardies » et à « l’étrangeté fascinante », cette « Gestaltung se déploie entre l’immédiateté vivante et l’organisation formelle, et c’est seulement sur le degré de cette tension que peut se fonder en fin de compte notre jugement[8] ».

Cette doctrine de la mise en forme met l’accent sur les chemins qui conduisent à la Gestalt (la forme) : « La fin n’est qu’une partie de l’essence : la manifestation (Erscheinung) ; la vraie forme, essentielle, est une synthèse de formation et de manifestation. » C’est le besoin d’expression qui est au fondement de l’acte de formation, « en prise directe sur le concept qui est impliqué dans les conditions sous-jacentes : le concept d’une certaine mobilité[9] ». Le mouvement expressif de l’art des fous, par son manque d’intentionnalité, relève bien d’un besoin intuitif à l’état brut, inhérent à la vie psychique.

André Breton voyait, à raison, dans l’Art brut de Jean Dubuffet une mythification de l’art des fous comme « authenticité totale qui fait défaut partout ailleurs[10] ». Mais Hanz Prinzhorn l’avoue lui-même, son ouvrage sur « les œuvres plastiques des malades mentaux[11] » s’adresse aux familiers de l’art et le psychiatre, qui a étudié l’histoire de l’art et la philosophie à l’Université de Vienne, se fait plus théoricien d’une culture artistique. En constituant sa collection, il rapproche l’art de certains aliénés (minoritaires) de certaines orientations de l’art de son époque. L’art asilaire et l’art brut en général (comme multiplicité des formes éparses d’art brut) participent d’un temps qui les relie historiquement à la naissance de l’art moderne. Une Histoire qui les réunira en 1937 dans la grande exposition d’art dégénéré. La confrontation des œuvres, organisée par le régime nazi, était alors destinée à mettre en évidence la parenté entre les productions et à stigmatiser la perversité des artistes.

Si la Gestaltung de Prinzhorn est une mythologie freudienne[12] dans l’âme, Il insiste sur le caractère phénoménologique de sa quête métaphysique d’une intuition d’essence[13]. C’est sans doute en raison de cette trop forte proximité avec la philosophie que Freud feindra d’ignorer ses travaux[14]. Une autre raison pourrait tenir au fait que Prinzhorn dénonce également dans la psychanalyse « la méconnaissance de l’irrationalité foncière de la réaction vitale dans ses explications de type causal et une logification de l’instinct ». À ce stade « rien ne justifie le recours à la notion de délabrement ».

L’art chez les fous

Pour Marcel Réja[15], les productions artistiques des aliénés « éclairent d’un jour tout spécial la question des rapports entre le génie (disons plus modestement l’activité artistique) et la folie ». « Cette impulsion qui asservit le sujet à l’exécution d’une entreprise dénuée de toute portée pratique, est peut-être ce qui, dans la notion courante, passe par la caractéristique la plus saillante de la folie. » L’artiste fou est le représentant exagérément amplifié d’une indication discrète de l’artiste. Il se distingue par une spontanéité et une irrésistibilité particulière, une manie indépendante de sa volonté, un mouvement d’idées qu’il subit plus qu’il ne les dirige.

Le chef d’œuvre gravite autour de l’œuvre complète, en besoin d’idéal, et met en présence de personnalités puissantes. Mais l’art ne naît pas chef d’œuvre et à côté des formes parfaites coexistent les productions plus ou moins élémentaires des prisonniers, des aliénés et des marginaux, aux formes plus ou moins sauvages. Cette nécessité d’émotions ou d’activité intellectuelle participe d’un état morbide et la qualité maladive de leurs œuvres, choses hors cadre, ne sont pas sans rapport avec la norme. La folie n’est pas constituée d’une série de variations infinies et fait usage, comme tout artiste, de formules stéréotypées. « Les hommes de génie […] nous soulignent en beauté les tendances et manières d’être de l’esprit humain ; les fous nous les dévoileront dans leur nudité de leur mécanisme avec la maladresse de leur ingénuité.[16] »

L’artiste brut est sous l’emprise d’une compulsion, d’une répétition à l’envi où le geste est à refaire et la création destinée à être inlassablement recommencée. Il ne fait pas œuvre mais corps avec elle au point de s’y résumer. Absence de distance, le but (s’il y a) n’est pas le savoir mais la capacité, l’urgence, à former ses propres formes. Une expression sans retour ni impression sur l’auteur. Intolérant à sa folie, il se confronte à ce qui l’insupporte, ses pulsions dévastatrices, cette mort-destruction qui l’envahit et les tentatives extérieures et intérieures de la réduire. « Avatar malheureux dans la juste protestation de l’esprit contre une injuste contrainte[17] », il lutte pour ne pas en devenir l’objet, par la ruse, une action de non-mort[18] comme déplacement de la mort à l’œuvre.

Une énonciation vive

Il négocie une œuvre personnelle, plus satisfaisante, s’offre un enclos protecteur pour contrer le vif du débordement de bruit et de fureur. De ce maintien d’un ordre relatif il ne cherche pas à s’exprimer mais simplement à contenir. Dispositif obsessionnel d’actes partiels, sauvegarde réitérée, sans posture stylistique, l’artiste brut procède par accumulation et non répétition d’un énoncé dans un geste d’éternel recommencement, une énonciation permanente.

La Gestaltung jette un pont entre le besoin d’expression et l’œuvre, entre le vivre et la forme. Une forme porteuse d’une connaissance non pas gnosique, perceptible, représentable, signifiante mais pathique, qui s’éprouve. « Une forme qui se signifie en se signifiant », une Wesensform, l’essence de l’homme, son existence, sa capacité à être au monde, « l’être à dessein de soi[19] ». Mais si l’art psychopathologique fait montre de cette capacité créatrice, cette mise en jeu de l’expression, d’une volonté, il marque également un échec à être soi.

L’existence procède de la non-existence. Si faire œuvre c’est se faire être, le créateur doit s’éprouver en confrontation avec le vide dont il s’origine. « Par le vide, le cœur de l’Homme peut devenir la règle ou le miroir de soi-même et du monde, car possédant le Vide et s’identifiant au vide originel, l’Homme se trouve à la source des images et des formes. Il saisit le rythme de l’Espace et du Temps ; il maîtrise la loi de la transformation.[20] »

Tout l’enjeu de ce mouvement, de cette dynamique, est un enjeu identitaire, narcissique. En l’absence du processus complet le sujet est soumis, asservi, aliéné aux logiques primaires, sans fin. Il est sans limite. De cette faille, ce stigmate, découle une hyper-ritualisation, une compulsion de symbolisation comme une enfant qui « ne peut procéder autrement que de façon clairement symbolique » alors que « l’adulte s’efforce de refouler la symbolique et de la cacher ». Pour Groddeck, « l’accumulation de symboles peut difficilement résulter d’un dessein artistique[21] », elle est la résultante d’une force, l’inconscient, qui donne le matériau. L’artiste ne serait alors pas pleinement libre de sa production, il ne fait que parcourir le chemin que lui prescrit l’inconscient par l’émergence du symbole.

Une pensée magique

Mais comme le dit si bien Gaza Roheim, « nous ne pouvons pas transformer une espèce dont l’enfance se prolonge indéfiniment en une machine à calculer. Inconsciemment, en effet, nous continuons à croire que les succès sont acquis selon les mêmes principes qui ont une fois réussi et que le monde continuera à jouer le rôle de la mère[22] ».  L’homme voit toujours le monde comme l’unité-duelle, mère-enfant, et le Moi est un champ de bataille avec la réalité et le Surmoi.

À la suite du principe de plaisir, comme accomplissement imaginaire du désir, et du principe de réalité, Roheim avance la nécessité de postuler un principe magique, un élément fondamental de la pensée, une phase initiale de toute activité. Dans sa forme première et originale, la magie ne serait autre que la sublimation : une tendance orientée vers l’objet (libido), détournée et fixée sur le Moi (narcissisme secondaire), qui constitue des objets intermédiaires (culture) et vise à maîtriser la réalité (fusion avec l’objet). La sublimation « représente l’issue qui permet de satisfaire à ces exigences sans amener le refoulement[23] ».

Un processus qui correspond bien à la notion de sublimation telle que Freud la définit dans le Moi et le Ça en 1923, suite aux deux grands tournants théoriques que sont l’introduction du narcissisme et la prise en considération du dualisme Éros et Thanatos[24] : « Toute sublimation ne se produit-elle pas par l’intermédiaire du Moi qui commence par transformer la libido sexuelle en libido narcissique pour lui assigner éventuellement un autre but ».

Éventuellement, le mot a son importance. L’objectif, l’intention première est bien d’échapper à la fixation. Que le Moi n’ait pas réussi à s’intégrer au monde ou qu’il n’y ait pas de moi du tout, alors l’unité-duelle et le monde sont détruits et dans la magie imaginaire c’est une tentative de réintégration qui s’opère sur le mode défensif de l’idéalisation (narcissisme primaire) au prix d’un clivage extrême. Le Moi masochiste développerait un complexe d’infériorité offrant un triomphe au Surmoi et nous assisterions à la mise en échec de la magie.

Le paradoxe de l’Idéal

Si l’idéalisation prolonge les contenus infantiles, la sublimation en dénonce la surestimation illusoire. Mais l’objet sublimé, détourné de sa fonction, peut se trouver assujetti à l’expression des conflits. Ainsi en va-t-il des perversions, ces idéalisations de la pulsion sexuelle, qui « se détachent de la fonction et de l’instinct pour s’exercer dans une transformation psychique. Une surestimation de l’objet qui ne conduit pas seulement à transgresser les bornes imposées par le refoulement » mais conduit également « à l’invention d’une néo-sexualité, détachée de son étayage fonctionnel[25] ».

Il y a là une difficulté que Jean Laplanche interroge : « non seulement la sublimation se montre difficile à caractériser en théorie, mais elle se dérobe le plus souvent à la description clinique, notamment dans la cure où elle est mentionnée comme une issue sans être jamais montrée à l’œuvre, repérée comme un processus.[26] » Et pour cause ! Freud en fait un usage lexical purement sémantique attaché à un idéal culturel de l’esthétique hérité de la réflexion de la philosophie antique. Son aversion pour la métaphysique l’aurait-elle écarté de l’aisthêsis, cette perception à l’œuvre qui anime l’esthétique moderne ?

Freud n’aurait-il pas pris la pleine mesure du phénomène énigmatique ? La métapsychologie a-t-elle omis de placer le fin mot de cette énigme ? En focalisant sur le but, de cette insistance au détriment de l’objet, n’y a-t-il pas eu élusion de la fonction symbolique au plan psychosexuel qui l’aurait remis au cœur du sujet ? En résumé, Freud a-t-il manqué la coupure épistémologique singulière et radicale qu’il avait su opérer dans l’histoire du fétichisme ?

L’introduction du fétichisme

Nous reprendrions alors à bon compte les mots de Paul-Laurent Assoun : « Cet “objet“ qu’est le fétiche est en effet à la fois “masque“ et “pratique“, par l’enjeu de la castration, du sujet clivé. Il n’en est que plus remarquable que cela relance l’intérêt pour le fétichisme, Janus bifrons, qui, à l’instar de l’“idéal“, a un visage du côté de la clinique du sujet, l’autre du côté du social — l’esthétique faisant ici lien —, réinterrogeant la différence sexuelle et la féminité. »

Il abonde même dans le sens de l’œuvre d’art comme fétiche, l’objet entre sublimation et idéalisation : « […] la sublimation, en séparant la pulsion de son caractère sexuel, par dérivation vers un but non sexuel, a pour effet d’épurer l’objet. Le fétiche (pervers) rend possible une séparation entre la matérialité brute de l’objet et sa valeur de “symbole“ : n’est-ce pas dans l’ordre de la sublimation un tel clivage qui serait pratiqué, scission de l’objet ordinaire et de l’œuvre d’art ?[27] »

Il y a là un paradigme romantique, de l’ordre de l’idéalisme magique[28], faisant du chef-d’œuvre l’incarnation du décombre magnifié d’un refoulement idéalisé. « Une dissociation du complexe[29] » et un « éclatement » de l’objet dont pourtant Freud tira les conséquences métapsychologiques : « Même il se peut, ainsi que nous l’avons trouvé dans la naissance du fétiche, que le représentant pulsionnel originaire ait été décomposé en deux morceaux, dont l’un succomba au refoulement, tandis que le reste, précisément à cause de cette connexion interne, éprouva le destin de l’idéalisation.[30] »

L’approche de Prinzhorn relève plus de l’esthésie, la capacité à percevoir les sensations, que de l’esthétique, le sentiment du beau. Là se trouve toute l’acuité existentialiste du concept en accord avec le rythme. La Gestaltung pourrait adopter la « position intermédiaire entre le refoulement et la sublimation[31] » au même titre que le fétiche est un objet mixte, compromis entre refoulement et idéalisation. Une « idéalisation de la pulsion » qui donne à la perversion son style idéaliste.

Pour une théorie de l’enchantement…

Il y a peut-être une intention (réelle, prêtée ou involontaire) chez Prinzhorn d’écarter toute possibilité de jugement de valeur, une position que revendique pleinement l’anthropologue Alfred Gell. Plutôt que de penser l’art en termes de beauté nous devrions y penser en termes de différentes agencies[32] (agencements, intentionnalités). L’approche esthétique ne rend pas compte des cultures non occidentales et par extension des arts bruts[33]. Si l’on prétend expliquer un phénomène universel, il doit s’appliquer au monde entier.

Une théorie qui ne repose pas sur l’esthétique semble être un problème, comme un défi au terme lui-même. La théorie de Gell ne concerne donc pas tant l’art, qui apparaît indéfinissable, qu’une question plus large de la façon de rendre compte des objets utilitaires, décoratifs et des objets magiques. Ce qu’on appelle objet d’art, et bien d’autres non désignés sous ce vocable, possède une force ou un pouvoir de fascination comme indicateur d’un état d’esprit.

Tous ces objets se rencontrent au sein de réseaux d’intentionnalité considérablement différents d’un cas à l’autre, d’un contexte à l’autre : intentionnalités de pouvoir, de possession, de désir, de terroriser, de séduire, magiques ou de convocation des esprits. Les œuvres sont prises dans un processus de création continue pouvant même se poursuivre avec leur destruction, leur abandon, leur décomposition ou leur éphémérisation.

Avec l’exemple du fétiche, c’est une autre facette de sa théorie, animiste, qui se fait jour. Le faisceau d’intentionnalités qui gît derrière la production de l’objet n’est qu’un aspect. Il soutient qu’elles dotent celui-ci d’une intentionnalité quasi humaine en faisant un maillon de la chaîne qui relie les membres de la société. Plus qu’un simple relais dans le réseau des relations sociales, il en devient acteur.

Le remplacement de l’esthétique par l’intentionnalité de l’agent a des implications nombreuses. Gell déplace le socle épistémologique même de l’étude de l’art : il dégage ce qui dans l’art caractérise l’espèce homo sapiens et cherche à comprendre comment les êtres humains se comprennent entre eux et sont capables de vivre ensemble. Il y voit la capacité des hommes à reconnaître l’intentionnalité de leurs semblables.

… jusqu’au désenchantement

Cette idolâtrie, douce ou forte, qu’il s’agisse de fétichisme ou d’anthropomorphisme, participe à la vie et la mort de l’art asilaire qui verra la naissance de l’Art brut. Elle accompagne un mouvement antipsychiatrique, de désaliénation, dénonçant une institution totale[34], congelante, « organisatrice du gel des forces vives[35] ». Mais cette ouverture relève d’une autre assignation à résidence. L’étude de cas est conservatrice d’un fond. La collection des aliénistes est un cabinet de curiosité qui expose, lève le voile sur un savoir perdu, inaccessible, d’une rareté qui aiguise l’appétit et convoque le voyeurisme. Une muséographie qui force la présentation de soi[36] d’êtres en « désêtre ».

Déposer un objet dans un musée ajoute une intentionnalité ultime, dernier élément de la chaîne, mettant un point d’arrêt à d’autres accroissements, terminant par la même la vie artistique de l’objet sauf à se l’approprier au point de le pérenniser. « S’approprier un objet, c’est le rendre sacré et redoutable pour tout autre que soi, le rendre participant à soi.[37] » L’Art brut est une aporie, un mysticisme, une religiosité, une relique, une icône comme autant de traces du sacré. Posséder ou être possédé, il est porteur d’une folie par procuration qui rassure son public qui se veut sain (saint) d’esprit. L’esthétique du Moyen-âge, ce beau moyenâgeux, s’accommodait bien de l’immonde, cet in-monde de l’enfer des cathédrales et du grotesque.

L’artiste brut est dans le faire et la répétition du geste d’un art guérisseur, son ex-voto, habité qu’il est par son angoisse de séparation, la dimension anale d’une fixation prégénitale. Le collectionneur projette son sentiment de culpabilité, la met hors sujet, problématique œdipienne entre oralité et phallicité. Chacun son gain. Art de bric et de broc, ars sans tekhnè, arte povera abandonné à son sort, il préfigure, inaugure et inspire l’art contemporain. Un art à l’heure de la reproductibilité en quête d’aura, du Palais du facteur Cheval à la Demeure du Chaos, de l’immatériel de Yves Klein à l’obsolescence de Banksy, de la performance au pourrissement du bio art, du matériel à l’immatériel. Une dé-définition de l’art[38] dont les frontières externes sont devenus indécidables de l’esthétisme à l’hyper-esthétisme[39].

Vincent Caplier – Mars 2022 – Institut Français de Psychanalyse©


[1] Affirmant une posture artistique, cette boutade de Jean-Luc Godard est le prolongement de la formule d’André Malraux : « le cinéma est un art ; et par ailleurs, c’est aussi une industrie. »

[2] Paul Klee, La pensée créatrice, 1920.

[3] Jean Dubuffet, L’Art brut préféré aux arts culturels, 1949.

[4] Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, 1961.

[5] Auguste Marie, Le musée de la Folie, 1905.

[6] Comme possibilité de s’identifier intuitivement à autrui, niveau de sensation primaire et fondamental avant toute expression ou compréhension (Edmund Husserl, Degrés de l’Einfühlung, autour de 1910)

[7] Otto Rank, L’art et l’artiste, 1932. « […] le besoin individuel de créer n’est en aucune sorte l’apanage de l’artiste ; d’autre part, également, les canons du style, issus de la conscience collective, ne peuvent aucunement être regardés comme l’essence véritable de la création artistique ; le facteur individuel représente surtout la puissance motrice tandis que l’élément collectif fournit les formes propres à son activité et à son expression, compte tenu des circonstances. »

[8] Hans Prinzhorn, Expressions de la folie, 1922.

[9] Paul Klee, Ibid.

[10] André Breton, L’art des fous, la clé des champs, 1953.

[11] Le sous titre complet d’Expressions de la folie (1922) est « Les œuvres plastiques des malades mentaux. Contribution à la psychologie et à la psychopathologie de la mise en forme ».

[12] « La théorie des pulsions est pour ainsi dire notre mythologie. Les pulsions sont des êtres mythiques, grandioses dans leur indétermination. » Sigmund Freud, Nouvelle suite des leçons d’introduction à la psychanalyse, 1932.

[13] « En dernière analyse nous aussi (comme Husserl), nous ne cherchons pas les explications psychologiques mais une intuition d’essence », Hanz Prinzhorn, Ibid.

[14] Lou Andréa Salomé lui recommanda pourtant la lecture de son livre et Freud assistera même à une de ses conférences.

[15] Marcel Réja est le pseudonyme de Paul Meunier, Docteur en médecine, psychiatre et poète symboliste qui fût l’un des premiers découvreurs de l’art brut.

[16] Marcel Réja, L’Art chez les fous. Le dessin, la prose, la poésie, 1907.

[17] Lucien Bonnafé, Désaliéner ? Folie(s) et société(s), 1992.

[18] Jean -Pierre Klein, Penser l’art-thérapie, 2012.

[19] Henri Maldiney, La peinture au-devant de soi, revue Art et Thérapie 50/51, 1994.

[20] François Cheng, Vide et Plein. Le langage pictural chinois, 1979.

[21] Georg Groddeck, La maladie, l’art et le symbole, 1922.

[22] Gaza Roheim, Magie et Schizophrénie, 1969.

[23] Sigmund Freud, Pour introduire le narcissisme, 1914.

[24] La notion de sublimation en permanent remaniement est un exemple frappant de la théorie psychanalytique au travail.

[25] Sophie de Mijolla-Mellor, Les destins du pulsionnel, in Psychanalyse (coll.), 1996

[26] Jean Laplanche, Problématiques III, la sublimation, 1975.

[27] Paul-Laurent Assoun, Que sais-je ? Le fétichisme, 2006.

[28] Novalis, en quête de « la grande idée qui changera tout », cherche à « poétiser la science » et « romantiser le monde ». Il fait de l’imagination la clé de voûte de l’idéalisme magique qui permet, en unissant le concept et la métaphore, de tenir ensemble le moi et le monde, l’idéal et le réel.

[29] Sigmund Freud, Sur la genèse du fétichisme, 1909.

[30] Sigmund Freud, Le refoulement, 1915.

[31] Sigmund Freud, Ibid.,1909.

[32] Alfred Gell, L’art et ses agents, une théorie anthropologique, 1998.

[33] Alfred Gell n’évoque pas directement les arts bruts son problème étant avant tout anthropologique.

[34] Erving Goffman définit la notion d’institution totale comme « un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées » (Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, 1979). Prisons, asiles, couvents, internats, orphelinats… peuvent être considérés comme des institutions totales à rapprocher des institutions disciplinaires de Michel Foucault.

[35] Jean-Pierre Klein, Ibid.

[36] Erving Goffman (La présentation de soi, 1973) envisage la vie sociale comme une scène où les acteurs en représentation construisent une définition commune de la situation où une fausse note est une rupture produisant une représentation contradictoire, une remise en question de la réalité commune, causant un malaise général.

[37] Henri Lefèbvre et Norbert Guterman, La Conscience mystifiée,1936.

[38] Harold Rosenberg, Dé-définition de l’art, 1972.

[39] Yves Michaud, l’Art c’est bien fini, 2021.

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L’aveu sensible : La Noyée

John William Waterhouse – Ophelia, 1894, Collection particulière

Postface Nicolas Koreicho

La Noyée

Tu t’en vas à la dérive
Sur la rivière du souvenir
Et moi, courant sur la rive,
Je te crie de revenir
Mais, lentement, tu t’éloignes
Et dans ma course éperdue,
Peu à peu, je te regagne
Un peu du terrain perdu.

De temps en temps, tu t’enfonces
Dans le liquide mouvant
Ou bien, frôlant quelques ronces,
Tu hésites et tu m’attends
En te cachant la figure
Dans ta robe retroussée,
De peur que ne te défigurent
Et la honte et les regrets.

Tu n’es plus qu’une pauvre épave,
Chienne crevée au fil de l’eau
Mais je reste ton esclave
Et plonge dans le ruisseau
Quand le souvenir s’arrête
Et l’océan de l’oubli,
Brisant nos cœurs et nos têtes,
A jamais, nous réunit.

Lucien Ginsburg alias Serge Gainsbourg

Postface

Les tergiversations brutales que provoque la séparation, forme, dans la question du narcissisme et de sa constitution pouvant représenter un abandon, sont ici exprimées selon la métaphore, mortifère et puissante, d’un processus, celui de l’acceptation d’une certaine solitude, avec comme ostinato anxieux la difficulté de tourner la page, « la rivière du souvenir » n’ayant pas d’emblée quelque chose d’inéluctable (ce n’est pas la rivière de l’oubli), mais néanmoins toujours emprunte de l’espoir farouche – « Je te crie de revenir » – du retour de l’être aimé.

S’en suivent les épisodes, anaphores sous-jacentes de la présence de l’amour perdu, des images – « ta robe retroussée » – physiques de ce qui, jadis, eut lieu entre les corps, et des images – « la honte et les regrets » – mentales de ce qui pourra déjà commencer à consoler l’amoureux délaissé en imaginant son amour ne pas le désaimer tout-à-fait.

Ce message espéré et éperdu à la fois, indissociable de ce processus de deuil, inhérent à toute séparation, passe de tergiversations brutales à des constructions vitales, secondaires, et représente bien une forme nouvelle, idéalisée, d’union, transformée par épisodes en putative et spirituelle, si ce n’est mentale, réunion d’au-delà de la mort, sublimée sous  une chanson durable à coup sûr, elle.

Nicolas Koreicho – Mars 2022 – Institut Français de Psychanalyse©

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Personnalité-Pathologie-État limite

Nicolas Koreicho – Février 2022

Emile Friant – L’Entrée des clowns, 1881. Collection privée

« Je n’ai jamais trompé personne. J’ai laissé les gens se tromper. Ils n’ont pas pris la peine de savoir qui et ce que j’étais. Au lieu de cela, ils inventeraient un personnage pour moi. Je ne discuterais pas avec eux. Ils aimaient manifestement quelqu’un que je n’étais pas. »
Marilyn Monroe

« Quelle que soit la chose qu’on veut dire, il n’y a qu’un mot pour l’exprimer, qu’un verbe pour l’animer et qu’un adjectif pour la qualifier. Il faut donc chercher jusqu’à ce qu’on les ait découverts, ce nom, ce verbe, cet adjectif, et ne jamais se contenter de l’à-peu-près, ne jamais avoir recours, pour éviter la difficulté, à des supercheries, à des clowneries de langage. »
Guy de Maupassant

« La distanciation au théâtre (Verfremdungseffekt) est un effet qui est utilisé pour enlever, chez le spectateur, l’illusion du théâtre, afin qu’il réfléchisse au vrai sujet de la représentation. Le but recherché est de déclencher, chez le spectateur, la réflexion sur le thème représenté. C’est par la distanciation, qui montre des scènes insolites et en rupture avec l’action, que le spectateur est incité à ne pas accepter le sujet sans réflexion. »
Bertolt Brecht, Gesammelte Werke, vol 15.

L’intérêt principal du concept de Limite consiste en la remise en cause définitive de la notion de structure. L’intitulé de la notion est lui-même, compte tenu de la multiplicité des points de vue sur elle, instable, multiple, « limite ». Nous avons, grâce à ce qui représente une espèce de trou noir de la psychopathologie la preuve ultime que la structure en psychanalyse et dans l’ensemble des nosologies psychiatriques n’existe pas[1].

Les questions que l’on se pose par rapport à un concept problématique, soit fourre-tout, soit échappant aux nosographies classiques peuvent être :
– Le concept situe l’état limite entre névrose et psychose ? Est-ce une prépsychose ? Une psychose blanche ? Une pseudo-psychose ? Une pseudo-névrose ? Ou encore une schizonévrose ?
– Le diagnostic différentiel peut-il éclairer la nature de l’état limite ?
– De quelle manière l’étiologie du trouble peut-il donner un environnement causal à son développement : abus, carences affectives, séparations (période préœdipienne, narcissisme primaire) ?
– Sur quoi repose l’idée de la morbidité du trouble (en France, 2% de la population : 130 000 personnes) ?

Les lieux communs de la personnalité limite sont : hyperémotivité, hypersensibilité, insécurité, imprévisibilité, no-limit (actes, propos), idéalisation-dévalorisation de l’autre, instabilité personnelle, professionnelle, relationnelle (relations amicales, amoureuses), peur de la solitude, comportements à risque (suicide, mutilation, toxiques, sexualités), dépendance, difficultés avec la loi (positive : loi des hommes – symbolique : naturelle), peu d’interdits, peu d’inhibition.

Les psychiatres, puis les psychanalystes, s’interrogent sur le spectre des états limites depuis le 19e siècle avec de multiples tentatives nosographiques. Chez les psychiatres, on dénombre une quarantaine de termes qui rattachent les états limites aux psychoses, chez les psychanalystes, on tente une quinzaine de termes qui associent les états limites à une organisation, un aménagement, un fonctionnement, un sujet, pré- ou pseudo- psychotique.

Le trouble limite (borderline) pour le diagnostic des troubles psychiatriques (DSM 5), liste les caractéristiques générales mises d’abord en évidence par la psychanalyse :
– le mode relationnel anaclitique : besoin d’étayage qui implique de ne pouvoir se sentir exister indépendamment de l’autre
– l’agressivité
– le trouble de l’identité : instabilité de l’image de soi et tendance à la dépression liée au sentiment d’abandon (Grinker, 1968).

Ici lon retrouve le déjà ancien syndrome d’abandon (1950 Charles Odier, Germaine Guex), repris ensuite par Laplanche et Pontalis dans leur Vocabulaire de la psychanalyse (1967).
La personne dite « abandonnique » serait dans une demande constante d’attention susceptible de combler un manque ancien (une séparation, disons-le d’emblée, objective ou subjective), mais en même temps elle serait dans l’impossibilité de le dépasser, recréant alors les situations de rejet, tout en souffrant de ne pouvoir voir reconnue par l’autre cette perpétuelle supposée insuffisance.
Bergeret distingue conceptuellement l’angoisse d’abandon de l’angoisse de morcellement et de l’angoisse de castration. Selon lui, l’angoisse d’abandon est spécifique des personnalités limites. L’attachement (au sens de John Bowlby : L’Attachement, 1974) n’est jamais sûr : le sentiment d’insécurité qui en découle est permanent.
Cependant, en deçà, on peut retrouver la vieille problématique de Freud, c’est-à-dire l’angoisse de séparation, autrement formulée angoisse de perte d’objet ou angoisse d’abandon. Selon lui, le nourrisson n’est pas en mesure de faire la différence entre absence temporaire ou perte durable de l’objet. René Spitz a été l’un des premiers à théoriser ce type d’angoisse, à partir de l’observation d’enfants ayant été séparés précocement de leur mère et qui développaient une dépression anaclitique (Conférence du 3 juillet 1948 : La perte de la mère par le nourrisson).
On peut faire le lien entre l’angoisse du nourrisson séparé, plus ou moins objectivement, et l’enfant mal aimé, donc, séparé affectivement, subjectivement du parent distant, négligent, maltraitant, physiquement ou psychologiquement. Cette notion est à la fois plus difficile à intégrer pour l’enfant, qui, tant mieux pour lui dans une certaine mesure, développe des contre-feux très puissants, hélas à son corps défendant, et, par suite, plus complexe à dépasser pour l’analysant, qui doit trier ce qu’il en est de l’ordre de la réaction de ce qui le constitue(ra) en propre.
Les contributions théoriques majeures de Freud sur ce thème de l’angoisse de séparation sont contenues dans deux publications : Deuil et mélancolie et Inhibition, symptôme et angoisse. Dans Deuil et mélancolie (1917), Freud décrit le mécanisme de défense fondamental contre la perte de l’objet, en mettant en évidence l’introjection de l’objet perdu dans une partie clivée du moi, à l’origine au passage de la dépression. Plus tard, dans Inhibition, symptôme et angoisse (1926), il attribue la source de l’angoisse à la peur de la séparation, modifiant radicalement ses vues antérieures sur l’origine de l’angoisse.
Freud a avancé des hypothèses fondamentales sur la dynamique de la cure psychanalytique par rapport à la relation de l’individu face à la séparation et à la perte de l’objet (une personne aimée, séparée ou mal aimante). Pourtant, on ne trouve pas de référence clinique de cette question eu égard au transfert. Ses modèles pour analyser l’angoisse sont inclues dans la vie quotidienne, pas dans la relation transféro-contre-transférentielle : en 1905, c’est l’enfant et la peur du noir (Trois essais sur la théorie sexuelle), en 1920 c’est l’enfant et le jeu de la bobine (Au-delà du principe de plaisir), en 1926 le nourrisson qui craint la perte de la mère (Inhibition, symptôme et angoisse), qui constitueront les modèles de l’étiologie de l’angoisse.

Le DSM établit neuf critères permettant de diagnostiquer en les associant un trouble de la personnalité borderline :

  • Symptôme n°1 : L’instabilité de l’humeur avec une grande réactivité aux stimulations de l’environnement, pouvant conduire à des crises émotionnelles intenses.
  • Symptôme n°2 : Un sentiment récurrent de rage et/ou une difficulté à contrôler sa colère.
  • Symptôme n°3 : Une répétition d’idées et/ou de comportements suicidaires parfois associés à l’automutilation.
  • Symptôme n°4 : Une impulsivité marquée notamment pour ce qui concerne des comportements autodestructeurs, conduites addictives et à risque).
  • Symptôme n°5 : Un sentiment chronique de vide
  • Symptôme n°6 : Une peur de l’abandon qui peut être associée à une fuite des situations considérées comme dangereuses affectivement,
  • Symptôme n°7 : L’instabilité des relations avec une oscillation entre idéalisation et dévalorisation de l’autre.
  • Symptôme n°8 : L’instabilité de l’image de soi : perception de soi fluctuante et changeante, ainsi qu’instabilité des valeurs, projets ou fréquentations personnelles.
  • Symptôme n°9 : La possibilité d’épisodes ponctuels de dissociation : c’est à dire un sentiment d’être détaché de soi et dépersonnalisé, avec une perte de sens du réel, qui peuvent survenir en situation de stress.

Hélas, comme d’habitude avec le DSM, tous les plans sémiologiques sont mélangés et la compréhension du trouble est brouillé (ce n’est pas le problème du DSM dont l’intérêt est de multiplier les éléments symptomatologiques, peut-être pour des questions de développement pharmacologique ou, pire, de facilité conceptuelle). Les dimensions cognitive, affective et relationnelle de l’expérience quotidienne et affective sont bêtement listées, sans logique ni distinction.
Et comme personne, du coup, n’y comprend rien – tout ce que l’on peut observer en ces temps, c’est la croissance asymptotique des états-limites et de la violence sociale (héboïdophrénie généralisée d’une certaine adolescence) –, on considère que le problème principal est la difficulté de gérer émotion, cognition et intellection, – tout, quoi – ceci devenant le leitmotiv improbable de cette constellation, oscillant tour à tour entre névrose, psychose et pathologie narcissique et que l’on peut trouver par exemple dans  :

l’immédiateté de l’agi de la psychopathie,

les conduites à risque des toxicomanies et des perversions,

la dépression, le comportement suicidaire de certains troubles de l’humeur et des névroses,

les troubles de l’identité des psychoses, particulièrement de la schizophrénie,
l’angoisse d’abandon de la névrose du même nom,

l’idéation persécutoire des psychoses, singulièrement de la paranoïa.

Le diagnostic différentiel le plus probant de ce qu’on ne peut définir à coup sûr ni par personnalité ni par pathologie ni par trouble ni par organisation et, bien évidemment ni par structure, mais peut-être plutôt par état est certainement la psychose maniaco-dépressive (Kraepelin) – devenue bipolarité (afin de correspondre aux modalités de remboursement des assurances sociales des États-Unis !) –, ce qui confirme l’impossible application de la notion de structure à ces multiples états nommés pré- ou pseudo- en psychiatrie, et de ces autres états intitulés as if, faux-self, symbiotique, fonctionnement, cas, organisation limite en psychanalyse. Ainsi, l’identité est perturbée, clivée parfois, l’alternance de phases dépressives et de phases maniaques est aiguë, la dévalorisation et l’idéalisation de soi et de l’autre est prononcée. L’instabilité s’adjoint de formes de stabilité (langagière, comportementale, relationnelle) paradoxales et inadéquates.

Synthèse psychopathologique de l’état limite :

– Déficience, défaillance narcissique. La constitution du moi est précaire : trop d’attention ou pas assez ou oscillation des deux. A contrario, l’affect correctement dispensé donne des limites, un cadre, une sécurité. Ici, il n’y a pas eu d’objet transitionnel constitué.

– Hyper investissement de l’objet, de l’autre, dans la mesure où il est censé réparer les carences affectives. Peur de la solitude, angoisse d’abandon, de séparation. La capacité à être seul ne s’est pas formée. Le transfert n’est pas élucidé.

– Pas de limite, pas de loi, l’instinct de conservation est au premier plan, quel qu’en soit le coût, puisqu’il n’est pas de repère limité par l’Œdipe. Toutes les transgressions sont à l’œuvre en puissance.

Nicolas Koreicho – Février 2022 – Institut Français de Psychanalyse©


[1] Cf. Cette notion est, dans les sciences du psychique, la résultante erronée des développements d’un mouvement d’idées, le structuralisme, suivant en cela la filiation du positivisme et à la suite de l’existentialisme (Sartre), en vogue dans les années 60 d’abord en linguistique (Saussure), précisément en phonologie, puis dans les sciences sociales, en anthropologie (Lévi-Strauss), en critique littéraire (Barthes), en philosophie (Althusser), et rejetant la pensée diachronique, historique, temporelle, au profit d’une dimension synchronique, constructiviste, temporaire.
Peu d’auteurs (Piaget, en psychologie ; Petitot, en épistémologie) ont replacé le structuralisme dans le contexte plus large de l’histoire des idées. Il a été appliqué aux phénomènes psychiques une grille structurante qui n’a fonctionné que pour les discours univoques, formels, descriptibles.

Lacan, qui n’était pas à une provocation près, a même tenté l’assertif prétentieux « l’inconscient est structuré comme un langage », alors que c’est l’interprétation de l’inconscient qui peut, sous certaines conditions, être structurée. Pour Freud, plus modeste – plus prudent – et plus scientifique, l’inconscient fonctionne comme un texte.

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« Résultats, idées, problèmes » : II Au-delà du principe de la névrose

Vincent Caplier – Février 2022

Norman Bates dans Psychose d’Alfred Hitchcock (1960)

« Il se peut que la spatialité soit la projection de l’extension de l’appareil psychique. Aucune autre dérivation vraisemblable. Au lieu des conditions a priori de l’appareil psychique selon Kant. Psyché est étendue, n’en sait rien. »

Sigmund Freud – Résultats, idées, problèmes – 22. VIII. (1938)

Il existe, en psychanalyse, deux discours théoriques fondamentalement différents sur la psychose. Bien que tous deux fondés sur les écrits de Freud, ils s’appuient sur deux temps de sa pensée, deux interprétations métapsychologiques. Deux visions en apparence opposées, la première inscrivant la psychose dans la continuité de la névrose alors que la seconde insiste sur la condition aliénée du patient et de son emprisonnement dans un état de régression. Entre correspondances, oppositions et complémentarité, ce sont néanmoins des axes de référence majeurs qui orientent ce tableau des structures. Avec l’introduction du narcissisme, c’est une nosographie en deux topiques et trois mouvements qui se dessine.

Pour une psychopathologie psychanalytique

En élaborant sa théorie de l’hystérie, Freud découvre une structure fondamentale de la causalité psychique. « Une théorie du corps étranger interne », « un traumatisme en deux temps » jamais désavoué.
Freud amorce la spirale des cycles de son œuvre par quelques notes (Manuscrit A, Lettres à Wilhelm Fliess, 18 décembre 1892) rythmées de trois intitulés, Problèmes, propositions, séries, marque de fabrique que l’on retrouve dans le titre Résultats, idées, problèmes regroupant ses aphorismes de 1938.
Il débute naturellement, et en apparence à rebours, par des questionnements (problèmes) pour avancer quelques propositions (idées) dans une tentative d’organisation, de regroupement d’une série de facteurs étiologiques.
Freud part de la théorie de clivage de conscience de Janet[1] reposant sur une faiblesse innée de la capacité de synthèse psychique et l’étend à des formes secondaires, acquises, conséquences « d’un acte de volonté du malade »[2]. Il met en évidence « une disposition qui n’est pas nécessairement identique à une ”dégénérescence” personnelle ou héréditaire »[3].
Le sujet cherchant à se débarrasser d’un contenu psychique intolérable, crée en lui des « groupes psychiques séparés » ou plutôt une « séparation de la représentation d’avec son affect et fausse connexion de ce dernier »[4]. Nul ne pouvant décider en conscience de se dissocier, il signe l’acte de naissance de l’inconscient.
Freud reste néanmoins prudent et ne revendique pas une théorie toute puissante propre à expliquer le tout sans discrimination. Le sous-titre de l’article de 1894 (Les névropsychoses de défense[5]) fait montre de cette prudence décrivant un « essai d’une théorie psychanalytique de l’hystérie acquise, de nombreuses phobies et représentations de contraintes et de certaines psychoses hallucinatoires » constituant un champ d’investigation aboutissant très logiquement à l’axe de référence de la psychopathologie psychanalytique.

Psychonévroses et destin des névropsychoses

Articulant des abstractions logiques à la psychopathologie, il soutient avant tout une théorie mettant en jeu un mécanisme, une médiation psychologique, une psychodynamique de l’étiologie, et rompt ainsi avec la taxinomie et la nosographie de ses prédécesseurs.
Le terme de psychonévroses en juxtaposant, au point de les regrouper, deux grands types de troubles mentaux alors bien connus n’est pas sans ambiguïté. Son usage par Freud met l’accent sur la psychogenèse des affections connotées. En partie, névroses et psychoses partagent un mécanisme commun de défense.  Il oppose néanmoins aux psychonévroses les névroses actuelles, aux symptômes somatiques prédominants, et écarte les troubles hallucinatoires aigus, définissant ainsi le hors champ marqué par un manque d’accès aux élaborations symboliques.
Lorsque Freud met en évidence le conflit défensif au sein du symptôme névrotique, il montre qu’il est également à l’œuvre dans certaines psychoses mobilisant délires et hallucinations pour se défendre contre une représentation insupportable. En retour, le recours à l’idée de la perte de réalité ne peut s’envisager dans les psychoses de façon massive et sans discrimination[6].
Si on effectue une lecture des textes de Freud à la lumière de ses derniers travaux, on note dans la plupart de ses cas cliniques la juxtaposition de mécanismes relevant de la névrose et de la psychose. Sans être central, le souci est présent d’apporter une définition cohérente et structurale de la psychose (ou de ce qu’elle n’est pas) et à l’origine de l’opposition névrose-psychose. La psychanalyse ne s’est pas donné d’emblée pour tâche d’élaborer une classification de l’ensemble des maladies mentales mais de porter une attention particulière aux affections directement accessibles à l’investigation analytique.
C’est la transformation comme phénomène à l’œuvre au sein des processus pathologiques et de guérison qui est au cœur de sa conception de la psychopathologie. Une démarche qui l’amènera à discriminer parmi les névroses celles qui sont aptes à subir ce mode de transformation. De façon constante, la psychanalyse limite ainsi sa visée à ce point de vue et reconnaît à la psychiatrie sa spécificité dans ses différents champs, notamment biologiques et sociaux.
Partant du principe de constance, véritable homéostasie de la libido, Freud préfigure la deuxième topique avec un schéma sexuel[7] qui conceptualise déjà les points de vue dynamique, économique, topique (qui reste à consolider) de la métapsychologie. Un modèle de double limite[8] inscrivant une ligne verticale, frontière du moi entre dedans et dehors, et une ligne horizontale, limite somatique-psychique. C’est à partir de cette carte de lecture, ce plan directeur, que Freud avance avec beaucoup de prudence et élabore méticuleusement une logique binaire, organisée autour de pôles avec lesquels il opère des combinaisons et des permutations.
Si Freud s’interroge sur les mécanismes de refoulement particuliers qui caractérisent les psychonévroses, il lui « semble même à propos de soumettre à l’investigation les mécanismes de la formation de substitut et de symptôme avant ceux du refoulement »[9].

La tentation de la caractérologie

Même si « on ne saurait tout apprendre ni tout résoudre par un seul cas », ce souhait d’une caractérologie est sensiblement perceptible dans ses cinq psychanalyses : Dora l’hystérique, Hans le petit phobique, l’obsessionnel Homme aux rats, Schreber le Président paranoïaque et le singulier Homme aux loups qui, selon les propres termes de Freud, « pourrait fournir l’occasion de mêler à la discussion tous les résultats et tous les problèmes de la psychanalyse »[10].
Lorsque Freud s’interroge sur « quelles modifications des conditions sont déterminantes pour que se déclare une affection névrotique »[11] Il s’aperçoit qu’aucun des quatre types d’entrées ne se réalise dans sa pureté. La frustration, circonstance la plus évidente, côtoie naturellement l’incapacité à s’adapter à l’exigence de la réalité. L’inhibition de développement coïncide avec la rigidité des fixations, l’importance de la quantité de libido ne devant jamais être négligée.
L’importance de ce quantum d’affect tient à deux propositions fondamentales : la disposition névrotique relève d’une ontogenèse et il n’existe pas de différence entre les conditions de la santé et celles de la névrose. À « une certaine période de la vie, et en relation avec des processus biologiques, la quantité de libido […] suffit à bouleverser l’équilibre »[12].
Finalement, la psychanalyse nous exhorte « à abandonner l’opposition stérile entre facteurs externes et internes, entre destin et constitution » et nous enseigne « à trouver régulièrement la causation de l’entrée dans la névrose dans une situation psychique déterminée qui peut être instaurée par des voies différentes »[13].
Depuis Les trois essais sur la théorie de la sexualité (1905), Freud attribue une contribution essentielle à l’excitation sexuelle aux zones érogènes. « Mais les quantités d’excitation depuis ces endroits ne connaissent ni toutes ni à chaque époque de la vie le même destin »[14].
Fromm résume bien la base de la caractérologie freudienne qui « est de considérer certains traits de caractère comme des sublimations ou des réactions de certaines pulsions sexuelles (dans le sens élargi comme Freud le fait) ou comme la prolongation de leur fixation sur certains objets développée dans l’enfance »[15].
Quand Freud apporte une nouvelle « contribution au problème du choix de la névrose »[16], il a cette étrange expression que les raisons qui président à ce choix relèvent, sans exception, de « causes constitutionnelles, que l’être humain apporte avec lui en naissant ». Ce faisant, il éloigne l’origine de ces dispositions à un stade antérieur, un point de fixation à la frontière de l’inné et de l’acquis, à un stade de développement des fonctions psychiques ; fonctions sexuelles d’une part mais également diverses fonctions, plus précoces, du moi[17].
Il fait alors correspondre la sériation des formes principales des psychonévroses à la suite chronologique d’irruption de ces affections dans la vie.

Le moi n’est plus maître dans sa maison

Dans le cas des névroses de transfert (hystéries et névrose obsessionnelle), la formation des symptômes a lieu très tôt dans les phases les plus proches du développement de la libido, au plus proche du point de fixation.
Quant aux paraphrénies[18], leurs formes de développement morbide apparaissent les dernières et remontent aux inhibitions et aux fixations les plus anciennes. La fixation prédisposante doit donc être recherchée dans un stade de développement antérieur à la production d’un choix d’objet, dans la phase de l’auto-érotisme et du narcissisme, stade que Freud a mis en évidence avec le cas Schreber[19].
Mais, comme pour les névroses narcissiques, le primat des zones génitales n’est pas encore instauré pour les névroses obsessionnelles. Si pour les premières le choix d’objet est déjà effectué mais coïncide encore avec le moi, dans les secondes les pulsions partielles qui dominent dans cette organisation prégénitale sont plutôt d’ordre érotico-anales et sadiques.
Si ce stade s’avère avant-coureur de la phase génitale, il peut également en prendre la suite et le relais. « Ce qui est propre au mécanisme de la névrose, l’insuccès du refoulement et le retour du refoulé, fait défaut. Dans la formation de celui-ci ou bien le refoulement n’entre pas en action, ou bien il atteint sans encombre son but qui est de substituer au refoulé des formations réactionnelles et des sublimations »[20].
La formation de substitut coïncide bien avec le mécanisme de refoulement qui consiste à un retrait de la libido, une liquidation de l’affect, mais « se sépare, aussi bien chronologiquement que conceptuellement, de la formation de symptôme »[21].
La situation de départ de la névrose obsessionnelle s’apparente à celle de l’hystérie. Le moteur de la défense est « le complexe de castration, le défendu étant constitué par les diverses tendances du complexe d’Œdipe »[22]. C’est le processus habituel de résolution de l’Œdipe qui « dépasse le processus normal » : une intensification de la conscience scrupuleuse (modification du moi qui ne saurait s’apparenter à un symptôme) comme formation de substitut. L’organisation génitale de la phase phallique régresse alors partiellement ou totalement « au premier stade sadique anal. Ce fait de régression demeure décisif pour tout ce qui se passe ensuite ».
Le travail d’organisation génitale, interrompu durant l’enfance, reprend avec une plus grande force et les motions agressives réactivées. La dégradation régressive de la libido apporte dans son sillage de nouvelles motions libidinales sous la forme d’intentions agressives et destructrices. Le Surmoi devenu hyper sévère persiste d’autant plus énergiquement sur sa propre voie. Le conflit s’aggrave dans les deux directions.
Freud dégage une spécificité étiopathogénique qui lui fera sans doute dire que « La névrose obsessionnelle est, à n’en pas douter, l’objet le plus intéressant et le plus fécond de la recherche analytique ». C’est un déplacement de l’affect sur les représentations plus ou moins distantes du conflit originel qui s’opère, sur fond d’ambivalence et d’une relation sadomasochiste cruelle entre le Moi et le Surmoi.

L’introduction du narcissisme

Finalement Freud intercale plus qu’un stade psychosexuel mais une structure, avec l’aide de la seconde topique, là où la première n’offrait qu’une relative monotonie des solutions pour résoudre la quête constante d’une homéostasie idéale. Malgré l’insistance d’une dimension quantitative, la quantité ne s’entend pas au sens hégélien de négation de la qualité. Il s’y ajoute une réflexion constante sur la nature des mécanismes en jeu dans les différentes pathologies psychiques.
La coexistence des différents niveaux d’explication tient à la définition même de la pulsion comme concept frontière entre le somatique et le psychique. Elle n’a de place dans la vie psychique proprement dite que par l’intermédiaire des représentations où elle se délègue.
L’introduction du narcissisme est « un progrès théorique des plus importants » par « l’application de la doctrine de la libido au moi refoulant ». Il devient possible, à partir de cette représentation, de « procéder au partage clinique des psychonévroses en névroses de transfert et affections narcissiques »[23].
Dans les névroses de transfert, une quantité de libido est rendue disponible au transfert sur des objets étrangers qui sont mis à la contribution du traitement analytique. Les troubles narcissiques (démence précoce, paranoïa, mélancolie) sont caractérisés par le fait que la libido se retire des objets. Une insuffisance thérapeutique qui n’empêche pas l’analyse de fournir une compréhension approfondie des psychoses.
Si le processus pathogène dans la démence réside dans le retrait de la libido et sa colonisation du Moi, reste que nous parviennent les phénomènes morbides bruyants « du vain effort de la libido pour trouver le chemin qui ramène aux objets ».
Freud va même plus loin en avançant qu’aussi peu que santé et névrose, névrose et psychose ne sont pas séparés par une démarcation tranchée et qu’il est tentant, « pour expliquer les phénomènes psychotiques si énigmatiques, de recourir aux vues que l’on avait acquises avec les névroses jusqu’alors tout aussi opaques »[24]. Il considère néanmoins une différence de perception du monde réel dans les deux affections. Et alors que d’un côté il y a conflit entre pulsions sexuelles et pulsions du Moi, entre le Ça et le Moi, de l’autre c’est un conflit entre libido objectale et libido du moi, entre le Surmoi et le Moi.

De la perte de la réalité

« La névrose ne dénie pas la réalité, elle veut seulement ne rien savoir d’elle, la psychose la dénie et cherche à la remplacer »[25]. Une distinction qui tient aux deux temps dans les modes d’entrée dans la névrose et la psychose.
Dans la névrose, la perte de réalité est l’évitement sur le mode de la fuite d’un fragment significatif de la réalité. Après formation d’un compromis, c’est le retour de ce fragment refoulé qui provoque l’angoisse.
Dans la psychose, le premier temps coupe le moi de la réalité au moyen du déni, un refus de la percevoir. Le second crée une nouvelle réalité, un délire ou une hallucination, pour réparer les dégâts et compenser la perte occasionnée. L’angoisse provient alors du retour de ce qui a été décrié.
Finalement, les deux cas sont destinés à remplacer la réalité insoutenable et à la rétablir sous deux modes distincts. Ils puisent tous deux dans le magasin du monde fantasmatique. Le patient névrosé n’est pas totalement coupé de la réalité et fait la différence entre réalité et fantasmes. Il prête à son nouveau monde fantasmatique un sens symbolique et l’utilise comme un enfant joue. Le psychotique délire et hallucine d’effroi devant La tête de Méduse ; « effroi de la castration », rigidité du sujet, « car devenir rigide signifie érection, donc, dans la situation originelle, consolation apportée au spectateur. Il a encore un pénis, il s’en assure en devenant lui-même rigide »[26]. Le névrosé permet d’interpréter, d’analyser, de comprendre le mécanisme à l’œuvre, le psychotique donne à voir l’extrême.

De la négation (Verneinung) au déni (Verleugnung)

La négation est la manière de prendre connaissance de l’inconscient, ce qui ne veut pas dire acceptation du refoulé. Il faut distinguer la fonction intellectuelle du jugement du processus affectif. Lorsque le patient nie quelque chose dans le jugement, il marque ce qui est refoulé, il en trace l’origine, la signe.
Par la capacité de jugement il se prononce sur ce qui est et n’est pas, ce qui doit être en moi ou hors de moi, sur le bon et le mauvais qui ressort du ressenti du moi-plaisir. Il juge également de ce qui est ressorti de l’épreuve de réalité, une porte sur l’existence réelle d’une chose représentée. « Le non réel, le simplement représenté, le subjectif, n’est que dedans ; l’autre, le réel, est présent au-dehors aussi »[27].
Le jugement constitue, pour Freud, l’action intellectuelle qui va décider du choix de l’action motrice, c’est-à-dire le facteur déterminant qui du « penser fait passer à l’agir ». La polarité inclusion dans le moi – expulsion hors du moi est reliée au conflit pulsions de vie – pulsions de mort. « Mais l’opération de la fonction de jugement n’est rendue possible que par la création du symbole de négation » permettant « un premier degré d’indépendance à l’égard de la contrainte du principe de plaisir ». Le négativisme des psychotiques, plaisir généralisé de la négation, « doit être vraisemblablement compris comme indice de la démixtion des pulsions par retrait des composantes libidinales ».
Freud fait du déni, refus de la perception d’une réalité intolérable, une défense aboutissant à un clivage du moi, et du fétichisme, qui dénie la perception de la castration, son prototype. Le fétiche a pour visée de protéger de l’angoisse face à la perception menaçante du manque de pénis chez la femme, cette attitude contradictoire du « oui… mais » entre déni de la perception et reconnaissance de ce manque.
Joyce Mc Dougall ira jusqu’à récuser le terme de pervers pour ces sujets qu’on ne pourrait réduire à leurs actes ou à leur manière peu courante de faire l’amour. Alors qu’elle qualifie de « normopathes » les suradaptés à la réalité externe, elle plaide pour une « certaine anormalité » et en faveur de « celui qui a créé une perversion [et] a réussi en quelque sorte à réinventer la sexualité humaine ; à travers le changement de buts et d’objets, il construit une nouvelle scène primitive »[28].

Du clivage comme fin en soi

Dans ses ultimes développements aux notions de déni et de clivage du moi, Freud en vient finalement à considérer une polarité qui s’impose au Moi juvénile. Alors qu’il peut se trouver confronté à des exigences contradictoires, celui-ci répond alors par deux réactions opposées. Il refuse la réalité et ne se laisse rien interdire. Dans le même temps, il reconnaît le danger provenant de la réalité et assume l’angoisse sous forme de symptôme. Un procédé habile, une ruse, mais « le succès a été atteint au prix d’une déchirure dans le moi, déchirure qui ne guérira jamais plus, mais grandira avec le temps. Les deux réactions au conflit, réactions opposées, se maintiennent comme noyaux d’un clivage du moi »[29].
Freud en conclut que la normalité ou les pathologies psychiques sont la résultante d’un équilibre des forces entre deux attitudes opposées et indépendantes l’une de l’autre, l’une acceptant la réalité, l’autre la rejetant. Le déni de la réalité et le clivage du moi seraient donc des défenses caractéristiques des psychoses et des perversions mais également… des névroses. De cette juxtaposition résulte une prédominance qui serait avant tout une question de proportion.
La différenciation relèverait plus d’une terminologie rencontrée chez Freud comme un assemblage de corps subtils autorisant de rapprocher le refoulement ordinaire (Verdrängung), le fait d’écarter, de décliner (Ablehnen), la dénégation (Verleugnung), action de dénier (Verleugnen) et le rejet (Verwerfung) comme acte plus radical de supprimer, d’abolir (Aufheben). Autant d’expressions renvoyant à une homogénéité quantitativement exprimable.
La proclamation d’une simple continuité affirmerait une relation d’identité entre le normal et le pathologique. Rappelons qu’il s’agit là d’un postulat de la psychanalyse depuis « Psychopathologie de la vie quotidienne » (1901). Seulement Freud nous donne deux définitions métapsychologiques de la normalité. Une normalité idéale (une hypernormalité ?) qui consisterait en « une destruction et une suppression du complexe d’Œdipe »[30] et une normalité transgressive selon laquelle « nous appelons normal ou ”sain” un comportement qui réunit certains traits des deux réactions, qui comme la névrose, ne dénie pas la réalité mais s’efforce ensuite, comme la psychose de la modifier. Ce comportement conforme au but, normal, conduit évidemment à effectuer un travail extérieur sur le monde extérieur, et ne se contente pas comme la psychose de produire des modifications intérieures. Il n’est plus autoplastique, mais alloplastique »[31].
La psychanalyse serait profondément bicéphale. Une différence qualitative, structurelle et topique s’imposerait en retour. La condition essentielle de la névrose serait du fait que « le développement du moi se laisse distancer par le développement libidinal ». Pour la psychose, « les états pathologiques du Moi, ceux où il se rapproche à nouveau le plus du Ça, se fondent sur la cessation ou le relâchement des rapports extérieurs ». Cependant Freud considère que le détachement total de la réalité « se produit rarement, peut-être même jamais »[32].

Finalement, même si Freud n’est jamais resté tributaire des cadres nosographiques ou descriptifs pour aborder les problématiques privilégiées des catégories des désirs et des structures fondamentales du psychique[33], c’est par une porte dérobée qu’ils font leur retour.

Des types libidinaux comme liant

Le besoin de différencier, voire de justifier, les types individués se doit de maintenir la réunion régulière de caractéristiques corporelles et animistes. « Si l’on se contente de s’efforcer d’établir des types purement psychologiques, tout ce qui est en rapport avec la libido revendiquera en premier de servir de fondement à la répartition »[34]
Il importe pour Freud que ces types ne coïncident pas avec des tableaux de maladie mais qu’ils englobent toutes les variantes qui entrent dans la dimension du normal. « Mais ils peuvent bien, dans les formes extrêmes qu’ils revêtent, s’approcher des tableaux de maladie et, de la sorte, combler l’abîme présumé entre le normal et le pathologique ».
Le type érotique représente les revendications pulsionnelles élémentaires du Ça, le prédisposant à l’hystérie, dominé par l’angoisse devant la perte d’amour. Le type par contrainte voit une prédominance du surmoi qui se détache du Moi en cas de tension élevée, une angoisse de conscience morale l’exposant aux troubles obsessionnels. Le type narcissique se caractérise essentiellement par une tension entre le Moi et le Surmoi ; son intérêt principal étant dirigé vers l’autoconservation, on en vient à douter de la présence d’un Surmoi dans les cas les plus extrêmes, faisant de lui un candidat idéal de la psychose.
Dans les faits, sur le terrain de l’expérience ce sont les types mixtes qui prédominent, favorables aux conditions de la névrose, qui donnent à voir la diversité clinique et qui permettent de comprendre des structures psychiques individuelles telles que nous apprenons à les connaître en analyse. Le phénomène tient au fait que des trois utilisations principales de la libido dans l’économie animiste, une ou deux ont été favorisées aux dépens de l’autre. Face à l’effet atténuant de cette juxtaposition les types purs prennent un caractère fort voire radical. Le type érotique par contrainte narcissique signifierait dès lors la norme absolue, l’harmonie idéale.
Dans le délire il n’y aurait finalement que le « mésusage du mécanisme de projection aux fins de La Défense »[35] et, comme le souligne Pierre Fédida, « de même que la psychose ne naît pas dans la seule éclosion d’une folie manifeste, la perversion n’a nul besoin de devenir cruauté sadique, meurtre, viol ou tout autre monstruosité pour être répétée dans l’ordre du discours qu’elle compose »[36].
Ces patients hétérogènes font de l’extension de la lutte un champ de la psychanalyse plus vaste, poussant les murs au sein de ses propres limites. Freud, le boulimique, le littérateur, connaît la dimension poétique de ce travail. Comme le poète, « il a établi la connexion la plus intime entre la solution du délire et le surgissement du besoin d’amour […] il sait qu’une composante de désirance amoureuse et une composante de rébellion se sont conjointes pour faire apparaître le délire ». Qui « entreprend le processus de guérison discerne dans le délire [du sujet] la composante qui lui agrée. Seule cette compréhension peut le déterminer à se consacrer à un traitement ». Traitement qui « consiste à restituer […] de l’extérieur les souvenirs refoulés qu’il ne peut libérer de l’intérieur »[37].

Vincent Caplier – Février 2022 – Institut Français de Psychanalyse©


[1] Pierre Janet, État mental des hystériques, 1893.

[2] Sigmund Freud, Les psychonévroses de défense, 1894.

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Le terme de névropsychoses est la traduction choisie dans les œuvres complètes, l’acception française de neuropsychosen étant auparavant psychonévroses.

[6] Le cas Schreber (1911) et Pour introduire le narcissisme (1914).

[7] Le schéma est mentionné dans le Manuscrit D (non daté, 1894) et reproduit dans le Manuscrit G (Non daté, probablement le 7 janvier 1895) in Lettres à Fliess, 1887-1904.

[8] André Green reprendra un schéma très similaire : « La double limite qui tente de concevoir la structure psychique sous une double influence : la limite entre dedans et dehors et, au sein du dedans, la limite interne entre conscient et inconscient. Il nous faut donc compter avec deux axes directeurs qui s’articulent l’un avec l’autre. Cette idée trouvera à s’appliquer dans le cas des structures psychotiques où règne la confusion entre ce qui vient du moi et ce qui vient de l’autre. Elle s’articule avec ce qui est accessible au conscient et ce qui demeure relégué à l’inconscient. » (André Green, Les cas limite. De la folie privée aux pulsions de destruction et de mort, in Revue française de psychanalyse, 2011/2).

[9] Sigmund Freud, Le refoulement, 1915.

[10] Sigmund Freud, Extraits de l’histoire d’une névrose infantile (L’homme aux loups), 1918.

[11] Sigmund Freud, Sur les types d’entrée dans la névrose, 1912.

[12] Ibid.

[13] Ibid.

[14] Sigmund Freud, Caractère et érotisme anal, 1908.

[15] Erick Fromm, Die psychoanalytische Charakterologie und ihre Bedeutung für die sozialpsychologie, 1932, cité dans Le caractère social, chaînon manquant entre marxisme et psychanalyse, Jan Spunk, Revue Maussade 2011/2 (N°38).

[16] Sigmund Freud, La disposition à la névrose obsessionnelle, 1913. « Une contribution au problème du choix de la névrose » en est le sous-titre.

[17] « Il y a lieu d’enregistrer le fait que le développement du moi devance dans le temps celui de la libido. Les pulsions du moi, du fait de cette anticipation, seraient contraintes au choix d’objet avant que la fonction sexuelle n’eût atteint sa configuration définitive ; une fixation en résulterait au stade prégénital de l’ordre sexuel » (Ibid.).

[18] Freud regroupe sous le nom de paraphrénie la paranoïa et la démence précoce.

[19] Le terme de narcissisme apparaît pour la première fois chez Freud en 1910 pour rendre compte du choix d’objet sexuel (Trois essais sur la théorie sexuelle). Son développement conduit Freud à poser l’existence d’un stade de l’évolution sexuelle intermédiaire entre l’auto-érotisme et l’amour d’objet.

[20] Ibid.

[21] Sigmund Freud, Le refoulement, 1915.

[22] Sigmund Freud, Inhibition, symptôme et angoisse, 1926.

[23] Sigmund Freud, Psychanalyse et théorie de la libido, 1923.

[24] Sigmund Freud, Petit abrégé de psychanalyse, 1924.

[25] Sigmund Freud, La perte de la réalité dans la névrose et dans la psychose, 1924.

[26] Sigmund Freud, La tête de méduse, 1922.

[27] Sigmund Freud, La négation, 1925.

[28] Joyce Mc Dougall, Essai sur la perversion, in La perversion, chemins de traverse, Collectif, 1980.

[29] Sigmund Freud, Le clivage du moi dans le processus de défense, 1938.

[30] Sigmund Freud, La disparition du complexe d’Œdipe, 1923.

[31] Sigmund Freud, La perte de la réalité dans la névrose et la psychose, 1924.

[32] Sigmund Freud, Abrégé de psychanalyse, 1938.

[33] Véritable signifiant du bloc de cristal dans « Nouvelle suite des conférences d’introduction à la psychanalyse », XXXIe leçon 1933.

[34] Sigmund Freud, Les types libidinaux, 1931.

[35] Sigmund Freud, Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa Le Président Schreber, 1911.

[36] Pierre Fédida, Le concept et la violence, 1977.

[37] Sigmund Freud, Le délire et les rêves dans la Gradiva de Jensen, 1906.

Résultats, idées, problèmes : I Limites et extensions de la théorie
Résultats, idées, problèmes : II Au-delà du principe de la névrose

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